Courant Alternatif 241, juin 2014
jeudi 26 juin 2014, par
Le 17 mai, nous étions un millier à protester contre l’ordre politico-policier de Valls...
Petit retour en arrière
On se rappelle comment, le 22 février, ce qui fut certainement la plus grosse manifestation contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, en réunissant de 40 000 à 50 000 personnes à Nantes, a permis, grâce à la colère et la détermination des manifestants et manifestantes, que le préfet renonce à investir la ZAD quelques semaines plus tard (1) (voir CA nos 239 et 240). L’idée que ce pourrait être là le prélude à une plus grande victoire, l’abandon ou le report pur et simple du projet, commence à germer dans toutes les têtes.
Pourtant, cette colère et cette détermination qui s’expriment depuis longtemps, dans la rue comme sur la ZAD, n’étaient pas du goût de tout le monde : le 22 février, nous étions à quelques encablures des élections municipales, et il était de toute première importance pour les candidats de gauche « anti-aéroport » et écologistes de condamner aussitôt après à qui mieux mieux les « fauteurs de troubles » qui, à leurs yeux, ressemblaient plus à des « anarcho-autonomes » qu’à des policiers !
Evidemment, le processus répressif ne pouvait dès lors que se poursuivre en toute tranquillité : les fautifs desdits « troubles » avaient été désignés, on pouvait les juger, les emprisonner, les rechercher… D’autant plus facilement que la solidarité n’était toujours pas de mise pour ces institutionnels dans cette période électorale prolongée, avec maintenant les européennes en ligne de mire, ce qui a offert au pouvoir de sérieuses garanties pour œuvrer en toute quiétude contre les trublions. Après la violence policière et les yeux crevés du 22 février, dès le second tour des municipales passé, ce furent rafles et arrestations, procès et condamnations – dont celle d’Enguerrand à un an de prison.
En toute tranquillité ? Pas tout à fait ! Passé le choc subi par l’assaut conjoint des policiers et des juges, les condamnations des politicards aux dents longues – EELV notamment –, le mouvement a su redresser la tête : décision fut prise d’appeler à une manifestation antirépression à Nantes pour le 17 mai.
Les tentatives d’isolement se poursuivent
Ce pari n’était bien sûr pas sans risques, étant donné que les manifestations antirépression font rarement le plein, surtout dans un climat politico-policier décidé à faire taire la colère et à isoler la détermination. L’incroyable déchaînement des tirs tendus du 22 février n’avait cependant pas laissé de traces que dans les yeux de quelques camarades, mais aussi dans l’esprit de toutes celles et tous ceux qui ont ainsi compris que ce que Valls entérine s’appelle bel et bien un Etat policier, qui finira par tirer sur tout ce qui bouge. L’indignation a monté d’un cran. Le comité de soutien à Enguerrand, le comité nantais et les comités antirep se sont attelés à préparer la manifestation en recherchant, bien évidemment, le soutien de toutes les forces qui se prononcent contre la construction de l’aéroport, et en particulier l’Acipa et la Coordination anti-aéroport. Un soutien recherché logiquement, puisqu’il allait dans le sens politique de ce qui a toujours été dit, et répété encore une fois avec force dans un communiqué de presse au soir du 22 février, à savoir que toutes les tactiques ont leur place dans le mouvement. Mais entre une déclaration et la réalité, il y a un gouffre.
Quand les membres du comité de soutien à Enguerrand sont allés demander la position de chacun à la Coordination, les clivages se sont affichés clairement.
D’un côté, l’Acipa, EELV et la Confédération paysanne 44, qui ont réitéré leur condamnation des « incidents » du 22 février pour refuser d’appeler à la manifestation antirépression. Rien de bien nouveau en ce qui concerne EELV : ce parti n’a eu de cesse depuis des années de postillonner sur le mouvement d’occupation en appelant à isoler les éléments incontrôlables (voir par exemple dans Presse Océan du 14/09/11 la déclaration de Magnen, vice-président EELV à la région Pays de la Loire, à propos des zadistes : « C’est compliqué... On est démunis, ces ultras sont totalement autonomes, on ne sait pas comment les virer »). Sachant que le président de l’Acipa est maintenant sur la liste EELV aux européennes et que la Confédération paysanne ne vise que son rétablissement à la direction de la Chambre d’agriculture, il va de soi que toutes ces grosses écuries institutionnelles se tiennent par la barbichette pour jouer une partition incompatible avec une prise de position claire de soutien aux inculpés et aux victimes de la répression policière (sous-entendu, ils n’ont que ce qu’ils méritent).
