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CA 322, été 2022

Témoignage sur l’accueil d’un enfant ukrainien dans un collège français

Bienvenue en France !

mardi 26 juillet 2022, par Courant Alternatif


Jeudi 16 juin, 10h. Sur la messagerie du collège, je reçois un mail adressé à l’équipe enseignante d’une classe de 6ème, nous informant qu’un élève ukrainien est accueilli au collège, et qu’il est pour l’instant pris en charge par l’assistante pédagogique. Nous connaissons son nom, son prénom. Son âge ? Sa situation personnelle (histoire de ne pas faire de boulette en lui causant) ? Depuis combien de temps est-il en France ? Son niveau de français ? Son niveau d’anglais ? Comment l’accueillir dans une classe de 28 gamins un jour de canicule à deux semaines de la fin des cours ? N’en demandons pas trop.

Vendredi 17 juin, 12h. Pause déjeuner avec quelques collègues. L’assistante pédagogique (AP, statut contractuel de pionne) entre dans la salle, l’air un peu emmerdée. Elle a récupéré le gamin toute la journée hier. Elle n’a reçu aucune information (ni aucune formation, ça va de soi) avant qu’on lui présente le gosse, pas même le mail adressé aux profs. Pendant les deux premières heures de la matinée, bataille avec les gestes et avec les outils numériques pour réussir à échanger le minimum vital avec le gamin : passer un clavier en ukrainien par exemple… Le gamin est visiblement pas rassuré d’être balancé dans l’univers très protocolaire d’un collège français, au milieu de 600 gamins et 60 adultes qui parlent une langue inconnue par plus de 30 degrés. L’AP nous raconte qu’il s’est fait la malle plusieurs fois, et qu’elle a dû jouer à cache-cache dans le CDI pour essayer de le récupérer. Dans la discussion, on apprend qu’il est orphelin, et qu’il serait (peut-être) accueilli par une famille ukrainienne dans la commune du collège. Face à l’absence d’informations, c’est la rumeur qui risque de l’emporter. La semaine prochaine, dans les « trous » d’emploi du temps d’une collègue en formation Français Langue de Scolarisation (qui permet d’enseigner dans les unités d’inclusion pour élèves allophones : UPE2A), le gamin sera pris en charge par une personne qui a donc des rudiments de maîtrise de la situation. Pourquoi le gamin n’a-t-il pas été accueilli en UPE2A donc, tant qu’à faire par quelqu’un de formé et certifié pour ça ? Parce qu’il n’y a pas de place, pardi. On pérore dans les médias en disant qu’on accueille 30 000 ukrainiens, et derrière, démerdez-vous. Le gamin et l’AP ont eu une journée mouvementée hier : dans l’après midi, elle voit l’ouvrier du collège manipuler l’alarme incendie, et elle comprend qu’un exercice est prévu. La suite est très sympathique : l’alarme sonne à fond les ballons, 600 gamins sont escortés dans la cour de récré dans le bordel habituel, et notre petit ukrainien, qui était bien content de ne plus être dans un pays en guerre, se retrouve complètement en panique dans une situation qui doit pas lui évoquer ses meilleurs souvenirs. L’AP se démerde comme elle peut et le récupère dans ses bras en essayant de le rassurer.

Vendredi 17 juin, 16h. J’ai cours avec la classe de 6ème dans laquelle est censé être accueilli notre nouvel élève. Il fait une chaleur à crever dans la salle de classe, qui est exposée au sud pendant une bonne partie de la journée. J’ai prévu une interro avec la classe, et j’ai pas spécialement eu le temps d’anticiper l’arrivée du gamin. En pis aller, j’ai sorti tout ce que j’avais de visuel (plantes, roches, fossiles et clés de détermination) sans trop de texte donc, pour essayer de lui faire comprendre ce qu’on travaille dans la matière et pouvoir peut-être le mettre en confiance. Après avoir accueilli la classe, je demande aux gamins où est notre petit nouveau. Aucune idée, il était là mais il semble avoir disparu. Un élève se propose pour le chercher, mais revient bredouille. Je hèle le principal adjoint qui passe par là, et lui demande. Aucune idée non plus, mais il a l’air embêté. Le gamin a disparu. J’apprendrai plus tard qu’il a fait des crises de panique et de rébellion, qu’il s’est accroché aux grilles, et qu’il a réussi à se faufiler hors du collège. Il n’est pas venu, et ne reviendra pas au collège. Trop dur à gérer.

Bienvenue en France !

Zyg

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