Courant Alternatif 307 février 2021
jeudi 4 février 2021, par
1. Brève Présentation
Cette réponse peut se traduire par des projets de lois comme celui de la sécurité globale, le régime pérenne de gestion de l’urgence sanitaire, celui « confortant les principes républicains » (ex-« contre les séparatismes »), sans oublier les trois décrets élargissant massivement le fichage politique, le schéma national du maintien de l’ordre (SNMO), et enfin (mais j’en oublie peut-être) le Livre blanc de la sécurité intérieure.
Ce dernier texte n’a pas amené beaucoup de réactions ni de mobilisations et est passé assez inaperçu dans le délire sécuritaire actuel. Il faut dire que ce texte n’est pas un projet de loi amené à être débattu sur la place publique et dans des hémicycles de notre « belle » démocratie, même s’il peut servir de base pour un (voire plusieurs !) futur projet de loi. Ce document doit servir de base à la rédaction d’une loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI), loi qui viendrait tirer les conclusions de dix ans d’action depuis la précédente loi d’orientation.
Dans ce Livre blanc, on retrouve d’ailleurs la quasi-totalité du projet de loi sur la sécurité globale qui a été adopté en première lecture en novembre, sauf son article 24 sur la non-diffusion de l’image des cognes qui a concentré l’attention et catalysé la riposte au point de minimiser le reste de ce projet de loi. A noter que c’est le seul article de cette loi dont je n’ai pas trouvé trace dans ce Livre. Il faut dire que c’est le cheval de bataille de quasiment tous les syndicats réacs de la police qui finalement n’assument pas ou très mal leur fonction sociale « de merde » !
Ce Livre blanc est un document de 332 pages réparties en 5 livrets :
• - Évolution des enjeux sécuritaires : vers de nouveaux défis pour les acteurs de la sécurité.
• - Reformuler le pacte de protection et de sécurité des Français
• - Se réorganiser pour assurer le pacte de protection et de sécurité des Français
• - Porter le ministère de l’intérieur à la frontière technologique
• - Engager une mutation profonde et innovante des ressources et des moyens du ministère
Comme le dit le dernier en date, un certain Darmanin, " ce document doit inspirer l’action du ministre de l’intérieur pour les prochaines années."
Ce Livre est en fait une commande passée le 31 mars 2019 par Macron, par Edouard Philippe premier ministre à cette époque, le ministre de l’intérieur Castaner et son secrétaire d’Etat Nunez. Il a été écrit par des hauts fonctionnaires de ce ministère qui ont travaillé en commissions, d’où ses aspects pour le moins technocratiques, pompeux et pédants.
Il contient pas moins de 200 propositions dont la plupart s’adressent directement au ministre de l’intérieur et à sa hiérarchie. Ces propositions ont aussi pour fonction de satisfaire les syndicats de flics (aide accrue pour l’accès au logement, améliorer les conditions de travail et de rémunérations, tracer des plans de carrière, réorganiser les services par filières de « métiers » : sécurité publique, ordre public, investigation, renseignement, immigration irrégulière,... , etc.) afin de limiter leur grogne. Ce n’est donc point un hasard si Darmanin a présenté ce document en avant-première aux syndicats de police à la mi-novembre 2020.
D’autres propositions paraissent aujourd’hui déjà actées, comme par exemple l’introduction d’une puce électronique sécurisée à partir de cette année 2021 dans toutes les nouvelles cartes d’identité françaises.
1. Des sujets tabous
Comme nous pouvions nous en douter, les violences policières, les contrôles au faciès sont des notions complètement absentes de ces 332 pages. Le Livre blanc regrette même « la logique punitive » à l’œuvre face aux cas de manquement à la déontologie et prône au contraire « une démarche positive valorisant l’exemplarité dans l’exercice des missions. Lorsqu’il est question de « promouvoir l’exemplarité » et le respect de la déontologie, le Livre blanc rappelle qu’il existe, depuis 2014, un code de la sécurité intérieure, et qu’en cas de son non-respect, des sanctions sont appliquées, « environ 2000 en moyenne chaque année tant dans la police nationale qu’en gendarmerie », sans autres précisions. Loin d’envisager que des mesures disciplinaires soient appliquées en cas de manquements de la part des policiers ou des gendarmes, le ministère propose de mieux former les forces de l’ordre aux règles de déontologie afin qu’elles les appliquent durant l’exercice leur mission. Ce Livre blanc renforce donc de nouveau l’impunité des policiers en balayant la question des sanctions.
Concernant la baisse de confiance de la population envers les forces de l’ordre, il ne s’agit là que des conséquences de la désinformation donnée par les médias. Il faut donc " faire connaître et valoriser l’action des forces de l’ordre pour ne pas laisser le champ libre aux mises en cause dont elles font de plus en plus systématiquement l’objet et d’autre part informer la population de manière efficace et réactive en situation de tension (opérations de maintien de l’ordre par exemple). " Comment ?
