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CA 339 avril 2024

Sénégal :
le pouvoir néocolonial de Macky Sall
est en bout de course
mais la crise politique n’est pas terminée

dimanche 7 avril 2024, par Courant Alternatif

Au Sénégal, le chef de l’Etat, après avoir dû renoncer contraint et forcé à un troisième mandat, a cherché depuis, à jouer les prolongations au pouvoir mais il semble aussi avoir perdu tout crédit auprès des Sénégalais, même au sein de son propre camp qui apparaît divisé et affaibli. Quel que soit l’issue de cette fin de règne, le bilan de Macky Sall sera celui d’une répression inégalée dans l’histoire politique de ce pays tandis que les problèmes de fond qui maintiennent la majorité des Sénégalais dans la pauvreté restent toujours posés, occultés par les péripéties du contentieux électoral.


La stratégie finalement perdante de Macky Sall depuis qu'il a dû renoncer au troisième mandat

Pour faire face à    la contestation de son régime, incarnée notamment par le PASTEF d’Ousmane Sonko, Macky Sall avait le 31 mai, convoqué un « dialogue national » au sujet de la situation politique de crise initiée en 2021 avec des accusations de viol visant le leader de PASTEF. Le but de ce « dialogue »    (qui n’était pas le premier qu’il organisait) était notamment de diviser l’opposition regroupée sous sa bannière de Yonnu Askan Wi. Ce qui fut un objectif en partie atteint avec la participation d’une des figures de cette coalition, Khalifa Sall, l’ancien maire socialiste de Dakar ayant créé son propre parti, et qui, après une condamnation en 2017, avait été emprisonné et empêché d’être candidat lors des dernières présidentielles en 2019. Cependant, à l’issue de ce dialogue au début du mois de juillet,    sous la pression à la fois de la population et de ses mentors au niveau international, Macky Sall avait dû renoncer à briguer un troisième mandat.
Pensant avoir isolé Sonko et ses partisans, le régime s’est alors lancé dans une opération d’élimination de ces derniers : après avoir été retenu illégalement, durant des semaines, dans son propre domicile, sans pouvoir communiquer avec ses avocats, le leader de l’opposition a été ensuite arrêté ainsi que des centaines de ses partisans, notamment des cadres et des élus locaux du parti qui a été lui-même dissous. Au mois de septembre, il avait ensuite désigné son premier ministre Amadou Ba comme étant le candidat à l’élection présidentielle    pour la coalition Benno Bokk Yakaar, dominée par son parti, l’Alliance pour la République mais ce choix avait été vite contesté avec l’émergence de candidatures dissidentes au sein même de l’APR ainsi que des critiques visant Amadou Ba, de la part de personnalités du parti présidentiel .
Un autre événement est venu changer la donne. Alors que le régime pensait en avoir terminé avec Sonko,    d’autres candidatures de l’opposition proches de ce dernier ont été validées par le Conseil constitutionnel le 20 janvier 2024, notamment celle de Bassirou Diomaye Faye, le numéro 2 du PASTEF, lui aussi incarcéré mais pas encore jugé définitivement, ce qui lui a permis d’être déclaré candidat. En revanche, un autre candidat que Macky Sall pensait pouvoir intégrer dans son jeu a été invalidé par le Conseil constitutionnel : Karim Wade, le fils de l’ancien président Abdoulaye Wade. Il n’a pu obtenir son décret de renonciation à la nationalité française que le 16 janvier soit après le dépôt de sa candidature. Il a donc été exclu à ce titre. Le PDS mécontent de cette décision a aussitôt lancé des accusations de corruption à l’encontre de deux des membres du Conseil constitutionnel. D’autres candidats recalés, se déclarant eux même comme étant des « candidats spoliés » ont aussi fait pression pour qu’on réexamine leurs dossiers. Au passage, on peut noter que l’instauration d’un système de « parrainages citoyens », censé limiter le nombre de prétendants au siège présidentiel a abouti à un résultat inverse : 20 candidats ont été retenus, un record inégalé !

Une tentative de coup d'Etat constitutionnel qui ne passe pas...

