CA 239 avril 2014
mercredi 23 avril 2014, par
Indépendante depuis 1991, à la suite de la chute de l’Union Soviétique, l’Ukraine se voit aujourd’hui au centre d’un conflit géopolitique impliquant d’un côté l’Union européenne et les États-Unis (alliés à travers l’OTAN) et de l’autre la Russie.
Pour l’Union européenne c’est un défi, va-t-elle pouvoir protéger et remettre sur pied ce pays au bord de la crise économique ? L’OTAN, menée par les États-Unis, s’agrandissant de plus en plus depuis la fin de la guerre froide, a une réelle opportunité à la suite de la chute du gouvernement ukrainien pro-russe de Ianoukovytch de grignoter un peu plus un ancien pays du bloc de l’Est.
Pour la Russie, c’est un retour en arrière. La révolution orange de 2004 avait mis les pro-européens au pouvoir, mais la situation a été rétablie en 2010 à la suite de la victoire du « Parti des Régions » (le parti de Ianoukovytch). Un retour de l’Ukraine dans le camp russe n’est plus possible à présent. La Russie doit à présent mener une bataille afin de conserver ce qui peut l’être et peut-être même accroître dans une certaine mesure son influence régionale et mondiale.
Ces derniers temps la Russie a su jouer de sa carte politique avec brio, avec comme plus grande victoire la proposition du démantèlement de l’arsenal chimique syrien, contrecarrant toute intervention potentielle de la part de l’OTAN. La Russie avait, pour la première fois depuis la fin de la guerre froide, entravé les actions des États-Unis, ce qu’elle n’avait pas réussi à faire lors du démantèlement de la Yougoslavie par exemple.
Elle a également démontré une intransigeance lors du conflit en 2008 avec la Géorgie. Petit rappel des faits : Saakachvili, le président Géorgien, avec la bénédiction de son allié américain, lance une offensive pour reprendre le contrôle de l’Ossétie du Sud. De nombreux soldats russes en garnison dans la région sous mandat onusien et des citoyens russes habitant dans la région sont tués lors de l’offensive initiale. La Russie décide donc d’intervenir militairement. Résultat, dix jours plus tard l’Ossétie du Sud, mais également l’Abkhazie, une autre région échappant à l’autorité géorgienne, sont devenues de véritables états fantoches dirigés par Moscou.
Mais ce conflit ne repose pas uniquement sur des luttes d’influence entre superpuissances. Il prend ses sources dans un nationalisme exacerbé couplé à la mémoire d’un passé trop souvent douloureux. Pour bien comprendre la source du problème il faut revenir un peu en arrière.
Un peu d’histoire sur l’Ukraine…
Le chemin de l’indépendance ukrainienne est long. Ce territoire a longtemps été convoité par les grandes puissances alentour. Entre le IXè et le XIIIè siècle, la principauté de Kiev (également appelée Rus’ de Kiev) y est maîtresse. Les Mongols prennent alors contrôle de la région, mais au XIVè siècle la Pologne les supplante. En 1649, l’Ukraine devient brièvement indépendante après la révolution cosaque, mais en 1764, cherchant un débouché sur les mers du sud, la Russie prend définitivement l’emprise sur la région.
La révolution russe de 1917 met le pays à feu et à sang. Les armées blanches contrôlent la majorité du pays au début du conflit. Au sud-ouest, la Roumanie occupe la Bessarabie et la Bukovina. On voit la création de la République populaire à l’ouest du pays, et au sud-est ce sont les anarchistes de la Makhnovtchina qui gèrent la région. Pour les bolcheviques, la conquête de l’Ukraine, véritable grenier à blé pour la Russie, est primordiale et la majorité du pays passe sous leur contrôle en 1919. A la fin de la même année, la guerre soviéto-polonaise éclate. Après trois ans de conflit, une paix est signée et l’ouest de l’Ukraine passe alors sous contrôle polonais.
De 1931 à 1933, l’Union Soviétique, à la suite du premier plan quinquennal et en raison de la collectivisation des terres qui se déroule mal, connaît de grandes famines. Le nombre particulièrement élevé de victimes en Ukraine (certaines estimations donnent jusqu’à 5 millions de victimes), ainsi que la gestion de cette crise par le gouvernement soviétique, lui ont donné un nom : Holdomor, signifiant littéralement « extermination par la faim » en ukrainien. Cette famine est vue par certains comme un génocide soviétique programmé, visant spécifiquement le peuple et les aspirations nationalistes ukrainiennes. Alors que d’autres soutiennent que la famine a touché avec une gravité toute aussi sévère certaines régions russes ou kazakhs. Mais nous n’allons pas nous attarder sur ce débat. L’important est de comprendre que pour le peuple ukrainien, Holdomor est bel et bien un génocide orchestré par les russes. Aujourd’hui ce souvenir est encore présent dans les esprits de beaucoup d’ukrainiens.
