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CA 236 janvier 2014

La contre - « réforme des rythmes scolaires » : les premiers pas d’une lutte à venir...

vendredi 24 janvier 2014, par ocl-lyon

Sous couvert de « refonder l’école », la gauche poursuit la besogne entamée par ses prédécesseurs de droite. C’est maintenant au tour du ministre Peillon de prendre sa part du détricotage et de la restructuration d’un cadre scolaire aujourd’hui jugé obsolète et peu performant. Les exigences du marché de la main d’œuvre ainsi que le coût de sa reproduction appellent selon des formules consacrées à « entamer des réformes » et faire « des économies ». Préparée bien avant l’élection de Hollande mais imposée ex nihilo, l’application de la contre-réforme des rythmes dissimule derrière une fausse polémique entretenue autour de la réorganisation « du temps de l’enfant », l’objectif de marchandiser en la sous-traitant, tout ou partie de l’activité.


Non seulement les socialistes ne sont revenus sur aucune des mesures qui, sous le gouvernement Sarkozy, avaient mobilisé contre elles certains enseignants du premier degré : le fichage informatique par le serveur « Base élève », la réduction de l’enfant à une somme de « micro-compétences » par la création du « Livret Personnel de Compétences », la restriction du droit de grève des enseignants avec l’obligation de se déclarer gréviste 48 heures à l’avance, mesure qu’accompagne toujours un service d’accueil dit « minimum »- mais ils ont, en prime, imposé de front leur « réforme des rythmes scolaires ».

L’argument de départ est simple, si ce n’est simpliste : les écoliers français ont les journées de classe parmi les plus longues en Europe avec le nombre de jours d’école le plus faible. Cette organisation du temps scolaire serait l’une des causes principales des mauvais résultats enregistrés dans l’enquête menée sous l’égide de l’OCDE(1) et annoncés par Peillon avant même qu’ils ne soient rendus publics...

Rationaliser le temps, parcelliser « les compétences »

Dorénavant, les élèves travailleront neuf demi-journées dans la semaine au lieu de huit auparavant. Ce qui, soit dit en passant, n’est que l’application au pied de la lettre d’un amendement figurant déjà dans le décret du ministre de droite Darcos, en date du 15 mai 2008(2)... La priorité est donnée aux plages horaires du matin réservées aux apprentissages, le temps libéré se trouve converti l’après-midi en activités dites « périscolaires ». Pour justifier ce nouvel aménagement, l’équipe Peillon amalgame la question du temps de présence hebdomadaire des élèves à celle de l’inégalité d’accès aux pratiques dites « culturelles ». Une démonstration sans cohérence ni rapport avéré, qui réduit les conditions de l’accès à la culture - à quelle culture par ailleurs ? - à une simple affaire d’emploi du temps.

Afin d’asseoir la légitimité de leur politique, les socialistes se sont adjoints les services « d’experts en Chronobiologie ». Ces spécialistes seraient parvenus à abstraire un « temps de l’enfant », du temps mesuré, qu’impose à toute activité humaine le cours de la société marchande(3). Dans ce cas, reconnaissons que l’intention n’est nullement d’ordre qualitatif. Elle n’aspire, en réalité, qu’à rationaliser au moindre coût le temps passé par l’élève dans les apprentissages. Rien de nouveau, si ce n’est un ajustement commandé par les modalités actuelles de la reproduction sociale. De la sorte, ce temps rationalisé sera soumis aux apprentissages parcellisés en « micro-compétences » dont les résultats, après évaluation, seront enregistrés dans le liberticide et contesté « Livret Personnel de Compétences ». En bout de chaîne, une nouvelle poignée de scientifiques, ceux de l’enquête PISA, évaluera au vu des résultats la mise en conformité promise et attendue du système d’enseignement. En résumé, on est confronté en l’espèce à une forme de sous-taylorisme ajusté au milieu scolaire, en accord avec les attentes du marché de l’emploi. Il va sans dire que ce « temps de l’enfant », tel que se le figurent nos experts, trouve harmonieusement sa limite là où commence l’intérêt de l’industrie des loisirs et du tourisme, c’est à dire précisément dès le vendredi après-midi, veille de week-end...

