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CA 319 avril 2022

Ukraine entre Génocide et Nazification

mardi 5 avril 2022, par Courant Alternatif


Annonçant l’intervention armée de la Russie contre l’Ukraine, le président russe disait vouloir défendre les populations russophones du Donbass menacées de "génocide" et vouloir libérer les ukrainiens d’une "nazification" de la part du régime de Kiev.

Génocide..

Poutine en ex KGB, n’ignore pas le sens des mots ni leur profondeur. En employant ces mots, le président a voulu flatter l’antifascisme russe, le revigorer pour entraîner l’adhésion d’une opinion russe, "muselée", dans sa guerre. Il sait que le souvenir des 20 millions de morts est encore présent, ainsi que les horreurs de la guerre hitlérienne en Europe de l’Est, où les massacres furent nombreux. Quand pour justifier son intervention guerrière contre l’Ukraine, il évoque le "génocide", il utilise la rhétorique du révisionnisme. Il sait que parler de génocide surtout dans cette région, c’est raviver le traumatisme du massacre de milliers de polonais, le gazage de millions de juifs, les images des camps de la morts et. Des souvenirs présents tant en Ukraine qu’en Russie. L’ex ancien colonel du KGB qu’il est, connaît les codes et l’art de la désinformation, de la manipulation. Certes en 8 ans d’une guerre qui n’a pas dit son nom, 14 000 personnes sont mortes dans la région du Donbass à la frontière Russo-Ukrainienne. Une guerre de sécession entre souverainistes et séparatistes ukrainiens tous russophones. Une guerre instrumentalisée tant par des cliques au pouvoir à Kiev que par Moscou. Une guerre où les milices d’extrême droite de part et d’autre allaient trouver une légitimité. Pour autant, il ne s’agit pas de génocide, il ne semble pas qu’il y ait eu une planification orchestrée depuis Kiev, un projet étatique d’extermination des populations séparatistes du Donbass, à l’instar des nazis contre les juifs, des ottomans contre les arméniens ou avec la bienveillance de la France, des Tutsis au Rwanda. Dans cette ambiance de guerre sans nom, nationalisme exacerbé des souverainistes ukrainiens ultra nationalistes ou milices séparatistes appuyées par les forces de Moscou, se soucient peu du sort des populations locales sous leur feu et otages de leurs exactions. Cette réalité ne pouvait convenir au maître du Kremlin pour manipuler son opinion publique. L’auréoler dans un "génocide" qui menaçait les Ukrainiens russophones donnait de la grandeur à sa geste guerrière d’envahir l’Ukraine.
Si lors de l’accaparement de la Crimée en 2014, Poutine avait trouvé un soutien favorable dans la population, il est moins sûr que ses opinions aient cette fois les mêmes indulgences et compréhensions.

Une Ukraine nazie

Peut on considérer l’Ukraine comme un pays de néo nazis dirigé par un gouvernement de nazis ?
On ne peut taxer le gouvernement de Kiev de "nazi" comme le présente Moscou. Avec un président "juif", de centre droit, il peut être libéral, ultralibéral, réactionnaire, corrompu jusqu’à la moelle etc..., on peut accuser certains membres du gouvernement d’être ou de fricoter ouvertement avec les ultra nationalistes, pour certains des néo nazis, pour servir leurs intérêts propres, mais rien n’atteste que les "nazis" soient au pouvoir à Kiev. Une rhétorique manipulatoire dont l’ex colonel du KGB et président de Russie est friand. Elle sert à forger un renouveau de sacrifice national en souvenir de l’armée rouge qui a combattu les forces hitléro-fascistes.

L’insécurité crée par l’état de guerre larvée à l’Est de l’Ukraine depuis 2014, et les agissements de Moscou, ont favorisé jusqu’au sommet de l’état ukrainien l’exacerbation du patriotisme et l’union nationale. Rappelons qu’une des mesure du gouvernement ukrainien fut l’interdiction de parler le russe [1]. Ce qui était le fait de plus de 70% d’une population bilingue et russophone.