De l’autre côté, l’extrême gauche dont le NPA, Breizhistance, et les libertaires dans leur ensemble ont apporté leur soutien à l’initiative programmée le 17 mai. Un soutien pas seulement verbal, mais présent sur le terrain. A noter la réjouissante banderole « De Plogoff au Carnet, nous avons toujours gagné » rappelant que l’ancrage territorial et le sentiment d’appartenance jouent un rôle souvent décisif dans le succès d’un mouvement, et que c’est la mobilisation populaire, bien au-delà voire en dehors des partis, qui en est l’élément déterminant et surtout imprévisible ! Un rappel que, d’ailleurs, les autorités quelles qu’elles soient n’oublient pas lorsqu’il s’agit de manœuvrer en Bretagne.
Tant et si bien que ce défilé joyeux et déterminé d’un millier de manifestants dans les rues de Nantes est loin d’avoir été un échec, et pourrait redonner l’envie de poursuivre la lutte bien au-delà d’un éventuel report ou abandon du projet d’aéroport.
Contre l’aéroport ET SON MONDE…
En effet, il est évident pour une grosse partie des soutiens et des comités anti-aéroport que la lutte se mène contre l’aéroport ET SON MONDE. Mais ces termes sont, à l’inverse, une coquetterie de style qu’il convient d’oublier au plus vite, pour les institutionnels dont nous parlions plus haut (2). Il ne s’agit pour eux que de capitaliser électoralement, et sous forme de places dans les institutions de CE MONDE-LA, une victoire éventuelle contre l’aéroport qu’ils s’auto-attribuent (oubliant au passage l’élément déterminant que furent les diverses actions menées sur et autour de la ZAD).
C’est pourtant par rapport à CE MONDE-LA que les questions se posent :
Si le projet est mis de côté, que deviendront les terres ? Seront-elles transformées en un terrain de jeux écolo pour touristes bobos ? Récupérées par des gros et moyens paysans qui oublieront leur engagement « de jeunesse » ? Ou bien au contraire seront-elles exploitées collectivement par de petits paysans, néos ou non, en constituant des tentatives de rapports plus ou moins nouveaux ?
Quelles infrastructures seront mises en place autour de la ZAD (barreau routier) dans un avenir pas si lointain, qui permettraient de faire rebondir le projet ? Comment la métropolisation régionale dans laquelle l’aéroport figurait comme axe essentiel sera-t-elle poursuivie ? Et que pouvons-nous faire pour la contrarier ? Sachant que, même si le projet est « gelé », rien n’empêchera le pouvoir de récupérer les terres par la force pour empêcher tout abcès de fixation qui resterait un exemple menaçant de faire tache d’huile…
Bref, ces questions et bien d’autres ne manqueront pas de se poser même si le projet de NDDL est repoussé ou abandonné. Nous ne laisserons pas les petits marquis récupérateurs se dorer tranquillement la pilule dans les ors du pouvoir grâce à nos luttes.
Des perspectives
Les 5 et 6 juillet se tiendra le rassemblement estival organisé par l’ensemble de la Coordination anti-aéroport. Le programme n’est pas encore fixé définitivement, mais il est urgent de se poser la question du sens et de la teneur politiques qui s’y manifesteront. Sera-ce un enterrement déguisé, basé sur les perspectives d’abandon du projet, avec bien entendu des « La lutte continue » et « Restons vigilants » ? Ou bien s’en dégagera-t-il des perspectives pour que la lutte s’élargisse dans le sens d’une critique en actes de « CE monde » – avec, par exemple, une détermination accrue pour s’engager dans un renouveau de l’opposition à l’enfouissement des déchets nucléaires, comme à Bure ?
L’an dernier, lors du rassemblement estival sur Notre-Dame-des-Landes, un village anticapitaliste avait été installé par une convergence de circonstance englobant zadistes, libertaires organisés ou non, collectifs locaux et autres. Le succès avait été au rendez vous, avec plusieurs milliers de « visiteurs » et des débats regroupant parfois plus de 300 personnes. A l’heure qu’il est, nous ne sommes pas en mesure de dire avec précision ce qui se fera, mais quoi qu’il en soit nous serons, quant à nous, partie prenante d’une affirmation anticapitaliste au cœur du rassemblement, avec des débats portant sur les questions évoquées plus haut.
OCL-Ouest
(1) Le 22 avril, 500 flics devaient expulser et raser sur la ZAD une ferme réoccupée par des zadistes et des paysans après l’expulsion de ses habitants par les juges. Depuis, le préfet Lavernée a été « promu » à la Cour des comptes, ce qui, après le départ de son chef de cabinet muté à Grenoble, indique une certaine fébrilité du pouvoir sur le choix de ses relais locaux.
(2) Cette remarque concernant la formulation n’est pas un détail, de même que le mot d’ordre de « Sortie IMMÉDIATE du nucléaire » fait toute la différence avec la version du Réseau, défendant une « sortie »… dans un certain temps !