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CA 339 avril 2024

Le mouvement des agriculteurs :
le regards d’agriculteurs
ou de paysans finistériens

samedi 6 avril 2024, par Courant Alternatif

Le mouvement des agriculteurs a été important. Nous avons donc décidé à la CJ de Douarnenez d’aller à la rencontre d’agriculteurs ou paysans que nous connaissons (et donc du Finistère) pour avoir leurs avis. Aucun de ceux que nous avons interviewés n’a participé au mouvement, avec les raisons qu’ils expliquent. Ces trois interviews permettent d’avoir un regard contrasté sur à la fois le mouvement et sur l’agriculture actuelle.


Tomas, éleveur bio

CA : Bonjour Thomas, est-ce que tu peux me dire quelle est ton activité ?
TH : Je suis éleveur bio de poules pondeuses et de vaches allaitantes. J’ai 80 hectares, 40 vaches et 1200 poules. Pour les vaches, j’ai un système herbager[1], en totale autonomie fourragère . C’est un système économe, je n’achète pas d’intrants, aucun aliment pour les vaches. C’est donc très différent du système intensif et productiviste qui lui est soumis aux nombreux achats d’intrants, donc aux cours assez élevés des engrais chimiques et des aliments pour animaux. A propos de l’atelier poules pondeuses, pour comprendre l’échelle de mon activité, un éleveur de poules pondeuses bio qui travaille avec une coopérative, qui n’aura que la collecte des œufs à faire, le bâtiment standard c’est 12 000 poules. Moi, je vends tous mes œufs directement dans les magasins bio, épiceries, boulangeries et GMS sans intermédiaire. En termes de revenus, c’est moitié-moitié entre les vaches et les poules.

CA : Tu es propriétaire ?
TH : Non, je loue mes terres. J’ai un bail agricole et aujourd’hui le bail est assez sécurisant pour les fermiers, tu ne peux pas te faire virer sauf si tu ne payes pas ton fermage. Mais il faut être vigilant : La FNSEA et certains propriétaires sont pour l’assouplissement du statut des baux ruraux.

CA : Tu arrives à gagner combien par mois tu mois ?
TH : Beaucoup de paramètres entrent en jeu dans le revenu disponible des paysans et des paysannes. Dans nos systèmes économes et herbagers, on s’en sort assez bien en général. En ce qui me concerne, étant installé depuis 20 ans, j’ai un peu moins de remboursement d’emprunt que des jeunes qui sont installés depuis peu. Mon revenu disponible mensuel est variable selon les années mais disons qu’il oscille autour de 2 000 euros ou plus.

CA : Pourquoi les autres ne font pas comme toi ?
TH : Ça c’est, le cœur du débat. Nous sommes vraiment dans un moule. C’est-à-dire au lycée agricole, on nous apprend que c’est essentiel d’être intensif si on veut gagner de l’argent. On nous apprend qu’il faut faire beaucoup de produits à l’hectare, il faut avoir beaucoup de vaches, il faut mettre des engrais pour avoir des bons rendements. C’est aussi ce qui est défendu par le système dominant et les syndicats majoritaires. J’ai fait une formation pour adulte qui s’appelle le BPREA, brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole. J’ai dû apprendre par cœur les matières actives des pesticides. Ce qui est intéressant, c’est que nous, paysans en système économe et herbager, on montre que c’est possible de s’en sortir et de vivre de notre métier justement sans tomber dans ce piège productiviste.

CA : Pour les poules, tu achètes des aliments à l’extérieur ?
TH : C’est une production un peu particulière parce qu’elles ont besoin d’un aliment bien équilibré. Donc j’achète des aliments à l’extérieur. Il y a des paysans éleveurs de poules pondeuses qui fabriquent eux-mêmes leurs aliments. Et là c’est encore mieux. Mais moi, je n’ai pas les terres adaptées à la culture, trop humides par endroit ou pas assez profondes. Je préfère acheter les aliments pour les poules car c’est plus sécurisant. J’achète à un groupe privé qui lui-même achète à d’autres paysans bio dans le Grand Ouest, c’est une concession que je dois faire.