La seconde guerre mondiale vient à nouveau modifier les frontières de l’Ukraine lors du partage de la Pologne en 1939. Le 22 juin 1941, l’armée allemande envahit l’Union Soviétique. La quasi-totalité de l’Ukraine est conquise dès la fin de l’année. Une partie de la population, et plus particulièrement les paysans ayant eu leur terre confisquée lors des collectivisations, accueille l’armée allemande comme des libérateurs. L’OUN (l’Organisation des Nationalistes Ukrainiens) collabore dans un premier temps pleinement avec l’armée allemande. Cette organisation prend ses sources dans des groupes existants déjà avant-guerre et créés par des ukrainiens réfugiés en Europe de l’ouest. Dès les années 1930, ils reçoivent un soutien notable du gouvernement du IIIème Reich. Mais leurs aspirations indépendantistes rentrent vite en conflit avec l’idéologie nazie, et dès 1942 les allemands répriment par la force l’OUN. Les nationalistes ukrainiens luttent dès lors aussi bien contre les allemands que contre les soviétiques qui reprennent peu à peu le territoire soviétique perdu en début de guerre. La victoire soviétique sur les allemands ne met pas fin à la guérilla ukrainienne. L’OUN continue le combat, mais le pouvoir soviétique est trop important. À la fin des années 1950 l’insurrection est vaincue.
En 1954, la Crimée, faisant alors partie de la République Soviétique Russe, est donnée comme cadeau à l’Ukraine pour célébrer le 300ème anniversaire de son rattachement à la Russie. Ce transfert, à l’époque bien insignifiant, prend aujourd’hui toute son importance.
…et sur la Crimée
La Crimée, cette péninsule de plus de 25’000 km2 (un peu moins grande que la Belgique) se jetant dans la mer Noire fait depuis peu les gros titres des médias. Elle abrite près de deux millions de personnes. Un recensement fait en 2001 découpe la population de la sorte : 58 % de russes, 24 % d’ukrainiens et 12 % de Tatars (les 6 % restant sont d’origines diverses).
Son histoire est également très mouvementée et cette région a déjà vu son lot de batailles. Durant l’Antiquité, de nombreux comptoirs grecs s’y installent. La région passe ensuite sous contrôle romain, et les invasions barbares ne l’épargnent pas. C’est pendant ces invasions que les Tatars, cherchant à fuir les Mongols, s’installent dans les montagnes de Crimée aux alentours du XIIIè siècle. Au XVe siècle, ils embrassent l’islam (sunnite) et forment le Khanat de Crimée qui va perdurer jusqu’en 1783. Leur protecteur et allié principal est l’Empire Ottoman, avec qui le commerce d’esclaves est florissant. Ces esclaves proviennent de raids comme lors du pillage de Moscou en 1571.
A la fin du XVIIIè siècle, la Russie, cherchant un débouché sur les mers du sud, prend définitivement contrôle de la Crimée et une russification du territoire est dès lors mise en place. C’est à partir de ce moment que Sébastopol devient également le port principal pour la marine russe en mer Noire. L’expansionnisme russe vers le sud prend fin après la défaite en 1856 lors de la guerre de Crimée. Lors de ce conflit, une coalition, principalement franco-anglaise, débarque sur la péninsule et capture Sébastopol après un siège de près d’un an.
Les combats durant la seconde guerre mondiale sont également très importants. Les allemands conquièrent en 1942 la péninsule. Durant l’occupation, un certain nombre de Tatars criméens sont incorporés dans la Légion Tatar, une unité auxiliaire de la Waffen SS. Cette collaboration va coûter aux Tatars une déportation quasi-totale de leur population en Asie centrale dès 1944. Ce n’est qu’en 1967 qu’un décret supprime les accusations de collaboration. Les Tatars peuvent alors retourner en Crimée, bien qu’ils ne reçoivent pour cela aucune aide du gouvernement soviétique.
A noter qu’il y avait également des Tatars engagés au sein de l’Armée Rouge et que des unités aussi bien géorgiennes que turkmènes, mais également ukrainiennes et même russes ont servi au sein de l’armée allemande.
