CA 332 été 2023
lundi 28 août 2023, par
Collaborateur de longue date à Courant Alternatif, notre ami et camarade Christophe Soulié est décédé brutalement le 5 mars dernier à l’âge de 68 ans. Ses obsèques ont eu lieu au crématorium de Landouge, près de Limoges.
Né à Brive en 1954 d’un père médecin et d’une mère férue de philosophie, sensible au christianisme social de Vatican II, Christophe – dont la nounou espagnole avait milité dans les rangs de la CNT-FAI (1) – grandit dans un milieu familial doté d’une culture humaniste ouverte sur le monde. Outre une aspiration au végétarisme qu’il développe vers l’âge de 5 ans, plusieurs voyages aiguisent sa conscience et son imaginaire d’enfant, tandis qu’il manifeste un intérêt précoce pour l’univers des contes, prélude à cet art et ce goût du récit qui le caractérisaient tant.
À son entrée dans l’adolescence, Christophe est enfant de chœur. Le groupe paroissial auquel il appartient se rend régulièrement au café, après la messe, où tous les sujets sont abordés et discutés. Nous sommes en 1967-1968 et, bientôt, le joli Mai bouleverse un ordre moral dont les entraves sont contestées par une jeunesse socialement soumise à la censure de sa parole, de ses désirs. Pour Christophe, les années lycée seront celles de la révolte (contre les injustices et les hiérarchies d’une société obstinément patriarcale) et de sa rencontre avec Monique, sa compagne de toujours. Le jeune adolescent s’inscrit avec enthousiasme au sein d’un réseau de sociabilité particulièrement formateur, composé d’hommes et de femmes aux générations et engagements divers (libertaires, chrétiens de gauche, trotskystes, militants du PSU…). Une ferme fréquentée du sud corrézien offre un espace fraternel à l’expérience collective d’une forme de vie ouverte sur tous les possibles.
Impliqué dès ses 15 ans dans le Comité d’Action Lycéen de son établissement, il quitte la Jeunesse Étudiante Chrétienne pour militer un temps au sein de Lutte Ouvrière, avant de rejoindre assez rapidement les « anars ». Bombages anticléricaux, agitation lycéenne, radicalité d’inspiration situationniste : son année de Première s’achève par une exclusion officieuse mais définitive. Inscrit en 1972 dans le Tarn au sein d’une institution encadrée par des Dominicains à la pédagogie plutôt libérale, il passe ses week-ends à parcourir en stop, souvent en solitaire, le Midi de la France, tel un Rimbaud rêveur dormant à la Grande-Ourse…
Le bac en poche, il est bienheureusement réformé. Après une année à la Faculté des Lettres de Limoges (1973-1974), il entre à l’École Normale (1974-1975) avant d’être affecté en Haute-Vienne… Dans un contexte national et international de combats politiques, culturels et sociaux de premier ordre, de LIP au Larzac en passant par le MLAC, de l’antimilitarisme au mouvement antinucléaire, de la lutte armée contre le régime franquiste (le MIL, les GARI) à l’Autonomie italienne, allemande ou française (dont Marges), sans évoquer la RAF, la question se pose d’agir avec quelque conséquence contre toutes les formes d’oppression d’un monde plié aux lois iniques de l’exploitation capitaliste. Pour Christophe, à l’instar de nombreux·ses anti-autoritaires qui ont eu vingt ans comme lui dans l’après-68, la question ne se pose pas. Son engagement est actif, intense, déterminé – la passion au cœur et la rage au ventre.
Il tombe en janvier 1978.
D’abord incarcéré à Tulle, il est condamné en décembre de la même année par la cour d’Assises de la Corrèze. Le verdict est lourd, en comparaison des faits qui lui sont reprochés : 4 ans ferme pour quelques départs de feu visant une permanence du RPR (à Brive) et deux ou trois portails d’églises. Le Libération de l’époque s’en émeut… Christophe est ensuite détenu à Mauzac en Dordogne. Épreuve indélébile de l’enfermement.
Il sort le 6 octobre 1980.
