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Courant Alternatif n° 309 avril 2021

La Commune et ses vies ultérieures

jeudi 22 avril 2021, par Saint-Nazaire

Le 150ème anniversaire de La Commune de Paris est à l’origine de multiples parutions, colloques, initiatives, rappelant que son appropriation symbolique reste un enjeu. Pourtant aucune cérémonie officielle, ni de l’État, ni de la Ville de Paris, n’est annoncée pour commémorer l’évènement.


C’était déjà le cas lors du centenaire en 1971 et Maximilien Rubel pouvait alors s’étonner du « refus obstiné du gouvernement de l’actuelle République française de commémorer un évènement qui contribua bien plus à établir et à consolider définitivement la République en France, qu’à transformer la société française en une fédération de communes autonomes, destinée à servir de modèle à la régénération sociale de l’humanité ». [1]

Car c’est bien là un des paradoxes de La Commune de Paris : ce mouvement insurrectionnel prolétarien élevé au rang d’archétype du mouvement révolutionnaire par différentes écoles du mouvement ouvrier, repose pour grande part sur une mythification de l’action du peuple parisien pendant les 72 jours de mars et mai 1871. Ses conséquences politiques et sociales immédiates furent plutôt de souder une nation autour d’une patrie française phare de l’universalisme humaniste pour mieux nier le crime inaugural de la IIIème République : la Semaine Sanglante. Un bain de sang qui se perpétuera dans les conquêtes coloniales, la Première puis la Seconde Guerre mondiale.

femme à l’Hôtel de Ville au 2éme jour

« La Commune a été un grand moment d’affrontement idéologique et de face à face social. La répression qui l’achève est à la hauteur des peurs que la Révolution a suscitées dans les classes dirigeantes. Des inquiétudes qui confinent à la haine. Elle dépasse largement le strict cadre de la répression politique. Si l’on punit les chefs, on n’épargne pas les humbles. Aux fusillades des squares succède une justice militaire prompte à condamner : on compte plusieurs dizaines de milliers de morts dans les rues de Paris, étendus par les balles des fusils versaillais, plus de 43 000 arrestations, près de 50 000 décisions de justice, plus de 80 condamnations à mort, des milliers de condamnations à la déportation en Nouvelle-Calédonie, près de 10 000 proscrits. Les juges sont convaincus qu’ils ont une mission à remplir, qu’ils sont là pour extirper le mal de la société, faire un exemple pour l’avenir, le tout sur fond d’idéal religieux. Il s’agit d’abord d’une expiation, d’une purification, d’une lustration à vocation rédemptrice. Il s’agit aussi de faire disparaître la menace socialiste, de faire taire le peuple et d’imposer un modèle politique et social paternaliste, pour le moins hiérarchique, en tout cas très éloigné de la démocratie, donc de la République au nom de laquelle cette répression est formellement conduite » [2].

Après une décennie de répression, l’amnistie est votée en 1880 pour poser « la pierre tumulaire de l’oubli sur les crimes et sur les vestiges de La Commune ». [3]

Les communard·e·s pourront rentrer d’exil et pour partie, s’intégrer à cette IIIème République par la carrière politique. Edouard Vaillant est à ce titre exemplaire : Blanquiste élu au Conseil de La Commune il devient délégué à l’instruction publique [4] puis s’exile à Londres en 1871. Condamné à mort par le Troisième Conseil de Guerre, il reviendra en France en 1880, d’abord pour poursuive l’œuvre révolutionnaire de Blanqui, mais ensuite pour intégrer l’Assemblée nationale comme député de Paris de 1893 jusqu’à sa mort en 1915 après avoir participé à la création de la SFIO.

Le ralliement à la République ne fut bien sûr pas le lot des tout-es les Communard·e·s, et à ce titre la figure de Louise Michel symbolisera à elle seule une constance révolutionnaire, radicalisée par l’exil, et dévolue intégralement à l’émancipation sociale à son retour.
Les itinéraires seront bien évidemment divers, en fonction des quatre grandes familles politiques qui composent le Conseil de la Commune : les républicains jacobins (héritiers de 1793 et de 1848), les socialistes blanquistes, les proudhoniens et les internationalistes membres de l’AIT.

