CA 315 décembre 2021
Rubrique l’économie en brèves
mercredi 29 décembre 2021, par
Puisque que l’économie est devenue davantage une idéologie qu’une science, la rubrique l’Économie en brèves nous aide à comprendre les tenants et les aboutissants des logiques du capital.
Ces derniers temps, la hausse du prix de l’énergie (électricité, gaz, essence) a fait la une de l’actualité. Effectivement, pour beaucoup, il faut se serrer la ceinture pour se chauffer convenablement et faire le plein pour aller au boulot. Mais la suite des commentaires marque une certaine confusion. La question posée était que va faire Macron, diminuer le prix de l’essence ou augmenter les salaires. Euh… Certes l’essence est fortement taxée, mais les stations essence sont des entreprises privées de même que les compagnies pétrolières. En quoi le montant des taxes est-il plus scandaleux que les bénéfices de Total (4,6 milliards de dollars), Shell (3,4 milliards de dollars) ou BP (3,1 milliards de dollars) ? C’est eux qui fixent le prix de l’essence, pas Macron. Pour ce qui est des salaires, Macron n’a que deux possibilités. Un, augmenter les fonctionnaires. Il semblerait bien qu’il ne le veuille pas, pas plus que ses prédécesseurs. Deux, augmenter le SMIC. Il ne l’a augmenté que du minimum légal (proportionnel à l’indice d’inflation officiel), comme ses prédécesseurs d’ailleurs. La majorité des salariés relèvent du privé, et leur salaire du rapport de forces entre les classes. Et ça fait un petit moment qu’il n’est pas bon pour nous, le rapport de forces. Donc oui, le prix de l’énergie augmente, mais non, là n’est pas le problème, le problème c’est la faiblesse de nos salaires.
En fait, si on regarde l’inflation, il n’y en a pas tellement. Le dernier taux annoncé est une hausse générale des prix de 2,6% sur un an. C’est comme si quelqu’un qui gagnait 1500€ par mois perdait 39€ à la fin de l’année. On a connu bien bien pire dans les années 70-80. Par contre, d’après la DARES [1], le salaire moyen dans le privé (entreprises de plus de 10 salariés) a augmenté, lui, de seulement 1,5%. Là réside déjà une partie du problème. Notre salaire réel a baissé.
Une autre partie du problème réside dans ce que les statisticiens appellent dépenses contraintes ou dépenses pré-engagées. Nous avons « le choix » de nos dépenses, nous pouvons manger plus ou moins, et plus ou moins mauvais, nous habiller cher ou bon marché, avoir beaucoup ou peu de vêtements, sortir ou pas, en fonction de différents aléas. Mais il est des dépenses sur lesquelles nous ne pouvons pas grand-chose. Une fois qu’on a emménagé, on ne peut pas payer un peu moins de loyer pour sortir un peu plus, on a peu d’influence sur les charges de chauffage et d’électricité, une fois choisi son abonnement internet on ne peut pas le moduler, et on ne peut pas dépenser plus ou moins d’essence pour aller au boulot. Ce sont les dépenses contraintes. Elles amputent de plus de 35% le budget des populations modestes, non compris l’essence, le gaz et l’électricité. Donc, en fait, non seulement notre salaire réel baisse, mais pour beaucoup, nous ne disposons que de moins des deux tiers de ce salaire. Pour les 10% les plus pauvres, le logement à lui tout seul leur mange 42% de leurs revenus. Et globalement (mais pas cette année), le prix de ces dépenses a augmenté plus que la moyenne des prix. Donc, forcément, avec un salaire qui ne suit pas exactement l’inflation, et une part de ce salaire croissante dont on ne voit pas la couleur, on devient plus sensible à la hausse des prix des produits de notre quotidien. La masse de ce qui nous est prélevé augmente, et donc nous sommes plus sensibles à ce que nous dépensons par nous-mêmes.
