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CA 336 janvier 2024

Inondations : des larmes sous la pluie …

samedi 13 janvier 2024, par Courant Alternatif

Un mois durant, le nord de la France a connu un phénomène météorologique exceptionnel qui risque de se banaliser dans les temps à venir en regard du réchauffement climatique et de ses conséquences attendues. Ses effets ont été décuplés par un aménagement capitaliste de l’espace pensé exclusivement en termes de profits immédiats.


Bien que l’ensemble de la région ait été touché, nous porterons la focale sur le pays boulonnais qui nous offre un éclairage d’ensemble à partir d’un point privilégié.

Les scientifiques convoqués pour l’occasion on attesté que des facteurs naturels ont joué un rôle en amplifiant les effets de précipitations incontestablement exceptionnelles : « proximité de la mer, topographie, sols argileux ou tourbeux, absence de fortes pente… »

On s’étonnera tout de même que la hausse de la température de la mer en général, et de la Manche en particulier, n’ait pas suscitée plus de commentaires de la part de ces experts. A nôtre connaissance, seule Météo France a communiqué sur le sujet, rappelant qu’une hausse avérée de 3°C à 5°C de la température de la mer en été, entraîne une plus forte évaporation, générant une masse d’eau disponible dans l’atmosphère plus importante et par conséquent des pluies intenses. Intenses, elles le furent, puisqu’en un mois l’indicateur pluviométrique de l’arrière pays boulonnais enregistrait une mesure à 428,8 mm au lieu des 136 mm en temps normal.

Reporté au débit du principal cours d’eau de la zone, on constatait une hausse là aussi conséquente : de 0,818 m3/s en moyenne, on est passé à 16,54 m3/s en novembre. Autre facteur qui, à première vue paraîtrait positif, celui-là : les nappes phréatiques se sont rechargées comme jamais auparavant, mais leur saturation a rapidement participé de l’aggravation du phénomène …

L'aménagement capitaliste de l'espace

Voyons maintenant ce qu’il en est des différents choix d’aménagement et des ses conséquences induites. En recoupant quelques données, on découvre un peu effaré qu’entre les années 50 du siècle dernier et aujourd’hui : les marais, les tourbières, les prairies inondables et les étangs qui occupaient 70% du territoire régional n’en représentent plus que 0,8 % … Ces zones humides dont dépendent près d’une espèce animale sur deux, filtrent et régulent les stocks d’eau et constituent le moyen le plus efficace pour prévenir et lutter contre les inondations. A la place, ont été construits des bassins de rétention dont les capacités sont jugées largement insuffisantes par les maires des communes récemment submergées. Une fois encore, on ne s’interroge pas sur les causes du sinistre, on réclame d’urgence de canaliser l’eau et de la stocker dans des ouvrages bâtis à cet effet. Choix écologique et économique calamiteux quand on sait qu’un seul hectare de tourbe permet d’économiser 2 000 euros par an en dépense d’infrastructure béton …

Intérêts contradictoires et renvoi de responsabilité

Le « dôme de précipitation » [1] qui s’est abattu sur le boulonnais a mis en lumière les intérêts contradictoires qui s’affrontent quand soudain la machine s’enraye.

D’abord, ceux des agriculteurs dont les exploitations ont été inondées. Pour la première fois, ils ont manifesté sur le port de Boulogne-sur-Mer pour dénoncer la mauvaise utilisation faite de l’écluse dans le but de protéger de la crue les bateaux du bassin de plaisance… Argument contesté aussitôt par un universitaire de Lille 3, interrogé par la presse régionale. Il a préféré, comme les experts météo s’en remettre « au phénomène exceptionnel. » Mais encore !?
Rappelons toutefois, que ces agriculteurs souvent à la tête d’exploitations de taille moyenne, n’ont jamais freiné la destructions des haies du bocage boulonnais, ni la revente de leurs terres aux promoteurs immobiliers qui mitent de leurs lotissements hideux ce qu’il subsiste encore de campagne un peu vivante …

De leur côté, les plaisanciers savent compter sur le soutien du maire de Boulogne-sur-Mer. Comme nombre de ses coreligionnaires, il travaille d’arrache pieds à transformer une ville en proie à la désindustrialisation en un site touristique d’envergure régionale. Depuis des années, les ressources prélevées localement ainsi que les subventions captées de parts et d’autres alimentent des projets qui remodèlent la ville aux fins d’attirer une clientèle belge aisée, lassée de son littoral bétonné hérité des années septante…

Voilà de l’argent qui aurait pu servir, entre autre, à curer et entretenir régulièrement le lit de la Liane, la rivière qui traverse la ville de Boulogne-sur-Mer. Envasée et ensablée de longue date, l’eau sortie de son lit s’est répandue sur les terres de plusieurs communes en amont, ainsi que sur l’étendue de la zone industrielle au Sud de l’agglomération… Là encore, la mairie, la communauté de communes et la région se renvoient la balle quant au financement de l’opération.

Egalement pointés du doigt par les agriculteurs, les mariniers. Toujours selon eux, le niveau d’eau des canaux aurait été maintenu trop haut afin de préserver la navigation et l’activité économique. Voies Navigables de France dément, affirmant au contraire avoir baissé le niveau des canaux à 1,10 m. Quoi qu’il en soit, ce sont plusieurs milliers d’habitants qui dans la région ont été frappés par les inondations. Près de 1600 rien que dans le Montreuillois.

Manifestation d’agriculteurs sur le port de Boulogne-sur-mer

Construire à tout prix

Dans l’agglomération boulonnaise, comme ailleurs dans le département ou la région, plusieurs quartiers résidentiels ainsi que des zones d’activité se sont retrouvées sous les eaux. Les raisons en sont connues et sont exclusivement d’ordre économique et marchand. Des lotissements ont été bâtis en zone inondable en toute connaissance de cause, notamment par le bailleur social « Pas-de-Calais Habitat ». De leur côté, les maires se retranchent derrière la crise du logement et les pressions qu’ils subiraient… Mais des particuliers insuffisamment argentés prennent aussi le risque de faire construire dans des zones menacées, en raison des coûts en dessous du marché.

Quant aux industriels : ils s’adaptent ! On ne change rien, on continue comme avant mais dans la stricte observance des normes inscrites dans le nouveau plan de prévention des risques naturels et d’inondation. Ainsi, dans la zone commerciale au sud de l’agglomération boulonnaise, le tout nouveau concessionnaire de motos Harley Davidson a construit son hangar commercial sur d’immenses pieux de béton de 12 m de long qui lui ont épargné le désastre qui a affligé ses concurrents. Dentistes, commerçants et avocats travestis en Dennis Hopper [2] d’opérette pourront continuer d’enfourcher leurs machines l’espace d’un dimanche ensoleillé sur la Côte d’Opale, voilà bien l’essentiel …

Xavier, Boulogne-sur-Mer,
le 17/12/2023

Notes

[1On ne compte plus les expressions et métaphores grotesques dont les journalistes et les politiciens nous abreuvent chaque jour à l’antenne : du « dôme de précipitation », à la « température ressentie », en passant par l’« éco-terroriste » sans oublier le très en vogue : « islamisme d’atmosphère »…

[2Dennis Hopper est le réalisateur et principal acteur d’Easy rider, film culte de 1969 dans lequel il traverse les États-Unis à moto en compagnie de Peter Fonda.

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