La « Réforme des Rythmes » en acte

Dans un premier temps, les dix-sept pour cents de communes qui ont choisi d’appliquer le décret dès cette année ont commencé par battre le rappel du personnel territorial et le mettre en ordre de marche. Au sein de certaines municipalités, les fiches de postes ont été modifiées sans concertation ni parfois compensation et les Brevets d’Aptitude au Fonction d’Animateur passés en urgence et attribués dans la foulée. De manière dérogatoire, les taux d’encadrements des enfants ont été modifiés et revus à la hausse dès le mois d’août 2013. Le compte n’y étant pas, les municipalités les plus zélées et les mieux dotées ont recruté des travailleurs sous contrat de droit privé payés 7,39 € net de l’heure pour trois heures de travail hebdomadaires maximum(4). Le résultat ne s’est pas fait attendre. « L’Apprendre Autrement », selon la formule ministérielle, s’est donné à voir pour ce qu’il est en réalité : un embrouillamini qui entretient à dessein la confusion entre activités scolaires et « périscolaires » ; un simple affichage qui ne trompe personne puisque le sens réel de cette contre-réforme se niche ailleurs. Dans des municipalités dirigées par des ministres en place, comme celle de Boulogne-sur-mer, par exemple, l’effort déployé l’est d’abord en matière de propagande afin de faire avaler la pilule à la population. Dans une atmosphère de village Potemkine, les visites officielles succèdent aux romans photos des publications municipales et les injonctions pleuvent afin, coûte que coûte, de tenir la ligne. Par ailleurs, la politicaillerie y a trouvé un terrain supplémentaire où faire étalage de sa misère. Ainsi observe-t-on à la veille des élections municipales, le Front de Gauche, par exemple, contester dans la rue la politique de Peillon et la défendre le même jour face à des grévistes et des parents d’élèves venus réclamer des comptes sous les lambris de l’hôtel de ville...

Ce à quoi travaillent les Socialistes

Si l’Etat ne dévoile pas encore l’intégralité de son plan, plusieurs signaux permettent d’entrevoir ce vers quoi on s’achemine. Avec la « Réforme des Rythmes », il s’agit également de s’appuyer sur la loi de décentralisation afin de faire passer l’organisation du temps scolaire sous la coupe des pouvoirs locaux. Une mesure justifiée dans la période par la baisse des financements publics et corroborée par le transfert d’activités en sous-traitance. C’est dans ce cadre précis, celui d’un accord de partenariat avec le ministère de la Jeunesse et des Sports, que le groupe Total s’est engagé à verser la somme de 4 millions d’euros, afin de financer les activités périscolaires du plan Peillon(5).

Ces premières mesures ont été immédiatement contestées par ceux qui y voient essentiellement une remise en cause du cadre national de l’enseignement et de « l’Egalité Républicaine ». En réalité, à la lecture d’un récent rapport de la Cour des Comptes, on comprend qu’il s’agit du premier acte d’un dessein plus ambitieux. Dans une de ces dernières informations livrée au gouvernement, la juridiction recommande de revoir les procédures d’affectation des personnels afin de « redresser les résultats des élèves », estimant qu’une « réforme d’ensemble des modalités de gestion » s’impose(6). Enfin, tout s’éclaire lorsque l’on apprend que l’opération concernera bientôt autant le second degré que les écoles élémentaires. La loi dite de « refondation » projette, en effet, d’étendre la « réforme des rythmes » aux collèges puis aux lycées.

Dans le premier degré, le glissement vers la flexibilité et l’annualisation du temps de travail est déjà une réalité. Depuis septembre, les enseignants mobiles qui travaillent alternativement dans des circonscriptions où s’appliquent et ne s’appliquent pas la réforme cumulent illégalement des dépassements de temps de service que le cadre établi par l’administration ne sait leur permettre de récupérer. C’est également l’organisation par cycle des écoles qui déborde depuis cette année au collège. On y multiplie d’ailleurs les activités d’enseignement conjointes « Elémentaire/Collège » sous forme de « Rallyes » agrémentés de réunions, de concertations, d’ateliers et de plénières communes...

C’est donc bien de la déréglementation des systèmes d’enseignement et de leur privatisation rampante dont il est question au travers de cette contre-réforme. L’objectif que poursuit ce gouvernement socialiste tient, on l’aura compris, moins à la recherche de l’épanouissement de l’enfant qu’à la casse du statut des travailleurs du secteur.

La mobilisation sur le terrain

Peu de temps après la rentrée de septembre, la mesure réussissait le tour de force de fédérer contre elle et dans une opportune convergence : des parents trompés sur la marchandise mais fermement opposés à toute récupération politicienne(7), des territoriaux mis devant le fait accompli, des enseignants excédés d’un énième changement de cap imposé sans concertation et des vacataires déboussolés et démissionnaires à tour de rôle. Un plaisir à ne pas bouder quand on sait le flop que fit à la même période la non-mobilisation sur les retraites.