Alors que quelques jours auparavant, Macky Sall avait reçu et écouté les doléances des « recalés-spoliés » en leur disant que les décisions du Conseil constitutionnel ne pouvaient faire l’objet de recours, le 3 février, il a annulé le décret qu’il avait pris fin novembre pour convoquer le corps électoral au motif qu’il y aurait une crise institutionnelle entre l’Assemblée et le conseil constitutionnel visé par des accusations de corruption. Dans la foulée, l’Assemblée nationale s’est réunie pour voter une loi dérogatoire en vue de repousser les élections au 15 décembre et de prolonger Macky Sall au pouvoir dans l’intervalle. Ce qui avait déjà annoncé ce coup d’Etat institutionnel, quelques jours plus tard, c’est le vote à l’Assemblée d’une commission d’enquête au sujet    des accusations de corruption du Conseil constitutionnel. Or, le corrupteur mis en cause dans les accusations lancées par le PDS n’était autre que le premier ministre et candidat du parti au pouvoir, Amadou Ba !
Cette dernière volte-face du chef de l’Etat est apparue comme une nouvelle mascarade, ne parvenant pas à dissimuler son choix de bloquer un processus électoral où son camp était donné perdant. Devant la réaction de la population, d’abord le dimanche 4 février, puis surtout lors du vendredi suivant, où des manifestations ont lieu un peu partout non seulement à Dakar et sa banlieue, mais aussi dans les autres villes du pays : Saint Louis, Thiès, Ziguinchor, Louga, Diourbel, jusqu’à Mbacké à proximité de Touba, la ville religieuse des Mourides. Comme par le passé, le régime a réagi par la répression des manifestations, la coupure des données mobiles d’internet et la coupure du signal de la chaîne de télévision Walf réputée être proche de l’opposition. Peu de temps après, on a même retiré « définitivement » la licence de cette chaîne. Mais en agissant de la sorte, c’est Macky Sall qui s’est définitivement discrédité. Les parrains internationaux de Macky Sall ont dû le lâcher, plus ouvertement dans le cas des Etats-Unis que de la France qui craint davantage les aléas d’une alternance électorale. A force de vouloir s’accrocher au pouvoir, alors que le Sénégal est censé être la vitrine démocratique du néocolonialisme français, Macky Sall est devenu un boulet. Sur le plan des symboles, les images des députés de l’opposition évacués de l’hémicycle par le GIGN sénégalais font mauvais genre. Sur le plan économique,    dans l’optique des intérêts de l’impérialisme international, l’atmosphère de crise dont il est le principal responsable n’est pas bonne pour les affaires et d’ailleurs, sur le plan intérieur, le patronat sénégalais a pris aussi ses distances avec le régime en réclamant le respect du calendrier électoral.
Face à cela, le régime de Macky Sall qui ne connaît que le rapport de force va faire (un peu) marche arrière : il remet l’internet en route et revient sur la fermeture de la chaine Walf, il libère une partie des prisonniers politiques (entre trois et quatre cents). Le 15 février le Conseil constitutionnel abroge le décret présidentiel du 3 février, déclare la loi votée à l’assemblée nationale comme inconstitutionnelle et enjoint au président d’organiser des élections « dans les meilleurs délais. »
Cependant, Macky Sall a continué de louvoyer, de temporiser en annonçant un nouveau « dialogue » pour se mettre d’accord sur la date et des modalités d’une « élection inclusive ». Ce énième « dialogue » s’est déroulé les 26 et 27 février mais il est boycotté par 17 des 19 candidats encore en lice.
Sans surprise, les conclusions de ces « dialoguistes » sont allées dans le même sens : repousser la date des élections présidentielles au 2 juin et ouvrir la liste des candidats retenus à un certain nombre de « spoliés » qui verraient leurs dossiers de nouveau examinés. De nouveau, le Conseil constitutionnel, sollicité par les autres candidats, a confirmé que les élections doivent se tenir dans un court délai, en donnant la date du 31 mars. De son côté, Macky Sall publie un décret de convocation des élections pour le 24 mars, une date sur laquelle le Conseil finit par s’aligner.
La bataille semble maintenant perdue pour les tenants du putsch constitutionnel mais tout n’est peut-être pas fini. Le candidat officiel du pouvoir Amadou Ba, est en position délicate, à tel point qu’on s’est même demandé si le pouvoir n’allait pas carrément le laisser tomber au profit d’un autre. Ceux qui incarnent la ligne dure putschiste sont toujours au gouvernement, comme le ministre du tourisme, Mame Mbaye Niang, à l’origine de la plainte en diffamation qui a abouti à l’invalidation de Sonko. Ils savent qu’en cas de défaite, ils risquent gros, étant personnellement impliqués dans les actions répressives y compris celles menées en marge de l’action des forces de sécurité avec la mise en place de milices (notamment celle au nom évocateur des « Marrons du feu ») qu’on a vues à l’oeuvre contre les manifestants ou les militants de l’opposition, sans parler de toutes les affaires de corruption pour laquelle ils pourraient être poursuivis dès que le glaive de la justice aura changé de main.
Autre élément d’incertitude qui a pesé sur le lancement de la campagne, la libération d’Ousmane Sonko et de Bassirou Diomaye Faye, annoncée comme imminente depuis la mi-février, a fini par se concrétiser dans la soirée du 14 mars. On verra aussi si le Conseil national de régulation de l’audiovisuel finira par accorder un temps d’antenne    à Bassirou Diomaye Faye, qui lui a d’abord été refusé au motif que ce temps aurait été utilisé par d’autres qui parleraient en son nom.