Avec sa rhétorique toute aussi nationaliste, V. Poutine à revigoré ces forces para militaires ukrainiennes. Si il pouvait exister un danger, exagéré par le maître du Kremlin, c’est le maillage social que ces milices ont su tisser dans des franges de la population, avec des bienveillances au sein de l’État : Intégration de milices au coté des forces armées légales, acceptation de camps de jeunesse ouverts à la population, acceptation des réseaux de lieux culturels etc.
De plus, les vociférations de patriotisme chères aux bourgeoisies permettaient des deux côtés de la frontière d’étouffer les voix des travailleurs, les voix de l’internationalisme entre peuple russe et ukrainien.

Une icône commune

Ce contexte offre à ces forces para militaires, un terreau de recrutement favorable. Il en est ainsi du mouvement d’ultra droite "Azov" estimé à 5 000 membres déclarés. Formé en bataillon dans le chaos de la guerre du Donbass où il s’est impliqué en tant que force militaire puis est devenu ensuite une unité officielle de la garde républicaine ukrainienne.

Il en est de même avec l’autre force présente le "Pravi Sektor". Ce mouvement ultra nationaliste se militarise rapidement après 2013. Cette force para militaire autonome, s’engage aussitôt contre les séparatistes soutenus par le Kremlin. "Nous faisons partie intégrante de la défense de notre pays et nous nous coordonnons au plus haut niveau avec l’armée ukrainienne" déclare le capitaine D. Kotsyubalo décoré comme "héros" national par l’actuel président ukrainien. Ce mouvement a su, comme "Azov", agréger nombre de groupuscules d’extrême droite ou néo-nazis d’Ukraine mais aussi attirer dans ses sphères ceux venus d’Europe de l’Ouest. Il est à noter que de l’autre côté de la frontière, les bataillons russes "infiltrés" dans le Donbass, avaient eux aussi dans leurs rangs des mercenaires d’extrême droite nationaliste ou néo nazi venus d’Europe pour combattre aux côtés des séparatistes. Ce qui n’a guère embarrassé le maître du Kremlin. Il est évident que ces ultra nationalistes, néo nazis ou pas, ont des accointances avec des membres au pouvoir ou ayant été au pouvoir. Ainsi le ministre de l’intérieur qui a démissionné et soupçonné d’être le chef du mouvement Azov. A. Biletsky des "patriotes d’Ukraine", commandant du bataillon Azov a été nommé lieutenant colonel dans la police. Un autre membre de ce bataillon sera mis à la tête de la police de Kiev etc. Il peut en être de même avec M. Marchenko Officier tankiste passé du bataillon "Aïdar" autre milice nationaliste intégrée aux aux forces régulières qui aujourd’hui est gouverneur militaire de la défense d’Odessa. Dans ces circonstances, ces forces para militaires bien équipées et armées peuvent trouver une légitimité, une utilité au service de l’Ukraine et du pouvoir et, une certaine sympathie due à leurs faits d’armes contre les russes depuis 2014, auprès de la population. Pourtant, ces forces restent encore peu attractives. Elles ne représentent pas le danger fasciste instrumentalisé par V Poutine ou médiatisées hier par les média français dès lors qu’il fallait diaboliser le Rassemblement National. Mais elles n’en restent pas moins inquiétantes selon l’usage qu’en font, ou en feront, les cliques bourgeoises qui gravitent autour du pouvoir à Kiev, ou leur "parrain"... du pentagone.

Pourtant, malgré leur différences, divergences..., tous s’inspirent du mouvement national ukrainien des années 20 où l’Ukraine était divisée entre Pologne et l’URSS. Ils ont une icône commune, le leader S. Bandéra -1909 1959-. Une figure du nationalisme ukrainien, mort assassiné par le KGB en 1959. Il est considéré comme martyre pour certains ukrainiens de l’Ouest notamment et comme traître par ceux de l’Est. Membre de l’UPA (armée de libération de l’Ukraine) puis de l’OUN-B, nationaliste convaincu, il s’est allié avec les forces nazies pour l’indépendance de l’Ukraine. A leur coté, il a participé avec ses partisans, aux massacres de milliers de juifs et de Polonais. Toujours à leur côté, il a combattu contre "l’invasion" de l’armée soviétique, l’armée rouge, que nombre d’ukrainiens avaient rejoint. Il est en réhabilitation comme héros national. En janvier 2015, l’ensemble de la galaxie nationaliste et néo nazie a commémoré sa naissance par une marche aux flambeaux. L’ensemble de l’Ukraine se cherche dans un tourbillon "identitaire" pour une identité commune écartelée entre Occident et Russie.
L’invasion de V Poutine, a ravivé les braises. Dans ce chaos, ces forces pourront-elles s’affirmer comme incontournables, comme indispensables ? Rien n’est moins sûr.

