CA 321 juin 2022
jeudi 16 juin 2022, par
Deliveroo France a été condamné pour détournement planifié et généralisé du statut d’indépendant par le tribunal correctionnel de Paris, pour des pratiques qui couvrent la période 2015-2017. L’entreprise a été condamnée à l’amende maximale de 375000 euros, et ses deux anciens dirigeants Adrien Falcon et Hugues Decosse à un an de prison avec sursis, 30000 euros d’amende et cinq ans avec sursis d’interdiction de diriger une entreprise. Élie de Moustier, ancien directeur des opérations, et à ce titre supérieur hiérarchique des livreurs, a été condamné pour « complicité » à 10000 euros d’amende et à quatre mois de prison avec sursis. Les prévenus devront aussi verser 50000 euros de dommages et intérêts à chacun des syndicats s’étant porté partie civile : la CGT, l’union syndicale Solidaires et Sud Commerce, la CNT-SO et le Syndicat national des transports légers. Les 116 livreurs parties civiles se voient pour leur part accorder, en fonction de leur durée de travail pour la plateforme, entre 500 et 4000 euros de provision sur les dommages et intérêts qui leur seront octroyés lors d’une prochaine audience. Cette décision est importante, car elle est la première à juger globalement, au pénal, le système de fonctionnement d’une plateforme. Jusqu’à présent, les autres procédures étaient au civil, et jugeaient donc des situations particulières d’un chauffeur ou d’un livreur. Une prochaine audience, civile, se tiendra le 16 juin pour déterminer si Deliveroo devra ou non payer les 9,7 millions d’euros que lui réclame l’Urssaf. Deliveroo ne compte pas changer ses pratiques, l’entreprise prétend avoir évolué depuis 2017.
Mais attention, si c’est déjà quelque chose d’obtenir le statut de salarié et un CDI, ce n’est pas forcément suffisant. Tous les prolétaires vous le diront. Depuis mars 2021, Just Eat embauche ses livreurs en CDI. Mais les conditions de travail restent très mauvaises : pas de locaux pour se reposer entre deux courses, les frais de téléphone portable et de maintenance des vélos ne sont pas pris en charge, le salaire c’est le SMIC plus 15 centimes par kilomètre parcouru. Just Eat a ensuite, le 12 avril, annoncé se séparer d’un tiers de ses livreurs salariés en France ! En fait, la question est simple : à quel prix peut-on faire rouler des livreurs avec des contrats de travail en CDI en restant rentable ? Dans de nombreuses villes, Just Eat va revenir à son modèle antérieur en France, lorsque la plateforme s’appelait Allo Resto, en agissant comme un intermédiaire entre les consommateurs et les livreurs payés par les restaurants sauf pour sept villes (qui représentent le plus grand volume de commandes) : Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, Strasbourg, Lille et Roubaix.
Sources :
Dan Israel, Deliveroo condamné pour « le détournement planifié et généralisé » du statut d’indépendant, Mediapart, 20 avril 2022 ;
James Gregoire, Chez Just Eat le CDI n’est pas la panacée, Mediapart, 20 avril 2022.
● Les maladies professionnelles (reconnues) touchent 17 fois plus les ouvrier·e·s que les cadres. Les principales maladies professionnelles reconnues sont les troubles musculosquelettiques (88% de ces maladies) et les affections causées par l’exposition à l’amiante (7%). « Les maladies les plus graves concernent quasi exclusivement les ouvriers, avec respectivement 92% et 95% des affections liées à l’amiante et des surdités reconnues en 2016 », souligne le ministère du Travail. Les ouvrières sont particulièrement touchées par les TMS (troubles musculo-squelettiques) : elles sont concernées par 74 cas de TMS pour dix millions d’heures rémunérées (24 pour leurs homologues masculins), tandis que ce nombre est de 2 chez les femmes de profession intermédiaire et de 5 chez les femmes cadres. Ces données sous-estiment certainement la réalité du nombre de travailleurs·ses souffrant de maladies professionnelles. De nombreux cas ne sont pas déclarés, notamment parce que ces travailleurs·ses craignent de perdre leur emploi ou renoncent à le faire en raison de la difficulté à faire reconnaître ces maladies comme telles. Enfin, on peut être malade de son travail sans rentrer dans la liste des maladies professionnelles officiellement reconnues.