Le lourd bilan répressif du régime « républicain » de Macky Sall

Au cours de la dernière vague de manifestations spontanées contre le report de l’élection, ce sont encore quatre jeunes qui ont été tués par les forces de l’ordre (deux étudiants à Saint Louis, un lycéen à Ziguinchor et un jeune commerçant ambulant à Dakar). Sur toute la période de la crise depuis mars 2021, le bilan des décès, qui sont pratiquement tous le résultat de tirs à balles réelles, s’élève à plus de soixante morts. C’est un triste record dans la vie politique sénégalaise contemporaine. Même dans la période du parti-Etat de Senghor durant les années 1968 et suivantes, où il a fait l’objet de contestations virulentes de la part de la jeunesse animée    alors par un esprit révolutionnaire, on n’avait jamais connu un tel niveau de répression. De même, le nombre de détenus politiques durant ces années n’excédait jamais quelques dizaines. Avec cette crise, c’est au moins un millier de détenus politiques qu’a enregistré le Sénégal. La liberté de l’information n’a pas été épargnée également, avec    des coupures d’internet à répétition, des violences exercées encore récemment sur des journalistes par les policiers, etc... Ce débordement répressif visant aussi ces derniers, peut expliquer que lors de la libération des prisonniers politiques on a pu lire dans la presse plusieurs témoignages sur le calvaire de ces derniers : la torture et les mauvais traitements de la part des gendarmes et des policiers lors des arrestations, souvent opérées au hasard ;    l’incarcération décidée en pratique parce que les personnes en question avaient laissé sur leurs portables des likes sur des réseaux sociaux en faveur de Sonko ou d’autres figures du PASTEF tandis qu’aucune instruction n’a été menée par la suite ; enfin la surpopulation, le manque d’hygiène la plus élémentaire dans les prisons sénégalaises, etc
Ce bilan n’est pas le fruit du hasard. C’est le résultat d’une politique délibérée. L’an dernier, Macky Sall a pu annoncer qu’en douze ans, soit la durée de ses deux mandats, les effectifs de la gendarmerie atteignant 35 000 hommes avaient triplé. La police aussi au cours de l’année 2023 a augmenté ses effectifs avec 4000 nouveaux recrutements. Quand on circule à Dakar, on ne peut qu’être frappé par la jeunesse des robocops, censés assurer le maintien de l’ordre, déployés en permanence dans les lieux stratégiques de la capitale. Il faut aussi    mentionner la collaboration avec les régimes occidentaux, censés défendre les valeurs démocratiques, dans cette montée en puissance répressive. On ne reviendra pas sur la livraison par la France    de matériels de répression utilisés d’abord dans des manifestations des Gilets jaunes comme les grenades assourdissantes. Il y a eu aussi le concours d’éléments israéliens, identifiés au milieu des forces de l’ordre    venues « cueillir » Sonko pour l’amener au palais de justice en février 2023. La dernière péripétie en la matière est le repérage d’unités spéciales destinées à la lutte antiterroriste, sur des photos datant de la répression de manifestations organisées dans le sud du pays à la fin du mois de mai de cette même année. Ces unités spéciales, les GAR-SI ont été financées par l’Union européenne et mises en place grâce à une « coopération technique » venant de la Guardia Civil espagnole, elle aussi expérimentée en la matière !

