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CA 341 juin 2024

Éducation Nationale
et Jeux Olympiques de Paris

jeudi 20 juin 2024, par Courant Alternatif

Le président Macron l’avait pourtant déjà expliqué à l’occasion de la coupe du monde de foot au Qatar « il ne faut pas politiser le sport » et concernant les Jeux Olympiques et Paralympique, il nous l’assure : « La force de l’olympisme, (...) ce qui nous a motivés à organiser les Jeux en France, c’est le respect et la tolérance. » Des valeurs populaires et consensuelles s’il en est, qu’il est mal vu de contester et l’État français entend susciter l’adhésion de tous et particulièrement de la jeunesse. Mettant en lien la promotion des JOP avec le problème sanitaire de la sédentarité des jeunes, prenant appui sur le Ministère de l’Éducation nationale, il impose une rhétorique dont le fondement est à questionner.


Un cadrage paternaliste

Il convient à un État qui sert ses propres intérêts de se légitimer en agissant pour le bien du peuple.
La sédentarité croissante des français et notamment des jeunes, nourrie par une addiction aux écrans qui explose est actuellement définie par les acteurs de la santé comme une urgence sanitaire.
Qu’à cela ne tienne, le gouvernement s’est mis au travail pour sauver le bon peuple et a eu une idée : promouvoir l’activité physique et sportive sera la Grande cause nationale de l’année des JOP (ça tombe à point) : Bouge chaque jour !
« Avec, pour ce faire, un marqueur simple : encourager chaque individu, peu importe son âge ou son niveau de forme physique, à pratiquer chaque jour 30 minutes d’activité physique, à pied comme à vélo, en yoga comme en danse, ce qui compte, c’est de bouger ! »
Travailleurs et travailleuses qui prenez le RER à 6 heures, chômeurs et chômeuses qui avez bien le temps, mères de familles isolées , étudiants qui sautez régulièrement un repas, enfants en situation de vulnérabilité : rompez le cycle de la précarité :bougez !
Ignorance ou mépris qu’importe, il ne faut rien attendre de la Macronie mais cette farce est révélatrice d’une marotte du libéralisme : la notion d’empowerment qui renvoie chacun à ses problèmes et sa responsabilité et dont la solution se trouverait dans la volonté.

Des entrées multiples

Si les enseignants manquent à l’appel devant les élèves, plein de petites mains ont été trouvées pour rédiger des propositions et projets pour que les enseignants fassent écho aux JO dans leurs classe.
Penchons-nous sur le site « Eduscol » propriété de l’État et incontournable pour qui veut être conforme à ce que l’institution attend.
Du label Génération 2024, outil pour renforcer et multiplier les ponts entre école et sport au label GNC 2024 (Grande Cause Nationale), chacun.e trouvera de quoi participer de cet élan vers les JOP et de mettre en avant son établissement qui apparaîtra alors sur les publications officielles.
De la petite section de maternelle à l’université, on passera par l’activité physique ou le chant, par les arts plastiques ou la vidéo mais les jeux devront passer !
Des ressources sonores et des partitions spécialement arrangées permettent aux élèves et aux professeurs des écoles, des collèges et des lycées de réaliser des interprétations vocales et/ou instrumentales de l’hymne olympique, tandis que le site Génération 2024 propose une chorégraphie de la danse des JO. D’autres découvriront des sports olympiques et paralympiques, rencontreront des athlètes, participeront à des olympiades entre établissements, visiteront de futurs sites olympiques et d’autres encore (filières vente, chaudronnerie et électricité d’un lycée) ont réalisé une « flamme académique » remise au Recteur de l’Académie de Versailles.
Il n’est pas possible ici de répertorier toute l’inventivité dont a fait preuve le ministère.

