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CA 333 octobre 2023

Les révoltes du début de l’été 2023

vendredi 6 octobre 2023, par Courant Alternatif

Le 27 juin 2023 à Nanterre, Nahel Merzouk, un jeune de 17ans, est assassiné à bout portant par balle par un policier. Selon les autorités, le policier aurait tiré dans le contexte habituel de légitime défense à la suite d’un refus d’obtempérer. Mais là, pas de chance pour les flics, il se trouvait quelqu’un pour filmer et enregistrer les paroles : « Bouge pas ou je te mets une balle dans la tête », « shoote-le ! »

Cette vidéo va faire rapidement le tour des quartiers de France, Belgique, Suisse… Le policier auteur du tir, Florian M., placé en garde à vue est mis en examen pour homicide volontaire et placé en détention provisoire le 29 juin. Face à cette détention provisoire, les syndicats de police UNSA et Alliance sont très proches de la sédition, l’extrême droite s’organise et ouvre une cagnotte de soutien à la famille du flic-assassin qui va récolter 1,5 millions euros en quelques jours.
Face à l’assassinat de Nahel, des jeunes des quartiers vont se révolter.


Un peu de sémantique

A chaque fois que ces évènements de violences urbaines se produisent, les médias, le pouvoir politique et ses prétendants font le choix non neutre de parler d’« émeutes ». Ce terme réduit ces violences à une simple délinquance urbaine alors qu’elles revêtent une dimension politique indéniable et une montée sans précédent des violences policières dans un contexte d’inégalités sociales croissantes et face aux violences policières au quotidien dans les quartiers de relégation, ainsi que face aux homicides commis par des policiers sur des jeunes qui habitent des quartiers semblables aux leurs et qui, comme eux, subissent le racisme, notamment de la part de la police. Nahel étant le symbole de ces victimes. 
Comme d’habitude, cette classification d’ « émeutes » entre dans le schéma traditionnel de la criminalisation de toute action politique. Nous ne l’utiliserons donc pas  !

Petit rappel des révoltes de 2005

Le jeudi 27 octobre 2005, 3 jeunes de 15 et 17 ans, Zyed Benna, Muhittin Altun et Bouna Traoré, rentrent avec des amis d’une partie de football à Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis) en direction de Clichy-sous-Bois. Sur le chemin, ils s’approchent d’un chantier. Un témoin appelle la police pour signaler une tentative de cambriolage. Une brigade anticriminalité (BAC) arrive sur place. Pour échapper à un nième contrôle d’identité, les trois adolescents se réfugient dans un transformateur EDF. Un arc électrique se forme. Muhittin Altun est grièvement blessé, Zyed Benna et Bouna Traoré meurent électrocutés.

Dès le soir de la mort des deux garçons, les premières révoltes éclatent à Clichy-sous-Bois et dans la ville voisine de Montfermeil. A signaler que ces révoltes font suite à de nombreuses violences policières notamment en région parisienne et à Vaulx-en-Velin. Le lendemain matin, le 28 octobre, vingt-trois carcasses de voitures incendiées sont comptabilisées. Ce même 28 octobre 2005, le ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, exonère les forces de l’ordre, en déclarant que « la police ne poursuivait pas physiquement  » les deux victimes. Cette version sera contredite par le récit de l’adolescent rescapé. Un second événement attise la colère de la population des banlieues. Le 30 octobre au soir, lors d’affrontements avec des jeunes à Clichy-sous-Bois, la police tire une grenade lacrymogène aux abords d’une mosquée. Envahie par la fumée, elle est évacuée dans la panique. A partir du premier novembre, les révoltes s’étendent à toute la Seine-Saint-Denis. Dès lors, chaque nuit durant trois semaines, des jeunes se réunissent dans la rue et saccagent véhicules, bâtiments et mobilier urbain, en région parisienne d’abord, dans le reste de la France ensuite. Des centaines de voitures sont incendiées et nourrissent les chaînes de télévision de spectaculaires images. Le 8 novembre 2005, à l’issue d’une nuit marquée par plus de 1 500 voitures brûlées et de révoltes dans 274 communes, l’état d’urgence est décrété. Il permet notamment aux préfets d’instaurer des couvre-feux pour interdire tout rassemblement. Dès lors, les révoltes baissent petit à petit d’intensité, de nouveaux foyers débutent tandis que les premiers s’éteignent. La nuit du 17 au 18 novembre est la dernière marquée par des révoltes au niveau national. Le bilan est lourd : 6 056 jeunes interpellés (dont 4 728 pendant la crise et 1 328 après les évènements), 5 643 personnes placées en garde à vue, 1328 écrouées, 233 bâtiments publics détruits ou endommagés, 1 0346 véhicules incendiés, … pour 11700 policiers et gendarmes engagés. Concernant les suites judiciaires de la course-poursuite ayant mené à la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, deux policiers ont été mis en examen en 2007 pour « non-assistance à personne en danger ». Ils ont été relaxés en 2015, le juge estimant qu’ils n’avaient pas une « conscience claire d’un péril grave et imminent ». Le jugement a été confirmé en appel en 2016.
La première conséquence de ces révoltes de 2005 aura été en premier lieu la militarisation des polices qu’elles soient nationales ou municipales.

