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Justice : Toutes les droites contre les mineurs.

mardi 8 avril 2025, par Courant Alternatif


L’article Répression : la jeunesse en danger dans notre numéro précédent (CA N°348) constitue un bon tour d’horizon de ce que le pouvoir actuel fait subir aux mineurs et souhaite aggraver. En complément le présent article va préciser les motivations et le contenu de la loi en cours d’adoption ainsi que les réactions engendrées.

Ce texte est une proposition de loi, c’est-à-dire qu’elle émane des parlementaires et non du gouvernement. En réalité, il a été déposé par Gabriel Attal, ancien premier ministre et contresigné par l’ensemble des députés macronistes. Il s’agit donc bien d’une proposition du pouvoir en place, d’autant plus que le gouvernement a engagé le 15 janvier la procédure accélérée pour le faire adopter au plus tôt. Ce texte déposé initialement en octobre a été adopté par la majorité des députés présents le 13 février et doit être examiné par le sénat le 25 mars.

L’exposé des motifs

Tout d’abord, la notion d’autorité devient une valeur fondamentale : « Notre pays (…) reste cependant rassemblé derrière des valeurs. Ces valeurs tiennent en des mots simples : le civisme, la règle commune, les droits et les devoirs, le respect de l’autorité. » On peut faire plusieurs remarques : Il est question du pays, notion qui est préférée par la droite et l’extrême-droite à celle de république. Ensuite, on m’a appris à l’école, et on continue d’apprendre aux jeunes, que les valeurs de la république française sont celles de sa devise : « liberté, égalité, fraternité ». Même si on pense que ces valeurs affichées (tout à fait respectables) sont bien mal défendues et appliquées par nos gouvernants, on peut s’interroger sur leur remplacement par « civisme, respect des règles, autorité ».

Le second point de l’introduction précise l’opportunité de cette loi : « Les violences de juillet 2024 [1] ont profondément marqué notre pays. Parmi les émeutiers, des jeunes, parfois, très jeunes qui semblaient avoir déjà coupé les ponts avec notre société et ses valeurs de respect. » Évidemment, ce sont les émeutes qui ont suivi le meurtre [2] de Nahel qui sont présentées comme le problème nécessitant le durcissement législatif contre les mineurs. Pour les dirigeants, il n’est pas question d’évoquer la façon dont ces jeunes sont traités par notre société.
Pour défendre son texte, Attal reprend cet amalgame entre révolte et délinquance : « Nous tenons la promesse qui a été faite après les émeutes de 2023, celle de renforcer notre arsenal pénal, celle de lutter plus efficacement contre la délinquance des mineurs. »

Le contenu de la proposition

L’article 1er redéfinit l’incrimination du délit de soustraction d’un parent à ses obligations légales (obligations alimentaires, de soin, d’éducation…) envers un mineur [3]. Il prévoit également la création d’une nouvelle circonstance aggravante liée à la commission d’une infraction par le mineur : si votre enfant commet un délit, vous pouvez être condamné à une peine allant jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 45 000€ d’amende. En prime, le tribunal pourrait vous imposer une peine de travail d’intérêt général (TIG).
On imagine bien l’aide que va apporter cette loi à une famille pauvre, et encore plus à une famille monoparentale ; au lieu d’une aide matérielle et éducative, on les noie sous les sanctions.

L’article 2 instaure la possibilité pour le juge des enfants statuant en assistance éducative de prononcer une amende civile à l’égard des parents qui ne défèrent pas aux convocations aux audiences et auditions d’assistance éducative [4]. Est-ce que la sanction d’une amende aidera les parents en difficulté ?

L’article 3 étend la responsabilité solidaire de plein droit des parents pour les dommages causés par leurs enfants sur lesquels ils exercent l’autorité parentale [5].
Là, il s’agit de la réparation civile (les dommages et intérêts) due aux éventuelles victimes de dégradations. Les deux parents seront tenus solidairement responsables, même s’ils sont séparés.