Dehors, rien n’a changé, sinon en pire ; reflux des luttes et des espoirs, dans une France bientôt soumise à la « force tranquille » d’une social-démocratie aussi sordide que sédative. Outre la tenue régulière, en compagnie d’autres camarades, d’une table de presse anarchiste, Place de la République à Limoges, Christophe fonde le CLARES (Collectif Limousin d’Animation des Ressources et d’Expérimentation Sociale), association vouée à répertorier et promouvoir les alternatives en Limousin. Parallèlement, ces premières années post-carcérales l’incitent à développer une critique de la Prison et de la Justice, institutions disciplinaires qu’il interroge en correspondance avec la pensée de Michel Foucault, qui le touchait profondément : Surveiller et punir…
Mises en ordre existentielles et politiques de son expérience de la répression judiciaire et de l’incarcération, la conception et la co-animation d’une émission, Taule ondulée, contre toutes les formes d’enfermement, sur une radio libre de Limoges (Radio Trouble-Fête) de février 1982 à septembre 1984, s’accompagne d’une activité et d’une réflexion soutenues autour de la « défense libre ». Dans ce contexte, Christophe scelle une amitié complice avec l’avocate Babette Auerbacher (membre-fondatrice en 1973 du groupe Handicapés méchants) et Jean Lapeyrie, impliqué peu après sa création en 1972 dans le Comité d’Action des Prisonniers (CAP) puis à l’initiative du Comité d’Action Prison-Justice (CAPJ) en 1980-1981. Christophe s’investit dans les Assises de la défense libre, organisées du 17 au 20 juin 1983 au Château de Ligoure (87) par le CAPJ et le CLARES, en présence du magistrat et ancien résistant Étienne Bloch (fils de l’historien Marc Bloch, fusillé par la Gestapo en 1944) et de Jacques Vergès.
Conjointement, il contribue en 1984-1985 à la création du Secours Sanitaire International (SSI), structure associative conçue comme une alternative à l’humanitaire de la dépendance, tel que pratiqué par la plupart des organisations internationales, fussent-elles non-gouvernementales. En Colombie, le SSI se met à la disposition des populations indigènes de la région du Cauca, organisées au sein du CRIC (Conseil Régional Indigène du Cauca), afin d’apporter une aide à la demande aux plans matériel, sanitaire et social, dans une perspective d’échanges et d’autonomie – ce que ni le régime, ni les paramilitaires, ni la guérilla des FARC ne tolèrent…
À la même époque (1984-1986), Christophe (alors au chômage) mène des études de journalisme à l’IUT de Bordeaux, finalisées par un Mémoire sur le thème de la prison, en rapport avec une histoire des luttes carcérales. À cette occasion, il côtoie la librairie anarchiste L’En Dehors et fait la rencontre de Gilles Durou (1954-2003), son futur éditeur, par l’intermédiaire duquel il noue avec l’OCL un compagnonnage jamais démenti. Journaliste indépendant, il publie dans Politis, Jeune Afrique, etc. Au Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou (FESPACO), il conduit en 1986 plusieurs entretiens enregistrés avec les cinéastes et poètes parmi les plus emblématiques (et critiques) de l’Afrique postcoloniale. Il a quelques échanges informels et fraternels avec le jeune président burkinabais Thomas Sankara, bientôt assassiné en octobre 1987 lors du coup d’État très françafricain de Blaise Compaoré.
Vers 1986-87, Christophe rejoint le Cercle Gramsci fondé à Limoges en 1985. Il en sera l’un des animateurs principaux durant une douzaine d’années. Il propose et présente plusieurs soirées-débats dont il initie l’enregistrement afin d’en rendre très fidèlement compte dans le bulletin du Cercle. Les thèmes qu’il prend en charge vont de « La RDA entre droite et gauche » en 1990 avec Dagmar Brocksine, à la prison avec Jacques Lesage de la Haye en 2003. Par ailleurs, il dynamise l’AUSP (Auto-Université Solidaire et Populaire du Cercle, 1995-2002) dont il prépare et anime nombre des séminaires au Château de Ligoure (« Le travail et la fin du salariat », « Le revenu garanti », « L’éducation et les lycées autogérés », etc.).
