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CA 315 décembre 2021

Algérie, Maroc, jusqu’où ?

samedi 25 décembre 2021, par Courant Alternatif

Jusqu’où iront les gouvernements marocain et surtout algérien dans la surenchère guerrière.


Vieilles querelles

Depuis l’indépendance algérienne en 1962, les rapports restent tendus avec le Maroc. Une dynastie royale descendant du prophète d’un côté de la frontière et de l’autre, un régime qui a chassé les colonialistes français. Aux gré des événements, chacun s’accommodait d’un statut quo suspicieux avec une guerre gelée dont l’objet serait le devenir du Sahara Occidental.

A l’été 2020, D.Trump alors président des États Unis, décide de reconnaître la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental. En contrepartie, l’État marocain rétablit, normalise ses relations avec Israël. Le roi suit par cette officialisation, les Émirats Arabes, Barheim, le Soudan etc. Cette démarche « trumpienne », qui contrevient aux résolutions de l’ONU sur l’auto détermination du peuple sahraoui, heurtera le gouvernement algérien et le Front Polissario qu’il soutient. Cette décision ravivera le contentieux enfoui entre les deux pays sur le Sahara Occidental. Notons que ce diktat trumpien n’a toujours pas été rejeté par la nouvelle administration de J. Biden.

266 000 km2

Le territoire du Sahara Occidental, est côtier par l’atlantique, bordé par le Maroc, l’Algérie et la Mauritanie. Le dernier soldat du colonisateur espagnol est parti en 1976. Le Maroc et le Front Polisario se disputent ce territoire de 266000km2. Le premier au nom d’une appartenance historique et le second comme légitime représentant du peuple sahraoui et au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. En novembre 1975, le roi du Maroc Hassan II organise une « marche verte » pacifique en « conviant » la population marocaine à reconquérir le Sahara Occidental. Il occupera de facto 80 % du territoire considéré comme légitimement marocain. Les 20% du territoire restants ont été octroyé au Front Polisario par la Mauritanie lors des accords d’Alger en août 1979. Pour contrer les incursions indépendantistes, le roi fera construire un « mur de sable » avec l’aide des impérialismes US et Israélien. Dès le 27 février 1976, le front Polisario, naguère soutenu par la Libye de Kadhafi, puis par l’Algérie qui héberge des camps de réfugiés sahraouis, déclare l’indépendance de la RASD [1]. Après 15 ans de conflit, un cessez le feu est signé en 1991 sous l’égide de l’ONU prévoyant un référendum d’auto détermination du peuple sahraoui. Référendum sans cesse reporté. La RASD n’est toujours pas reconnue par l’ONU ou la Ligue Arabe, mais est membre de l’Union Africaine depuis 1982. L’accaparement de ce territoire permet au Maroc de profiter de la richesse poissonneuse du littoral atlantique, des réserves de phosphates, avec 60 % de la production mondiale et ouvre au royaume de Mohamed VI, une route plus directe vers les pays de l’Ouest africain. Pour l’Algérie enclavée entre le Maroc et la Tunisie, ce bout de territoire lui permettrait indirectement, d’avoir une ouverture sur l’Atlantique.

Ce premier novembre, trois routiers algériens sont tués [2] au volant de leur camion en traversant le Sahara Occidental. L’animosité entre les deux pays prend de l’ampleur, surtout à Alger. Le gouvernement algérien promet une réaction.