Des kits et des histoires

« La laïcité est un principe de liberté, liberté de croire ou de ne pas croire. Elle est au fondement de notre société et de notre école qui doit préserver les élèves de tout prosélytisme idéologique, économique et religieux. » (Education.gouv)

Les enseignants de maternelle pourront cependant se procurer sur le très prolifique site Eduscol un livret « premiers jeux » dont l’intérêt pédagogique reste introuvable mais le visuel Danone fort reconnaissable quand il y est question d’initier nos élèves au « bien manger ».
Avec le Kit « relai des océans » on trouvera un coloriage de voilier aux couleurs de la Banque populaire ou des photos du skipper Armel Le Cléac’h saturées de la même marque.
Très tôt les élèves sont priés d’intérioriser que sport nautique et argent vont de pair.
Le Kit du supporter responsable permettra à l’un de se fabriquer des lunettes de supporter en carton (« à partir de 6 ans ») et à l’autre de se faire son petit cendrier en matière recyclée (« à partir de 18 ans »). Avec des cigarettes et ce cendrier avant 18 ans sera-t-on responsable ou irresponsable ?

Les enseignants des classes élémentaires ont carrément été chargés de distribuer un kit pédagogique et une pièce commémorative de deux euros à tous leurs élèves (soit 4 millions)… Demander à des enseignants de distribuer de l’argent alors que l’une de leurs premières revendications est l’augmentation de leur rémunération ainsi que celles des moyens dévolus à l’École peut laisser songeur. En quoi le fait de distribuer de l’argent aux élèves va-t-il promouvoir la pratique du sport à l’école ou ailleurs ? De plus l’argent liquide est interdit à l’école car source de discorde mais peut-être veut-on préparer nos élèves à la pratique du business ?
Un livret d’une dizaine de pages accompagne la pièce, quatre sont consacrées à des textes écrits par Emmanuel Macron, Amélie Oudéa-Castera, la ministre des Sports, et Gabriel Attal lorsqu’il était ministre de l’Éducation, 6 pages sont consacrées à des jeux « pour devenir incollable » sur les JO de Paris, comme des mots croisés et des charades.
Le livret de l’élève de CP tout juste ou pas encore lecteur est le même que celui de l’élève de CM2 bientôt au collège… toujours pas de pédagogie en vue mais une opération de communication à 16 millions d’euros.

Il est intéressant aussi de se pencher sur les données historiques affichées dans le livret « Au cœur des jeux » destiné aux élèves de l’élémentaire. Trois personnalités, photographie à l’appui, y incarnent l’histoire des Jeux.
Pierre de Coubertin y est présenté comme le fondateur des Jeux olympiques modernes, qui s’engagea entre autres pour le développement de la pratique du sport à l’école. Alors qu’il est une figure unanimement contestée, le petit élève de 2024 n’en saura pas plus que celui de 1920 sur le racisme, le sexisme, le colonialisme et les accointances avec le nazisme du baron.

Les mauvais esprits pourront se consoler, la présentation du baron est suivie de celles d’Alice Milliat incarnant ici la conquête de la participation des femmes aux Jeux Olympiques et de Ludwig Guttmann fondateur des Jeux Paralympiques.

Dans ce même livret, le choix de cinq évènements de l’histoire des jeux et leur traitement dénotent de choix idéologiques. La victoire de Owens, noir américain en 36 à Berlin, les poings levés de Smith et Carlos en 1968 à Mexico, le drapeau commun aux deux Corées en 2000, la reconnaissance des droits d’athlètes réfugiées en 2016 rappellent des luttes humanistes et leur contexte est précisé.
Le cinquième événement est traité différemment : « Les Jeux ont parfois été le théâtre d’actes de violence. Aux JO de Munich (1972), des terroristes palestiniens prennent en otage des athlètes israéliens pour exiger la libération de prisonniers palestiniens détenus par Israël. L’issue de cette prise d’otages est tragique : 11 sportifs israéliens sont tués. » Le verdict du lecteur ignorant du contexte sera probablement sans appel.
Quant à l’exclusion de Smith et Carlos par le CIO il n’en est pas fait mention non plus.

« Mettre le sport au cœur de nos politiques publiques, de l'interministérialité et du pacte républicain ».