De la révoltes des banlieues à la révolte des quartiers

La révolte de 2023 est, en de nombreux endroits sortie des banlieues pour aller vers les centres-villes. C’est un fait nouveau par rapport aux révoltes précédentes et notamment par rapport à 2005. Pour autant, il ne faudrait pas en conclure que les jeunes des centres-villes aisés ont rejoint les jeunes de banlieue (sauf pour quelques uns d’entre eux, peut-être). Il s’agit bien d’une révolte de ceux qui subissent les inégalités sociales. (1)
Après six jours de révoltes, le bilan matériel des violences urbaines liées à la mort de Nahel M. est beaucoup plus lourd qu’en 2005. Le coût des dégâts, indemnisables par les compagnies d’assurance, est trois fois plus élevé qu’en 2005. Et pourtant, elles ont duré trois fois moins longtemps. Pour Fabien Truong, sociologue des quartiers populaires, au moins trois éléments peuvent expliquer l’intensité inédite des révoltes de 2023. D’abord, l’aggravation des conditions de vie dans certains quartiers populaires. Ensuite, le poids des images et des réseaux sociaux, ces derniers étant quasiment absents en 2005. Il est fait état d’un usage massif des messageries chiffrées comme WhatsApp et Telegram, alors que la fonction géolocalisation de certains réseaux sociaux comme Snapchat (plate-forme où les messages s’effacent automatiquement au bout de 24 heures) rendait le regroupement des révoltés plus aisé et plus rapide que lors des émeutes de 2005.
Enfin, pour le sociologue, les colères liées notamment aux multiples cas de violences policières finissent par s’empiler. Certains ont émis l’analyse d’une certaine convergence des luttes qui secouent la France depuis 2017 voire avant. Mais entre toutes ces luttes, Il n’y a pas d’intersection réelle car pas d’intérêts communs concrets à défendre. Bien sûr, il y a des similitudes des pratiques et ce désir de contrôler la rue avec un même ennemi : Les flics. Notons que s’il y avait eu une quelconque convergence des luttes, les révoltés aurait été un peu moins seuls dans les palais de justice…

