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CA 338 mars 2024

L’Enfer carcéral en France,
les armes françaises au Sénégal
et autres chroniques
du contrôle et de la répression

Big brother 338

mercredi 27 mars 2024, par Courant Alternatif


Vers la vidéo-gestion des villes

A la pointe depuis 2001 sur le thème des caméras urbaines, se classant sur le podium des villes les plus vidéosurveillées du pays, Nîmes a inauguré, le 13 novembre 2023, son « hyperviseur ».
Avec cet outil dernier cri, sur lequel se relaient nuit et jour une cinquantaine de personnes, la ville fait un grand pas de plus vers la « ville connectée » une tendance en plein développement pour la gestion des collectivités.
A chaque instant, les agents en poste dans cet hyperviseur peuvent facilement repérer, à partir d’images de très haute qualité, un stationnement gênant, un véhicule qui circule trop vite, un dépotoir sauvage, un comportement étrange… Ce lieu concentre toutes les informations en lien avec la gestion de l’espace public (sécurité, circulation, stationnement, environnement…), permet de gérer d’un simple clic l’éclairage public d’un quartier, de mettre une amende à distance (leur nombre a augmenté de 23 % en un an avec la vidéo-verbalisation) ou de repérer une intrusion dans un des 375 bâtiments municipaux connectés.
La collecte et la circulation des données en temps réel sont au cœur du programme. Le système s’appuie sur des caméras dotées, et c’est la nouveauté, de logiciels d’intelligence artificielle dont les algorithmes fournissent de nouvelles informations. Car il ne s’agit plus seulement de filmer et de surveiller, mais de gérer en temps réel la ville.
Question logiciels, la Ville de Nîmes, ainsi que d’autres villes, travaillent avec Inéo, une entreprise française spécialisée dans le domaine de la ville intelligente. Quant au centre de police municipale, il est équipé du logiciel de surveillance automatisée Syndex, et d’un logiciel d’analyse pour images de vidéosurveillance très performant, Briefcam. Ce dernier logiciel, de plus en plus répandu dans les collectivités françaises, a été mis au point par une société israélienne rachetée par le Japonais Canon, en 2018. Il est surtout au cœur d’actions en justice intentées par des syndicats, des associations et des collectifs qui lui reprochent, notamment, de permettre la reconnaissance faciale de n’importe quel individu en activant une fonctionnalité spécifique.
Nice, Angers, Lyon, Deauville, Orléans… Les villes vidéogérées, de toutes tailles, se multiplient, et avec elles les questions éthiques concernant l’usage, pour le moment assez flou, des données personnelles et la surveillance individuelle, même si peu de citoyens semblent s’en emparer.
Ces caméras numériques sont capables de faire du 360 degrés, de filmer et de zoomer (certaines sont dites « augmentées » en ce sens qu’elles ne se contentent pas de filmer mais d’analyser, c’est-à-dire de faire parler les images).
Actuellement, juridiquement, ces caméras augmentées ne peuvent analyser que des objets (camions, voitures, vélos) à des fins statistiques. « Celles capables d’analyser des comportements individuels ne peuvent être déployées », assure le directeur à la CNIL. Mais c’est une question de temps…
A Nîmes, le développement de cette « surveillance de masse » inquiète la Ligue des droits de l’homme (LDH), la seule association locale à avoir soulevé la question de l’utilisation des données personnelles au moment de la campagne municipale, et qui, aujourd’hui encore, s’interroge.
Source : lemonde.fr

La CNIL condamne Amazon pour « surveillance des salariés »

Pour avoir surveillé de trop près ses salarié·es, Amazon France Logistique (AFL) a été condamnée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) à une amende de plus de 32 millions d’euros, soit 3 % du chiffre d’affaires de l’entreprise qui s’élevait à plus de 1,135 milliards d’euros en 2021.
La décision prise le 27 décembre a été rendue publique le 23 janvier, après plus de quatre années d’enquête et d’analyse juridique. Les missions de contrôle ont été menées à la fin de l’année 2019. AFL comptait alors 6 200 salarié·es en CDI et faisait travailler, sur l’année, 21 582 intérimaires. C’est à la suite de plusieurs plaintes de salarié·es et d’articles de presse que la commission a décidé de se saisir du sujet.
La CNIL indique que bien qu’il y ait eu des précédents, cette amende est inédite par son ampleur et se justifie, entre autres, par « la surveillance informatique permanente induite par les traitements en cause et la pression qui en découle pour les salariés et intérimaires » ainsi que par « le nombre important de personnes concernées ». Pour comparaison, Ikea France n’avait été condamné en 2021 qu’à un million d’euros d’amende par le tribunal de Versailles pour avoir mis en place un système de surveillance accru de ses salarié·es, et en particulier des syndiqué·es, entre 2009 et 2012. Le parquet avait pourtant requis une peine deux fois plus lourde.
Tous les jours, dans tous les entrepôts de grande taille du groupe Amazon en France, la chorégraphie est la même : chaque salarié, muni d’un scanner, renseigne en temps réel chacune des tâches qui lui sont confiées, du prélèvement des articles dans les rayons à l’emballage. Ces scanners enregistrent le rythme de traitement des colis, mesurent la vitesse du rangement des articles et chronomètrent chaque interruption d’activité, entre autres... Tout cela dans un ballet incessant de signaux numériques, des sons et des lumières qui indiquent aux salarié·es chaque geste à faire.
Pour David Gaborieau, sociologue du travail et chercheur au Centre d’études de l’emploi et du travail, la surveillance des salarié·es n’est que la suite logique de l’organisation du travail comme elle est pensée dans le domaine de la logistique : « Dans le travail quotidien en entrepôts, ce qui est le plus perturbant pour un salarié c’est que tous ses gestes sont totalement encadrés. La façon dont on travaille est entièrement dictée par des machines, des progiciels, et on a très peu de marge de manœuvre. La pénibilité du travail sans autonomie est très importante et le stress de la surveillance ne vient qu’ajouter à cette pénibilité. »
Pour la CNIL, l’enregistrement des données ne permet pas seulement d’organiser au mieux l’activité de l’entrepôt, mais aussi de surveiller, individuellement, chaque salarié. Par ailleurs, la commission estime « excessif » de conserver ces données plus de 31 jours.
Ces scanners permettent de récolter un grand nombre d’indicateurs, dont trois ont été jugés illégaux :