● Les immigré·e·s sont généralement plus pauvres que les natifs et natives du pays (d’origine immigrée ou non). 30,7% d’entre elles et eux vivent en dessous du seuil de pauvreté contre 13,2% pour les non-immigré·e·s. Pour les immigré·e·s originaires d’Afrique, c’est 69,5%. Le niveau de vie mensuel médian est de 1771€. [1] Pour les immigré·e·s, il est de 1358€, pour celles et ceux né·e·s en Afrique, il est de 1199€. Cela s’explique pour beaucoup par leur moindre qualification, leur plus grande précarité, des familles plus nombreuses, mais il y a aussi les discriminations.
Sources : Les maladies professionnelles touchent les moins qualifiés, Observatoire des Inégalités, 12 avril 2022 ; Les immigrés frappés par la pauvreté et les bas revenus, Observatoire des Inégalités, 19 avril 2022.
Pour mesurer les inégalités de revenus globales, on considère la population mondiale comme un seul ensemble. Le statisticien classe tous les habitant·e·s du monde, à la queue leu leu, du (de la) plus pauvre au (à la) plus riche, puis les sépare en trois classes : les 50 % les plus pauvres, les 10 % les plus riches et celles et ceux qui sont situé·e·s entre ces deux catégories. Il s’agit ici des données du World Inequality Database. En 2000, les 10% les plus riches du monde recevaient à eux (elles) seul·e·s une masse dix fois plus grande de revenus que l’ensemble des 50% les plus pauvres. Ce rapport est descendu progressivement jusqu’à 7,7 en 2020. Cette baisse ramène l’inégalité des revenus à son niveau de 1960. Au fil des décennies, la richesse globale a augmenté, si bien que le niveau de vie des plus pauvres s’est élevé aussi. L’extrême pauvreté et la faim dans le monde ont reculé. L’accès à l’école et l’espérance de vie ont progressé, ainsi que les conditions de vie en général. Pour autant, la part de la moitié la plus pauvre de l’humanité dans les revenus globaux a peu évolué. Ces données montrent un rapprochement progressif entre les revenus des habitants des pays les plus riches et ceux des pays émergents, tout particulièrement les plus peuplés, la Chine et l’Inde. Mais en même temps, cette tendance n’empêche pas qu’au sein de nombreux pays, les inégalités de revenus continuent de progresser : les écarts s’agrandissent entre les riches et les pauvres à l’intérieur de la population chinoise et à l’intérieur des États-Unis, par exemple. Mais ils se réduisent entre une moitié pauvre de l’humanité prise dans son ensemble et une classe riche de plus en plus internationale. Cette dernière comprend désormais les plus riches Chinois, aux côtés des habitant·e·s aisé·e·s d’Amérique du Nord et d’Europe. En 1960, les 50% les plus pauvres comprenaient une grande majorité d’Asiatiques. Aujourd’hui, la moitié la plus pauvre vit principalement en Asie du Sud et en Afrique subsaharienne, tandis que la population chinoise aisée est devenue majoritaire au sein des 50% les plus riches du monde. Attention, il ne faut pas oublier que les données statistiques sont très approximatives dans les pays les plus pauvres, et qu’elles peinent à mesurer la réalité de la vie quotidienne des populations. 50% de la population mondiale, c’est moins de 4 milliards d’individus, qu’il est un peu grossier de caser dans le même panier. De même, la tranche des 10% d’en haut est vaste. Elle comprend près de 800 millions d’habitants, plus de 12 fois la population française ! La diminution de sa part dans l’ensemble des revenus ne nous dit rien de l’évolution du sommet de l’échelle des revenus. La part perçue par le 1% le plus riche du monde a connu une envolée, de 17% de l’ensemble des revenus en 1983 à 21% en 2000. Cette part a reculé après 2008, mais s’est maintenue à un niveau élevé (19% en 2020, selon les données du WID). 800 millions de personnes souffrent encore de la faim dans le monde. Près de 850 millions n’ont pas accès à l’eau potable. 150 millions d’enfants travaillent.
Sources : Les inégalités mondiales de revenus diminuent, Observatoire des Inégalités, 26 avril 2022.
[1] Le niveau de vie est le revenu corrigé de la taille de la famille. Le niveau de vie médian partage la population en deux : 50% gagnent plus, 50% gagnent moins