La nature des dégradations est également bien différente, par rapport à 2005. Cette année, les sinistres sur les biens professionnels représentent 55% des 650 millions d’euros. Et ceux sur les biens des collectivités locales 35%, précise France Assureurs. Le reste (environ 10 %) concerne des dégâts subis par des particuliers pour leurs voitures. Et là, surprise  : Beaucoup moins de véhicules incendiés (6 000 contre plus de 10 000 en 2005)  ! Il y a donc eu moins de destructions à l’aveugle et une certaine rationalité dans les cibles choisies. Les exemples ne manquent pas : « A Roubaix, un centre culturel assez élitiste, qui ne touche pas les gens des quartiers populaires a été en partie détruit ; juste en face, la piscine, dont les salariés et usagers sont des gens du quartier, n’a pas été touchée ». (2) A Marseille, dans les quartiers Nord, les jeunes ont incendié un Aldi et attaqué le centre commercial Grand Littoral, mais personne n’a touché à l’après-M. Cet ancien McDonald’s situé en plein cœur des Quartiers Nord, à St Barthélémy, fut longtemps occupé par ses salariés après que la direction en ait décrété la fermeture. C’était un des rares lieux de sociabilité dans ces quartiers sinistrés. Les occupants, eux-mêmes issus des cités HLM environnantes, ont finalement réussi à en faire un restaurant autogéré en 2020. (3)
Les principaux commerces touchés par les révoltes sont les débits de tabac et les agences bancaires. Viennent ensuite les commerces alimentaires où des pillages ont eu lieu, les magasins de sport, les fast-foods, les salles de sport et les magasins de bricolage.
Autre différence notable, en 2005, les quartiers de Marseille n’ont connu aucune révolte. Les circuits criminels y ont imposé la tranquillité. En effet, les mouvements de quelque nature que cela soit, sont très mauvais pour le business  ! Les organisations criminelles qui gèrent les trafics dans les quartiers jouent un rôle de pompiers des révoltes. En 2023, rien de tout cela, Marseille ainsi que d’autres villes où les trafics sont omniprésents sont entrés dans le mouvement.

Les répressions

- Des flics
En 2023, il y a eu 4 fois plus de flics dans les quartiers qu’en 2005. 45 000 flics ont été déployés contre 11 000 ! Sur le terrain, l’armement des pandores a changé. Le LBD et ses variantes ont fait des ravages avec son lot d’éborgnés. L’État français a déployé des unités antiterroristes lourdement armées contre la population civile, et leur a donné carte blanche. À Mont Saint-Martin, en Lorraine, le 30 juin, le RAID a failli tuer Aimène. Cet agent de sécurité de 25 ans rentrait du travail et venait de rejoindre ses amis. Alors qu’ils étaient en voiture, le jeune homme a reçu un tir en pleine tête. Une munition dite « bean bag » : une cartouche contenant du plomb, tirée au fusil à pompe. Pendant que les policiers se mettent en arrêt maladie pour obtenir les pleins pouvoirs, le bilan de la répression qui a frappé les banlieues entre le 27 juin et le 2 juillet dernier n’a cessé de s’alourdir. En voici un aperçu provisoire :

  • Hedi, est laissé pour mort 1er juillet à Marseille après avoir reçu un tir puis passé à tabac par une équipe de la BAC.
  • Jalil est âgé de15 ans. À Chilly-Mazarin dans l’Essonne, dans la nuit du 1er au 2 juillet, il est éborgné par le tir d’un CRS.
  • Nathaniel est éborgné dans la nuit du 28 au 29 juin à Montreuil, alors qu’il sortait de soirée. Il subit une rupture du globe oculaire et de multiples fractures.
  • Abdelkarim a perdu son œil la nuit du 30 juin au 1er juillet à Marseille, suite à un tir policier.
  • Virgil, ancien militaire, est éborgné dans la nuit du 29 au 30 juin 2023, à Nanterre, après la marche blanche pour Nahel.
    Dès le 27 juin, un autre jeune homme est éborgné à Nanterre. Une vidéo montre un très jeune garçon évacué sur un fauteuil avec une blessure saignante à l’œil. Son nom n’est pas connu.
  • Mehdi a été éborgné par LBD à Saint-Denis. C’était le mercredi 28 juin au soir. L’impact du tir l’a gravement blessé à l’œil et à la tempe droite. Il est laissé au sol, se réfugie dans une école et appelle seul les secours.
  • À Angers le 3 juillet, un homme de 32 ans est éborgné par un tir de LBD dans le centre-ville, alors que la police protégeait un local d’extrême droite. Au même moment, un autre homme est gravement blessé par un autre tir de LBD qui lui fracture le visage.
  • Aux Ulis, en région parisienne, une femme qui rentrait du travail, dans sa voiture, a reçu un tir du RAID en pleine tête.
  • Le 30 juin à Villejuif, des morceaux de main sont retrouvés dans la rue. Un journaliste, informé par la police, parle d’un « morceau de phalange et les restes de grenade » qui « ont été prélevés » par la police pour retrouver la victime, qui ne s’est pas manifestée.
  • Dans la nuit du 1er au 2 juillet : Mohamed, livreur de 27 ans, est tué par un tir de LBD. Alors qu’il circulait à scooter ce soir là, il est retrouvé mort, avec le choc d’une balle en caoutchouc dans le thorax.
    Et ce ne sont que les cas connus. Ceux qui ont osé parler, dont les proches ont déposé une plainte ou qui se sont montrés dans les médias. Certains blessés ont mis plusieurs semaines à se faire connaître. Ce ne sont probablement qu’une infime partie des vies brisées par la police lors de ces nuits de révolte, l’immense majorité des victimes préférant rester discrètes par peur de représailles ou de poursuites.
    Le 19 juillet, la cheffe de l’inspection générale de la police nationale a déclaré devant la commission des Lois de l’Assemblée nationale que son service avait été saisi de 21 enquêtes « de nature et de gravité très différentes » sur les agissements des forces de l’ordre.