Une amnistie intéressée

Alors que Macky Sall répétait encore au mois de janvier qu’il n’y avait pas de prisonniers politiques au Sénégal, il a fait voter par l’Assemblée le 6 mars une loi d’amnistie concernant « les infractions ou crimes liés à des motivations ou manifestations politiques commis entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024. » Plus d’une dizaine de lois d’amnistie ont été votées au Sénégal depuis l’indépendance, mais pour la première fois elle va inclure des actes qui n’ont pas fait l’objet d’un jugement, ni même d’une instruction, ce qui est le cas pour les dizaines de personnes tuées lors des manifestations. C’est pour cela que cette loi d’amnistie est apparue comme une supercherie de plus, car pour libérer les manifestants ou les partisans de l’opposition il n’y a pas besoin d’amnistie en fait, comme on l’a vu quand quelques centaines d’entre eux ont été libérées, pour faire baisser la tension après les manifestations contre le report. En fait, il s’agit d’un texte qui vise à exonérer de toutes poursuites les différents responsables de la répression (dirigeants politiques, policiers, gendarmes, miliciens etc.). Ceci dit, il ne faut pas oublier qu’il y a aussi une procédure initiée au niveau de la Cour pénale internationale et il n’est pas dit, non plus, que cette loi d’amnistie soit définitivement acquise comme un bouclier contre toute poursuite ultérieure même au plan interne.

Les problèmes de fond qui demeurent et les mirages du « modèle démocratique sénégalais »

Le gouvernement de Macky Sall s’est targué depuis des années d’avoir obtenu des taux de croissance élevés, de l’ordre de 6 à 7%, et d’avoir doté le pays d’infrastructures mais depuis 2018, l’indice de développement humain qui prend en compte des critères de santé, d’éducation et de niveau de vie est en baisse. A l’inverse, logiquement, les flux migratoires sont en hausse. L’économie reste sous-développée,    avec d’un côté, un secteur informel qui occupe la très grande majorité des actifs et de l’autre côté, des activités rentières aux mains de multinationales (mines, télécommunications, et dans un avenir proche : exploitation pétrolière et gazière...) génératrices de profits élevés, rapatriés à l’étranger. La pêche est un secteur sinistré du fait de la surpêche découlant notamment des accords de pêche passés avec des pays étrangers. De même au niveau foncier, les autorités bradent des terres en faveur de l’agrobusiness au détriment des communautés villageoises. Macky Sall avait promis en 2019, 100 000 logements à l’intention de ménages à revenus modestes, ce n’est même pas 2000 qui ont été livrés et encore à des familles avec des revenus qui sont plutôt moyens que modestes. Pour financer ces infrastructures, le pays s’est endetté à un niveau record. La croissance a profité largement à une minorité de spéculateurs et d’affairistes liés au pouvoir en place mais pas à la masse de la population. En outre, cette croissance se fait au prix d’une dégradation de l’environnement, ce qui pose déjà des problèmes de santé publique dans la région du Cap Vert où se trouve la capitale, avec la pollution de l’air et des sols également.
Si Sonko et le PASTEF ont suscité une adhésion populaire inédite et imprévue, c’est parce que les gens ont bien perçu que le pouvoir de Macky Sall n’était là que pour satisfaire les intérêts d’une minorité de parvenus et que pour garder ses privilèges, le clan au pouvoir avait recours de plus en plus ouvertement à la manipulation de différentes institutions et même à la force brutale en dehors de tout cadre légal.