Le ministère envisage de se doter « d’un maillage et d’une chaîne de communication adaptés aux enjeux de la sécurité intérieure » afin d’occuper les réseaux sociaux.
Réitérant ainsi le déni de toutes violences policières, le Livre blanc ne propose aucune mesure concernant l’amélioration des contrôles des forces de l’ordre. Il n’est pas question, par exemple, de réformer l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) ainsi que celle de la gendarmerie nationale (IGGN). Et pour rassurer ses ouailles, ce chapitre se termine par : « La défiance d’une fraction de la population vis-à-vis des forces de sécurité ne doit pas masquer la confiance très majoritaire que lui accorde régulièrement la population. »
1. Cela va nous coûter de plus en plus cher !
Au début de l’année 2020, l’ensemble des crédits consacrés à la sécurité intérieure (missions sécurités, crédits informatiques liés, lutte contre l’immigration irrégulière) représentent 0,88% du PIB. Le Livre blanc propose de porter les crédits de la mission sécurité à 1 % du PIB en 2030 pour répondre aux priorités du ministère :
« Porter le ministère de l’Intérieur à la frontière technologique »
Concernant le défi technologique, le document prône une volonté d’intensifier encore et toujours la surveillance de l’espace public. La vidéosurveillance est, comme dans la proposition de loi relative à la sécurité globale, un outil indispensable pour la sécurité des citoyens, qu’il faut continuer de déployer alors qu’il n’a jamais été aussi implanté dans l’espace public (ainsi, quand on dénombrait près de 15 000 caméras sur la voie publique en 2006, on en compte 60 000 en 2020. Si 436 communes s’étaient équipées en 2006, elles sont aujourd’hui 6 000) et que les études sur le sujet montrent que la vidéosurveillance n’est utile que dans 1 % à 3 % des infractions commises sur la voie publique. « Le FIPD [fonds interministériel de prévention de la délinquance] pourrait redéployer des moyens afin de faciliter la couverture territoriale de la vidéo-protection », suggèrent notamment les auteurs du texte.
La biométrie occupe une place centrale dans la police du futur imaginée par les rapporteurs. En plus de recommander la modernisation des technologies d’exploitation des empreintes digitales et de l’ADN, ils plaident pour le développement de deux nouvelles technologies d’identification : la biométrie vocale et l’odorologie ! Le texte explique que l’Institut de recherches criminelles de la gendarmerie nationale cherche à définir « un profil biométrique olfactif par analogie avec le profil génétique individuel ».
La biométrie vocale « permettrait dans un premier temps la comparaison de voix à des fins de rapport de la preuve judiciaire. […] Dans un second temps, bien que le sujet soit techniquement complexe, la comparaison de voix à des fins d’identification pourrait fournir une assistance très utile, tant en matière d’enquête que de surveillance, aussi bien judiciaire qu’administrative."
Comme nous pouvions nous en douter, les auteurs sont également favorables au développement de la reconnaissance faciale. Cette technologie serait pour eux l’unique solution pour « maîtriser techniquement, opérationnellement et juridiquement cette technologie à des fins de protection des Français ». Recommandant de « lancer un programme d’expérimentation de la reconnaissance du visage en temps réel dans l’espace public », le texte prône une seconde expérience de reconnaissance faciale dans les transports en commun. Son objectif : « Sécuriser les réseaux face aux risques terroristes. » A noter qu’en octobre, Valérie Pécresse, présidente de la Région Île-de-France, s’était positionnée en faveur de son utilisation au sein du réseau de transport francilien.
Ces expérimentations de reconnaissance faciale seraient un premier test opérationnel en vue de leur utilisation généralisée lors de la Coupe du monde de rugby 2023 et des prochains Jeux olympiques de 2024.
