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CA 319 avril 2022

Le gouvernement ukrainien démantèle les droits du travail pendant la guerre

jeudi 7 avril 2022, par Courant Alternatif


Voir en ligne : source : Open democracy

Le 15 mars, la Verkhovna Rada d’Ukraine (Parlement) a adopté une loi établissant des restrictions sans précédent dans toute l’histoire de l’Ukraine indépendante sur les droits des travailleurs et les activités des syndicats. Cette loi est destinée à réglementer les relations de travail dans le cadre des hostilités lancées par la Russie en Ukraine. Le gouvernement considère qu’il s’agit d’une mesure nécessaire dans des conditions de guerre et que les syndicats sont contraints d’accepter cette situation sans protester. Les syndicats disent que c’est une excuse pour la déréglementation

La nouvelle loi proposée par l’Ukraine pour déréglementer les droits du travail, que le gouvernement considère comme faisant partie de l’effort combiné pour contrecarrer l’invasion russe, a mis l’administration en désaccord avec les syndicats du pays.

Il est à craindre que la nouvelle loi, qui a été approuvée par le parlement mais qui n’a pas encore été promulguée par le président Volodymyr Zelenskyi, puisse se poursuivre après la fin de la guerre et conduire à de nouvelles conditions de travail abusives en Ukraine.

La nouvelle loi restreint considérablement les droits des employés (sur les heures de travail, les conditions de travail, le licenciement et l’indemnisation après le licenciement) et augmente l’influence des employeurs sur leur main-d’œuvre.
George Sandul, un avocat de l’ONG ukrainienne de défense des droits des travailleurs Labour Initiatives, a déclaré à openDemocracy que les changements ont « choqué les syndicats et les experts dans le domaine ».

« Naturellement, la façon dont les gens travaillent a subi d’énormes changements pendant la guerre provoquée par l’invasion de la Russie », a expliqué Sandul. « Mais les employés qui n’ont pas perdu leur emploi travaillent jour et nuit pour que l’armée et le peuple ukrainien obtiennent la victoire ».

« Il est logique que toute réglementation législative serve un objectif principal : renforcer la capacité de défense de l’Ukraine. Ce projet de loi […] ne sert manifestement pas cet objectif, il met plutôt des bâtons dans la roue ».

« Il y a de gros risques qu’après la fin de la guerre, ces dispositions migrent vers des initiatives législatives en temps de paix - comme nous avons observé à plusieurs reprises des tentatives désespérées de Tretiakova et d’autres lobbyistes pour démanteler sérieusement les droits du travail en Ukraine », a-t-il déclaré.

À la suite de l’invasion russe, des centaines et des milliers d’entreprises ukrainiennes ont été détruites, ont cessé de travailler ou leurs travailleurs ont été contraints de fuir les hostilités en Ukraine ou à l’étranger. Un autre nombre d’entreprises et d’employés se sont retrouvés sur un territoire occupé par les forces russes, où l’application de la législation du travail ukrainienne a été entravée.

En outre, de nombreuses entreprises ukrainiennes participent à des activités de défense coordonnées par les administrations militaires locales et leurs employés sont affectés à des travaux qui ne sont pas couverts par des contrats de travail réguliers.

	Plus de droits pour les employeurs

La nouvelle loi augmente considérablement les droits des propriétaires d’entreprises privées et des services et institutions publiques, tout en réduisant les droits des employés.

Si, à la suite des hostilités, une entreprise est détruite ou ne peut plus fonctionner, elle peut licencier les salariés moyennant un préavis de dix jours (au lieu de deux mois) et le paiement d’un mois de salaire.

Il sera également permis de licencier les salariés en congé de maladie ou en vacances (mais pas si elees sont enceintes ou en congé parental). Les employeurs peuvent augmenter la semaine de travail de 40 heures à 60 heures, raccourcir les vacances et annuler des jours de vacances supplémentaires. Ils ont également une plus grande flexibilité dans l’embauche d’employés.

Les employeurs peuvent exiger des employés qu’ils effectuent d’autres travaux non couverts par leur contrat s’ils sont nécessaires à des fins de défense, tant que ces travaux ne nuisent pas à leur santé.