Des tensions planifiées

Dans cette surenchère de crispations politiques, les frontières se ferment et l’Algérie rompt ses relations diplomatiques avec son voisin. Alger accuse même le gouvernement marocain et indirectement les israéliens de soutenir le MAK (mouvement d’Autonomie Kabyle). Ce mouvement considéré comme terroriste par le pouvoir algérien est rendu responsable des incendies de forêt qui cet été ont ravagé le Nord du pays. Fin octobre, Alger a fermé le gazoduc qui alimente l’Espagne en traversant le royaume du Maroc. Ce dernier se trouve alors privé de gaz et des taxes prélevées au passage. Cette agitation politico militariste a de quoi inquiéter. De part et d’autre de la frontière, les populations trinquent. Le tout gangrené par une corruption pléthorique des gouvernants. En Algérie, face à la dégradation du pouvoir d’achat, la population doit subir les augmentations des produits de première nécessité et pallier aux pénuries en tout genre. Une crise sociale profonde, un chômage de masse qui voit les jeunes tant algériens que marocains ne rêver que de départ, que d’exil. Pendant ce temps, une partie de la richesse de ces pays va vers l’armement. L’Algérie aurait dépensé 90 milliards de dollars entre 2010 et 2020, 9 milliards en 2020. Durant la même période, le Maroc aura dépensé 35,6 milliards avec notamment le dépassement de 30 % du budget militaire en 2019. Le Maroc non membre de l’OTAN est reconnu depuis 2004, allié majeur. Ces deux pays totaliseraient 60 % des achats d’armes en Afrique. Autant de sommes qui seraient utiles aux peuples.

Régimes autoritaires, les vociférations belliqueuses d’Alger permettent aux deux gouvernements de renforcer leurs politiques sécuritaires, d’emprisonner et de faire taire toute opposition. Cette tension entretenue est pour le nouveau président algérien et son entourage une manière d’asseoir, voir d’étendre sa légitimité. Le président A.Tebboune n’a été élu que par 39,9 % des inscrits dans l’indifférence et la suspicion de la part du peuple algérien. Si voici peu l’Algérie a été secoué par un vaste mouvement de contestation populaire « le Hirak » qui a ébranlé la bureaucratie au pouvoir et fait valser quelques têtes au sommet de l’État, rappelons un autre « hirak » au Maroc avec la révolte du « Rif » en 2016. Une contestation sociale, politique, et identitaire qui a duré plusieurs semaines et qui dénonçait les impasses de la politique économique et sociale de Rabat.
C’est aussi dans ce contexte de politique intérieure, que le président algérien a haussé le ton contre la France colonisatrice et le président français E. Macron après ses propos qui accusait le système politico algérien « d’entretenir une rente mémorielle... ». La réaction fut rapide. Rappel de l’ambassadeur algérien de France puis l’interdiction de l’espace aérien aux avions militaires français en vol pour le Sahel, le Mali... Il est vrai que si l’un joue sur la fibre nationaliste et anti colonialiste pour masquer les problèmes politico-économiques du pays, le second en période pré- électorale française drague les voix de la droite « LR » ainsi que celles de l’extrême droite.

Autre cause d’animosité, le désengagement américain dans la région méditerranéenne pour se recentrer en Asie face à la Chine et, la faiblesse de l’impérialisme français, à bout de souffle, illustré par l’échec de la vente des sous-marins à l’Australie et la diminution puis le retrait des troupes françaises au Sahel et au Mali... Le désengagement de l’un et l’affaiblissement de l’autre, ouvrent un espace aux chefs de gangs régionaux. Leur concurrence pour un leadership méditerranéen exacerbent les tensions dans une situations locale redessinée. Chaos libyen, affirmation de la Turquie, présence russe renforcée en Syrie, influence de l’Iran via le Liban, l’Irak voir le Yémen... autant de situations qui reconfigurent les alliances. Alger resserre ses liens avec Moscou tandis que Rabat s’appuie sur Washington, Tel Aviv et la France.

Les prolétaires n'ont pas de patrie

Les populations n’ont rien à gagner dans cette escalade belliqueuse. Derrière la posture politico médiatique, étatique, d’Alger, les peuples silencieux, sont proches par de nombreux liens familiaux, la langue, la culture etc. Contre l’enrôlement derrière leurs bourgeoisies, la solidarité et l’auto organisation sans frontière des exploités, algériens marocains et sahraouis devrait être à l’ordre du jour. Ils doivent s’unir dans la lutte d’émancipation contre leurs gouvernements, contre les impérialismes. Par leur clairvoyance, leur conscience, ils devront refuser l’endoctrinement guerrier et refuser d’être de la chair à canon pour satisfaire les appétits des profiteurs qui les dirigent.
Mz le 20 11 2020

Notes

[1République Arabe Sahara Démocratique

[2Chauffeurs tués par l’armée marocaine pour Alger, fourvoyés dans une zone militarisée interdite à toute circulation pour Rabat.

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