CA : On relit le mouvement des agriculteurs à ce qu’on appelle le réchauffement climatique, est ce que toi tu ressens des modifications dans ton activité conséquentes des modifications climatiques ?
TH : On ne peut pas nier ça, on vit le réchauffement climatique. On va avoir des températures plus chaudes en été et des excès de pluie ponctuellement. En été, l’herbe va pousser moins. Mais on a la chance en Bretagne d’avoir un super climat, donc même s’il fait un peu plus chaud en été, ça reste raisonnable. 

CA :    Est-ce que ça pourrait t’entraîner à modifier ton activité actuelle ? Pour nourrir tes vaches ?
TH : Moi, je vais raisonner plutôt par combien de vaches je peux avoir par hectare pour être autonome. J’ai adapté en fait mon système pour être autonome donc je n’ai pas trop de vaches à l’hectare pour être sûr de ne pas avoir à acheter de de foin à l’extérieur et pour avoir assez d’herbe toute l’année. C’est ce qu’on appelle des « système extensifs », contrairement aux systèmes intensifs qui ont dans leurs pratiques, une forte densité d’animaux à l’hectare ou dans les bâtiments d’élevage.

CA :    As-tu  participé aux mouvement des agriculteurs ?
TH : Non, je n’y ai pas participé. Dès le début en fait, j’ai vu qui il y avait dans la rue, je sais quels voisins y ont participé et moi ça m’a fait flipper tout de suite. Parce qu’au départ, c’était tout ce qu’il y a de plus rétrograde et dégueu qui étaient dans la rue. Les premières revendications, c’était sur les taxes sur les carburants et le prix du GNR, le carburant pour les tracteurs. Il était demandé plus de souplesse, en gros d’avoir le droit de faire encore plus n’importe quoi en termes de pratique agricole intensive et chimique.

CA : La Confédération paysanne est intervenue dans le mouvement, est-ce que tu es lié à la Confédération paysanne ?
TH : Je ne suis pas à la Conf. Je suis leurs activités et je connais des paysans qui sont membres de la Conf avec qui je discute. Ce que je pense de l’intervention de la Conf dans le mouvement, c’est que la grande priorité en ce moment, ce sont les élections professionnelles qui vont se dérouler début 2025. C’est la priorité aussi de tous les autres syndicats. Je pense que la direction nationale de la Conf a pris la position de participer à ce mouvement d’agriculteurs parce qu’il fallait en être pour pouvoir dire ensuite aux agriculteurs que la Conf y était et qu’elle a contribué à certaines avancées. Par contre, je mettrai quand même une nuance. C’est peut-être bien qu’il y ait eu la Conf car, par endroit, elle a fait des actions parallèles sans se mettre au coude à coude avec la FNSEA. La Conf a montré qu’il y avait un autre discours et des paysans qui se basaient sur un autre modèle agricole que celui qui est défendu par la FNSEA. Donc ça c’était intéressant quand même.

CA : Tu n’as pas participé à des actions locales s’il y en a eu ?
TH : Il faut se rappeler le déroulement de ce mouvement d’agriculteurs. Au départ, c’était un mouvement avec des revendications réactionnaires, rétrogrades et productivistes. Ce n’est que quelques semaines après le début du mouvement que la direction de la Confédération paysanne s’est positionnée pour appeler ses adhérents à participer au mouvement. Les adhérents de la Conf que je connais étaient extrêmement surpris, soit ils étaient en désaccords soit ils soutenaient la position par loyauté. Mais il n’y avait pas un grand entrain à aller au coude-à-coude avec des agriculteurs qui se battent pour un système agricole qui va à l’opposé de celui pour lequel nous on se bat. Et ils étaient hors de question pour eux de se rendre aux actions à l’appel de la FNSEA ou de la CR