le coin rouge dans le Bloc de la bourgeoisie

Marx donnera l’interprétation historiquement dominante de La Commune dans La Guerre civile en France : « La Commune a démontré que la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre telle quelle la machine de l’État et de la faire fonctionner pour son propre compte ». Cette rupture avec la stratégie du Manifeste, ne sera cependant que provisoire pour les marxistes. Engels s’appropriera cette lecture en considérant que La Commune fut « le tombeau du vieux socialisme spécifiquement français » et « la dictature du prolétariat en acte ».
Lénine n’aura plus qu’à intégrer les conclusions supposées de Marx et avérées d’Engels dans le chapitre 3 de L’État et la Révolution, pour faire de La Commune l’archétype du prolétariat constitué en classe dominante, qui brise l’État bourgeois, l’ampute de l’armée et de la bureaucratie, et qui enfin réorganise la production en « instituant une discipline de fer, maintenu par le pouvoir d’État des ouvriers armés, nous réduirons les fonctionnaires publics au rôle de simples agents de l’exécutions de nos directive, au rôle de ces surveillants et de comptables, responsables, révocables et modestement rétribués (...) voilà notre tâche prolétarienne ». Le tout dans la communion nationale car « c’est commettre sciemment un faux que d’accuser La Commune d’avoir voulu détruire l’unité de la Nation et supprimer le pouvoir central ».

Du côté des internationalistes anti autoritaires, la lecture de la Commune sera tout autre : la spontanéité de l’insurrection parisienne démontre la vacuité des états-majors politiques, et les capacités d’auto-organisation du peuple en mouvement. Bakounine écrira en 1871 « Je suis un partisan de La Commune de Paris parce qu’elle a été une négation audacieuse, bien prononcée de l’État (…) la majorité des membres de La Commune n’étaient pas proprement socialistes, et s’ils se sont montrés tels, c’est qu’ils ont été invinciblement entraînés par la force irrésistible des choses, par la nature de leur milieu, par les nécessités de leur position, et non par leur conviction intime. Les socialistes, à la tête desquels se place naturellement notre ami Varlin [5], ne formaient dans La Commune qu’une très infime minorité (...) Contrairement à cette pensée des communistes autoritaires, qu’une révolution sociale peut être décrétée et organisée soit par une dictature, soit par une assemblée constituante issue d’une révolution politique, nos amis les socialistes de Paris ont pensé qu’elle ne pouvait être faite ni amenée à son plein développement que par l’action spontanée et continue des masses, des groupes et des associations populaires » [6].

Ces débats sur la signification politique de la Commune structureront les affrontements dans l’AIT entre autoritaires et fédéralistes (marxistes et anarchistes), mais aussi les débats au sein de la Seconde internationale sur la primauté du combat des organisations socialistes : la lutte est elle principalement sociale ou essentiellement politique, faut il conquérir ou détruire l’État ? Cela conduira en France aux difficultés de structuration d’une unité socialiste révolutionnaire, puis à l’affrontement entre le Parti socialiste (SFIO) et la CGT pour l’hégémonie sur le mouvement ouvrier( [7], jusqu’à la Première Guerre mondiale qui réconciliera tout le monde ou presque dans l’Union sacrée et la communion patriotique. A l’international, même les Zimmerwaldiens et leurs descendants s’affronteront encore longtemps à propos de la Commune et de ses destinées, à propos des « Communes » de Berlin (1918-1919) de Cronstadt (1921), ou même de Budapest (1956) [8]

La Commune et la révolution Russe

Ces querelles d’héritiers font dire à Edith Thomas : « la Commune fut en majorité un gouvernement de petits bourgeois et l’on ne saurait guère y trouver l’idée d’une dictature du prolétariat, ni même l’organisation d’un parti directeur de la classe ouvrière. Anarchistes, socialistes, communistes peuvent donc à la fois se réclamer de son expérience et en dégager par delà l’histoire et sans la fausser, la force élémentaire d’un mythe révolutionnaire et un espoir : celui d’une société sans classe ou régnerait la justice sociale » [9].

En effet comme le constate Kristin Ross dans L’imaginaire de la Commune, [10] « La Commune fut un laboratoire d’inventions politiques, improvisées sur place ou bricolées à partir de scénarios ou d’expressions du passé, repensés selon les besoins du moment, et nourris des désirs nés au cours des réunions populaires de la fin du Second Empire ». Dès lors il est possible d’aborder la Commune sous un angle nouveau, “ libérée ” des historiographies dominantes qui l’ont instrumentalisée jusqu’à aujourd’hui : d’une part l’histoire communiste officielle et d’autre part, celle de la fiction républicaine française, et de renouer avec sa lecture libertaire qui a été longtemps marginalisées.
« Les communards étaient hostiles à l’État et indifférents à la Nation. La Commune ne souhaitait pas être un État, mais un des éléments, une des entités, d’une fédération de communes qui devait se développer à l’échelle internationale ». Ainsi selon Kristin Ross, les groupes de communard-es en exil, de l’Angleterre jusqu’au Jura Suisse en passant par l’Islande, confronteront leur expériences aux penseurs du temps [11], pour engendrer un nouveau concept, le communisme anarchiste...

