CA 341 juin 2024
lundi 1er juillet 2024, par
Travail, emploi, salariat. Beaucoup de gens prennent ces mots comme des synonymes. Or, ce n’est pas le cas et c’est important à comprendre pour analyser les choses.
Il y a beaucoup de définitions du mot travail, qui désignait au départ l’accouchement. Si on prend son sens le plus général, le travail est une activité humaine exigeant un effort soutenu, qui vise à la modification des éléments naturels, à la création et/ou à la production de nouvelles choses, de nouvelles idées (dictionnaire cnrtl). On voit qu’il n’y a pas ici de notion de rémunération. Et d’ailleurs, si on suit l’I.N.S.E.E. dans ses tentatives d’estimation, le temps consacré à la production domestique sur une année en France représente une à deux fois le temps de travail rémunéré. C’est-à-dire que la grande majorité du temps travaillé n’est pas rémunéré. Ce travail est resté invisible socialement jusqu’à ce que les mouvements féministes dénoncent la double journée de travail.
Lorsqu’il est rémunéré, le travail devient un emploi. Si votre belle-mère se charge d’aller chercher vos enfants à l’école tous les jours c’est du travail. Si vous n’avez pas de belle-mère disponible et que vous devez trouver une nounou, c’est toujours du travail, mais c’est un emploi. C’est pourquoi toutes les estimations de richesse dans nos sociétés sont fausses. Lorsque c’est votre belle-mère qui s’y colle, on considère qu’il n’y a pas de création de richesse. Par contre, si c’est une nounou, il y a une production de service comptabilisée, car il y a circulation d’argent.
Question : le travail au noir, qui est bien un travail rémunéré, est-il un emploi ? La réponse n’est pas tranchée entre les économistes. Pour les statisticiens, plutôt non, parce que n’étant pas déclaré, ils ne peuvent pas le comptabiliser. Pour les économistes, plutôt oui, parce que c’est bien du travail rémunéré. Il faut bien comprendre que le travail au noir n’existe que comme contraire du travail déclaré, que parce qu’il y a une obligation légale de déclaration. Cette obligation s’explique pour deux raisons. La première, ce sont les impôts. Si un État veut percevoir des impôts sur le revenu de la population, il faut bien que les rémunérations soient déclarées. La deuxième, c’est le code du travail et les lois sociales : le travail déclaré donne lieu à des droits collectifs : sécurité sociale, retraite, etc.. Mais économiquement, que le travail rémunéré soit déclaré ou non, il fonctionne bien comme un emploi. La distinction entre emploi déclaré et emploi clandestin tient à l’état de la législation.
Travail formel, informel et salariat
La question se pose aussi pour le travail rémunéré illégal. Au départ, on a considéré que ce n’était pas des emplois. Voler exige éventuellement un effort soutenu, mais ne fait que déplacer la richesse sans rien créer de nouveau. Mais bon, on pourrait peut-être se poser la question sur certains boulots déclarés aussi… A l’arrivée, certaines activités sont légales dans certains pays, et illégales dans d’autres. Les plus emblématiques sont la prostitution et la fabrication et le commerce de la drogue, qui correspondent bien à la création de nouveaux produits. Problème, si on veut comparer le P.I.B. de ces pays, du coup, en fait, on ne compare pas la même chose. Après de nombreux congrès internationaux, les statisticiens ont décidé d’intégrer la prostitution et la production et le commerce de l’alcool (interdit dans certains pays comme drogue) et de certaines drogues, au moins dans l’Union Européenne. Mais là, par définition on va considérer comme emploi un travail rémunéré non déclaré.
Vous n’avez pas encore mal à la tête ? Alors, poursuivons.
Un emploi est un travail rémunéré, mais ce n’est pas forcément un emploi salarié. Le travail était rémunéré sous une forme ou une autre avant l’invention du capitalisme. Un emploi salarié est un contrat (explicite ou non) de soumission (c’est le terme juridique). Le salarié n’est pas propriétaire du produit de son travail, il ne peut pas le vendre, il exécute son travail dans des conditions dont il n’est pas maître (horaires, technique utilisée, matériaux employés) et il doit obéir aux ordres de son employeur (dans la limite de son lieu de travail). Marx exprimait ça plus simplement que le droit en disant qu’il louait sa force de travail.
