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CA 338 mars 2024

Parlement Européen : c’est quoi ce machin ?

vendredi 15 mars 2024, par Courant Alternatif

On entend parler de l’Europe tous les jours ou presque, mais on en a une idée très confuse, sauf pour râler contre. Déjà, on doit faire un effort pour se rappeler quels pays y sont, lesquels n’y sont pas, et après, effort supplémentaire, qui est dans la zone euro qui non, les immigrés eux doivent apprendre par coeur la liste des pays membres de l’espace Schengen… Mais alors, si je vous demande la différence entre la Commission Européenne, le Conseil de l’Europe et le Parlement Européen et qui a le pouvoir de quoi….


Un peu de vocabulaire

Il est nécessaire de s’y retrouver un peu pour comprendre certaines propositions.
Une bonne fois pour toutes, le Conseil Européen, ce sont les États, la Commission Européenne ce sont des hauts fonctionnaires, et le Parlement Européen ce sont les zélus.
Un dispositif législatif ordinaire est un règlement, une directive ou une décision. Un règlement est applicable dans tout État membre. Une directive impose un résultat mais laisse chaque État libre des modalités. Une décision est obligatoire pour tous les destinataires.
Les « dispositifs législatifs ordinaires » concernent 85 domaines. Vous trouverez la liste des domaines en question sur wikipedia. La liste des domaines exclus n’existe pas, ce sont tous les autres, de peu d’importance tels que la politique extérieure, la défense, les alliances militaires ou politiques, la fiscalité….

Au début, un truc simple et pas démocratique du tout

Du glorieux temps de la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier) puis du Marché Commun, il s’agissait d’un traité entre États. C’était les chefs d’État qui se rencontraient, ou leurs ministres, et qui décidaient ensemble à l’unanimité. On n’a surtout demandé l’avis de personne dans la population, s’ils étaient pour s’ils étaient contre. Il faut dire que 5 ans après la fin de la guerre (la CECA c’est 1950), l’idée d’une alliance avec l’Allemagne était, comment dire…, modérément populaire dans les pays européens concernés. D’ailleurs dès le départ les « pères fondateurs » de l’Europe (Robert Schumann et Jean Monnet) ont eu une idée simple qui gouverne encore l’Europe : on ne demande surtout pas leur avis politique aux citoyens, on crée une communauté économique (capitaliste libérale bien sûr), et la politique suivra, bien obligée. Donc oui, l’Europe c’est technocratique dès le départ, ce qui ne veut surtout pas dire neutre politiquement, puisqu’elle est orientée dès le début vers la construction d’une puissance capitaliste affranchie des compromis sociaux de certains pays à partis communistes importants.
En ce temps là, les choses étaient plus simples, les décisions étant prises à l’unanimité, s’il y avait un problème avec l’Europe, on n’avait qu’à engueuler son gouvernement d’avoir signé n’importe quoi. Et je crois qu’on ne s’en est pas trop privé.
Quand ça a été jusqu’à réarmer l’Allemagne (au nom d’une communauté européenne de défense), il a fallu que ce soit ratifié par les parlements, et le parlement français a refusé. Il ne fallait rien exagérer quand même, on n’était que 7 ans après la fin de la guerre.
C’est le traité de Rome qui institue le marché commun et la Communauté Economique Européenne en 1957. C’est une « entité internationale de type supranational », ce qui est déjà un peu flou, dotée d’un budget et de fonctionnaires. C’est alors que sont créés la Commission Européenne (présidée par la maintenant célèbre Ursula von der Leyen depuis 2019) et le Conseil Européen. Les membres du Conseil européen sont les chefs d’État ou de gouvernement des États membres de l’UE, le président du Conseil européen et le président de la Commission européenne. C’est donc une assemblée de chefs d’État. La Commission Européenne comprend 27 commissaires, un par État. C’est donc une assemblée de fonctionnaires. Ses décisions sont collégiales. (1)
Donc les deux plus anciennes et plus importantes institutions de l’Union Européenne sont des émanations de l’État sans aucun contrôle démocratique même formel.