CA : Est-ce que il y a eu des actions de la Confédération paysanne dans le Finistère ou dans l’ouest de la Bretagne ?
TH : Oui, la conf du 29 a appelé à quelques actions plus autonomes, entre autres à Carhaix pour faire entendre leurs revendications. Il y a quand même un truc important si on veut faire un petit bilan de ce mouvement. Ce qu’ils ont obtenu est malheureusement un grand bond en arrière : la suspension du plan Ecophyto qui prévoyait la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires de 50% d’ici 2030 si je ne me trompe pas. Maintenant, c’est la suspension et d’autres moyens de calculs pour que l’on aille à l’inverse de la direction de l’utilisation de moins de produits chimiques. C’est aussi la possibilité pour ceux qui ont des grands projets, de ferme usine ou de production intensive, de contrer la contestation des gens. C’est aussi beaucoup de normes environnementales qui ont sauté. Des grands projets d’agriculture industrielle qui seront plus difficilement contestables : des délais raccourcis pour les recours et le préfet qui aura le dernier mot. C’est un énorme recul en arrière et je pense que le gouvernement a saisi l’opportunité de ce mouvement d’agriculteur pour aller vers ce quoi il voulait aller en fait. Quelques centaines de tracteurs ont permis un grand recul en arrière au niveau écologique et un énorme coup d’accélérateur pour l’agriculture intensive industrielle et productiviste. Pour eux, c’est une grande victoire.

CA : Le gouvernement a eu une stratégie opportuniste. Mais autour de toi, les agriculteurs que tu connais et qui ne sont pas productivistes ou intensifs même s’ils sont dans le conventionnel, ils vivent comment le bilan du mouvement.
TH : Il y a un clivage net. Je dirai qu’il y a 80% d’agriculteurs qui soutiennent en fait ce système industriel en place. Bien sûr, je ne dis pas que ce sont tous des bourrins qui font n’importe quoi avec un mépris total de l’écologie. Mais quand même, à des degrés divers, beaucoup d’agriculteurs défendent par conviction le système agricole dominant. Pour moi, ils se tirent une balle dans le pied. Il y a à peu près 20% qui sont pour un autre modèle, souvent issus des moyennes et petites structures. C’est le rapport de force actuel et il faut être conscient de ce clivage-là. Certaines personnes ont espéré que la direction de la FNSEA soit débordée. Moi je pense que la FNSEA n’a pas été débordée et si une frange d’agriculteurs avaient réussi à continuer le mouvement pour aller plus loin, ça aurait été pire. La plupart de ceux qui soutiennent l’agriculture chimique et productiviste sont propriétaires de leurs terres. Cette contestation, c’est une contestation de propriétaires terriens. Aujourd’hui, la surface moyenne des fermes, c’est plus de 100 hectares. Quand t’es propriétaire de 100 hectares, si tu revends ta ferme à l’heure de la retraite, tu vas récolter 100 fois 6 000 € ou 8 000€ (ou plus) sans compter la vente du matériel, du cheptel et des bâtiments agricoles. C’est quelque chose qu’il faut bien avoir en tête pour comprendre que les intérêts de ces agriculteurs sont incompatibles avec la possibilité d’une jonction sociale menant à des perspectives révolutionnaires. Ce qu’ils voulaient c’est uniquement qu’on réponde à leurs revendications d’avoir moins d’écologie et d’avoir plus de souplesse pour faire n’importe quoi. Pouvoir détruire plus facilement les haies, pouvoir traiter plus près des jardins, pouvoir utiliser plus de pesticides. Pour cela il fallait arrêter le plan Ecophyto, qui les embêtait. Ce n’est pas pour être pessimiste, mais il n’y avait rien à attendre en termes de victoire sociale de ce mouvement-là.

