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CA 323, octobre 2022

L’économie en brèves

samedi 15 octobre 2022, par Courant Alternatif


*** Chômage : danger, chiffres illusoires

Vous avez dû entendre le gouvernement se féliciter de la baisse du chômage. Euh… en vrai, on ne sait pas comment le chômage a évolué. En effet, le chiffre officiel annoncé médiatiquement tous les mois pour le chômage est celui déclaré par Pôle Emploi, plus exactement les chômeurs et chômeuses de catégorie A, c’est-à-dire ceux et celles sans aucune activité. Or, le formulaire d’actualisation est en train de changer. Il va progressivement être pré-rempli pour tout le monde en ce qui concerne l’activité salariée, donc un certain nombre de gens vont glisser de catégorie. En fait, la DARES (le service de statistiques du ministère du travail) a fait les calculs pour essayer de voir ce que ça changeait. Malgré tout, le chômage baisse, mais moins qu’annoncé. De toutes façons, il y a plusieurs chiffres du chômage, catégorie A, toutes catégories confondues (ça va jusqu’à E), seulement certaines catégories... Ça, c’est pour les chiffres du ministère du travail. Il y a aussi le chiffre calculé par l’I.N.S.E.E. qui est lui basé sur la définition internationale du chômage et une enquête annuelle, et non sur une inscription à Pôle Emploi. Il est calculé une fois par an. Ne cherchez pas le « vrai » chiffre. Il n’existe pas, et chacun a ses imperfections. Par contre, si on veut savoir si ça monte ou si ça baisse, il faut se baser sur le même chiffre à chaque fois, calculé de la même façon. Et oui, un chiffre du chômage peut monter pendant que l’autre baisse, et réciproquement. Un petit boulot ne vous fait pas disparaître de Pôle Emploi, il ne vous fait même pas forcément disparaître de la catégorie 1er choix (A). Par contre, il vous fait disparaître du chiffre annoncé par l’I.N.S.E.E. A l’inverse, si vous n’avez pas pris la peine de vous inscrire sachant que vous ne toucherez rien, vous resterez dans le chiffre de l’I.N.S.E.E. alors que vous serez ignoré·e du chiffre mensuel officiel. Il faut juste savoir qu’en ce moment, très à la louche, il faut doubler le chiffre officiel (catégorie A) pour avoir toutes les situations, voire le tripler si on veut prendre en compte le temps partiel contraint, et que de toutes les façons, moins de la moitié des chômeurs·ses « officiel·le·s » (catégorie A) sont indemnisé·es.

Source : Baisse du chômage : le chiffre qui met à mal la communication du gouvernement, Cécile Hautefeuille, Mediapart, 22 août 2022 ; et mon vaste savoir…