La fin des années 1980 se caractérise à Limoges par la résurgence dynamique (bien qu’éphémère) d’un mouvement anti-autoritaire, constitué à la faveur de rencontres informelles, souvent affinitaires, entre des personnes issues de milieux et de générations divers (étudiants, salariés, etc.). De 1989 à 1993, Christophe œuvre ainsi sans relâche en faveur d’une Convergence libertaire, toujours soucieux de transmettre les éléments de son parcours (intense) et de sa culture (immense) propices à favoriser l’autonomie intellectuelle du tout jeune camarade (parmi d’autres) qu’était alors l’auteur de cet hommage, ô combien reconnaissant…
Outre une participation régulière à diverses rencontres libertaires (Barcelone, Lyon, Grenoble), la décennie 1990 annonce pour Christophe la poursuite par d’autres voies des aspirations de toujours, le renouvellement d’un cycle amorcé dans les années de braises d’une jeunesse ardente.
Déjà chargé de cours (statut précaire) au sein de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Limoges, sur le thème du récit et plus généralement des langages en rapport avec l’univers des médias (il obtiendra en 2008 un Master en Cultures médiatiques, Littérature francophone & Éducation populaire), Christophe poursuit de 1992 à 1997 des études en Sciences de l’Éducation. Dans ce cadre, il réalise une série d’entretiens ainsi qu’un documentaire en lien avec l’École expérimentale Bonaventure (Oléron, 1993-2001). La pédagogie libertaire et autogestionnaire de cette expérience militante entre en résonance avec son intérêt théorique et son implication pratique en faveur de l’éducation populaire, dans une démarche dite de recherche-action, développée au contact de ce courant sociologique qu’il connaissait parfaitement bien : l’analyse institutionnelle. Dans cette perspective, il soutient en 1997 un Mémoire de Maîtrise à la croisée de l’Éducation populaire et des Histoires de vie, mené sous la direction du sociologue institutionnaliste Jean-François Marchat. De là, Christophe collabore à des enquêtes, mène des entretiens et contribue à des monographies en rapport avec l’économie solidaire, en association avec le CRIDA (Centre de Recherche et d’Information sur la Démocratie et l’Autonomie, Paris). Il assure également des cours dans le cadre du département des Sciences de l’Éducation, dont il sera évincé pour des considérations budgétaires, malgré le soutien de ses étudiants et collègues. Par ailleurs, son intérêt pour les expériences alternatives, doublé d’une érudition certaine en rapport avec l’histoire sociale d’un Limousin riche de son mouvement mutualiste à l’origine des coopératives ouvrières des XIXe et XXe siècles, se traduira dans les années 2000 par sa participation au CLARA (Collectif Limousin Autogéré de Recherche Action) au sein de l’Équipe Activités d’économie solidaire en Limousin. Depuis 2015-2016, Christophe intervenait comme chargé de cours au sein de Polaris, organisme de formation dans le secteur du travail social, notamment dans le cadre d’une Prépa à destination de personnes aux parcours hétérogènes, qu’il (ré)initiait avec tact et passion aux méthodes et techniques d’expression, écrite comme orale.
Aussi méticuleusement documentée qu’émotionnellement difficile, la réécriture de son Mémoire de Journalisme soutenu en 1986 à l’IUT de Bordeaux débouche sur la parution en 1995 de Liberté sur Paroles. Contribution à l’histoire du Comité d’Action des Prisonniers aux éditions AnaliS, fondées par Gilles Durou (2). Le Cercle Gramsci consacre une soirée-débat sur le thème de « La prison en question » dont Christophe est bien entendu l’intervenant principal, aux côtés de sa préfacière Christine Daure-Serfaty, alors Présidente de l’Observatoire International des Prisons. S’il matérialise l’intention diffuse d’une catharsis, l’ouvrage pionnier n’en est pas moins devenu une référence pour quiconque prétend saisir les origines et enjeux des luttes carcérales. La sociologue féministe Gwénola Ricordeau, autrice abolitionniste de Pour elles toutes. Femmes contre la prison (2019), fut émue et ravie de rencontrer Christophe à l’occasion d’une conférence qu’elle animait en 2021 sur le Plateau limousin.
Au cours du Mouvement des chômeurs de l’hiver 1997-1998, Christophe s’implique activement (surtout à Limoges) dans les occupations itinérantes de l’ANPE, des ASSEDIC, de la Chambre de Commerce, etc. (3). Les revendications ne manquent pas d’engager une critique radicale de la vie quotidienne, structurée par une société de travail au fondement même des inégalités, notamment en termes de subsistance et d’accès aux ressources. À l’occasion de quelques décembres festifs, Christophe goûte à la joie populaire des « réquisitions de richesses » et autres « auto-réductions », opérées dans les épiceries fines et magasins d’alimentation de la bourgeoisie parisienne. En 2011, il publiera d’ailleurs « Expérience d’une action productive de connaissances : Agir ensemble contre le Chômage », dans Le Collectif à l’épreuve du communautaire, ouvrage d’enquêtes et de recherches publié par le CLARA.