L’article 4 crée une procédure de comparution immédiate pour les mineurs [6]. En cas de délai avant comparution, le jeune pourra être placé en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire.
Même si ces procédures ne sont censées ne s’appliquer qu’aux mineurs de plus de 16 ans auteurs de délits graves, il s’agit là d’une atteinte importante aux moyens de défense des mineurs. Déjà que les procédures de comparution immédiate entrainent des résultats très négatifs pour les adultes, imaginez l’effet sur des adolescents.

L’article 5 revoit les modalités d’atténuation de la peine pour les mineurs [7].
Le dispositif est différentié en fonction de l’âge. Entre 13 et 16 ans, il n’y a pas de dérogation possible au principe de l’atténuation de la peine. À compter de 16 ans, une dérogation au principe de l’atténuation de la peine est possible mais elle doit être motivée par la juridiction sauf si les faits ont été commis en état de récidive légale et, pour les infractions les plus graves et en cas de double récidive, la règle est inversée : c’est le maintien du principe de l’atténuation de la peine qui doit dans ce cas, être motivé par la juridiction.

L’adoption du texte

L’Assemblée a adopté cette proposition de loi par 125 voix contre 58, avec le soutien du camp gouvernemental, du RN, et de ses alliés ciottistes. Même si ce n’est qu’une étape du processus législatif, on peut constater vu le faible taux de participation au vote (31,7%), que la majorité des députés se désintéresse des mineurs et de ce durcissement législatif.
Évidemment, il y a eu quelques critiques de gauche pour dénoncer des mesures « qui bafouent les grands principes de la justice des mineurs. Et de même quelques critiques du RN qui trouve que le texte ne va pas assez loin dans le durcissement.

Le texte pourrait être encore aggravé au Sénat, le garde des Sceaux Gérald Darmanin ayant annoncé vouloir introduire de nouvelles mesures lors de son examen prévu le 25 mars. Il souhaite l’introduction de jurés populaires pour juger les délits commis par des mineurs, étendre une mesure judiciaire de couvre-feu aux mineurs délinquants « ès leur sortie des cours et les week-ends , ou renforcer l’usage du bracelet électronique pour les mineurs.

Les réactions

La première à réagir contre ce texte a été la Défenseure des droits [8] Auditionnée le 21 novembre, elle a émis un avis remettant en cause beaucoup d’aspects de la proposition de loi.
Elle relève que le texte remet en cause certains principes de la Convention internationale des droits de l’enfant. Elle regrette qu’il n’y ait pas d’analyse préalable de l’impact des politiques pénales récentes ni de consultation des professionnels concernés.
Pour elle l’aggravation des sanctions appliquées aux parents est contraire au principe de la responsabilité pénale personnelle et ne peut que rendre encore plus difficile l’implication des parents dans les mesures éducatives. De plus il n’y a aucune mesure pour renforcer mes moyens d’accompagnement au niveau de l’Éducation nationale, de la santé et du médico-social, de la protection de l’enfance ou de la protection judiciaire de la jeunesse.

Au niveau du traitement pénal des mineurs, elle relève que la comparution immédiate ne respecte pas les garanties procédurales dont ils bénéficient du fait de leur minorité et précise que ces garanties ne sauraient être levées du seul fait que le mineur y consent.
Deuxièmement, le principe d’atténuation de responsabilité pour les mineurs de 16 à 18 ans est un principe à valeur constitutionnelle ; y déroger serait en outre contraire aux engagements internationaux de la France, notamment la Convention internationale des droits de l’enfant.
Enfin, l’idée que les mineurs délinquants sont de plus en plus jeunes et violents n’est pas étayée par des données fiables. La Défenseure des droits rappelle par ailleurs que le taux de réponse pénale à l’égard des mineurs est élevé, et que le nombre de mineurs écroués est en augmentation.