***Toujours se méfier des élans humanitaires des institutions !

« Améliorer la production agricole » en Afrique pour lutter contre « l’insécurité alimentaire » : c’est devenu le nouveau credo des institutions internationales et de certains pays occidentaux depuis la pandémie de Covid-19, la guerre de la Russie contre l’Ukraine et la hausse du prix du blé. Banque mondiale, G7, France : tous annoncent le déblocage de fonds pour aider le secteur agricole africain, à travers de nouveaux programmes et mécanismes. Rappelons déjà qu’en Afrique noire, en tous les cas de l’ouest, on consomme peu de blé (surtout du riz et du mil), et que si l’Afrique a servi de prétexte pour négocier la possibilité d’exportation de blé ukrainien, très peu de ces cargaisons avaient cette destination.
Ces annonces sont indécentes quand on se rappelle que le FMI, la Banque Mondiale ont dévasté les aides à l’agriculture à travers les plans d’ajustement structurel. Ecoutons Ibrahima Coulibaly, président de la Coordination nationale des organisations paysannes du Mali et du Réseau des organisations paysannes et des producteurs agricoles de l’Afrique de l’Ouest : Si le blé, introduit pendant la colonisation, est entré dans les habitudes alimentaires d’une partie des ménages
urbains, « la plupart des Subsahariens se nourrissent principalement de céréales locales », par exemple le mil et le sorgho, et d’autres denrées comme le manioc ou la banane plantain. Et le risque de pénurie pour ces produits locaux n’existe pas : « Certes, les prix ont augmenté comme partout
ailleurs à cause de l’inflation, de l’insécurité qui empêche les activités agricoles dans certaines zones et d’un peu de sécheresse que nous avons eue l’an dernier. Mais on trouve de tout sur les marchés : céréales, fruits, légumes, protéines animales. Et les paysans continuent de travailler. C’est par conséquent très frustrant pour nous d’entendre les discours alarmistes de ces derniers temps. Nous ne comprenons pas cette panique qu’on essaie de créer dans l’esprit des gens ». La priorité est de permettre aux paysans d’accéder à du matériel de qualité et d’instaurer des protections douanières vis-à-vis du blé et du riz pour ne pas modifier les comportements alimentaires et protéger la production locale de la concurrence.
Mais en fait, quand les institutions déclarent vouloir aider l’Afrique en matière agroalimentaire, c’est pour faciliter l’agrobusiness, celui-là même qui affame l’Afrique. Par exemple, la Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition, lancée en 2012 par le G8. Ce mécanisme visait officiellement à « sortir 50 millions de personnes d’Afrique subsaharienne de la pauvreté en dix ans ». Il a surtout consisté à pousser les États africains à faire de nouvelles réformes foncières et fiscales pour créer un « environnement favorable » aux multinationales de l’agro-industrie. Il a ainsi favorisé l’implantation de grosses entreprises axées sur des monocultures, exigeantes en eau, en terres, dépendantes d’intrants chimiques et tournées vers l’export. Ibrahima Coulibaly relève qu’aucune des initiatives annoncées ces derniers mois ne s’inscrit dans les politiques agricoles qui ont été élaborées avec les organisations paysannes, comme celles de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest, qui regroupe quinze pays, et de l’Union africaine. Elles ne vont pas rendre service aux paysans, mais plutôt « renforcer la domination de l’Occident sur l’Afrique », s’insurge-t-il. Les bailleurs de fonds parlent de sécurité alimentaire, c’est-à-dire l’accès de la population à l’alimentation. Les organisations paysannes, elles, prônent la souveraineté alimentaire, c’est-à-dire la faculté de produire soi-même localement l’alimentation nécessaire.
Le nouveau programme de la Banque mondiale « pour lutter contre l’insécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest », censé bénéficier notamment à des petits agriculteurs, est visiblement surtout destiné à promouvoir les investissements privés et l’agrobusiness. Et que dire de l’initiative
Farm (Food and Agriculture Resilience Mission) lancée en mars 2022 par la France, en lien avec l’Union européenne, le G7 et l’Union africaine ? Pour réaliser ce plan, qui vise entre autres à « renforcer les capacités agricoles de manière durable » dans les pays africains, Paris a créé une « coalition du secteur privé pour la sécurité alimentaire », qui rassemble les grosses entreprises de la filière agroalimentaire et est soutenue notamment par la Fondation Bill & Melinda Gates, adepte de l’agrobusiness. Manifestement, la lutte contre « l’insécurité alimentaire » est synonyme d’opportunités d’affaires.
Attention aux dénonciations catastrophistes de la faim dans le monde et notamment en Afrique. Oui, beaucoup ont faim en Afrique, mais quand ce sont ses affameurs qui dénoncent cette situation, il y a de quoi se méfier. Bizarre comme les élans humanitaires collent toujours aux intérêts géopolitiques du moment. Avant la guerre en Ukraine, on avait oublié les risques de famine en Ethiopie ou en Somalie. Maintenant, on s’en souvient, sauf que c’est sans rapport, et on se penche sur l’Afrique subsaharienne, sans doute dans l’objectif que les couches urbaines mangent plus de blé (qu’ils ne peuvent produire pour des raisons climatiques) et moins de mil.

Source : En Afrique, des « plans d’aide » occidentaux à rebours des paysans, Fanny Pigeaud, 22 août 2022, Mediapart

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