Dans la foulée, il contribue à la naissance d’une chorale, laquelle trouve précisément son origine dans l’occupation (très musicale) des ASSEDIC évoquée plus haut. Fin 1998 est ainsi fondée la CRS : Chorale des Résistances Sociales, toujours à l’œuvre.
Non sans résonance avec un intérêt croissant pour la philosophie chinoise (découverte en prison), nourri plus récemment par une pratique régulière du Qi-gong, cette recherche d’une respiration politique et sensible est inlassablement initiée ou stimulée par Christophe au travers de ses rencontres, associations et engagements. De ce point de vue, les années 2000-2010 témoignent sans doute d’un nouveau souffle, en cohérence avec une perception et expérience toujours plus fines des mondes humains, terrestres, vivants.
De 2004 à 2017, Christophe « préside » la Compagnie de théâtre-action ParOles (fondée à Limoges en 1993 par Denis Lepage et Martine Panardie) dont les ateliers et créations impliquent des personnes issues des quartiers populaires de la périphérie de Limoges, des foyers de travailleurs immigrés, d’autres en situation de handicap, des prisonniers, etc. Il réalise en 2005 à propos de ParOles un travail d’enquête et d’analyse, « Art, Cultures et Gratuité », mené avec l’aide du FASILD (Fonds d’Action et de Soutien pour l’Intégration et la Lutte contre les Discriminations) dans le cadre plus général d’une recherche collective en matière d’économie solidaire en Limousin.
En 2005, c’est la rencontre déterminante avec Armand Gatti, pour lequel Christophe nourrissait déjà une admiration certaine, et Hélène Châtelain sa compagne. C’est le début d’une aventure humaine, intellectuelle et artistique, jalonnée par deux créations de Gatti en rapport intime avec le Limousin : un poème en hommage à Georges Guingouin, lu en 2006 dans la forêt de La Berbeyrolle, près de Tarnac, où le jeune Gatti âgé de 19 ans intègre le maquis de Corrèze en 1943 ; une expérience théâtrale menée à Neuvic d’Ussel (19) en l’honneur des femmes en noir de Tarnac (juillet-août 2010). Ces créations s’inscrivent dans une conjoncture particulière, marquée le 11 novembre 2008 par l’interpellation de (puis le soutien à) plusieurs personnes installées depuis quelques années sur la commune de Tarnac, certaines d’entre elles ayant contribué activement à préparer la lecture du poème en hommage à Guingouin. De la confiance et de l’intensité qui émanent des échanges avec le dramaturge naît peu à peu l’idée d’un récit autour de Gatti et du Limousin. Une recherche au long cours s’amorce, dont Christophe, son ami et camarade Francis Juchereau (Cercle Gramsci) ainsi qu’Hélène Châtelain envisagent de conduire ensemble le processus d’écriture. Ce dernier se prolongera par-delà le décès de Gatti (2017), puis de sa compagne elle-même (2020), avant d’être momentanément suspendu par la disparition brutale de Christophe. En 2011, à Peyrelevade (19), Hélène Châtelain pointait en ces termes la démarche essentielle du livre, en parfaite résonance avec les aspirations de Christophe : « Faire un livre, c’est prolonger la relation très particulière et concrète qui a commencé à s’établir ici entre nous et ce que vous avez établi sur le Plateau. C’est cette relation qui est le moteur premier de ce voyage : ce sentiment qui existe ici de vivre une Commune ».