Le mouvement ouvrier a obtenu des conquêtes sociales, et donc le salariat s’accompagne de droits collectifs (protection sociale, réglementation des licenciements, encadrement des salaires, sécurité au travail…). D’où tous les procès pour requalifier des emplois ou des travaux en emplois salariés, afin d’obtenir les droits afférant. Et la pression du patronat pour qu’il y ait de plus en plus d’emplois hors salariat. Et c’est là qu’on voit que ces distinctions ne sont pas si évidentes, et qu’en particulier ce n’est pas parce qu’il y a marqué sur un bout de papier « indépendant » qu’on l’est.
Mais bon, jusqu’ici, on peut considérer que tout ça est simple. Si, si… Si on revient à la base, le travail peut être rémunéré ou non. Rémunéré c’est un emploi. Cet emploi peut être salarié ou non.
Là où ça se complique, c’est quand on veut tracer des frontières. Par exemple, le gros du travail dissimulé en France, ce sont probablement les salariés qui travaillent plus que l’horaire indiqué, soit gratuitement (donc là, c’est un mélange d’emploi et de bénévolat), soit avec des heures supps non déclarées mais compensées par des primes (là, c’est un mélange de travail déclaré et de travail au noir). Autre exemple, beaucoup d’emplois « indépendants » correspondent en fait à du travail salarié.
Travail et non travail
Il y a une autre frontière qui est de plus en plus difficile à tracer, c’est celle qui sépare ce que les économistes appellent l’inactivité de ce qu’ils appellent l’activité. Pour un économiste, un actif est quelqu’un qui a un emploi ou qui en cherche un. Un chômeur est donc un actif. Par contre, un étudiant qui prépare un concours et travaille 20h sur 24 est un inactif, une mère au foyer élevant 8 enfants aussi. Si je m’endors paisiblement pendant que mes élèves suent sur leur contrôle, je travaille, mais pas eux. Jusque là, les frontières sont claires. Mais un apprenti ou un stagiaire ? D’un côté, en tant que personne en train de se former, c’est un inactif. Mais quand il est en entreprise, il travaille pour le compte de son patron. Dans les statistiques, l’apprenti est compté comme salarié, et le stagiaire comme inactif. Mais on conviendra que la frontière est fragile.
Venons-en maintenant au bénévolat. La définition gouvernementale en est rigolote. Après avoir précisé qu’il n’y a pas de définition juridique, voilà ce qu’ils écrivent : « Est bénévole toute personne qui s’engage librement pour mener une action non salariée en direction d’autrui, en dehors de son temps professionnel et familial » Ben oui, il faudrait quand même pas rappeler que l’essentiel du travail en France est non rémunéré, donc on va exclure le travail domestique des femmes du bénévolat. Le « bénévolat » compte dans le parcours de formation. Ça fait toujours bien sur un CV, surtout si vous avez appris à le décliner en compétences. Sauf si vous êtes bénévole pour le soutien à la Palestine par exemple. Un bénévole est libre et n’a pas de contrat. Il respecte les statuts de l’association pour laquelle il est bénévole bien sûr. Il peut partir quand il veut, etc.
On notera qu’un bénévole pour les J.O. doit respecter des horaires, ne choisit pas ce qu’il va faire, et s’engage à ne pas partir au milieu. Et il signe un papier avec sa mission. On commence à dangereusement s’éloigner de la liberté du bénévolat pour se rapprocher de la soumission du salariat. Mais sans salaire…
Jamais à court d’innovations, notre administration a aussi inventé le volontariat. Un volontaire est un bénévole avec un contrat, une mission, et une indemnité qui n’est pas un salaire (111,45 euros nets au minimum en France) (1). On peut appeler ça un stage, sauf qu’il n’y a pas de diplôme au bout ni de convention avec une école. On peut aussi appeler ça un contrat de travail sans les avantages du salariat. Il est d’ailleurs explicitement précisé que le code du travail ne s’applique pas.
En fait, les frontières entre travail et non travail, entre salariat et non salariat, n’ont jamais été claires. Le salariat a été progressivement codifié en fonction des conquêtes sociales. C’est devenu une forme d’emploi qui comporte une dimension de droits collectifs. Du coup, le patronat ne cesse d’inventer des formes qui permettent d’échapper à la qualification juridique du salariat tout en étant fondamentalement du salariat si on le définit comme la contrainte à travailler pour un patron. Et toutes les occasions sont bonnes pour inventer des exceptions. Comme par exemple les Jeux Olympiques.
Sylvie
(1) Quelle est la différence entre une indemnité et un salaire ? Très simple, l’indemnité ne vous donne aucun droit, ni à la retraite, ni à la sécu, ni au chômage...