CA : Pourtant, ils parlaient du revenu.
TH : Oui, c’est pour ça que la Confédération paysanne a réussi à s’engouffrer dans le truc, et aussi au sujet de la simplicité administrative. Mais quels moyens pour y arriver ? Mettre plus de produits chimiques ? En baissant les taxes sur les carburants ? Il y a un clivage. Nous sommes aussi pour avoir plus de revenus, mais en pratiquant une autre agriculture et aussi en demandant un rééquilibrage des aides. Tous les paysans reçoivent des aides, sans les aides de la PAC, aujourd’hui dans ce système, on ne peut pas fonctionner. Aujourd’hui, une majorité d’aides partent aux grosses exploitations et à ceux qui font de la culture parce que les aides, c’est à l’hectare. Donc plus tu as une grosse ferme, plus tu as des aides. La Conf fait partie de ceux qui demandent à ce que les aides soient données par actif agricole (par paysan) plutôt que par hectare.
Pour finir, j’aurais envie de dire c’est que la question de quelle mode d’agriculture nous voulons, c’est une question dont devrait s’emparer vraiment tout le monde. Quelle agriculture on doit pratiquer ? Comment on répartit la production ? Ça nous concerne tous. Réussir à décloisonner ces questions, c’est la crainte de cette grande mafia agricole. A coup sûr, la majorité des personnes préférerait avoir dans leur assiette des produits sains issus de fermes à taille humaine.

RV, le 16 mars 2024

Note
[1] qui se consacre à l’élevage du bétail sur des pâturages.

LES TROIS SYNDICATS AGRICOLES
La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), fondée en 1946, est le syndicat professionnel majoritaire dans la profession agricole. Ce syndicat se caractérise par son soutien au système agricole conventionnel. Il promeut l’industrialisation des exploitations, l’exploitation animale, l’utilisation de pesticides. La FNSEA trouve son origine dans la Confédération Générale de l’Agriculture qui s’opposa à la Corporation Paysanne mise en place par le régime de Vichy, certes disparue à la Libération, mais dont la FNSEA a hérité des structures. La FNSEA s’inscrit ainsi dans un double héritage du régime de Vichy et de la Résistance.
La Coordination Rurale (CR) est un syndicat agricole français, créé fin 1991. Ce syndicat représente des agriculteurs de tout type de production, en agriculture biologique ou conventionnelle. C’est le troisième syndicat agricole français, au coude à coude avec la Confédération Paysanne, loin derrière le premier, la FNSEA sur des listes communes avec le syndicat Jeune Agriculteur. La CR est classée politiquement à droite, et est parfois considérée comme étant proche de l’extrême droite.
La Confédération paysanne « Conf’ »voit le jour le 18 avril 1987. C’est un syndicat agricole français. Elle est membre fondateur de la Coordination Paysanne européenne, de Via Campestina et Attac. La Confédération est classée à gauche. C’est le deuxième syndicat agricole français, au coude à coude avec la CR. Elle a pour objectif de donner un espace d’expression aux paysans opposés à la politique agricole productiviste de la FNSEA. La Conf’ va axer ses combats sur l’agriculture paysanne dès ses débuts, sur sa reconnaissance dans les instances décisionnelles et sur la réforme de la PAC.

VL, éleveur laitier bio

CA :Bonjour, VL, pour commencer peux-tu nous présenter ton exploitation ?
VL : Bonjour, Je suis installé depuis 1989. Je travaille sur 70 Hectares de terre tout en herbe avec 70 vaches et 20 génisses en élevage laitier bio à raison d’une traite par jour 300 jours dans l’année. Mon métier me permet de faire vivre deux personnes. Je travaille 4 à 5 heures par jour, pour le travail de routine concernant l’alimentation des animaux, l’organisation du pâturage ou distribution des fourrages, la traite et les soins divers. Suivant les périodes de l’année, le travail varie entre trois et 10 heures par jour.
L’année se divise en quatre périodes différentes : Au printemps, du 1er février au 1er mai ; vêlages groupés. Du 1er mai au 30 juin, c’est la période de reproduction : inséminations et saillies ce qui implique beaucoup d’observations et de surveillances ainsi que les récoltes principales d’herbes. Ensuite du 1er juillet au 1er décembre : suite de la lactation, le travail est plus « tranquille », ainsi que la traite et la gestion du pâturage. Du 1er décembre au 31 janvier, c’est la fin de la lactation et la fermeture de la salle de traite et donc une période de repos pour tout le monde pour les animaux comme pour les hommes.

