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CA 340 mai 2024

Relance du nucléaire,
relance de la lutte antinucléaire ???

lundi 13 mai 2024, par Courant Alternatif

Macron a annoncé officiellement la relance de l’industrie nucléaire, civile et militaire. La relance de l’industrie nucléaire civile semble pourtant relever de l’impossible.


Effet d'annonce ou politique industrielle ?

La relance du nucléaire civil tient en trois axes : des EPR2, des SMR et l’allongement de la durée de vie des centrales existantes.
Les EPR2 sont censés être des EPR améliorés du point de vue de la sécurité grâce au « retour d’expérience ». L’expérience en la matière c’est un EPR en Finlande qui avait pris beaucoup de retard, débranché peu de temps après son raccordement pour cause de non rentabilité, deux en Chine arrêtés après des problèmes techniques, et le chantier de Flamanville, démarré en 2007 et toujours pas achevé, dont le devis a été multiplié par 6, dont on sait déjà que la cuve et le couvercle sont défectueux et devront être remplacés, et pour lequel il y a des soupçons de fraudes et de malfaçons. Même EDF a annoncé qu’elle n’était pas prête. Il y a aussi un chantier en Grande Bretagne, Hinckley Point. Son annonce avait provoqué la démission du directeur financier d’EDF. Comme il l’avait prévu, la dette qui lui est liée met en danger la survie d’EDF, au point que le gouvernement l’a précipitamment re-étatisée.
Les SMR (Small Modular Reactor) existent essentiellementà l’état de moteurs de sous marins nucléaires dans le monde. Ils équipent le Charles de Gaulle en France. 2 SMR fonctionnent comme centrale nucléaire, un en Chine et un en Russie, mais sur des barges flottantes (en Arctique pour la Russie). Autant dire que le « léger » problème du refroidissement et de la modération de ces réacteurs, sans qu’ils soient trop volumineux ni trop chers, ne semble pas près d’être résolu. Même les Etats-Unis ont jeté l’éponge pour des raisons de coûts. Par contre, c’est déjà rentable pour certains. Des start-up ont déjà touché des millions de France relance 2030 alors qu’elles n’ont même pas encore d’usine pour concevoir un prototype.
Faire durer plus longtemps que prévu une centrale, c’est très dangereux. Ça veut dire que les fuites et rejets en fonctionnement normal seront encore plus importants (tout le monde sait que les vieilles voitures ont tendance à perdre de l’huile), et le risque d’accident majeur multiplié. Mais si les risques encourus par les populations et les travailleurs arrêtaient la technocratie nucléaire, on aurait eu l’occasion de s’en apercevoir. Par contre, ça va quand même coûter très cher. Il va falloir faire des révisions et des réparations, le tout estimé par la Cour des Comptes à une centaine de milliards d’euros.

Si le but de la filière nucléaire civile était de produire de l’électricité pas cher, il est clair que c’est raté. Si c’est d’améliorer la souveraineté nationale, c’est raté aussi (uranium entièrement importé, et partiellement enrichi en Russie, centrales sous licence américaine…). Si c’est contre le réchauffement climatique et pour gagner des points carbone, laissez-nous rire. La terre sera à une température difficilement soutenable bien avant qu’une nouvelle centrale ne soit achevée, le bilan carbone de ces cathédrales de béton est pour le moins douteux, et de toutes façons les centrales sont vulnérables aux disponibilités en eau et aux phénomènes climatiques, et contribuent au réchauffement. Si c’est de devenir des leaders dans un secteur en dés-errance, on est très loin derrière la Russie, mais bon… Mais en a-t-on les moyens financiers ? En tous les cas, on n’est pas encore au point techniquement.
On peut légitimement se demander quelle est la part d’aveuglement idéologique derrière cet effet d’annonce. Nos dirigeants n’ont aucun bagage scientifique et savent que quand on sort d’une grande école prestigieuse, on ne peut pas se tromper. Ils ont une forme de pensée magique : ils ordonnent, et la réalité (et les ingénieurs) vont suivre. En attendant, ils ont commencé la seule chose qu’ils savent faire : légiférer, réprimer et saupoudrer du fric.
Légiférer : une partie de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) devrait être intégrée à l’Autorité de Sûreté Nucléaire, comme ça les experts qui auraient eu une velléité de critique seront surveillés par des chefs bien mieux disposés. Une autre partie devrait être intégrée au CEA, sous la houlette du Ministère de la Défense. Les concerné·e·s ont déjà annoncé leur démission. Légiférer toujours : les procédures de consultation de la population et les procédures d’autorisation vont être allégées. Ce n’est pas ça qui résoudra les problèmes techniques, mais ça évitera trop d’agitation.
Réprimer : c’est une telle habitude qu’il y aurait trop d’exemples à égrener. On remarque quand même une répression de plus en plus forte sur un mouvement antinucléaire de plus en plus timide, des accusations grotesques qui ont pourri pendant plusieurs années la vie des anti-cigeo à Bure aux récentes plaintes d’EDF (réclamant pas mal de millions quand même) contre Greenpeace pour avoir nui à leur image…
Saupoudrer du fric : on a vu que France relance a prévu quelques millions pour les entreprises de la filière. Derrière le discours présentant le nucléaire comme une énergie verte, il n’y a pas qu’une idéologie risible si elle n’était pas aussi nuisible, il y a aussi la course au fric prévu par l’Union Européenne dans le cadre de la transition écologique.
En résumé, la relance du nucléaire civil semble plutôt relever de l’effet d’annonce du point de vue de sa faisabilité technique et financière. Mais on ne sait pas en fait. Ils vont sans doute prolonger la durée de vie des centrales, ce qui est en soit très dangereux. On sait de plus l’amour de l’entreprise France pour les projets inutiles, prestigieux et coûteux. Qu’on se rappelle du Concorde, de Superphénix, du France… Et en attendant de ne pas y arriver, ils peuvent faire pas mal de saccage. Sans compter la relance du versant militaire pour lequel le civil est utile : par exemple, les militaires ont demandé que Civaux soit utilisée pour irradier du lithium pour fabriquer à moindre coût le tritium nécessaire à la bombinette.