1. Le « continuum de sécurité »
C’est un nouveau concept sorti tout droit d’un rapport parlementaire de septembre 2018 d’Alice Thourot (avocate, ex-PS) et de Jean Michel Fauvergue (ex patron du RAID). Il faut considérer la sécurité intérieure comme une « sécurité globale » à gérer dans un « continuum » (passer de la police nationale à la gendarmerie, à la police municipale, à la sécurité privée et réciproquement), le tout étant placé sous l’autorité du ministre de l’intérieur. Cela représente un effectif d’environ 500 000 agents publics et privés obéissant à la même doctrine sécuritaire. Le projet de loi sur la sécurité globale a déjà avancé dans ce processus d’unification dans la différence. Pour une durée de trois ans et à titre expérimental, la police municipale (quand elle est composée de plus de vingt agents et un directeur ou un chef de service) pourra ainsi être dotée de pouvoir de police judiciaire ou de maintien de l’ordre. La police municipale pourrait ainsi intervenir pour des délits comme l’ivresse sur la voie publique, la vente à la sauvette, la conduite sans permis, les squats de halls d’immeubles, les tags ou encore l’occupation illégale d’un terrain communal. Elle pourrait encore être déployée pour encadrer des manifestations sportives ou culturelles. L’armement de la police municipale n’est en revanche pas prévu par le texte de loi sur la sécurité globale bien que cette mesure figure dans le rapport sur lequel elle se fonde et qu’elle figure aussi dans ce Livre blanc. Mais cela se fera ! Depuis quelques années, des villes, chaque fois plus nombreuses, ont décidé d’armer leur police municipale ; et cela risque de se généraliser ! Au 1er janvier 2020, 13 692 policiers municipaux étaient dotés d’une arme à feu de poing (soit 57% de la flicaille municipale), en hausse de 12% par rapport à l’année précédente.! La police municipale pourrait avoir des activités non régaliennes, paraît-il, se déroulant dans les centres de rétention administrative, dans le cadre des reconduites à la frontière, etc. De plus elle pourrait avoir un accès à un certain nombre de fichiers de police et de gendarmerie nationale dont le fichier des personnes recherchées (FPR).
Mais il y a un peut être un hic à ce processus d’intégration de cette troisième force de sécurité intérieure. Ce sont les maires qui gèrent la police municipale qui ont délégué leur pouvoir à un adjoint responsable de la sécurité et se pose alors le problème de l’intégration de ces maires au ministère de l’intérieur. Cela se fait et se fera par le fait qu’un maire est aussi un officier de police judiciaire (OPJ). Et si un maire se montrait récalcitrant par rapport au ministère de l’intérieur ? C’est prévu ! En effet « Le préfet doit pouvoir bénéficier d’un pouvoir de substitution effectif en cas d’inaction du maire dans le domaine de la sécurité » (proposition du Livre blanc). Cela limitera encore les possibilités d’un quelconque « municipalisme libertaire » ou d’une version alternative plus light de prise du pouvoir municipal pour en faire soi-disant autre chose !
Le continuum de sécurité ne s’arrête pas aux polices municipales puisqu’il veut y intégrer les agences privées de sécurité. Il y a là des tas de propositions, comme l’autorisation de l’armement dit « non létal » des agents de sécurité exposés à un risque exceptionnel qui seront intégrés à certaines missions de sécurité intérieure. Dans ce cadre, l’Etat devrait « autoriser le recours à des technologies émergentes (drones, ballons, caméras-piétons) pour renforcer l’efficacité des professionnels de la sécurité privée et améliorer leur protection », etc. A court terme, le ministère de l’intérieur veut « associer la sécurité privée à la préparation des jeux olympiques dès la phase de planification des opérations. ».
Dans un premier temps, la loi de sécurité globale va imposer le contrôle de la sécurité privée dans le domaine de laquelle le gouvernement sera habilité à prendre des ordonnances.
« Un rêve policier orwellien »
C’est le titre d’une tribune publiée par Le Monde le 17 décembre et signé par cinq hauts fonctionnaires aujourd’hui à la retraite (des « honoraires ») et un sociologue.
Voici quelques extraits qui me semblent intéressants et qui prouvent que ce Livre blanc représente une certaine rupture par rapport au passé :
« … Il conduit sa réflexion avec deux partis pris : d’une part, l’ignorance délibérée du profond fossé qui s’est depuis longtemps créé avec la population et, d’autre part, l’adoption d’une stratégie autoritaire et non coopérative pour envisager l’avenir, … »
« Une démarche purement technocratique et militarisée (l’évaluation de la menace, la détermination des objectifs, la désignation du chef, la mobilisation des forces, le renforcement des moyens, l’évolution des tactiques, etc.)…. »
Le continuum de sécurité « vise à constituer ainsi un effectif total de plus de 500 000 agents publics et privés obéissant à la même doctrine, chargés de « sécuriser » et contrôler les Français, appuyés par des drones et des milliers de caméras. »
« … C’est donc à une société tout entière tournée vers l’embrigadement sécuritaire que vise la doctrine qui s’ébauche »
« …. Tous les policiers se retrouvent déconsidérés par une minorité encouragée par la pensée extrémiste, qui utilise les missions de recherche du flagrant délit ou de lutte contre les violences urbaines, l’usage des stupéfiants pour contrôler sans motif, palper sans menace, fouiller sans cadre juridique et utiliser la violence sans légitimité. »
Pour ces fonctionnaires retraités signataires de la tribune, le problème est qu’il n’y a aucun contrôle externe politique sur le ministère de l’intérieur et un « devoir de vigilance s’impose aujourd’hui ».
Denis, Reims le 7 janvier 2021