L’une des dispositions les plus controversées du projet de loi concerne la possibilité d’impliquer les femmes dans des travaux physiquement pénibles et des travaux souterrains (dans les mines, par exemple), ce qui est actuellement interdit par la législation du travail ukrainienne. Cela pourrait conduire à une violation de la 45e convention de l’Organisation internationale du travail, datant de 1935, qui interdit le travail souterrain pour toutes les femmes.

Une autre nouvelle disposition, qui concerne la suspension d’un contrat de travail, peut s’appliquer « dans le cadre de l’agression militaire contre l’Ukraine ». Cela libère temporairement toutes les parties de leurs obligations mutuelles mais ne met pas fin à la relation de travail. Le paiement des salaires et autres garanties et indemnités est attribué à « l’État qui commet l’agression militaire » (c’est-à-dire la Russie), et non à l’employeur.

En compensation, le gouvernement propose de payer 6 500 hryvnia (environ 200 €) à toute personne ayant perdu son emploi à cause des hostilités - mais ce paiement ne représente qu’un tiers du salaire moyen dans de nombreuses régions actuellement touchées par la guerre. Et le processus par lequel les employés doivent recevoir une compensation du pays agresseur est loin d’être clair.

« En ce moment, pour tous ceux qui ont encore un emploi et travaillent sur le front intérieur pour la victoire de l’Ukraine et la viabilité de l’économie, il est extrêmement important d’avoir au moins des garanties minimales sur les droits du travail et, dans la mesure du possible, d’être assurés qu’ils pourront acheter du pain », a déclaré Sandul. « La déréglementation de ces garanties est extrêmement nuisible ».

La nouvelle loi donne également aux employeurs le droit d’annuler les conventions collectives de travail à leur discrétion et limite considérablement les droits des syndicats, réduisant leur rôle à celui de « contrôle civil » sur le respect de la nouvelle loi.

Le principal droit pour les employés est que, s’ils sont menacés par les combats ou s’ils sont incapables de remplir leurs fonctions, ils peuvent démissionner immédiatement (et n’ont pas à respecter un préavis de 14 jours comme c’est actuellement requis). Mais ce droit ne peut être exercé que si l’employé n’est pas impliqué dans un travail obligatoire spécial lié à la défense ou aux opérations militaires.

Surveillance civile

La loi "Sur l’organisation des relations de travail en temps de guerre" a été adoptée à la suggestion de la Commission pour la politique sociale et la protection des anciens combattants et soutenue par le ministère de l’Économie de l’Ukraine. Son vote au parlement a été adopté sans examen préalable dans d’autres commissions et discussion par les députés.

Un porte-parole syndical, s’exprimant sous le couvert de l’anonymat, a déclaré qu’ « une instance paritaire représentative des syndicats s’est opposée à ce projet de loi ». Il a refusé de critiquer publiquement le projet de loi, par crainte de représailles. Il a expliqué qu’en temps de guerre, les syndicats ne s’opposeraient pas aux changements, qui, espère-t-il, seront temporaires.
Cependant, certains craignent que le projet de loi ne serve de base à une transformation plus radicale de la législation du travail et des syndicats. Plusieurs mois avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, cette même commission parlementaire des politiques sociales et ce même ministère de l’Économie ont fait des propositions tout aussi radicales pour modifier le droit du travail en faveur des employeurs et restreindre considérablement les droits des syndicats.

Comme openDemocracy l’a rapporté en octobre dernier, le ministère britannique des Affaires étrangères a été impliqué dans un scandale pour avoir financé les études et conseillé le gouvernement ukrainien sur sa stratégie visant à faire adopter par le Parlement des modifications législatives impopulaires auxquelles les syndicats s’opposent.

Le plan divulgué, marqué du logo de l’ambassade britannique à Kiev, notait que les réformes proposées étaient impopulaires et recommandait au ministre de l’Économie de « rendre ses messages plus faciles et plus émotionnels » afin de convaincre le public ukrainien. Avec le soutien du Royaume-Uni, le gouvernement ukrainien fait pression depuis 2020 pour la libéralisation de la législation du travail, affirmant que cela rendrait le pays plus attractif pour les investisseurs et s’attaquerait à l’emploi informel.

Serhiy Guz / OpenDemocracy 18 mars 2022.

Traduction:XYZ

SOURCE : Open democracy

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