  • L’indicateur « Stow Machine Gun » signale lorsqu’un salarié a scanné un article trop rapidement, c’est-à-dire moins de 1,25 secondes après avoir scanné le précédent.
  • L’indicateur « Idle Time » signale lorsqu’un salarié n’a rien scanné depuis dix minutes ou plus.
  • L’indicateur « Temps de latence inférieur à dix minutes » signale lorsqu’un salarié n’a rien scanné depuis une à dix minutes. A suivre car Amazon devrait faire appel.
    Source : Médiapart.fr

C'est parti pour le marché juteux de la VSA

Le 17 mai 2023, le Conseil constitutionnel a validé le cadre législatif permettant à la police d’utiliser la vidéosurveillance algorithmique (VSA) en temps réel, après plusieurs mois de bataille législative en plein mouvement des retraites. Puis, suite logique, un appel d’offres a été publié dès l’été pour lancer la compétition entre les nombreuses entreprises qui ont fleuri ces dernières années dans le secteur. Ce marché public, accompagné de clauses techniques, décrit les exigences auxquelles devront se soumettre les entreprises proposant leurs services et, en premier lieu, les fameuses situations et comportements « suspects » que devront repérer les logiciels afin de déclencher une alerte. En effet, la loi avait été votée à l’aveugle sans qu’ils soient définis, ils ont ensuite été formalisés par un décret du 28 août 2023. Ce décret énumère les situations et comportements suspects : présence d’objets abandonnés ; présence ou utilisation d’armes ; non-respect par une personne ou un véhicule, du sens de circulation commun ; franchissement ou présence d’une personne ou d’un véhicule dans une zone interdite ou sensible ; présence d’une personne au sol à la suite d’une chute ; mouvement de foule ; densité trop importante de personnes ; départs de feux. Rien d’extraordinaire, que du banal. L’Etat se garde bien de vouloir identifier des personnes via la couleur de leurs vêtements ou la reconnaissance faciale. Nous n’en sommes pas encore là… Après plusieurs mois de tests et de mises en situation, ce marché a été attribué au début du mois de janvier. Il a naturellement été attribué à des entreprises bien insérées depuis plusieurs années dans ce type de marché et entretenant de bonnes relations avec l’Etat. Ces entreprises pourront ainsi mettre à disposition leurs algorithmes, bien au-delà des seuls Jeux olympiques puisque cette expérimentation concerne tout « évènement récréatif, sportif et culturel », et ce jusqu’au 31 mars 2025 soit bien après la fin des JO. Elle sera par la suite soumise à une « évaluation ». Mais il ne faut pas se leurrer, cette « expérimentation » pendant les Jeux olympiques doit être vue comme une simple étape vers la légitimation et la pérennisation de ces technologies. Les exemples passés nous montrent que les projets sécuritaires censés être temporaires sont systématiquement prolongés, telles que les boites noires de la loi Renseignement ou les dispositions dérogatoires de l’état d’urgence.
Source : la quadrature.net