Le 10 février, un regroupement de 24 syndicats et associations des domaines du droit, de l’éducation et de la santé publie une tribune intitulée : « Face aux drames et au populisme pénal, défendre le droit à l’éducation pour toutes et tous les enfants de ce pays ». Ce collectif, soutenu par des personnalités des mêmes domaines appelle à des rassemblements le 12 février pour dire leur opposition à la proposition de loi Attal.
En particulier il dénonce les réactions opportunistes, à la suite de l’extrême-droite, à des drames où des mineurs sont impliqués. Il invite à « penser la responsabilité collective de notre société plutôt que de renoncer aux principes éducatifs qui fondent le sens même de la justice des mineur·es. » Ce collectif reprend les points critiqués par la défenseure des droits et dénonce le manque de moyens accordés à l’aide sociale à l’enfance et à la protection des mineurs.

Enfin, ces associations dénoncent la volonté d’infliger aux mineurs de plus en plus de peine de prisons alors que celles-ci sont inefficaces et même favorisent la récidive et entrainent de graves séquelles psychologiques chez les enfants et adolescents incarcérés, comme le démontre une étude réalisée à la demande de la Direction de la Protection Judiciaire de la jeunesse [9]

Le 11 février, Dominique Simonnot, Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté publiait dans Le Monde une tribune dénonçant les carences de l’État dans l’accompagnement des enfants issus de familles en difficultés, source majeure du basculement dans la délinquance.
Le 14 février, l’Observatoire International des Prisons, déjà signataire du texte collectif, publiait un communiqué pour reprendre les points fondamentalement critiquables de cette proposition de loi et insister sur certains aspects. Il précisait que les audiences en comparution immédiate durent en moyenne 29 minutes, qu’elles aboutissent dans 70% des cas à des peines de prison ferme et que les jeunes « issus de milieux vulnérables » ont 8 fois plus de risques d’obtenir de la prison ferme lors d’une comparution immédiate que lorsqu’ils passent en audience classique.

AD, Limoges, le 21/03

Quelques questions

à une éducatrice de la PJJ

sur les mobilisations contre cette proposition de loi.

Quelle a été ta réaction personnelle en prenant connaissance de ce projet ?
Ma réaction est à chaque fois la même : un sentiment d’inquiétude et d’indignation qui s’accompagne de cette impression amère d’être comme écrasée sous le rouleau compresseur d’un arsenal juridique qui s’accélère en enchaînant des réformes. J’en viens à penser qu’il s’agit d’une volonté délibérée, de nous prendre de court pour ne pas nous laisser le temps de réagir face à ces attaques successives. C’est ce que j’observe sur le terrain où nous n’avons plus le temps de la réflexion. La justice des enfants a déjà subi une réforme structurelle de de plein fouet le 30 septembre 2021 avec l’entrée en vigueur du Code Pénal de la Justice des Mineurs (CJPM), sensé améliorer la prise en considération des victimes.
Un vent mauvais qui souffle sur la jeunesse, par ce énième durcissement de la répression à l’encontre de celle qui est le plus en difficulté Cette réforme remet en cause les grands principes de la justice pénale des mineurs qui me tiennent à cœur : celui de l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs (ou excuse de minorité), la primauté de l’éducatif sur le répressif, et la spécialisation des procédures et des juridictions.

Quelle a été la réaction de tes collègues par rapport à cette proposition de loi ?
Beaucoup de collègues sont sous l’eau avec une charge de travail qui a explosé avec le CJPM et l’accélération des procédures sensée rendre la justice plus « efficiente », « à moyen constant », c’est-à-dire sans allouer de moyens supplémentaires pour répondre décemment aux missions qui sont les nôtres. Pour les collègues qui trouvent encore l’énergie de s’opposer, la plupart sont bien évidement contre cette réforme parce qu’ils connaissent leur métier et le public qu’ils accompagnent au quotidien que ce soit en foyer, en insertion, en milieu ouvert, ou en détention. Par conséquent nous savons ce qui fonctionne avec ces jeunes en difficultés dont la plupart parviennent malgré tout à réintégrer des dispositifs de droit commun