Ainsi, la nature et les apports de La Commune ne peuvent être bornés par l’Etat : sa capitulation le 18 mars, et sa résurrection sanglante le 28 mai 71, ni même par la question de sa conquête ou de son abolition. La Commune commence par la diffusion de pensées subversives et révolutionnaires via la multiplication de clubs et de cercles dans les dernières années de l’Empire et poursuit son œuvre souterrainement jusqu’à nos jours, influençant y compris une pensée politique écologiste en rupture avec la société industrielle. [12].

Et il n’est besoin que de regarder les recherches contemporaines sur les Communs [13], ou des expérimentations communalistes révolutionnaires du Rojava [14], pour être convaincu que l’on peut continuer à chanter « qu’La Commune n’est pas morte » !

Philippe

Notes

[1Le socialisme et La Commune (1971), in Marx critique du marxisme, pp ; 272-289, Payot, Paris 1974

[2L’amnistie de La Commune (1871-1880) Stéphane GACON, Ligne n° 10, 2003

[3L. Gambetta, assemblée nationale séance du 21juin 1880

[4Le 2 avril 1871, la Commune décide par décret la séparation de l’Église et de l’État. Elle affirme dans ses déclarations les principes d’une école gratuite, laïque, obligatoire pour les filles comme pour les garçons. Il est intéressant de souligner que ces réalisations essentielles de la Commune seront réinvesties par la IIIème République pour instaurer une école missionnée pour éloigner les enfants tout autant des influences de l’Église que des chapelles socialistes et révolutionnaires

[5(Eugène Varlin, ouvrier relieur, membre de l’Internationale, sera l’un des signataires du Manifeste de la Minorité de la Commune, qui s’oppose à la création d’un Comité de salut public dénoncé comme une dictature le 15 mai 1871. Il sera lynché durant son transfert à Montmartre puis fusillé assis par les Versaillais le 28 mai. (cf le Calvaire de Varlin raconté par Lissagaray dans son Histoire de La Commune de 1871 accessible en ligne)

[6M. Bakounine, Préambule à l’Empire Knouto-germanique, Œuvres complètes T. 8, éditions Champs Libre

[7Voir les ouvrages Spartacus et la Commune de Berlin (1918-1919) d’André Prudhommeau, La Commune de Cronstadt d’Ida Mett, La Commune de Budapest et les conseils ouvriers, Hongrie 1956, d’Andy Anderson

[8cf. JP Hirou, Parti socialiste ou CGT (1905-1914), Editions Acratie

[9(article La Commune de Paris, Encyclopædia Universalis.

[10La fabrique Editions, 2015

[11Krisitne Ross suit plus particulièrement les figures de William Morris, Elisée Reclus et Pierre Kropotkine. Son livre fait l’objet d’une recension remarquable par F. Himmelbauer sur le site « La voie du jaguar »

[12« Pourtant, si l’on doit avancer des hypothèses sur ce qui peut attirer des militants et des théoriciens d’aujourd’hui vers ce corpus de pensée, il faut souligner non seulement son appréhension visionnaire de la nature antiécologique du capitalisme, mais aussi le caractère singulièrement intransigeant de cette appréhension. Et c’est là, selon moi, qu’on peut attirer l’attention sur une autre conséquence majeure, pour les penseurs en question […], du fait d’avoir vécu l’événement récent de la Commune, l’ampleur de ses aspirations aussi bien que la sauvagerie de son anéantissement. Pour aucun d’entre eux il n’était question de réforme ou de solution partielle. La réparation de la nature ne pouvait venir que du démantèlement complet du commerce international et du système capitaliste ». K. ROSS, L’imaginaire... p. 171

[13Pierre Dardot, Christian Laval, Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle.

[14Voir l’article de Pierre Bance dans CA n° 308, ou son livre Un autre futur pour le Kurdistan ? Municipalisme libertaire et confédéralisme démocratique, Editions Noir et Rouge.

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