Un pacte de bonne gouvernance en trompe-l'oeil

Ceci dit, la mobilisation contre un tel projet de monopolisation du pouvoir a largement été menée sur la base de revendications institutionnelles, voire parfois au nom d’une conception idéalisée du système politique sénégalais qui serait un « modèle » de démocratie à préserver. Cette perspective revendicative institutionnelle est née des déceptions de la première alternance. En 2008, des opposants à Abdoulaye Wade, qui étaient pour une bonne part des anciens soutiens de ce dernier lors de son arrivée au pouvoir    - notamment ceux issus de la gauche qui paradoxalement avaient porté au pouvoir un candidat « libéral » en 2000 -, ont commencé à réaliser que celui-ci était en train de mettre en place un système de pouvoir personnel après avoir manipulé les appétits de pouvoir des uns et des autres au sein de la classe politique. Cela a pris la forme des Assises nationales    tenues en 2008, qui ont fait des propositions pour mettre en place des mécanismes limitant le pouvoir présidentiel. Macky Sall s’est réclamé de ces Assises quand il s’est agi de se faire élire en 2012. Mais par la suite, arrivé au pouvoir, il s’est bien gardé de mettre en œuvre ce qu’elles préconisaient. Pour cette élection de 2024, on a vu ressurgir une initiative de Pacte de bonne gouvernance se réclamant de cet héritage des Assises nationales, qui a été proposé à la signature des candidats. Evidemment le fait de signer est une chose, l’appliquer plus tard une fois parvenu au pouvoir, en est une autre... Autre question, encore plus politique : est-ce que l’opposition avec Bassirou Diomaye Faye du PASTEF, si elle gagne les élections - ou plutôt si on lui laisse gagner ces élections ! -    sera prête à assumer une rupture avec le néocolonialisme français. Ce candidat    a annoncé dans son programme, la mise en place d’une monnaie nationale, mais sur ce point, y aura-t-il vraiment rupture avec le franc CFA, si d’aventure il était élu,    cela reste à voir !

Une vision myhique

L’autre illusion qui imprègne certains discours, c’est la référence à un système politique qui incarnerait la démocratie depuis des décennies, voire des siècles au Sénégal. Le nom de la coalition de la « société civile » (Aar sunu election : Protéger notre élection)    créée en réaction au report de l’élection présidentielle, renvoie implicitement à cette vision mythique d’un système électoral démocratique sénégalais qui contrasterait avec la situation des pays voisins. Pour célébrer cette « tradition démocratique », certains vont parfois jusqu’à faire référence aux cahiers de doléances de la colonie du Sénégal lors de la réunion des Etats généraux de 1789, en oubliant que c’étaient    des revendications en faveur des intérêts du commerce colonial, notamment ceux des colons esclavagistes ! Dans la période contemporaine depuis l’indépendance, il faut rappeler que les élections ont    été l’occasion de crises et de violences, comme en 1963 avec le massacre des Allées du Centenaire où des dizaines de manifestants ont été tués par balles ou plus tard, l’état d’urgence après les élections de 1988, avec l’emprisonnement des leaders de l’opposition, dont Abdoulaye Wade. Plus généralement, les élections ont été, soit organisées sans opposition à l’époque du parti unique de fait, soit ont fait l’objet de fraudes massives, avec des bourrages d’urnes à la clé, que ce soit au début des années 1960 sous Senghor, ou plus tard sous Abdou Diouf dans les années 1980.
De nos jours, c’est un peu plus sophistiqué mais il y a aussi différentes manières de truquer ou en tout cas de biaiser les résultats de l’élection. Un ouvrage récent (F. Pigeaud & N. S. Sylla, De la démocratie en Françafrique) a mis en lumière une tactique éprouvée que ces auteurs ont baptisée « eugénisme électoral ». En fait, il s’agit de favoriser les zones géographiques ou les catégories de population où le parti au pouvoir est en position de force. Par exemple, entre 2012 et 2019, la région du Fouta qui est le « fief » du parti au pouvoir a vu le nombre d’électeurs augmenter de 63 000, lesquels ont voté très massivement pour Macky Sall. A l’inverse, sur la même période le département de Dakar, où le parti au pouvoir est minoritaire, a vu son nombre d’électeurs diminuer de 19 000, ce qui ne correspond pas à la réalité démographique. Sur le plan de l’âge, il se passe un phénomène similaire : les tranches d’âge des plus jeunes sont nettement sous-représentées au niveau du fichier électoral parce que les jeunes sont ceux qui votent le moins pour le parti au pouvoir. Ce fichier fait l’objet de révisions périodiques mais sur des périodes très limitées. De plus, c’est l’administration qui a la main sur ce fichier. Une autre étude récente a levé un lièvre qui mérite qu’on y regarde de plus près quand on célèbre le modèle démocratique au Sénégal : en comparant différentes sources de l’administration, on y repère, entre autres, l’existence de « 826 bureaux de vote fictifs dans les quels sont rattachés 469 291 électeurs. (https://www.seneplus.com/opinions/u...;»)
A l’heure, où ces lignes sont écrites, il est difficile de prévoir ce qui va se passer après le premier tour de l’élection, le 24 mars. Cependant,    il n’est pas à exclure qu’après une crise pré-électorale qui s’est développée depuis trois années, le Sénégal connaisse aussi une crise post-électorale.

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