Telle est l’ambition du gouvernement Macron.
Rappelons que sport et activité physique ne sont pas équivalents. Le sport est un fait social historique construit, né au 18 ème siècle en Grande Bretagne dans les grandes écoles. Il s’est répandu en Europe en même temps que la bourgeoisie installait sa domination économique et culturelle. Pour le sociologue Jean-Marie Brohm, le sport est régi par des instances qui fixent de manière relativement arbitraire les règles du jeu tout en se parant d’un vernis d’universalité, et donc d’objectivité. Là réside ainsi le caractère éminemment politique du sport : créer des classements à partir des normes que ses dirigeants édictent, tout en les faisant passer pour immuables. Mais l’analyse de Jean-Marie Brohm ne s’arrête pas là. Cette institution du sport moderne s’appuie selon lui sur quatre piliers qui ne sont autres que ceux de la société marchande capitaliste : le rendement, la hiérarchisation, la bureaucratie et la publicité. En effet, la compétition, le dépassement de soi — et surtout des autres —, la célébration des vainqueurs et le mépris des perdants, en un mot le culte de la performance individuelle constitue sans conteste le socle du système de valeurs néolibérales qui soutient le régime capitaliste actuel.

Sport et séparatisme

Populaire, la pratique sportive l’est déjà un peu moins : les enquêtes statistiques rappellent qu’elle reste inégalement répandue dans la population, au détriment des femmes et des membres des classes populaires, justement. Les entraves à cette pratique sont autant d’ordre culturel que matériel.
En France,10 % des élèves n’iront jamais à la piscine par manque d’infrastructures ou de moyen de transport. En Seine Saint Denis, un élève sur deux ne fait absolument aucune activité en dehors des cours d’EPS et à l’entrée en sixième, sept élèves sur dix ne savent pas nager du fait du peu de créneaux horaires alloués.

Les JO et les grands évènements sportifs en général sont intimement liés à l’argent et au commerce. Ils ne pourraient se dérouler sans les financements qu’elles permettent.
Là encore la mystification est grossière : alors que la santé est identifiée comme une cause nationale, le champion de la « malbouffe » Coca Cola figure parmi les partenaires officiels de l’évènement.
Une étude internationale publiée dans The Lancet en février 2024 a conclu que « la sédentarité conduit l’humanité à un tournant anthropologique et que les efforts de prévention concentrés sur les comportements individuels ou sur des modifications isolées de l’environnement bâti ou alimentaire ont eu peu d’impact sur la prévalence de l’obésité, en partie parce que les aliments sains et la pratique du sport et d’autres modes de vie actifs ne sont pas abordables ou accessibles par les personnes à faibles revenus ou peu autonome ».

Enfin, des études ont montré que l’accueil des manifestations sportives n’ont pas eu d’effet immédiat ou différé sur la pratique d’activités sportives par les populations (Journal of Physical Activity and Health, 2023).

 Et l'Éducation nationale dans tout ça ?

Cette année, quand ce sont près de 691 millions d’euros qui sont supprimés pour l’Éducation nationale alors que l’enseignement public craque et que le 93 demande un « plan d’urgence ». La dépense publique pour les JOP quant à elle, chiffrée au départ à 3 milliards, est actuellement estimée à 4 ou 5 milliards.
Tandis que certains établissements en colère ont renvoyé les colis « livret et pièce » à l’envoyeur, ailleurs des élèves ont pu courir à la boulangerie avec leur pièce, d’autres pièces se revendent actuellement plusieurs centaines d’euros sur Leboncoin.
Les élèves de l’école Anatole France de St Denis sont simplement enfumés par l’échangeur du quartier Pleyel et 3 000 étudiants seront expulsés de leur logement au Crous pour y loger des partenaires et bénévoles des Jeux.

Les prix pour les finales d’athlétisme au Stade de France ont été fixés à 85 euros pour des places situées tout en haut du stade, dans les virages, puis à 195 euros pour celles juste en dessous, et l’immense majorité sera vendue à 385 et 690 euros l’unité, alors pour les élèves déjà victimes du capitalisme il restera les retransmissions qui continueront d’engraisser des actionnaires.
Les médias et l’école auront chanté la romance de l’unité nationale pendant la trêve olympique car « la force de l’olympisme, (…) ce qui nous a motivés à organiser les Jeux en France, c’est le respect et la tolérance. »
Avec l’objectif de rendre obligatoire le Service National Universel ainsi que l’uniforme dans les écoles, l’embrigadement au service des puissants franchira un autre palier.

Zelda

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