Ainsi, l’engouement de Christophe pour la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (en octobre 2016, il participe avec émotion au « Serment des bâtons ») mais également pour la Montagne limousine, l’émergence de son Syndicat en 2014 et l’histoire originale de son communisme rural, recoupe ses engagements en faveur d’une autonomie politique et sociale des Communs, à l’instar de ce qu’il écrivait en 2014 dans CA (n°240) : « …à partir de l’espace vécu, on peut faire de la politique, s’auto-organiser, partager des expériences et faire exister des solidarités sous d’autres normes que celles imposées par l’Etat et ses institutions » ; et de défendre « la dimension vernaculaire [de] cet espace sensible où se nouent les relations de solidarité dans les vécus faits de multitudes de relations humaines ». On reconnaît là tout l’intérêt de Christophe pour la pensée d’Henri Lefebvre à propos des manières alternatives d’habiter l’espace social ou de Rancière pour lequel expérience politique du sensible et expérience sensible du politique sont indissociables. Double expérience, vécue de même au sein des villages altermondialistes et camps autogérés auxquels Christophe participe lors de contre-sommets (Nice en 2000, etc.).
Par ailleurs, sa création (collégiale) d’un Groupement Forestier Citoyen dans les monts de Blond (87) à l’hiver 2021 témoigne d’une pleine conscience (à la fois locale et globale) des ravages écologiques et sociaux causés par la gestion industrielle et mercantile de la forêt, ainsi que d’une sensibilité (de toujours) aux dimensions sensorielles et imaginaires d’un écoumène (4) de plus en plus soumis au règne impitoyable de la prédation capitaliste.
De même, les jardins constituent pour Christophe les lieux privilégiés d’une quête : celle d’une certaine autonomie vivrière, toujours partagée, toujours solidaire ; celle d’un apaisement, à distance des postures agressives et des rôles pétrifiés – y compris militants…
À signaler en ce sens le ciné-club informel et convivial que Christophe animait ces dernières années, toujours accompagné d’un repas partageux. À cet égard, comment ne pas évoquer la cuisine généreuse et délicate qu’il réalisait à merveille, dans le plaisir épicurien d’une hospitalité libertaire dont se souviendront notamment les camarades ayant participé à la CJ de printemps de Courant Alternatif, qu’il accueillait depuis longtemps dans son village limousin d’Arnac, près d’Oradour-sur-Glane.
Dès lors, on comprendra que le confinement de l’année 2020, avec ses certificats d’incarcération à ciel ouvert, ravive chez Christophe les angoisses naguère éprouvées mais jamais vraiment dissipées de son expérience inaugurale et traumatique de l’enfermement.
Puis c’est l’opération du 15 juin 2021 menée sous pavillon « antiterroriste » en différents lieux du Limousin, pour une histoire de véhicules Enedis et d’antennes-relais incendiés, en contestation du totalitarisme technologique et de son monde. L’interminable perquisition de son domicile par une armada encagoulée de flics, la saisie d’affaires personnelles, les interrogatoires paranoïaques, humiliants et absurdes d’une GAV de trois jours (conjointement à celle de Monique), portent un coup – peut-être fatal – à Christophe, quand bien même ni lui ni sa compagne ne font l’objet d’aucune « poursuite » (5). Et pour cause ! Dans cette affaire, c’est aussi bien son passé politique et carcéral que les engagements écologiques, culturels et sociaux de son présent que les flics reprochent essentiellement à Christophe.
La vie reprend son cours, tant bien que mal. Quant aux jardins, ils offrent encore le secours de leurs cycles régénérateurs. Mais une blessure s’est rouverte, si vive dans les silences accrus du conteur, dans la pudeur inoubliable de ses sourires.
Les cendres de notre ami et camarade émaillent le pied moussu d’un châtaignier tutélaire.
William
* Remerciements aux personnes qui ont contribué par leurs témoignages et souvenirs à la rédaction de cet hommage, tout particulièrement à Monique.
Notes
1. Christophe remémorait souvent sa rencontre marquante à Brive avec un vieil anarchiste espagnol ayant appris à lire au sein d’un athénée libertaire à partir de L’Homme et la Terre d’Élisée Reclus.
2. Liberté sur paroles est diffusé par le CRAS : https://cras31.info/spip.php?article20
3. Au cours d’une table ronde coorganisée en mai 2002 par le Cercle Gramsci et l’association Mémoire ouvrière en Limousin, Christophe déclare : « En liant les questions politiques à des situations vécues très concrètes, l’occupation des lieux n’est pas que physique, elle a été politique ».
4. Au sens d’Augustin Berque, dont Christophe était un lecteur attentif.
5. D’abord trois, puis deux personnes mises en examen écopent d’un contrôle judiciaire ; en attendant le procès.