CA : Avec tout cela, trouves-tu du temps pour prendre des vacances ?
VL : Oui, généralement j’arrive à partir deux semaines en vacances soit en juillet soit en août. Je dois embaucher quelqu’un qui connaît parfaitement le fonctionnement de l’exploitation, souvent un ancien stagiaire formé pendant l’année car pour lui tout est frais dans sa tête et au niveau des gestes avec les bêtes. Pour moi c’est rassurant, et ainsi je peux partir tranquille.

CA : Peux-tu nous dire combien tu gagnes ? Et , aussi sur ce revenu nous expliquer ce que représente la part des subventions ?
VL : Oui, je gagne environ 50000 € dont 18000 € d’aide PAC et 12000 € de MAEC .

CA : Alors, abordons maintenant le cœur de notre sujet, les manifestations des agriculteurs. Quel regard portes-tu sur ce mouvement ?
VL : Pour commencer, je précise tout de suite ma position, je suis adhérent à la Confédération Paysanne[voir encadré], depuis longtemps. Pour moi, les manifestations ont commencé dans le Sud-Ouest et ont été portées essentiellement par la Coordination Rurale [voir encadré], mouvement créé contre la PAC à sa création en 1992 et revendiquant d’être rémunérés par les prix et non par les primes. C’est là le gros de leur revendication. La FNSEA , je pense, au vu de l’emballement a fait le nécessaire pour récupérer le mouvement ; ceci du fait des prochaines élections dans les chambres d’agriculture. Ce syndicat réclame moins de contraintes administratives et environnementales. La Confédération Paysanne ne se reconnaissait pas dans ces revendications, alors qu’elle se battait depuis des mois pour maintenir les mesures agro-environnementales en passe d’être réduites.

CA : Peux-tu nous expliquer ce que sont ces MAEC ?
VL : Les MAEC sont des contrats passés entre l’Etat et les agriculteurs qui engagent chacune des parties à respecter un cahier des charges environnementales souscrit pour une durée de 5 ans : ils permettent aux agriculteurs de bénéficier d’une aide financière en contrepartie de pratiques agricoles vertueuses pour l’environnement déclinées en quatre grands axes : la Biodiversité, l’Elevage, la Qualité de l’eau et la Préservation des terres.
En 2020, à la surprise générale, l’Etat décide la suspension de ces MAEC, les agriculteurs indignés en demandent le maintien. L’Etat décide alors de les relancer en 2023 : il débloque alors 90 millions d’euro pour la mise en place de nouveaux contrats alors qu’il en aurait fallu 150 millions vu le nombre de candidats intéressés. Ces contrats sont primordiaux car ils concernent directement toutes nos préoccupations actuelles quant aux problématiques du changement climatique. C’est la Confédération Paysanne à l’époque qui fait bloque, ne lâche pas le morceau et finalement l’Etat décide de respecter ses engagements.

CA : Revenons à la question des manifestations.
VL : Dans le Sud-Ouest comme je le disais tout à l’heure, les revendications des éleveurs ont été très fortes pour obtenir de meilleurs revenus c’est alors qu’entre en scène la FNSEA[voir encadré] : clairement je pense qu’elle a flippé ! Car elle n’avait pas du tout la main sur ce mouvement, elle a donc tout fait pour le récupérer médiatiquement en amenant tout un tas de revendications délirantes qui n’avait rien à voir avec celles de la Coordination Rurale : moins de prairies , plus d’irrigation, distance de pulvérisation réduite à minima des habitations, maintien des phytos et moins de contrôles sanitaires.