La période de la guerre froide fait prendre à l’Ukraine une place importante sur l’échiquier stratégique et politique. De par sa position géographique, une forte présence militaire est maintenue par les soviétiques, si bien que ce n’est qu’en 1996 que l’Ukraine termine de transférer à la Russie, pour qu’elles soient détruites, les dernières armes atomiques de l’époque soviétique présentes dans son pays.
L’indépendance
L’Ukraine déclare son indépendance le 24 août 1991. Les régions à majorité russophone votent également pour l’indépendance. On constate tout de même un pourcentage de votants bien inférieur au reste du pays dans ces régions. Il faut noter que d’après le recensement de 2001, plus de 17 % de la population est officiellement russe. Elle est principalement groupée dans l’est du pays et en Crimée. N’ayant aucun autre port assez grand pour abriter sa marine, et avec l’accord de l’Ukraine, la Russie garde une base militaire à Sébastopol.
Leonid Kravchuk devient le premier président de l’Ukraine en 1991. Leonid Kuchma le remplace en 1994. Sa présidence sera marquée en novembre 2000 par le « scandale des cassettes ». Oleksandr Moroz, un politicien de l’opposition, accuse le président d’avoir été impliqué dans l’assassinat du journaliste Georgiy Gongadze. Une campagne sous l’appellation « L’Ukraine sans Kuchma ! » est alors lancée et la popularité de Kuchma chute drastiquement. Les États-Unis et l’Europe soutiennent l’opposition, la Russie elle continue de soutenir le pouvoir en place. On a là les premiers signes d’un affrontement « est-ouest » pour la domination de l’Ukraine.
Le 21 novembre 2004, Viktor Ianoukovytch (pro-russe), est élu. L’opposition pro-européenne crie scandale. C’est le début de la « révolution orange » (l’orange étant la couleur du parti d’opposition) qui durera près de 15 jours. Avec à sa tête Viktor Iouchtchenko et Ioulia Tymochenko, la protestation gagne en intensité. Sous la pression des manifestants, la Cour suprême annule le scrutin du 21 novembre et de nouvelles élections sont organisées. Le 26 décembre Viktor Iouchtchenko les emporte avec 52 % des voix.
Il est à noter une certaine ressemblance entre la révolution orange et les événements survenus en Serbie en 2000 ou encore en Géorgie en 2002, où les gouvernements pro-russes se font remplacer par des gouvernements pro-européens à la suite de grands mouvements sociaux (financés et soutenus à chaque fois par les Etats-Unis).
Iouchtchenko est donc au pouvoir, mais son gouvernement est très instable et des conflits entre Ioulia Tymochenko et lui entachent son régime. Plus grave encore est l’offensive économique et politique lancée par la Russie via la société Gazprom. Entre 2005 et 2009, la Russie, n’appréciant pas la politique pro-européenne de l’Ukraine, joue sur sa mainmise sur le gaz. C’est à coup de hausses de prix, d’accusations et de menaces (parfois concrétisées) sur l’approvisionnement qu’elle fait pression sur l’Ukraine. L’Europe, et tout particulièrement les pays de l’est, ne disposant que de quelques semaines de réserves, est indirectement, mais volontairement, touchée par cette crise également.
En 2010, profitant des conflits internes du parti au pouvoir, Ianoukovytch remporte les élections. Le nouveau pouvoir tente alors de serrer la vis afin d’éviter une deuxième révolution orange. Il centralise de plus en plus le pouvoir et en 2011, Ioulia Tymochenko est condamné à 7 ans de prison pour abus de pouvoir.
En novembre 2013, la signature de l’accord d’association entre l’Europe et l’Ukraine est repoussée par le gouvernement sous la pression de la Russie. Ceci est l’élément déclencheur des événements survenus en Ukraine ces derniers mois.
Ça commence !
Les manifestations prennent de l’ampleur, passant de quelques milliers de manifestants le 21 novembre 2013 à des centaines de milliers le 24. Les protestations son parfois très virulentes et l’on dénombre des dizaines de blessés aussi bien dans les rangs des protestataires que de la police.
Le 26 novembre, le gouvernement tente d’apaiser les tensions et déclare que les accords devant être signés avec l’Europe sont toujours sur la table des négociations. A l’Ouest, de nombreux messages de soutien envers les manifestants émergent de la part de différents gouvernements.