L'introduction d'une pincée de démocratie

Au départ, il y avait une assemblée commune, puis à partir du marché commun une Assemblée Parlementaire européenne de 142 membres dont le rôle n’était que consultatif (c’est à dire qu’elle n’avait aucun pouvoir de décision ni d’opposition). Elle prend le nom de Parlement Européen en 1962.
Ce n’est qu’à partir de 1979 que le Parlement Européen devient un parlement élu (à la proportionnelle). Mais c’est un parlement sans initiative législative, c’est-à-dire qu’il n’a pas le droit de proposer des lois, c’est le monopole exclusif de la Commission Européenne. Et c’est le Conseil Européen qui les adopte ou non. Bref, on se demande à quoi il sert, à part fournir un vernis démocratique à l’Europe. Ce n’est que depuis 2007 (traité de Lisbonne) qu’il a son mot à dire sur les normes. Il aura quand même fallu attendre 45 ans, 28 ans si on compte depuis que ce sont des élus.

Assiduité au Parlement

Les pouvoirs du machin

En 1992, on invente la procédure de codécision, c’est-à-dire que le Conseil Européen et le Parlement Européen sont à égalité (enfin, presque !) pour certains types de loi (2).
Depuis le traité de Lisbonne, les dispositifs législatifs ordinaires peuvent être amendés ou approuvés (donc on va supposer aussi refusés). Mais le Parlement ne peut toujours pas proposer de lois. Il peut cependant demander à la Commission Européenne de le faire, qui doit lui dire pourquoi elle refuse si elle refuse.
Donc si on résume, pour être adoptée, une loi doit avoir la majorité au Parlement Européen et au Conseil Européen (chefs d’État). Tout récemment, la France a ainsi pu faire capoter la loi pour lutter contre le viol. S’ils ne sont pas d’accord, la loi est rejetée. On imagine le moyen de pression que ça représente : ah vous ne votez pas le délai pour l’interdiction de ce produit dangereux, ben il risque de ne pas y avoir de loi du tout sur ce type de produits dangereux. Le Parlement peut quand même proposer des amendements, mais votés par la majorité des parlementaires, et pas seulement des présents. Quand on connaît l’absentéisme au moins français à l’assemblée européenne… Et si ces amendements ne sont pas approuvés par la Commission Européenne, il faut l’unanimité du Conseil Européen. En résumé, le pouvoir législatif du Parlement Européen est quand même assez restreint.
Il y a de plus en plus souvent des initiatives qui font appel au Parlement Européen. Il faut donc se rappeler que ce dernier doit d’abord convaincre la Commission Européenne, et qu’au final peu de chefs d’État suffisent pour faire capoter l’affaire.
Le Parlement élit pour cinq ans le président de la Commission européenne, mais seulement sur proposition du Conseil Européen (les chefs d’État), qui tient compte des résultats des élections au Parlement Européen. Vu les pouvoirs respectifs des trois institutions, c’est sans doute son pouvoir le plus important. Les autres membres de la Commission sont désignés par le président et ne sont pas obligés de correspondre à la majorité parlementaire. Le Parlement approuve ou rejette en bloc. Il peut obliger la Commission à démissionner par une motion de censure. Vous n’avez qu’à suivre l’actualité politique française pour comprendre à quel point c’est réaliste.
Enfin, comme tous les Parlements du monde, il vote le budget, mais à une petite réserve près : il ne peut voter que les dépenses, les recettes ce sont les États (le Conseil Européen) à l’unanimité !