Depuis, plusieurs communes ont préféré arrêter l’expérience en cours de route essentiellement sous la pression de parents mobilisés. Ailleurs, ils ont contesté le gouvernement sur son propre terrain, celui de la représentativité. Des questionnaires élaborés et distribués par les parents auprès des familles ont fait mentir les chiffres avancés par le ministère pour imposer sa loi. Dans les établissements où les familles se sont largement exprimées, les résultats du dépouillement révélaient jusqu’à plus de 70% d’insatisfaction et une large majorité réclamait l’abrogation ou la modification du décret.

Le 13 novembre, la journée de boycott national organisée une fois encore à l’initiative des parents fut un réel succès. Dans de nombreux endroits où le boycott s’appliqua, les enseignants firent cours devant des classes pratiquement vides.

Pour gagner : dépasser la seule défense des intérêts corporatistes

Chez les enseignants, naturellement, les choses n’avancent pas au même train. Les syndicats majoritaires du premier degré soutiennent le gouvernement au pouvoir et participent au suivi de la réforme dans les instances paritaires. C’est à Paris, pour le moment, que la mobilisation est la plus forte. Là où, essentiellement, la base du SNUIPP, contre les positions de sa direction multiplie des journées de grève très suivies. Depuis l’automne, cette politique a coûté au SNUIPP le départ de plus de mille adhérents, ce qui, convenons-en, est un signe plutôt encourageant...

Partout ailleurs, les journées de grèves du 14 novembre et du 5 décembre 2013 ont connu un relatif succès si l’on tient compte du fait que 80% des écoles n’appliquent pas encore la réforme.

C’est donc, espérons-le, à la rentrée prochaine que le véritable rapport de force s’engagera. Cela dépendra essentiellement de l’attitude qu’adopteront les enseignants vis à vis des appareils syndicaux qui prétendent les représenter. Il est devenu crucial de gagner quelque chose après des années de reculs, il l’est tout autant d’y parvenir en s’affirmant collectivement, a contrario de la résistance souvent individuelle, isolée, parfois quasi-clandestine menée par certains enseignants sous les années Sarkozy.

Enfin et parce qu’il n’est jamais trop tard pour commencer à bien faire, le moment est peut-être venu pour les enseignants de dépasser la seule défense du statut et d’un service public mythifié. Comment ne pas comprendre qu’il devient dérisoire d’affronter la logique marchande qui est à l’œuvre en se dissimulant derrière une fonction symbolique totalement dévaluée, ce que l’Etat, lui, a compris depuis longtemps...

Dans les écoles, les enseignants travaillent désormais en lien avec de multiples catégories de travailleurs sans statut, précarisés et sans cesse plus nombreux. L’arrivée dans les établissements des vacataires de la réforme Peillon en est la dernière illustration. C’est désormais en direction de ces travailleurs que les rares enseignants sur une position de classe, syndiqués ou non, doivent se tourner afin de déjouer les tentatives de division que les municipalités de gauche s’emploient à encourager depuis septembre. La suite reste à écrire...

Un travailleur de la reproduction sociale.
Boulogne-sur-mer, le 16/12/13.

(1) A propos de l’enquête PISA, lire : « Pisa, un fétiche utile à quoi ?, in :« http://www.questionsdeclasses.org/?...

(2) Lire, de Claire Leconte (qui pour sa part est favorable à la réforme) : Argumentaire démontrant l’absurdité du décret publié dans le cadre de la loi pour la refondation de l’école. http://www.claireleconte.com/pages/...

(3) Sur le rapport qu’entretient le « Capital » au « Temps », lire ou relire avec profit le classique de E.D. Thompson, intitulé : « Temps, discipline du travail et capitalisme industriel ». Extrait : « De l’organisation du travail à la planification des loisirs, de l’exploitation de l’espace à la conception du quotidien, ce sont toutes les structures de la société capitaliste moderne qui naissent des rouages du temps mesuré. »

(4) L’un d’entre eux témoigne : « les TAP c’est la pire organisation jamais vue ; du délire et maintenant je paie pour faire ça 3h/semaine alors que l’on m’avait juré que le RSA ne serait pas touché. Là j’ai eu 100 euros et on m’en retire 180... »

(5) http://www.sudeducation.org/Rythmes...

(6) « Gérer les enseignants autrement ». Rapport de la cour des comptes en date du 22 mai 2013.

(7) Les tentatives de récupération de la contestation par la droite ont toutes avorté pour le moment. De son côté, la FCPE appuie la réforme, mais semble bien isolée, et certaines sections locales se sont démarquées de la direction en rejoignant la contestation

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