    - De la justice
    Le 30 juin, le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti publie une circulaire appelant à une réponse pénale ferme. 586 personnes sont alors jugées en comparution immédiate et 400 incarcérées. La dureté et la disproportion des peines prononcées à l’égard de prévenus souvent jeunes — 50 % ont moins de 17 ans — et au casier judiciaire parfois vierge est soulignée par des journalistes. Magistrats et avocats racontent n’avoir « jamais vu ça » et dénoncent une justice « instrumentalisée », « bâclée » ou « politique ».
    Le 4 juillet, un premier bilan fait état d’environ 3693 personnes placées en garde-à-vue, dont 1 149 mineurs.
    Le 19 juillet, Éric Dupond-Moretti fait état de « 1 278 jugements, avec 95 % de condamnations, 1 300 déferrements au parquet, 905 comparutions immédiates, 1 056 personnes condamnées à une peine d’emprisonnement, dont 742 à une peine ferme avec un quantum moyen des peines fermes de 8,2 mois, et 600 personnes incarcérées » en réponse aux faits survenus entre le 27 juin et le 5 juillet. Grâce à cette indépendance de la justice française 7 4513 personnes étaient incarcérées en France le 1er juillet contre 73 699 au mois de juin selon les chiffres officiels du ministère de la justice.
    Des enquêtes permettent également des arrestations plusieurs semaines après les faits, comme l’incendiaire présumé du centre administratif de Saint-Denis (93), confondu par la vidéosurveillance et des tests ADN. En revanche, le 4 août, le tribunal de Bobigny disculpe trois jeunes de Gagny en détention provisoire depuis cinq semaines comme s’il fallait 3 cas pour redorer le blason de la justice !

- Des politiciens
Devant les maires de communes frappées par les révoltes, Macron a évoqué l’idée (défendue aussi par le secrétaire national du PCF Fabien Roussel) de limiter, voire de couper l’accès aux réseaux sociaux lors d’épisodes de violences urbaines, deux jours après que l’Etat ait démenti une rumeur qui lui prêtait la décision de procéder à de telles coupures. Notons que cette pratique de blocage n’est jusqu’à présent pratiquée que par des régimes autoritaires. A suivre !
Le maire de Reims (membre d’Horizons d’Edouard Philippe) est également revenu sur les violences urbaines. Il a milité pour la mise en place d’une politique forte à travers la prévention et la répression. "La prévention existe à travers les politiques qui sont menées dans l’ensemble des quartiers de la ville de Reims (...) Mais lorsque des familles pourrissent la vie de nos voisins, il me semble logique que nous puissions aller vers une facilitation de la rupture des baux", a-t-il avancé précisant que la mesure pourrait s’appliquer "lorsqu’il y a une condamnation, que ce soit une personne mineure ou un adulte" avant de conclure : "Je pense qu’à un moment, il faut remettre de l’ordre dans nos quartiers et que chacun prenne ses responsabilités et notamment les familles". Quant au président des Républicains E. Ciotti, il demande à ce que soit facilitée la suspension des allocations familiales aux familles incriminées ! Au programme : Que de la répression !
A ces menaces il faut y ajouter l’arrêt des transports publics le soir après 20h, la suppression des fêtes locales, et même des festivités du 14 juillet dans certaines banlieues… jusqu’à l’interdiction de tout rassemblement ou manifestation culturelle dans les quartiers, qu’ils aient bougé ou non d’ailleurs. Toutes les populations des quartiers ont été punies plusieurs jours de suite.