CA : As-tu une idée de ce que peuvent gagner tes « collègues » installés en conventionnel ?
VL : Non, tout ce que je peux éventuellement vous donner ce serait des ordres de grandeur...

CA : D’après notre enquête, nous avons découvert que certains éleveurs, notamment les éleveurs de porcs auraient multiplié par 3 ou 4 leurs revenus et les éleveurs laitiers par 2 ces deux dernières années. Ces chiffres te semblent-ils plausibles ?
VL : Oui, c’est tout à fait possible car de ce que j’en sais, les éleveurs de cochons en conventionnel ont vu leur revenu augmenter de façon impressionnante, et ce qui ne me fait pas démentir ces ordres de grandeur c’est la visite en catimini du ministre de l’agriculture Marc Fesneau le jeudi 22 février dernier chez Eric Claquin à Mahalon, éleveur de porcs et bovins lait dans le Finistère. Il est le dirigeant de la Société Groupement Agricole en Commun de Ty Moguel, celui-ci a déclaré devant les caméras je cite : « qu’il n’avait pas besoin d’argent mais qu’il voulait la paix » !

CA : Peux-tu nous décrire l’impact du changement climatique sur ton travail ? Comment ressens-tu les choses ?
VL : Si je regarde en arrière, mes bêtes se nourrissaient de pâturage au 3/4 de la ration annuelle. Et, maintenant durant les années les plus difficiles, nous avons du mal à atteindre la moitié. L’année 2018 fut une année de bascule. Nous sommes confrontés à des périodes extrêmes et inattendues de froid, de pluie et de sécheresse. Ce qui occasionne du stress pour nous, pour les animaux et pour la nature.

CA : Peux-tu nous donner des chiffres ?
VL : C’est simple, avant 2018, l’alimentation coûtait 25 € les 1000 litres de lait produit. Depuis ,nous avons doublé ce coût, en passant à 50 /60 € de fourrage pour 1000 litres de lait. Pour être plus clair, quand mes vaches peuvent rester en prairie pâturer, sur 500€ les 1000 litres payées, j’ai 10€ de coût alimentaire. Par contre , si je dois les nourrir uniquement avec du fourrage conservé, ce coût passe à 150€.

Le 1er Mars 2024, propos recueillis par Batman et Ribine

EC, cochonnier conventionnel


CA : Bonjour E .C, tu es notre voisin depuis quelques années maintenant, nous savons que tu es éleveur de cochon en conventionnel. Nous connaissons ton exploitation car tu as eu la gentillesse de nous la faire visiter et nous avions été enchanté par cette visite, tes bêtes sont très belles, on voit bien qu’elles sont soignées. En plus, nous ne sommes jamais incommodés ni par les odeurs ni par quoi que ce soit d’autre. Mais, présente-nous ton exploitation.

EC : Depuis 2004, je suis naisseur et engraisseur avec 100 truies allaitantes toute l’année. L’exploitation est sur 100 hectares sur lesquels je cultive de l’orge, du blé, du maïs et du colza, enfin ce dont j’ai besoin pour nourrir mes bêtes.

CA : Combien gagnes-tu grâce à cette activité ?
EC : Je tire vingt-cinq mille euro de mon exploitation et je touche quinze mille euro de prime PAC.

CA : as-tu un avis sur le dernier mouvement agricole ?
EC : Je ne me sens pas concerné car notre situation s’est nettement améliorée, mais je comprends la position des éleveurs du sud- ouest et des vignerons bio du sud, je pense en particulier à la Drôme et au Côtes-du-rhône. Par exemple, les vignerons passés en bio n’ont pas reçu le soutien nécessaire pour une transition honorable, sans compter les épisodes climatiques extrêmes, orage, grêle, glissement de terrain, donc la qualité du raisin n’était pas au rendez-vous. Problématique qu’ils n’ont pas pu compenser par des quantités suffisantes.