Relance du mouvement antinucléaire ?

Et du côté de la lutte antinucléaire ? Parce que c’est un peu rageant de ne pas arriver à ébranler un programme aussi branlant.
Le mouvement antinucléaire était moribond. Finalement il n’y a qu’à Bure, contre les déchets, que restait un mouvement concret. Mais dans une région très faiblement peuplée. Ça s’est réveillé aussi du côté de La Hague avec la lutte contre la construction de nouvelles piscines.
Il y a un paradoxe saisissant : les luttes écolos en tous les cas sur le thème du climat drainent du monde, et du monde jeune pendant que plus personne ou presque ne parle du nucléaire. Il y a sans doute un fossé de génération. Les « vieux » ont essayé d’empêcher la construction des centrales nucléaires. Les « jeunes » sont nés dans un pays où 70 % de l’électricité est nucléaire et où celui-ci fait partie du paysage. Et ils sont bien français : ils n’ont pas encore réalisé que les pays dans ce cas sont très rares dans le monde. Rappelons que la production énergétique nucléaire, c’est moins de 2 % de l’énergie mondiale. Et bien sûr, cette nucléarisation de l’électricité est la preuve éclatante de notre échec. Un mouvement qui a perdu, si massif, porteur d’utopie et d’espoirs, si exemplaire en terme de type d’actions qu’il aie pu être, ce n’est pas très attractif. Il y a aussi le bulldozer médiatique nucléophile, notamment Jancovici et son shift project, financé par Bouygues, Spie, EDF, Veolia, Vicat, Vinci, Thalys, la BNP, etc. Jancovici est un polytechnicien, et on sait l’implication du réseau des grandes écoles dans l’industrie nucléaire. Il est quand même fabuleux qu’un truc financé par les grands noms du bâtiment et du ciment puisse passer pour écolo.
Enfin, dans un contexte politique où la révolution a disparu comme horizon possible, l’écologie comme beaucoup de mouvements contestataires est l’affaire de gens pragmatiques et/ou qui pensent en terme de pouvoir. Les pragmatiques savent que le nucléaire est un gros morceau, et ils cherchent des luttes gagnables. De ce point de vue, la lutte antinucléaire, ce n’est pas top pour le marketing et la com. Et plus on s’approche du pouvoir, moins on déteste le nucléaire. On désigne les Verts et la LFI comme antinucléaires, et ils sont admis comme tels par les antinucléaires eux ou elles-mêmes, mais on n’a jamais vu un·e ministre vert·e s’opposer d’une quelconque façon au programme nucléaire. Quant à la LFI, elle est structurée autour de Melenchon, grand admirateur de Mitterrand sous la présidence duquel la part du nucléaire a plus que doublé, et que je n’ai jamais entendu à l’époque contester le moins du monde cette politique.
Pourtant, les militant·e·s antinucléaires essaient de se restructurer. Il y a eu plusieurs assemblées antinucléaires issues de l’opposition au « grand débat » organisé par la CNDP sur la relance du nucléaire, qui a quand même obtenu l’annulation d’un débat et le retrait d’ONG comme Greenpeace. Une Coordination antinucléaire est issue de ces assemblées (1), avec comme premier objectif de stopper la relance. Elle est très hétérogène (ce qui n’est pas forcément négatif), regroupant des collectifs locaux, Greenpeace, les Verts, LFI, des individus, Sortir du Nucléaire, Arrêt du Nucléaire…
Elle est marquée par les défauts de notre temps : la com y est privilégiée par rapport à la lutte de terrain. Cependant, ses militant·e·s sont le plus souvent des militant·e·s de terrain. Elle s’est associée aux manifestations contre le nucléaire militaire le 23 septembre dernier, des actions locales ont été organisées dans beaucoup d’endroits en France, avec plus ou moins de réussite, le 22 octobre. La prochaine grande échéance est le 26 avril (plus exactement du 26 au 28) avec des manifestations régionales sur le thème de la catastrophe (c’est l’anniversaire de Tchernobyl). Vous trouverez ce qui est prévu dans votre région sur le blog de la coordination. Cette dernière s’est en effet structurée en coordinations régionales : travailler ensemble fait sans doute plus évoluer que tous les débats.