- De l’extrême droite
Plusieurs groupuscules d’extrême droite vont effectuer des descentes au sein même de certains quartiers en révolte. Dans plusieurs villes, notamment dans l’Ouest (Angers, Lorient, …) des groupes de « patriotes » ont organisé des ratonnades pour suppléer aux flics débordés. Ils ont été jusqu’à arrêter des jeunes et les remettre aux pandores.

Un mouvement de dimension politique ?

Les révoltes ont été beaucoup plus générales qu’en 2005 tant du point de vue géographique que du nombre de participants. Des évaluations ont été avancées : Au moins 100 000 jeunes ? Impossible à en donner un quelconque chiffre.
Néanmoins nous sommes loin d’une révolte de masse (comme d’ailleurs pour les gilets jaunes). Comme le dit « Temps critiques », « si masse il y a eu, c’est du côté de la mobilisation policière, qui fut totale. » (4)
Dans tout mouvement il y a des dimensions festives mais aussi des solidarités. Si les autres mouvements de ces dernières années n’ont guère manifesté leur solidarité, il n’en fut pas de même au sein de ces quartiers. Certains pillages, entre autres de denrées alimentaires, ont été réalisés dans une ambiance festive. La fête, elle fut visible de part les feux d’artifice. Ah ! Ces mortiers d’artifice ! Vous avez dit « mortier », mais c’est la guerre ! Des armes à destination des flics beaucoup moins létales que les LBD ! Et en plus il y a de belles couleurs !
IL faut rappeler tout de même que l’achat par une personne non-professionnelle étant interdit, la loi est particulièrement sévère sur ce sujet. Elle a été renforcée en 2021 avec la loi « sécurité globale ». Désormais, la peine pour avoir acheté, détenu, utilisé et vendu des mortiers d’artifice est de six mois de prison et 7 500 euros d’amende. Les peines peuvent être doublées si l’achat ou la vente se fait sur Internet, ce qui est souvent le cas.
Comme nous l’avons dit plus haut, l’ennemi des révoltés n’était seulement les flics mais l’Etat symbolisé bien souvent par Macron, les bâtiments publics, les drapeaux BBR (c’est une différence notable avec les gilets jaunes !). Notons tout de même que ce mouvement très court a exprimé des points communs avec les gilets jaunes : Son contenu de classe ! Bien sûr la politisation n’est pas (encore ?) présente. Il y a eu historiquement des tentatives avec le MIB (Mouvement de l’immigration et des banlieues) mais le tissu associatif des quartiers est aujourd’hui en crise. Malheureusement, ces tentatives n’ont jamais pu dépasser le stade de l’institutionnel et de la politicaillerie. Le plus drôle, si l’on peut dire, est que ces révoltes de 2023 ont déjà suscité un appel intitulé « les élections municipales, un débouché politique pour les émeutes ? » (5)