La contestation se propage au reste du pays. La place de l’indépendance à Kiev (Maidan) est investie par les pro-européens. On y voit flotter des drapeaux ukrainiens et européens. Dans la masse, on aperçoit également un certain nombre de drapeaux composés de deux bandes horizontales, une rouge et une noire. Ces couleurs sont celles de l’extrême droite, certains groupes se revendiquant même de l’OUN. La présence de cette extrême droite qui est également très bien organisée rend la situation encore plus confuse. Les différents courants et groupes de la gauche radicale, aussi bien en Ukraine qu’en Russie, sont divisés sur la question. Mais certains groupes, comme les syndicats libres d’Ukraine, ont participé activement aux événements et aux structures d’auto-organisation de la place Maidan.
Des camarades, impliqués dans ces événements nous ont rappelés que de tout temps les nationalistes ont été impliqués dans les révoltes se déroulant dans la sphère d’influence politique russe, que ce soit en Pologne en 1863 ou à Budapest en 1956. A leur avis, la participation active de la gauche dans ces mouvements qui sont réellement populaires est vitale.
La présence de l’extrême droite n’a été que très peu médiatisée en occident, alors que, du côté russe, par exemple sur Russia Today (RT), cette extrême droite fait les gros titres. Nous précisons que Russia Today est une chaîne de télévision russe internationale, proche du gouvernement, diffusée en anglais, en espagnol et en arabe. Elle est l’équivalente à France 24, Al Jazeera, CNN, la BBC ou encore dans une certaine mesure la CCTV chinoise. Les russes avaient besoin d’un média pouvant concurrencer ceux déjà en place et la création de RT (en 2005) n’est pas anodine. Au temps de la guerre froide, intervenir ou faire de l’ingérence dans un pays se justifiait simplement par opposition à l’autre bloc. Mais depuis la fin du XXe siècle il faut innover. La dissolution de la Yougoslavie est un parfait exemple. Là les médias occidentaux parviendront efficacement à faire passer la cause indépendantiste comme juste auprès de la population par exemple.
Mais revenons sur la place Maidan. Le soir du 30 novembre, la police spéciale ukrainienne Berkut, vide avec une extrême violence la place après avoir brouillé les ondes des téléphones cellulaires. La délégation européenne appelle le gouvernement ukrainien à ne pas utiliser la force et Jeffrey Payette, ambassadeur américain en place, menace et prévient qu’il y aurait de graves conséquences si la situation ne change pas.
Le début de décembre voit les premières occupations de bâtiments publics, la place Maidan est réoccupée. On y installe des tentes et des barricades. Des forces d’auto-défense sont créées, les opposants s’organisent. Le 8 décembre, la statue de Lénine du marché de Bessarabsky est renversée. On y plante à la place un drapeau ukrainien et un drapeau noir et rouge de l’extrême droite. Les bureaux de plusieurs journaux et partis d’opposition sont investis et saccagés par la police. Le 11, avant le lever du soleil, la place est encerclée. Les affrontements continueront jusqu’au petit matin, des appels à l’aide de la part des encerclés se font entendre, et en quelques heures des milliers de personnes arrivent en renfort. La police est finalement repoussée.
Le campement se fait plus important, les barricades sont réparées après les affrontements de la nuit, des hôpitaux de fortune sont installés pour soigner les coups et les gelures. Le reste du pays n’est pas épargné et des manifestations ont également lieu dans de nombreuses autres villes, comme à Kharkiv ou à Lviv. On rapporte des refus d’ordre de la police également. Des discussions impliquant l’opposition et le gouvernement se mettent en place. De petites concessions sont faites de la part du gouvernement, comme la libération de quelques manifestants emprisonnés, mais on note encore une censure importante lors des retransmissions de ces discussions dans les médias. L’opposition maintient que rien n’a été fait pour répondre à ses demandes.
Le gouvernement est en pleine crise, plusieurs figures de l’administration se voient retirer leur poste à la demande de Ianoukovytch, certaines sont même accusées d’abus de pouvoir pour la répression sur la place. Ceci ne suffit pas à calmer l’opposition. Le 15 décembre, c’est devant près de 200’000 manifestants que les sénateurs américains Christopher Murphy et John McCain s’adressent à la foule et renouvellent le message de soutien de la part de leur pays.
La Russie, sentant que son allié est en train de perdre la partie, tente de l’aider comme elle peut. Ianoukovytch se rend à Moscou et des accords sont signés. Il lui est promis que 15 milliards d’euro-obligations appartenant à l’Ukraine seront rachetées par la Russie et que le prix du gaz sera revu à la baisse. Mykola Azarov, alors premier ministre, rétorque que sans cette aide, le pays aurait très vite sombré et aurait dû déclarer banqueroute.