Il faut ajouter que l’indice des prix est une moyenne basée sur un panier type de consommation dans lequel il y a du pain, des stylos, des frigos, des ordinateurs, des apéros, etc. le tout pondéré par des quantités (on achète du pain tous les jours, et un frigo assez rarement). Et donc bien sûr, quand le prix des billets d’avion baisse, ça diminue le taux d’inflation, mais ça laisse indifférent la majorité de la population (30% des gens n’ont jamais pris l’avion de leur vie, et 34% l’ont pris au moins une fois dans l’année). En fait, il devrait y avoir autant d’indices d’inflation que de types de population. Et c’est d’ailleurs le cas, mais ils sont difficiles à trouver. D’après la dernière étude que j’ai lue, l’inflation est plus élevée pour les 20% les plus modestes que pour l’ensemble de la population, et ce quasiment depuis l’entrée en vigueur de l’euro, qui a surtout impacté les petits prix.
Si on résume. Oui, la vie est de plus en plus chère pour une bonne partie de la population, la moins riche. Non, on ne peut pas parler d’inflation. En revanche, on peut parler d’atonie des salaires. Et oui, quand la marge de manœuvre de consommation se restreint, l’augmentation du prix de l’énergie aggrave les choses, d’autant qu’une part de cette dépense est incompressible, ou en tous les cas pas choisie.
Quelle est la responsabilité du gouvernement ? Dans l’inflation (et donc aussi dans son absence), aucune depuis l’entrée en vigueur de l’euro. Sur le prix de l’énergie ? Pas énorme. Il n’est écrit dans aucune loi que c’est l’automobiliste qui doit payer les taxes. Les compagnies pétrolières pourraient rogner sur leurs bénéfices si elles voyaient que la consommation d’essence diminuait. Il y a bien une responsabilité de l’État, mais plus vaste : c’est celle de l’aménagement du territoire, de laisser libre cours à la spéculation immobilière, de ne pas trop forcer sur des transports en commun corrects et pas chers, ce qui nous oblige à prendre la bagnole pour aller au boulot. Sur les salaires, l’État a un levier d’action qu’il n’a pas utilisé depuis très très longtemps : donner un coup de pouce au SMIC, c’est-à-dire l’augmenter plus que l’obligation légale. Ca concerne 8,5% des salariés, mais 20% des ouvriers non qualifiés et 27% des employés non qualifiés. Et quand le SMIC augmente, souvent, les autres salaires aussi. Beaucoup de conventions collectives font référence au SMIC, et surtout, les entreprises ont une passion pour la hiérarchie. Elles conservent donc souvent les différences de salaires. Je ne vous dis pas les cris d’orfraie que pousserait le patronat, et je n’imagine pas une seconde Macron prendre ce type de décision. D’autant que s’il voulait vraiment augmenter le pouvoir d’achat, il pourrait déjà augmenter les fonctionnaires (autres que les flics je veux dire).
Et les primes qu’il a annoncées ? Je suis incapable de vous faire le bilan. Je ne sais pas sur quoi se basent les chiffrages des journaux. Ce qui est donné par l’État peut être calculé, mais à condition de savoir quel pourcentage des bénéficiaires le touchera réellement. Une partie des primes sont des effets d’annonce, parce que si elles ne sont pas inscrites dans la loi, les patrons ne sont pas obligés de les verser. Il s’agit en fait juste d’une version moderne du clientélisme en période électorale. Il achète des voix ou essaye. Ça n’est pas très neuf.
Il faudrait rappeler une dernière chose. La destruction de la planète, c’est pas des conneries. Macron ou pas Macron, le prix du pétrole va augmenter au fur et à mesure de l’épuisement des ressources, sauf si le gaz de schiste se généralise, ce qu’aucun de nous ne souhaite. Et il va falloir diminuer nos émissions de gaz à effet de serre. C’est possible avec une politique publique volontariste au bénéfice de tous, en terme de logements et d’infrastructures. Mais on ne voit pas le plus petit indice d’une quelconque volonté politique. Donc, ils feront la seule chose qu’ils savent faire, mettre des taxes pour décourager la consommation, et éventuellement en exempter les plus riches pour pas trop les embêter. Rappelons que les 10% les plus riches sont responsables de la moitié des émissions de gaz à effet de serre sur la planète.
[1] La Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) est la direction du ministère du Travail qui produit des analyses, des études et des statistiques sur les thèmes du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.