CA 317 février 2022
lundi 7 février 2022, par
Le 21 janvier dernier, quatre militants de l’organisation Stand up for Cameroon sont sortis de la prison de New Bell de Douala. Ils avaient été condamnés un mois auparavant à 16 mois de prison par le tribunal militaire de Douala pour « délit d’insurrection ». Ils avaient également été accusés du « délit de révolution ».
Le 21 janvier dernier, quatre militants de l’organisation Stand up for Cameroon sont sortis de la prison de New Bell de Douala. Ils avaient été condamnés un mois auparavant à 16 mois de prison par le tribunal militaire de Douala pour « délit d’insurrection ». Ils avaient également été accusés du « délit de révolution ».
Les jeunes militants de Stand up for Cameroon avaient été arrêtés à la sortie d’une réunion publique, le 18 septembre 2020. La mobilisation au Cameroun (et au sein de la diaspora) autour de leur libération a permis de mettre en lumière les pratiques profondément autoritaires du pouvoir camerounais contre sa propre population dès qu’elle essaye de relever un minimum la tête.
En effet, leur arrestation survient dans une séquence particulière : la répression postélectorale à l’égard des opposants du MRC (Mouvement pour la renaissance du Cameroun), de l’occupation agitée de l’ambassade du Cameroun à Paris en 2019, et pour finir des « marches du 22 septembre » contre le régime de Paul Biya dans plusieurs villes du Cameroun. Il y a eu à cette occasion des centaines d’arrestations et/ou des interdictions de manifestations. Il en va ainsi au pays de Biya : tout mouvement, aussi minime ou pacifique soit-il, est immédiatement réprimé dans l’œuf. La fabrique de la peur est ainsi distillée au sein de larges franges de la population.
La condamnation des jeunes militants enfermés à la prison de New Bell, à Douala, est le dernier épisode de vagues successives d’une répression qui date de l’élection présidentielle de 2018 qui a vu la réélection de Paul Biya. L’autoritarisme de ce régime puise ses racines dans la construction même de l’État au Cameroun pendant la guerre de libération nationale (1955-1962). Aujourd’hui, cette histoire refait surface à travers plusieurs œuvres (films, documentaires, romans, etc.) au Cameroun, mais aussi au sein de la diaspora (en Europe, en Amérique du Nord). La lutte pour la réunification et l’indépendance du Cameroun est questionnée à l’aune de l’agitation en cours ces dernières années, car celle-ci interroge sur la légitimité d’un régime qui doit sa survie à l’appui et à la clémence de Paris.
Paul Biya fait office de parrain de la Françafrique. En effet, il est au pouvoir depuis 1982 après avoir été Premier ministre en 1975. Il est le successeur du premier Président, Amadou Ahidjo, qui régna pendant vingt-deux ans (1960-1982). Cela dit, il a échappé de peu deux ans plus tard à une « révolution de palais » menée par des militaires ; il a été sauvé par des loyalistes, et surtout par l’ancienne puissance coloniale.
Cet ancien sorbonnard a un parcours typique d’homme du sérail néocolonial. A Paris, il est surtout apprécié pour sa discrétion, a contrario d’autres potentats qui, eux aussi, doivent leur longévité en partie à l’appui diplomatique et économique de la France (Bongo, Sassou Ngesso, Gnassingbé ou Obiang). Il crèche souvent à Genève, à l’hôtel Intercontinental, plusieurs mois dans l’année, louant un étage entier. En 2008, il modifie la Constitution afin de se maintenir au pouvoir en vue de la présidentielle de 2011. Cette décision autocratique est ce qui va catalyser les émeutes contre la vie chère de 2008. Âgé de 88 ans, il se présente encore comme le seul rempart au chaos qui viendrait après son règne. Dans tous les cas, Biya pense maintenant à sa succession, des bruits de couloir évoquent son fils bien que les cadors de son parti se fassent la guerre en coulisse.
Le Cameroun a une économie diversifiée, avec pour pilier le secteur agricole, comme de nombreux pays africains. La Chine devient de plus en plus un partenaire important pour le pays, mais le partenaire privilégiée reste malgré tout la France, avec ses différentes organisations politiques, culturelles et de nombreuses entreprises présentes. Il y a plus de 200 enseignes et autres entreprises françaises installées au Cameroun, et pas des moindres (Total, Perenco, Bolloré, Compagnie Fruitière, Orange, Vilgrain, Castel, Société Générale, Axa, Lafarge, Bouygues, Vinci, Hachette, etc.). Dans les secteurs clés de l’économie camerounaise, les entreprises françaises ont des situations de quasi-monopole. Ainsi, parler de déclin de la France au Cameroun est quelque peu une fumisterie – cela sert surtout à justifier une présence qui, certes, est de plus en plus partagée avec les investisseurs chinois, mais qui n’en reste pas moins importante et essentielle quant au maintien du régime en place.
Le Cameroun est une très belle carte postale, on l’appelle « l’Afrique en miniature » du fait de sa diversité ethnique, linguistique, culturelle, géographique. On en entend parler dans la gazette sportive (actuellement se joue la Coupe d’Afrique des nations, dont le Cameroun est organisateur) et pour ses quelques renommées musicales.
