vendredi 16 mars 2007, par
Du concepteur fabriquant au concepteur assembleur
Les grands constructeurs automobiles américains fondaient traditionnellement leur modèle de production sur une forte “intégration verticale”. Une fraction substantielle des composants des véhicules était fabriquée par le constructeur lui-même ou par des sociétés de fabrication de composants lui appartenant au sein du même consortium. Ce modèle prévalait également chez les constructeurs automobiles européens, bien que leur échelle de production fût nettement inférieure. Le niveau d’intégration verticale de la production était similaire à celui des compagnies américaines, l’intégration s’opérant à l’intérieur même des constructeurs sans qu’une industrie de fabrication de composants ne soit créée sous la tutelle d’un consortium, à l’exception de Fiat et Peugeot, qui comptaient un grand nombre de sociétés extérieures leur fournissant les composants nécessaires dans un contexte exacerbé de concurrence interne et de pressions sur les coûts.
Ce modèle de production a subi de profondes transformations depuis les années 1970. Eu égard au paradigme de la “production dégraissée”, les constructeurs se sont orientés à un degré croissant vers la conception, l’assemblage et la distribution, en incluant dans certains cas la production directe de composants qu’ils estiment stratégiques, comme les moteurs.
L’innovation ne réside toutefois pas seulement dans l’extension de la sous-traitance, mais également dans le remaniement et la structure hiérarchique des relations avec les fournisseurs qu’elle implique. Bien entendu, ce processus varie selon les stratégies propres à chaque entreprise, mais les principaux changements sont les suivants :
Une sous-traitance très hiérarchisée
Les modifications instaurées par les constructeurs automobiles ont directement entraîné la restructuration de l’industrie de fabrication des composants. Au premier niveau se trouvent les sociétés qui fournissent des ensembles complets de pièces, d’unités ou de systèmes et d’importants éléments du véhicule impliquant une certaine complexité technologique. Ces sociétés ont subi les transformations les plus profondes, avec un degré élevé de concentration des activités et de mondialisation de la production, et l’adoption de stratégies de production similaires à celles des constructeurs. Elles en arrivent également à redéfinir leur activité essentielle et à sous-traiter le reste de la production. Elles jouent un rôle d’une importance croissance dans la production du véhicule en ce qu’elles supportent une partie de l’investissement dans la conception et la technologie et organisent le deuxième niveau de fournisseurs. Ce processus se répète à divers degrés d’intensité aux niveaux inférieurs, formant ainsi une pyramide hautement hiérarchisée de fournisseurs.
L’introduction croissante de l’automatisation et le remplacement de la main-d’oeuvre par des capitaux ont pour corollaire que les activités à plus haute intensité en main-d’oeuvre ne sont plus rentables et peuvent aisément être sous-traitées. À travers leur contrôle de la chaîne de production, les fabricants parviennent à se débarrasser des activités à plus faible valeur ajoutée, à transférer une partie du coût inhérent à la conception et à la production vers les fournisseurs de premier rang et à exercer une pression appuyée en termes de qualité, de délais de livraison et de prix. Des stratégies similaires se répètent successivement aux différents échelons de la chaîne des fournisseurs, bien que les entreprises jouissent d’une autonomie de plus en plus restreinte à mesure que l’on descend dans la chaîne. À la base de la pyramide, un grand nombre d’entreprises exécutent les activités à forte intensité de main-d’oeuvre et à faible valeur ajoutée au coeur d’une concurrence exacerbée, avec de lourdes pressions en faveur d’une réduction des coûts de main-d’oeuvre et d’une déréglementation des conditions de travail.
Les conséquences sur l’emploi et les conditions de travail
Il va sans dire que cette évolution exerce une influence indubitable sur l’emploi et les conditions de travail. Directement ou indirectement, la sous-traitance engendre en effet des pressions sensibles en direction d’une réduction des coûts de main-d’oeuvre et d’une déréglementation des conditions de travail. Le nombre d’emplois manuels est minimal au sommet de la pyramide et maximal à la base, accompagné d’une nette augmentation du travail précaire et faiblement rémunéré offrant une protection limitée.
Deux niveaux principaux sont donc créés. Au sommet de la pyramide figurent les entreprises qui exécutent des activités à haute valeur ajoutée (constructeurs, fournisseurs de premier rang et quelques sociétés de services). Dans ces entreprises, les coûts de la main-d’oeuvre exercent une influence restreinte sur les coûts de production. Le travail est relativement bien rémunéré et la flexibilité de la production est assurée au moyen d’une automatisation généralisée et de l’application de “nouvelles formes d’organisation du travail” (telles que les hiérarchies horizontales, le travail en groupes ou les groupes de travail autonomes). D’autre part, dans les entreprises qui réalisent des activités à valeur ajoutée moindre (fournisseurs du deuxième ou troisième rang et certaines sociétés de services), les coûts de la main-d’oeuvre sont déterminants pour les coûts de production. Le travail est beaucoup moins bien rémunéré et la flexibilité de la production se traduit souvent par une augmentation des charges de travail, une plus grande disponibilité des travailleurs et le recours aux engagements temporaires. Cette différenciation des conditions de travail est mise en oeuvre à l’aide de plusieurs techniques. Les activités sous-traitées peuvent relever de conventions collectives moins avantageuses pour les travailleurs - comme celle du secteur métallurgique général, plutôt que de relever de l’accord propre à l’entreprise du constructeur ou d’un fournisseur du premier rang, ou encore celle d’un autre secteur où les conditions de travail sont moins bonnes - ou, dans certains cas, ces activités sont nouvelles et ne sont pas réglementées par les accords sectoriels (lorsque ceux-ci sont prédominants dans les systèmes nationaux de relations industrielles). De surcroît, la protection atteint souvent un niveau inférieur parce que les syndicats sont sensiblement plus faibles et les relations de travail plus individualisées.
Les conséquences sur la représentation syndicale et la lutte collective
La sous-traitance a entraîné une érosion de la capacité d’organisation, de représentation et d’intervention des syndicats dans le secteur de la construction automobile :
Camille