Toutefois, si on veut bien replacer cette révolte de 2023 dans une perspective longue, on peut être un peu moins pessimiste. On la compare souvent à 2005, mais c’est insuffisant : comme nous l’écrivions plus haut, cela fait 40 ans que les révoltes « de banlieue » se succèdent. Et de fait, la révolte dans ces quartiers ne se résume pas à ces épisodes suffisamment visibles pour que les média nationaux s’en emparent (et fassent leur sale travail de dénigrement et décrédibilisassion des révoltés). Il y a une liste d’événements qui peuvent sembler isolés mais qui, constituent en réalité une liste bien longue. Ici c’est un centre social auquel on a mis le feu, plus loin, à un autre moment, c’est une école qui est vandalisée, ailleurs plus tard ou plus tôt dans le temps, c’est un supermarché de quartier qui est incendié ou une agence de pôle-emploi qui est vandalisée. Gageons que si on pouvait faire un inventaire de ce type d’événements en France, on en trouverait un nombre impressionnant. De fait, ça branle dans le manche depuis 40 ans au moins, dans les quartiers mis en grande difficulté par le société actuelle, capitaliste. En fait, on peut voir ce qui se passe comme l’expression d’un mal-être qui s’exprime en révolte rampante ici et là et qui prend parfois de l’ampleur. Et il faut considérer aussi que bien des mouvements individuels de colère font partie de cette révolte rampante : c’est la personne qui « explose » à pôle-emploi, celle qui s’en prend à tel membre du personnel de l’hôpital, c’est l’ado qui pète un plomb contre son prof, etc..
Comme cause de ces moments de révolte, il y a, le plus souvent, l’une ou l’autre exaction violente de la police, mais il y a aussi une autre cause qui est omniprésente et plus au fond, et c’est le sort fait, dans cette société capitaliste, à une partie parmi les plus démunies de la population, celle qui habite ce qu’on appelle maintenant les « quartiers populaires ». Il n’est sans doute pas nécessaire de décrire ici ce que vivent ces habitants en termes de misère, d’absence de perspective et d’espoir de s’en sortir.
L’énoncé de la liste des cibles de ces révoltes et de ces colères individuelles ou collectives montre assez quel est le problème. Les cibles, (si on veut bien considérer à part les commissariats qui sont pris pour cible en réponse à des violences policières bien précises, le plus souvent) ce sont d’une part, les services publics ou para-publics (école, pôle-emploi, hôpital...1 500 bâtiments publics en 2023 contre 300 en 2005) qui ne tiennent pas leur promesse de permettre aux gens de sortir de leur situation de misère (qui n’ont jamais pleinement tenu cette promesse, évidemment, et qui la tiennent de moins en moins dans la mesure où leurs moyens diminuent). Le message en s’attaquant à ces services publics, c’est « vous devez nous donner des moyens pour sortir de cette situation d’écrasement et d’exploitation ». C’est un refus de se soumettre et d’accepter la place qui leur est faite dans cette société capitaliste. Les cibles, ce sont d’autre part les commerces, que ce soit en les détruisant et pillant ou plus simplement par la choure à la petite semaine (simplement parfois pour que les enfants échappent à la faim), s’y attaquer, c’est refuser d’être celui qui n’a pas droit à toutes ces victuailles et autres choses bien tentantes étalées dans les rayons, alors que d’autres y ont droit sans problème, et certains à profusion. C’est donc, là aussi refuser la place qui vous est faite dans la société.