Il est vu comme un pays de stabilité économique : son régime a maté (grâce à l’appui militaire de la France, avec les méthodes de la contre-insurrection), dans les années 50-70, le mouvement de libération nationale porté par l’UPC (Union des populations du Cameroun). Ce régime a su s’adapter à la transition démocratique et au multipartisme (voir les opérations « villes mortes » de 1991 dénonçant entre autres la mascarade électorale). Il a aussi maté dans le sang les émeutes de février 2008 contre la vie chère (une centaine de morts et des milliers d’arrestations). Son opposition a été divisée et muselée comme jamais, ou alors achetée à vil prix. Les opposants d’hier sont intégrés au régime aujourd’hui ; les populations sont réduites au silence – le football, le makossa (musique populaire camerounaise), la sorcellerie et les religions évangélistes font le reste.
Or, depuis quelques années, cette stabilité s’estompe peu à peu. En effet, le Cameroun partage une frontière avec le Nigeria. Ce géant voisin, première puissance économique du continent, a maille à partir avec le groupe islamiste Boko Haram. Ce dernier (ou ses ramifications) s’est retranché de l’autre côté de la frontière camerounaise, et a commis des incursions et des attaques dans le nord et l’extrême nord du pays en 2014-2015. Une coopération militaire a été établie avec la France qui, dans la même période, a subi des attaques terroristes sur son territoire. Or, il a été constaté que de nombreuses personnes croupissent depuis en prison sans preuves et se font également torturer dans des cellules de prison secrètes.
La deuxième inquiétude du pouvoir camerounais, et non des moindres, a été le mouvement insurrectionnel déclenché par des militants séparatistes anglophones. Nous n’allons pas nous pencher ici sur le mouvement en lui-même, qui a été porté d’abord par des avocats et des enseignants avant d’être suivi par d’autres catégories de la population. Mais il est clair qu’il s’est radicalisé sous la force de la répression exercée par le gouvernement camerounais.
En 2016, un mouvement social d’ampleur inédite secoue les régions habitées par les anglophones. Ces derniers rappellent les discriminations qu’ils subissent, depuis la réunification du Cameroun, en matière d’accès à certains droits. Une guerre civile larvée existe depuis 2017, mais, malgré tous les moyens mis en place pour mettre fin à ce mouvement (coupure d’internet de 93 jours ; arrestation, mise en détention et condamnation à perpétuité des chefs séparatistes par un tribunal militaire), le conflit est toujours en cours, avec des escarmouches et près de 30 000 réfugiés au Nigeria.
Ce conflit n’est pas sans rappeler la guerre d’indépendance du Cameroun menée par l’UPC. Pas tant par ses objectifs politiques que par la façon dont le pouvoir néocolonial camerounais gère cette situation : la répression tous azimuts. Mais ce conflit a réveillé l’esprit d’unité nationale dans la population. En effet, le sentiment d’appartenance à la nation camerounaise est très fort, au regard de l’histoire de la lutte de libération : malgré la diversité des ethnies qui composent le pays, il y a ce sentiment d’appartenir à une nation. C’est pourquoi, si la répression brutale du pouvoir à l’égard des militants anglophones n’est absolument pas soutenue par la population au Cameroun, le séparatisme porté par ces militants ne l’est pas non plus.
Ainsi, certaines forces politiques et progressistes vont tenter de mettre en lumière l’incurie du pouvoir dans ce conflit en démontrant que la question soulevée par les anglophones ne concerne pas qu’eux : elle est liée à la situation globale, et déplorable, de larges franges de la population camerounaise.
C’est dans ce contexte qu’est né le mouvement Stand up for Cameroon, une coalition des partis d’opposition au régime de Biya. Il y a là, entre autres, le CCP (Cameroon People’s Party) et l’UPC-Manidem (Manifeste national pour l’instauration de la démocratie), le parti Univers, ou encore le MRC – dont le candidat, l’avocat Maurice Kamto (proche du garde des sceaux Dupont-Moretti), a fini au second tour de l’élection présidentielle face à Biya. Tous ces partis ou mouvements d’opposition sont idéologiquement différents. Certains se déclarent souverainistes, progressistes, sociaux-démocrates, et d’autres panafricains, anti-impérialistes, anticapitalistes et révolutionnaires. Ils souhaitent une meilleure gouvernance du pays, en ne critiquant pas l’État en tant que tel mais sa gestion (corruption généralisée, gabegie administrative, etc.) par le régime de Biya, qui ne garantit pas les droits fondamentaux, ainsi que des infrastructures et des services publics de qualité pour l’ensemble des Camerounais, d’autant plus que la pandémie du Covid-19 a dégradé la situation.
Cette coalition dépasse donc les clivages entre anglophones et francophones. Elle se veut un refus de la dislocation du Cameroun, mais surtout une alternative au gouvernement en place et un espace de formation politique pour les jeunes Camerounais souhaitant s’engager. Elle a en premier lieu été, à partir de 2016, une initiative portée par des militants politiques, mais surtout par des personnes excédées par les privations matérielles chroniques (coupures d’eau, d’électricité, etc.) : les « vendredis noirs » étaient des marches pacifiques, organisées à travers les quartiers et autres bidonvilles des grandes villes du pays, où les participants étaient tout de noir vêtus afin de dénoncer le dénuement des prolétaires camerounais. Ces marches ont permis de donner de la force pour vaincre la peur de manifester au Cameroun, face à la férocité du régime, et d’entrevoir d’autres voies possibles pour la révolution sociale.
Alfano