Le 29 décembre, on manifeste devant la résidence personnelle du président à plus de 10km de Kiev. Un convoi de voitures avait été organisé par AutoMaidan, une branche du mouvement contestataire qui utilise leurs véhicules, que ce soit pour barricader des rues, aider à convoyer des manifestants sur des points névralgiques lors des différentes attaques de la police ou encore pour ravitailler la place Maidan.
Le 1er janvier 2014, c’est une marche aux flambeaux de près de 15’000 personnes qui est organisée pour commémorer la naissance de Stephan Bandera, figure emblématique du nationalisme ukrainien mais très controversée pour sa collaboration avec le régime nazi.
Maidan est toujours occupée malgré la pression de la police. Quand le courant est coupé, des générateurs de secours sont installés. On organise le ramassage des déchets et on ravitaille les occupants en nourriture et en bois pour se chauffer.
Le 15 et 16 janvier le gouvernement fait passer de nouvelles lois. Une criminalisation des méthodes utilisées par l’opposition est mise en place. Interdiction de se masquer ou de se casquer, d’installer une tente en public ou encore de faire du « révisionnisme » sur les crimes fascistes de la seconde guerre mondiale. Lorsque plusieurs dignitaires européens s’indignent de ces nouvelles lois, le ministre des affaires étrangères ukrainiennes, Leonid Kozhara, répond que ces lois existent déjà dans de bon nombre de pays européens.
Le 17, les crises internes au pouvoir s’accentuent quand le chef de l’armée de terre ukrainienne, Hennadiy Vorobyov, est démis de ses fonctions après avoir perdu la confiance de Ianoukovytch.
La confrontation continue dans le froid glacial, le nombre de blessés et de morts augmente de chaque côté. Les groupes d’extrême droite appellent à prendre les armes tandis que le gouvernement refuse d’admettre l’usage d’armes à feux par la police, bien que des manifestants sont parfois trouvés criblés de balles. Il faut également noter qu’il existe au sein du camp gouvernemental des groupes, soutenus et financés par le pouvoir, qui agissent depuis le début de la crise contre les révolutionnaires, le sale boulot leur étant souvent confié.
Le 25 janvier, sentant la situation lui échapper complètement, Ianoukovytch propose plusieurs postes clefs à l’opposition, une amnistie aux occupants des différents bâtiments et un changement en profondeur de la constitution. Il serait même prêt à dissoudre le gouvernement d’Azarov si sa proposition est acceptée. L’opposition déclare qu’il laisse la proposition sur la table sans l’accepter pour le moment.
Le ministère de la justice est brièvement occupé le 27 et des manifestations deviennent violentes également à Dnipropetrovsk, Zaporizhya, Cherkasy et Sumy avec de nombreuses arrestations.
La situation dans le camp de Ianoukovytch se détériore encore et Azarov remet sa démission le 28 janvier. Le 30, on retrouve une figure éminente du mouvement AutoMaidan torturée mais vivante après avoir disparu depuis plus d’une semaine. Ce cas d’enlèvement n’est pas unique en Ukraine au point où certaines comparaisons ont été faites avec les escadrons de la mort en Amérique latine.
Le 18 février est marqué par de sérieux combats lorsque les manifestants tentent de marcher sur le parlement. Des coups de feux retentissent, les morts se comptent par dizaines, les blessés par centaines, et cela aussi bien dans un camp que dans l’autre. Le lendemain un état d’urgence est de facto mise en place. Des postes de contrôle sont installés, les transports publics et les écoles fermés. Le ministre des affaires intérieures, Vitaly Zakharchenko, autorise l’utilisation d’armes létales contre les manifestants.
C’en est fini avec Ianoukovytch…
Mais à la surprise générale, Ianoukovytch (et une grande partie de son cabinet) prend la fuite pour la Russie dans la nuit du 21 février. L’opposition a remporté la bataille. Un nouveau gouvernement est formé avec les leaders des principaux groupes et une partie de l’opposition. L’ancien président, qui se trouve en sécurité en Russie, est accusé de meurtre de masse.
Ce nouveau gouvernement doit faire face à de nombreuses difficultés. Les nouveaux dirigeants de l’Ukraine voudraient un retour à la normale au plus vite. Mais les dizaines de milliers de personnes, qui ont lutté pendant des mois dans des conditions extrêmes, qui ont su créer des structures d’auto-organisation et d’auto-défense, ont prévenu qu’ils ne lèveront leur camp qu’après les élections prévues le 25 mai. Bien que la droite soit toujours bien présente (mais divisée), des camarades des syndicats libres ont formé des milices ouvrières dans plusieurs villes comme à Kiev ou à Kirovograd.