Et ce n’est pas que de la com. Une manifestation régionale a eu lieu à Caen le 23 mars dernier. La date ne correspond pas à celle choisie nationalement parce qu’il s’agissait d’exiger le non démarrage de Flamanville, et que la date limite pour la décision de l’ASN était le 10 avril. Cette manifestation a été un succès. Des cars sont venus de toute la région et de la Bretagne, et même un de l’Ile de France. Il y a eu aux alentours d’un millier de manifestant·e·s au plus fort, sous une pluie battante, une manifestation variée et dynamique. Evidemment, l’alliance de la pluie et des discours un peu politiciens lors d’un arrêt bizarrement en cours de parcours ont beaucoup clairsemé ses rangs pour l’arrivée… L’EPR de Flamanville ne fait pas partie du programme de relance, mais l’opposition à son démarrage est un verrou important du fait que c’est le seul EPR en construction. De plus, les deux premiers EPR2 prévus sont dans la région, à Penly. Cette manifestation reflétait toute la diversité de la lutte, des Verts à l’autonomie. Elle a eu pas mal d’échos dans la presse régionale. Surtout, elle a démontré une volonté de ne pas se limiter aux photos et aux communiqués de presse, et elle a montré que la lutte antinucléaire peut encore mobiliser.
La prochaine « grande action » sera le 12 octobre prochain, un événement national cette fois ci. La forme et le lieu n’ont pas encore été décidés. Ils le seront probablement fin mai, à la prochaine assemblée antinucléaire.

Conclusion ??

On est dans une situation paradoxale : un programme nucléaire branlant et irréaliste, pendant que le pouvoir a réussi à largement faire passer l’idée que le nucléaire était indispensable, une technologie maîtrisée et la seule voie possible de la transition écologique. Au point que nul en France n’imagine un avenir sans nucléaire civil, avenir qui existe au présent y compris dans certains pays européens. En face, un mouvement embryonnaire et dont le fœtus est parasité par des enjeux politiciens et de pouvoir.
Le programme nucléaire a été au coeur de la structuration du capitalisme français, ce qui explique l’énormité de la répression à laquelle il a dû faire face dans le passé et son écrasement en rase campagne. De même que le pouvoir a annoncé à Sainte Soline comment il allait gérer la pénurie d’eau et la « transition écologique », de même à Malville il avait annoncé que le programme nucléaire se ferait à tout prix, y compris avec des moyens de guerre. Et il a tenu sa promesse pour le coup. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? La filière nucléaire, ce condensé caricatural de l’autoritarisme et de la folie meurtrière du capital, est-elle encore centrale pour la bourgeoisie ? Auquel cas nos chances sont plus que minces mais notre portée subversive importante. Mais auquel cas aussi la bourgeoisie française semble mal barrée dans la concurrence entre capitalistes. Ou alors, c’est un vestige auquel la bourgeoisie s’accroche encore, ce qui nous laisse une lueur d’espoir plus importante. Ne l’oublions jamais, aucune utopie ne peut se construire sur un territoire contaminé.

Sylvie

(1) Blog de cette coordination : https://coordantinucleaire.noblogs.org/

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