CA 336 janvier 2024
Note de lecture. Aurore Koechlin, Edition Amsterdam, Paris, 2022. 320 pages, 20 euros
vendredi 26 janvier 2024, par
Dans sa thèse de sociologie, Aurore Koechlin a exploré la question de la pratique soignante et médicale à réaliser des actes désagréables, à imposer des suivis gynécologiques pendant toute la vie des femmes, y compris en l’absence de problème santé apparent, voire médicaliser des grossesses, à favoriser une contraception hormonale (pilule, implant ou stérilet) à des femmes qui ne le souhaitent pas et dépister des maladies.
Se présentant comme « profane d’experte » l’autrice a réalisé des entretiens avec des patientes (1) (enfin disons de femmes non malade) et avec des soignant·es (principalement des femmes) et des observations lors de consultations gynécologiques dans différentes structures de santé de la région parisienne : Protection Maternelle Infantile en Seine-Saint-Denis, clinique privée et hôpital public.
L’autrice montre notamment, en quoi la spécialité médicale de gynécologie, supprimée en 1984 et rétablie en 2003 peut servir de ressources aux femmes pour mieux connaître leurs corps, s’approprier des techniques médicales et prévenir certaines maladie grave. Elle décrit les différentes étapes du parcours du suivi gynécologique, qu’elle appelle « carrière gynécologique » des femmes. Elle évoque la charge mentale que peut représenter le suivi gynécologique et l’angoisse qu’il peut susciter au long cours. Elle déconstruit ce qui est appris puis élaboré par les soignant·es (savoirs médicaux) et intériorisé par les femmes comme une évidence, c’est ce qu’elle dénomme « la norme gynécologique ».
Cette norme débute en général avec la contraception, lors de l’entrée dans la sexualité hétérosexuelle, avec la double injonction : choisir une contraception et un·e gynécologue. S’y ajoute ensuite d’autres normes, préventives avec notamment les frottis du col utérus et la palpation des seins. L’entourage des femmes, notamment les mères, participe largement à l’entrée de cette « carrière gynécologique ». Les grossesses, les accouchements, les dépistages des cancers seins, col utérus… la ménopause sont des étapes répétées de ce suivi gynécologique.
Il arrive que les femmes « décrochent » pour exprimer des résistances ou des critiques à ce suivi. Les soignant·es rattrapent les femmes « décrocheuses » lors de passage aux urgences gynécologiques, d’interruption volontaire de grossesse, ou lors d’une grossesse. Les stratégies des soignant·es pour éviter le « décrochage » sont diverses, se servant souvent du recours fortement sollicité de la contraception orale (pilule) pour maintenir un suivi.
Dans ce cas, l’autrice aborde un « cas-limite de la relation gynécologique », apparu dans les médias depuis 2017, sous l’expression de « violences gynécologiques ». Elle interroge sur les « conditions de possibilités » de ces violences : normalisation et minimisation de la douleur dans le suivi gynécologique. Elle dépeint un manque, dans formation initiale de cette spécialité médicale (souvent associée à l’obstétrique d’ailleurs), d’expérience du recueil du consentement de la détection de signaux non verbaux du refus de l’acte, auprès des femmes. Elle évoque un « universalisme médical », qui au nom de la neutralité, gomme les particularités sociales, culturelles des femmes. Cet « universalisme médical » considère les organes génitaux comme les autres organes, il est « pilulocentriste ». Les femmes ont le sentiment d’être dépossédées de leurs corps et d’être dans l’obligation de se soumettre à la « norme gynécologique ».
La lecture de ce livre permet de comprendre que cette norme « est renforcée par les normes médicales pour renforcer la norme contraceptive, si l’on ne veut pas d’enfant, et la norme préventive qui implique que tout individu se fasse dépister s’il a un comportement à risque, ou fait partie d’une population à risque ». Cette « norme gynécologique » renforce l’aspect « pathologisant », ou la médicalisation globale du corps des femmes. Il est indispensable de prendre au sérieux la notion de « consentement libre et éclairé » des femmes, instaurée par la loi. Enfin reste que l’accès et le financement de notre système santé sont insuffisants pour une médecine, et ici un suivi gynécologique à visage humain.
Maryse
(1) Dans son ouvrage, l’autrice parle des « patientes ». Je l’ai remplacé par les « femmes », car ici justement elles ne sont ni patientes ni malades.