Au Sénégal, des armes de fabrication française mutilent et tuent

Au Sénégal, un soulèvement est en cours contre le président autoritaire Macky Sall qui a décidé de « reporter » les élections prévues le 25 février (cf. CA 336). A ce jour, des centaines de personnes ont été arrêtées, plusieurs ont été blessées par balles et au moins trois manifestants tués. Parmi les munitions utilisées, la plupart sont fabriquées en France. Sur les images qui circulent ces derniers jours, on voit distinctement l’usage de lanceurs « Cougar » utilisés pour envoyer des grenades sur les manifestants. On voit aussi des grenades manuelles jetées par les policiers. Ces munitions et lanceurs sont fabriqués par l’entreprise Alsetex, dont l’usine est basée dans la Sarthe. Des grenades explosives ont aussi été utilisées, les mêmes modèles que celles qui ont mutilé à Sainte-Soline et ailleurs.
La France est l’un des premiers exportateurs d’armes du monde. Non seulement des armes militaires, mais aussi des armes de maintien de l’ordre. Voici 1 an, en février 2023, le ministre des armées Sébastien Lecornu annonçait la vente d’équipement militaire au Sénégal lors d’un passage à Dakar, dans le cadre d’une tournée africaine…
Source : Contre-attaque.net

L'Enfer carcéral en France

Au 1er janvier 2024, 75 897 personnes survivaient en prison, soit une augmentation de 3 724 prisonnier-es en 2023.
L’Observatoire Internationale des Prisons (OIP) a publié un rapport d’enquête sur la machine disciplinaire qui règne dans les prisons, Ce travail d’enquête a été mené entre octobre 2022 et décembre 2023.
« En prison, la liste des fautes passibles de sanctions disciplinaires est potentiellement infinie » souligne l’OIP. Un-e détenu-e peut être amené-e à être sanctionné-e pour une « tenue vestimentaire jugée non appropriée, un œilleton bouché, une radio dont on refuserait de baisser le volume ». C’est le régime de l’arbitraire qui y est instauré. Si les prisonnier-es ne peuvent savoir précisément les infractions qu’on peut leur reprocher, tout devient permis pour les surveillant-es, qui peuvent asseoir leur autorité hors de toute légalité, pour des raisons de vengeance personnelle notamment.
Les quelques avancées législatives en matière de contrôle des décisions pénitentiaires sont loin de suffire. Les comptes rendus écrits exigés sur les faits donnant lieu à une sanction, ne garantissent aucunement un traitement équitable de la procédure disciplinaire, puisque ceux-ci restent cloîtrés derrière les murs des prisons. Le droit à l’assistance d’un avocat instauré depuis 2000 est rarement utilisé et, malgré l’obligation de fournir le dossier au moins 24 h avant la commission de discipline, il est extrêmement courant que les avocat-es ne puissent le consulter qu’une heure avant. Peu importe les lois qui encadrent cette procédure, il en reste que l’administration pénitentiaire se trouve être juge et partie où le chef d’établissement a une place prédominante dans la commission de discipline. Même s’il ne s’agit pas d’un procès pénal, la commission de discipline met bien en œuvre des sanctions, qui conduisent dans la majorité des cas au quartier disciplinaire, relève l’enquête de l’OIP.
Le placement en quartier disciplinaire peut atteindre jusqu’à 30 jours. Il s’agit de cellules similaires à celles de garde à vue, plaçant donc les prisonniers dans des conditions d’une violence inouïe : il y a l’isolement total, mais également bien souvent l’absence d’hygiène, des « fenêtres laissant à peine passer la lumière », une sortie quotidienne d’une heure dans une « cour de promenade » qui n’est rien d’autre qu’une autre pièce fermée, « sans compter les nombreux cas de violences et de brimades par des surveillant-es pénitentiaires »… Le mitard atteint la dignité humaine, il s’agit de traitements dégradants et violents. C’est un lieu où la violence des matons s’exerce en toute impunité, loin des regards.
« Une faute peut entraîner, outre la sanction décidée en commission de discipline, des conséquences en cascade sur le quotidien carcéral – par exemple en termes d’activité de travail ou de régime de détention –, mais également sur le parcours d’exécution de la peine – à travers notamment les décisions des juridictions d’application des peines d’accorder ou non des permissions de sortir, des aménagements de peine ou des réductions de peine » explique l’OIP.
Il est absolument urgent de lever le silence sur les conditions indignes dans lesquelles survivent les prisonnier-es et il est temps de mettre fin à ces lieux d’enfermement et de torture.
Sources : oip.org et Contre-attaque.net

Une victoire juridique de pur principe

Plus de 13 ans après les faits, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour une nasse policière où pendant plusieurs heures les flics ont encerclé des centaines de personnes, dont des mineurs, sur la place Bellecour à Lyon qui manifestaient contre la réforme des retraites de cette époque. En 2010, cette pratique policière d’encerclement était illégale, d’où la condamnation. Mais en décembre 2021, un nouveau schéma national de maintien de l’ordre (SNMO) a été voté. Il légalise désormais cette technique justifiée afin d’« éviter le recours à des techniques de maintien de l’ordre pouvant présenter des risques supérieurs d’atteinte aux personnes » ! Cette technique « doit, dès que les circonstances le permettent, systématiquement ménager un point de sortie contrôlé » et ne doit être mise en œuvre « que pendant une durée strictement nécessaire et proportionnée », stipule le document. La possibilité offerte aux manifestants de quitter la zone d’encerclement « doit constamment être réévaluée avec discernement. » Du bla bla habituel !
Sources : le monde.fr et le SNMO

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