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Éditorial de CA 339

Affirmer notre utopie communiste libertaire

vendredi 5 avril 2024, par Courant Alternatif


Éditorial de Courant Alternatif d'avril 2024

Affirmer notre utopie communiste libertaire

Un adage contemporain énonce qu’il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme. La dynamique du monde actuel est en effet effrayante pour qui milite pour l’émancipation collective. Du génocide palestinien à la catastrophe environnementale, du cynisme meurtrier envers les migrant·es à la montée des idées d’extrême droite, des risques de généralisation des guerres à la pauvreté qui ne cesse de croître, nous avons peu d’éléments pour nous réjouir. La folie du capitalisme se révèle par son personnel politique : Trump, Milei, Poutine, Nétanyaou, … On se sent absolument impuissant devant l’énormité de la tâche et la somme des échecs passés. Quelle flamme nous anime pour ne pas désespérer et continuer le combat ?
Nous savons que le capitalisme génère une conflictualité qui ne fera qu’augmenter : crise climatique, crise économique, crise sociale, crise guerrière, … entraînant par nécessité des mouvements de révolte à venir. Nous savons que de tels mouvements transforment les personnes qui les vivent, les faisant épouser des aspirations émancipatrices qui débordent le plus souvent les raisons initiales de la révolte. Nous ne savons pas qui portera de tels mouvements, ni où, ni quand, et ni les raisons de leur émergence. Nous savons juste que cela existera car le monde actuel provoque de façon récurrente des situations de tensions ou luttes. Cependant, pour qui a pour perspective Le grand soir, c’est-à-dire l’espoir d’un soulèvement mondial du monde ouvrier à un instant donné qui renverserait le capitalisme et instaurerait le communisme, les échecs du passé nous laissent peu d’espoir.
L’au-delà du capitalisme peut s’envisager autrement. Le futur émergera du présent, c’est-à-dire des bases matérielles actuelles, de la lutte des classes contemporaine, et non de notre imaginaire. Nous devons dès lors nous appuyer sur les expériences du passé sans les mythifier. Le monde actuel ne ressemble ni à Paris en 1871 ni à la Russie de 1917 ni à la Catalogne de 1936. Bien évidemment, le capitalisme se base en premier lieu sur un rapport économique, mais l’oppression du capitalisme déborde aujourd’hui largement la seule exploitation salariale en marchandisant tous les aspects de nos vies. Cela apporte toute légitimité à d’autres formes de luttes que celle basée sur le simple rapport d’exploitation salariale. Il y a aujourd’hui en permanence des luttes, c’est-à-dire des sortes de brèches anticapitalistes : grèves, lieux autogérés… Certes, elles sont petites et souvent éphémères, parfois réprimées violemment. Elles ne sont pas suffisantes pour renverser le capitalisme mais elles montrent la voie de l’émancipation collective vers le communisme libertaire. Ce sont des moments où la révolte contre la dictature du capitalisme se crée collectivement, où les personnes retrouvent une coopération sociale en s’émancipant de l’individualisme dans lequel nous sommes enfermés, où elles construisent un commun localement. Des brèches plus importantes émergent parfois (G.J., révolte des banlieues, Sainte Soline, mouvement des retraites, ...). Elles révèlent l’affrontement de classe à un niveau plus macroscopique et elles portent souvent, en elles, les mêmes processus d’émancipation du carcan capitaliste par la construction d’un mouvement autogéré collectivement.
Ces révoltes sont autant d’espaces contre et au-delà du capitalisme. Il faut les voir comme participant à une multiplicité de combats singuliers mais appartenant à une constellation commune, un réseau qui conflue contre un objet unique : la forme de vie imposée par le capitalisme. Les différentes luttes actuelles et futures sont parties prenantes de la construction d’un commun qui est le combat contre le capitalisme et toutes ses formes d’oppression. Il faut penser ces brèches parfois microscopiques, parfois macroscopiques, en termes d’émulation, de contagion. Il faut les approfondir, œuvrer à leurs confluences, les faire se connecter et les aider à être en résonance, pour construire l’au-delà du capitalisme d’une façon multiple et interreliée. Sur cette base, la révolution prend un autre sens. Il n’y a pas un grand soir à espérer mais un mouvement actuel à amplifier. L’important n’est pas les limites de chaque mouvement mais leurs directions.
Le capitalisme a bien des armes pour freiner, écraser, détourner, de telles brèches. Si on analyse le capitalisme comme un système figé, capable de se reproduire en permanence à l’identique, l’espoir serait faible d’imaginer de le dépasser définitivement. Cependant, les tensions du capitalisme ne font que s’accroître et elles génèrent des multitudes de contestations. Le fait que les mouvements contemporains recherchent le plus souvent une forme politique autonome et basiste rend possible la genèse d’une société communiste libertaire c’est-à-dire un monde complètement différent de celui que nous connaissons aujourd’hui. En effet, les formes particulières de vie sociale qui en émergent de tels combats permettent d’envisager une forme de gestion du commun sans un État séparé de la société, avec des modes de gouvernement intégrés à la vie sociale. La production des richesses se réorganisera sur la base du monde actuel et donc conservera des connexions économiques et sociales issues du présent. Ce futur peut donc être un monde fait de multiples mondes interreliés, considéré comme un processus vivant, donc en modification permanente. Le communisme libertaire découlera de ces luttes et de la réappropriation de nos vies sur des territoires où la vie sociale à un sens humain, tout en conservant les liens nécessaires au-delà du localisme géographique. L’idée dès lors n’est plus de choisir entre deux impasses : construire un monde communiste unique voué à l’échec ou bien s’enfermer dans des petites communautés isolées elles aussi vouées à l’échec.
Le capitalisme n’est pas infiniment flexible, il a ses propres contradictions. Nous ne connaissons pas le chemin de notre émancipation collective, nous ne savons pas si nous réussirons, mais la dynamique du capitalisme nous permet d’espérer l’amplification des révoltes protéiformes ; un buissonnement de brèches porteur du dépassement du capitalisme. De ces multiples luttes peut naître le futur communisme libertaire. Il faut affirmer notre utopie communiste libertaire et affirmer que cet idéal est déjà inscrit dans toutes ces brèches actuelles, parfois microscopiques, parfois macroscopiques.

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