CA : D’après toi y a -t-il d’autres facteurs à cette situation ?
EC : Oui, il me semble qu’il faut préciser la façon dont fonctionnent les coopératives agricoles : quelles que soient les années elles ne s’adaptent pas aux situations particulières, elles veulent tout le temps la même qualité ainsi que le même rendement. Je vais vous l’expliquer avec le blé qui me concerne directement : les coopératives sont trop regardantes sur la « propreté » du grain, lorsque mon grain contient un peu de verdure, de « mauvaises herbes », ou qu’il est un peu piqué de moisissures de surface et bien il n’est plus vendable (on est bien dans du fourrager). Même si dans mon système de culture je ne sens pas les changements climatiques pour le moment, je suis tributaire des années trop humides. Il faut que je vous dise qu’il existe deux catégories de blé, le blé panifiable et le blé fourrager (alimentation animale). Le blé panifiable, (alimentation humaine) doit contenir 12% de protéines et obtenir 76 de poids spécifique : c’est-à-dire qu’un mètre cube doit contenir 760Kg de blé consommable une fois trié, sans quoi il n’est plus panifiable. Alors, en Bretagne il n’y a que deux zones propices à la culture du blé panifiable : Le Blavet c’est la région autour de Pontivy et le bassin de Rennes. La protéine contenue dans le blé dépend du taux d’azote contenu dans la terre, or, ici les terres sont acides et pauvres, nous sommes donc contraints d’enrichir notre sol avec beaucoup d’azote car une terre trop acide non seulement détruit l’azote mais en plus rend ce dernier moins bien assimilé par les plantes. C’est pour cela qu’en Bretagne nous n’arrivons jamais à 12% de protéines et que nous ne récoltons que très peu de blé panifiable sur nos terres.

CA : As-tu le droit de te passer de produits phytosanitaires ?
EC : Je n’utilise ces produits qu’au regard des manques et des besoins que j’observe sur mes parcelles. Mon conseiller culture, c’est le technico-commercial qui me vend les semences et les produits phyto qui leurs sont obligatoirement associés, me reprend la marchandise et me fait un avoir si je n’ai pas tout utilisé.

CA : Que penses-tu de la FNSEA ?
EC : Je porte un regard dubitatif, car je me rends compte de la prééminence et des abus de la fédé (FNSEA) et je n’ai d’ailleurs jamais voulu y adhérer ni à aucun autre syndicat agricole.

CA : Envisagerais-tu de passer en élevage bio ?
EC : non, c’est trop de contraintes. Dans mon système, malgré qu’il soit conventionnel, je cherche par tous les moyens le bien-être de mes bêtes : je suis le seul à procéder à mes propres inséminations, je ne lime pas les dents de mes cochons, je ne leur coupe pas la queue et ne leur donne pas d’antibiotiques.

Le 14 mars 2024, propos recueillis par BATMAN et RIBINE

P.-S.

Le n° 339 de Courant Alternatif contient un "mini dossier" sur l’agriculture pour faire suite aux soubresauts qui ont agité le monde agricole européen en ce début d’année 2024.
L’occasion de ressortir des archives le numéro spécial que nous avions consacré à ce thème en… 2002 !
Certes les temps ont changé, mais les enjeux finalement pas tant que ça !!! ...

Numéro en téléchargement gratuit

Sommaire du n° spécial agriculture.

Édito……………………………………………………p.3

L’agro-industrie,politique du pire...........……………p.4 à 9

La lutte anti-OGM à un tournant ?……………………p. 10 à 12

Le monde agricole dans la société moderne………p. 13 à 16

Le remembrement ……………………………………p. 17

Campagnes à vendre : le miroir aux illusions………p. 18 à 21

Le syndicalisme agricole………………………………p. 22

La Confédération paysanne, une CFDT rurale ?……p. 23 à 24

Luttes pour la terre au Pays Basque …………………p. 25 à 27

Occupation de terres périurbaines ……………………p. 28 à 31

Qui sommes-nous ?………………………………………p. 32

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