Un avenir peut-être pas si sombre qu'il n'y paraît

Le pouvoir de l’Etat ou des collectivités locales n’a pas de perspectives face à ces révoltes. Les « solutions » de type économique et social pour l’emploi la rénovation des quartiers, l’ouverture de quelques places dans les grandes écoles pour les jeunes de banlieue, etc. ont toutes apporté depuis des décennies les résultats que nous connaissons. L’Etat ne peut que mettre des plâtres sur jambes de bois et même, s’il est plus à droite, ne répondre que par la répression. Et ça ne peut pas se passer autrement parce que les classes dirigeantes et la très grande partie des classes moyennes installent un barrage, un écran pour ne pas voir les réalités de la vie des pauvres. Périodiquement, les jeunes des banlieues crèvent l’écran et forcent les barrages. Alors, très vite après le temps de la sidération, les classes moyennes et dirigeantes reconstruisent des barrages à coups de punitions et/ou de mesurettes à caractère plus ou moins social. Ce pouvoir de classe est aveugle à la misère qu’il engendre et sourd aux protestations des miséreux. Mais il ne peut en être autrement, sinon leurs avantages et privilèges de classes seraient remis en cause.
C’est pourquoi aussi, il est fondamental de soutenir les mouvements de protestation issus des ces fractions les plus démunies de la population. En 2005, rien n’a été fait. Cette fois, une initiative, si timide soit-elle, se présente pour le 23 septembre. A l’heure où nous écrivons, nous ne pouvons pas savoir quelle ampleur elle prendra, mais à nous de pousser pour que ce soit pas qu’un feu de paille. Cette marche du 23 septembre, dite « marche pour la fin du racisme systémique, des violences policières, pour la justice sociale et les libertés publiques » met en avant certaines revendications qui tombent sous le sens, comme l’abrogation de la loi de 2017 ou le remplacement de l’IGPN par un organisme indépendant. Mais elle réclame aussi : « Un plan d’investissement public ambitieux dans les quartiers populaires et sur l’ensemble du territoire pour rétablir les services publics, le financement des associations et des centres sociaux » Il s’agit là de revendications bien compatibles avec la vision habituelle (vision dominante dans la gauche sociale démocrate) selon laquelle l’égalité des chances n’a rien à voir avec le niveau de vie. Ce ne sont pas la remise à niveau des services publics, des associations et des centres sociaux qui peuvent entamer la cruauté et l’injustice que constitue la pauvreté. Par exemple, on peut remettre un bureau de poste dans chaque quartier populaire, où les gens pourront venir toucher le RSA, mais quand on est au RSA, le problème de fond n’est pas de devoir se déplacer dans un autre quartier pour toucher le montant de misère que le RSA vous octroie, le problème c’est d’être au RSA, c’est à dire dans la misère. En comparaison, signalons que le 5 juillet 2023, l’appel « Notre pays est en deuil et en colère », était signé par quasiment les mêmes syndicats, associations et partis On pouvait y lire : « Rien ne peut cependant se faire sans un autre partage des richesses » et début août, dans l’appel au 23 septembre, cette fois toute notion d’autre partage des richesses a disparu.
On peut noter aussi que cet appel pour le 23 septembre ne réclame pas l’amnistie pour les participants à la révolte. Ce serait pourtant une revendication de base, essentielle !
Le soutien reste timide car beaucoup de révoltés sont passés seuls devant les juges. Pas eu de grosses solidarités collectives, quelques individus mais pas d’appel massif à faire de l’antirep. Des progrès donc par rapport à 2005 mais comme les militants ne sont pas très majoritairement issus de ces quartiers… et qu’il n’y a pas eu de liens réels avec ces révoltés, nous avons réagi dans l’urgence, tardivement même et sans contact sur le terrain.

Denis, Fabien et Gérard le 23/08/23

Notes

(1) Le sociologue Denis Merklen, auteur de « Pourquoi brûle-t-on les bibliothèques ? », explique que lorsqu’on s’attaque à une école, une bibliothèque ou même un commissariat, ce n’est pas spécifiquement l’école ou la bibliothèque qui est visée, mais que les dysfonctionnements de ces services publics entraînent une conflictualité permanente à l’école, la sécu, l’hôpital, les services HLM (problème des ascenseurs en panne par exemple), les services municipaux. Il se crée une espèce de chaîne d’équivalence entre ces agents, sociaux ou de la fonction publique, qui sont l’objet d’un conflit. Et en bout de chaîne, il y a le policier, mais l’instituteur est alors l’équivalent du policier.
(2) Extrait de CQFD, été 2023 interview du sociologue JulienTalpin
(3) Extrait du texte « C’est la guerre  ! » d’Alessi Del’Umbria paru dans Lundi matin le 3 juillet
(4) htttp ://temps critiques.free.fr : "Un moment de révolte émeutière"
(5) Texte d’Abdel Yassine et Ulysse Rabaté facilement trouvable sur le net.

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