Un petit peu plus de renseignements

Il y a 705 députés, 96 Allemands, 79 Français, 76 Italiens et les autres beaucoup moins (6 pour les Chypriotes, les Luxembourgeois et les Maltais). Ce sont des élections proportionnelles, et le seuil nécessaire pour avoir un représentant ne doit pas être au-dessus de 5 %. En France, bien sûr, c’est 5 %.
Il y a des groupes politiques et leur rôle est important : leurs (co-)présidents participent à la conférence des présidents qui fixe l’ordre du jour. On leur verse un budget. Un groupe doit avoir au moins 25 élus d’au moins 5 États. Vu les différences de traditions politiques entre les pays, c’est sans doute cette dernière condition la plus difficile à remplir. Par exemple, il n’y a bien sûr pas de groupe communiste (on n’a quand même pas créé l’Europe pour être emmerdés par les rouges !), mais il y a quand même un groupe de gauche (le plus petit, 37 membres) et une « alliance progressiste des socialistes et démocrates » (143 membres). Le groupe des Verts et régionalistes a 72 élus. L’extrême droite (Identité et démocratie) a 61 députés.
Particularité exotique pour la France (mais pas pour la majorité des pays européens) : les lobbies sont non seulement autorisés mais officiels. Au 30 août 2021, 12911 groupes d’intérêt (c’est leur nom officiel, ou groupes de pression) exerceraient une activité de lobbying au niveau de l’Union d’après Wikipedia. Le gouvernement français, lui, parle de 50000 lobbyistes (sur vie publique.fr). L’énorme différence entre ces deux chiffres provient peut-être du fait que tous ne sont pas enregistrés.
En effet, il y a un registre de transparence associé à un code de bonne conduite (si, si !), mais uniquement sur la base du volontariat… Cette inscription est quand même obligatoire pour obtenir un badge d’accès au Parlement Européen ou participer à ses institutions (commissions, auditions publiques, réunion intergroupes sur un sujet, etc.). Donc oui, les lobbies agissent bien au sein même de l’institution, beaucoup, et c’est encouragé. Notamment, dans ce fameux registre, ils sont censés indiquer leurs principales propositions législatives. Ça en dit long sur leur pouvoir.
Les députés sont tenus de publier en ligne des informations sur leurs réunions programmées avec les « représentants d’intérêts » (s’ils sont inscrits sur le registre de transparence) et avec les représentants des autorités publiques de pays tiers. Quelques scandales récents ont montré qu’ils étaient parfois un peu distraits dans ces déclarations, qui en outre ne concernent que les lobbies enregistrés. Les lobbies interviennent aussi officiellement auprès de la Commission Européenne (et sans doute est-ce plus important pour eux).
Influencer directement la politique et la législation pour défendre des intérêts particuliers, notamment ceux des grandes entreprises, est donc considéré comme positif et louable par les institutions européennes, qui leur permettent officiellement de participer à leurs activités. Par contre, quand même, la corruption est interdite, c’est-à-dire le fait d’acheter des députés ou des commissaires européens (cf. tous les scandales récemment soulevés notamment par mediapart).

En conclusion, lorsqu’on parle de dictature de la bourgeoisie, l’Union Européenne en est quasiment une caricature. Elle a été mise en place pour l’édification d’un marché important (ce qui nous rappelle au passage que le marché, loin d’être le domaine de la liberté, est d’abord une construction étatique). Son idée directrice depuis le départ est que favoriser le développement des affaires permettra de consolider le libéralisme politique, d’imposer le programme politique d’une Europe capitaliste libérale. Elle ne s’est d’ailleurs « démocratisée » qu’une fois le projet solidement implanté, les populations mises devant le fait accompli. Ses institutions sont volontairement opaques (mieux vaut qu’on ne comprenne pas trop qui est responsable de quoi), et le Parlement Européen n’est pas l’institution européenne qui a le plus de poids, loin de là.
En fait, l’Union Européenne repose sur une culture qui nous est passablement étrangère, « la culture du consensus ». C’est l’idée qu’entre gens raisonnables, on peut toujours arriver à s’entendre. Ces « personnes raisonnables » sont bien sûr toutes favorables au maintien du système actuel, avec ou non des volontés réformatrices dans un sens ou dans un autre. C’est la conditions indispensable d’une culture du consensus et de la recherche de compromis. Sans cette culture et cette recherche, l’Union Européenne avec ses institutions embrouillées tombe en panne. Ceci suppose aussi des chefs d’État sensibles à « l’opinion publique », en gros qu’aucun ne s’appelle Macron.
Bref, comme pour beaucoup d’élections, c’est un monde où nous n’avons pas grand chose à faire. Et contrairement à ce qu’on nous rabâche, la composition politique de ce Parlement n’a qu’une faible influence sur la marche de l’Europe.

Sylvie

Sources : wikipedia et le parlement européen

Notes
1. Je vous présente ici la situation actuelle. J’ai pensé que les détails des diverses modifications bureaucratiques depuis 1957 ne vous passionneraient pas.
2. Ne me demandez pas lesquels ni comment, c’est déjà assez compliqué comme ça.

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