Au service de qui

Non seulement ces mouvements ont des entrées dans les couloirs gouvernementaux mais des accointances avec les oligarques ukrainiens qui n’ont pas hésité à les financer. Le président Zelenski dans son rôle de chef de guerre saluant "notre grande guerre patriotique " et glorifiant l’Ukraine a certes été élu avec 73% des voix. Mais son ascension au pouvoir est due à l’oligarque le plus riche du pays I. Kolomosïsky, propriétaire de la chaîne de télé qui produisait la série "Serviteur du peuple" [2] où le président n’était encore qu’acteur. C’est avec ce monde politicien, militaire, judiciaire, ce monde bourgeois et affairiste, de l’entre soi et de la corruption que sont liée ces forces para militaires.

Les uns et les autres pensent tirer les ficelles à leur profit pour défendre leurs intérêts propres. C’est dans ce sens que certaines forces nationalistes ont remisé de côté les représentations nazies et tentent une façade plus respectable se dé-diabolisant à l’exemple du Rassemblement National en France. Mais au delà du cadre ukrainien ce sont les impérialistes qui parfois s’en servent en forces supplétives contre les russes. Il est évident que dans le tourbillon de leur histoire, depuis la chute du mur de Berlin et l’effacement des anciennes républiques soviétiques, les ukrainiens se cherchent une indépendance nationale qui irrite leur voisin ou plutôt le président russe. Il est évident que ces forces para militaires, ces groupuscules nationalistes antisémites, néonazis, prônent la suprématie blanche, sont contre l’avortement, attaquent les "LGBT ", les migrants...etc. défendent l’état, et servent les intérêts de la bourgeoisie ou des opportunistes qui les subventionnent. Mis à part leur patriotisme, leur ultra nationalisme, ils n’ont rien a proposer comme émancipation à la population, aux travailleurs dans la misère et obligés de s’exiler pour trouver du travail pour un salaire. Leurs préoccupations envers les travailleurs ne figurent pas dans leurs agendas. Sans doute la raison de leurs insuccès électoraux dont les scores étaient de 1,5% à 5% lors de différentes élections.

Certes Poutine a raison de dénoncer cette frange "vert de gris" aux relents nauséabonds mais, son instrumentalisation d’une "dénazification" pour protéger les ukrainiens servait de décorum. Elle n’impliquait pas une guerre et le massacre des populations. Le peuple, les travailleurs conscients du danger auraient trouvé leur solution. Mais il est vrai que le président russe n’a que faire ni des travailleurs, ni des peuples : ukrainien, russe, Kazakh ou tchétchène, qu’il embastille ou bombarde.

MZ 10 02 2022

"Le sauveur du peuple".

Avant de devenir président Volodymyr Zelensky incarnait le rôle principal dans une série :"le sauveur du peuple". Le Héros, un petit professeur, un anonyme qui dénonce la corruption, et la politique des élites ukrainiennes et qui malgré lui allait devenir "Président". Une satire politique qui fut diffusée de 2015 à 2019. La série rencontre un très grand succès avec de plus de 50% d’ukrainiens qui l’ont visionné.
La chaîne qui a diffusé la série appartient au plus riche oligarque d’Ukraine celui-là même qui soutiendra le candidat V. Zelensky à la présidentielle de 2019 et deviendra président avec plus de 73% des voix au second tour.

Notes

[1l’ukrainien en langue maternelle 67% de la population. Le russe 30% sur l’ensemble de la population mais variable selon l’Est ou l’Ouest de l’Ukraine. Sinon très infime : le biélorusse, le moldave ou le tatar

[2voir l’encadré

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