La mobilisation du 12 février t’est apparue importante ? Insuffisante ?
Elle n’a pas été suffisamment suivie bien évidemment, et moi la première je ne me suis pas mobilisée parce que j’avais aussi des urgences à traiter dans le suivi des mineurs sous main de justice que j’accompagne au quotidien et pour lesquels j’ai des comptes à rendre, comme bon nombre de mes collègues.
Comme nous aimons à le dire, nous ne travaillons pas avec des boites de conserve : ce sont des enfants en grande souffrance, au parcours de vie chaotique, qui cumulent les difficultés complexes, qui nous sont confiés. Alors, nous ne pouvons pas les ranger sur une étagère, le temps d’aller nous battre pour défendre les droits des plus vulnérables dans une société de plus en plus intransigeante à l’encontre de la jeunesse.

Que se passe-t-il depuis le 12 février au niveau des syndicats et associations opposés à cette loi ?
Nous avons été surpris de ne pas observer plus d’émulation que ça au départ dans les services où la réforme n’était pas réellement parlée faute de temps.
Comme à chaque fois les syndicats interpellent au niveau national et proposent des action de ripostes en intersyndicale, qui se traduisent pas des journées de grèves, et tentent de mobiliser au niveau local .
Nous sommes une petite administration qui travaille auprès d’un public pas très vendeur, nous essayons de nous rendre un peu plus visibles au niveau local de sensibiliser le public sur les enjeux que recouvre une telle réforme.

Si le sénat durcit encore le projet, comme le souhaite Darmanin, penses-tu qu’il y aura une réaction plus massive des personnels ?
Je l’espère en tous les cas, parce qu’il s’agit véritablement d’un recul, d’un basculement de la Justice qui met à mal la profession : notre engagement, nos convictions et surtout notre identité professionnelle. Une réforme de ce type qui cherche à juger les enfants comme les adultes nous apparenterait à un SPIP (service pénitentiaire d’insertion et de probation) mineur, ce à quoi je résiste depuis que je suis entrée dans cette petite administration.

Extraits du tract du syndicat SNPES-PJJ/FSU [10]de Haute-Vienne :

(…) Cette proposition de loi vise à rapprocher encore un peu plus la justice des enfants de celle des adultes et se traduira par un nouveau durcissement de la répression à l’encontre des mineur.e.s en difficulté et remet en cause purement et simplement le principe de la spécificité de la justice des mineur.e.s.
(…) Ce gouvernement a simplement décidé que les enfants n’en seraient plus. L’Institution PJJ doit réagir, l’Institution PJJ doit protéger ces adolescent.es, comme elle le porte encore dans son nom. Il n’y a jamais eu autant d’incarcération de mineur.es depuis deux ans, comment laisser croire que la Justice est laxiste ? Comment laisser croire également que grandir en prison permet de sortir de la délinquance ? L’éducation n’est ni le dressage, ni la soumission par la force, qui plus est à l’adolescence…
Cette loi ne va rien résoudre mais bien au contraire renforcer un système punitif au lieu d’offrir une chance de réinsertion aux jeunes et en particulier les plus vulnérables et en difficulté. Cette loi fait ainsi totalement disparaître le principe majeur qui régit notre travail : le principe d’éducabilité. (…)
Un préavis de grève a été déposé pour le 25 mars par notre organisation syndicale pour permettre les mobilisations. C’est collectivement que nous parviendrons à défendre un service public d’éducation progressiste et émancipateur pour notre jeunesse. (…)

Notes

[1Les émeutes en question datent en fait de juillet 2023 !...

[2La justice a inculpé le policier d’homicide volontaire

[3Article 227‑17 du code pénal

[4Modification de l’article 375‑1 du code civil

[5Alinéa de l’article 1242 du code civil.

[6Complément à l’article L. 423‑4 et nouvel article du code de la justice pénale des mineurs

[7Article L. 121‑7 du code de la justice pénale des mineurs

[8Claire Hédon, ancienne présidente d’ATD Quart-Monde.

[10Syndicat National des Personnels de l’Éducation et du Social, secteur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, affilié à la FSU. La section de Haute-Vienne est plus directe et plus offensive dans sa communication que le syndicat national.

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