En Russie également tous ces événements font écho. Bien que la côte de popularité de Vladimir Putin n’ait jamais été aussi haute, de nombreuses manifestations ont été organisées à travers le pays contre son pouvoir quasi-monarchique. La répression est très lourde et des milliers de manifestants anti-Putin sont arrêtés.
En Ukraine, la réaction à la chute du gouvernement pro-russe ne s’est pas fait pas attendre. Rappelons que près de 17% de la population ukrainienne est russe, et que dans certaines régions cette proportion monte jusqu’à 70%.
Des manifestations pro-russes ont eu lieu dans plusieurs villes comme à Donetsk, à Odessa ou encore à Sébastopol. Des drapeaux russes sont hissés à la place des drapeaux ukrainiens. On peut lire sur les flyers et les banderoles que le nouveau gouvernement ukrainien est composé de fascistes, des allusions au collaborationnisme ukrainien de la seconde guerre mondiale se font entendre. Mais partout ou des pro-russes manifestent, des opposants défendant l’intégrité de l’Ukraine sont également présents.
A Donetsk et à Luhansk, les bâtiments de l’administration régionale sont investis début mars par les pro-russes et une nouvelle administration est mise en place. Mais dans les jours qui suivent, la police (à présent dans le camp du nouveau gouvernement pro-européen) lance l’assaut et reprend la situation en main.
Sergueï Lavrov, ministre des affaires étrangères russes, dénonce la situation chaotique qui existe dans l’est de l’Ukraine. Aux États-Unis on parle déjà d’un casus belli potentiel de la part de la Russie pour une intervention en Ukraine.
…mais pas du conflit
La situation dans l’est du pays semble à présent sous contrôle. C’est par contre une toute autre histoire en Crimée. Des manifestations pro-russes se déroulent à Kerch et à Sébastopol. Malgré les slogans antifascistes scandés lors de ces manifestations, un certain nombre de drapeaux jaune et noir (faisant référence au drapeau de la Russie tsariste) sont visibles. Ces couleurs sont utilisées par des mouvements d’extrême droite en Russie.
Le 26 février à Simferopol, capitale de la Crimée, on se bat entre pro-russes et anti-russes. Les Tatars, qui portent en eux le souvenir de leur déportation de 1944, sont également dans la rue. Le conflit monte en intensité quand des miliciens pro-russes armés et très bien organisés installent un point de contrôle sur la route reliant Sébastopol à la capitale régionale. Le lendemain, l’isthme de Perekop est sécurisé par des unités issues des forces de la police spéciale Berkut, dissoutes par le nouveau gouvernement mais travaillant à présent contre celui celui-ci. Des hommes appartenant au Night Wolves (l’équivalent en Russie des Hells Angels) gardent les bâtiments administratifs à Sébastopol pour le compte des Russes. Des miliciens équipés à la russe sécurisent également l’aéroport de Simferopol.
Washington met en garde la Russie contre toute tentative d’intervention en Crimée. Mais le 1er mars, le premier ministre de facto criméen, Sergueï Aksyonov, lance un appel à la Russie pour venir sécuriser et ramener la paix dans la région. La Russie répond à l’appel en autorisant formellement l’utilisation des forces armées sur le territoire ukrainien. Sortant de leur base à Sébastopol, des soldats Russes encerclent un bon nombre de casernes ukrainiennes. Des navires de la flotte russe font également le blocus de plusieurs ports abritant des bateaux de guerre ukrainiens.
Le 2 mars, l’amiral de la flotte ukrainienne, Denis Berezovsky, change de camp et prête allégeance aux nouvelles autorités criméennes. Un jour plus tard, c’est au tour de toute une base aérienne, la 240ème brigade d’aviation tactique, forte de 800 hommes, de changer de camp, mais des 45 chasseurs MiG-29 seuls quatre sont véritablement opérationnels. Le 4 mars, les médias russes sortent le chiffre de 5000 soldats ayant fait défection, emportant avec eux tout leur matériel. Les jours suivant on s’affronte, en général sans échange de coup de feu, pour faire tomber les casernes encore aux mains de l’armée ukrainienne.
A Kiev, on crée la Garde Nationale. Cette force, qui doit atteindre 60’000 hommes, doit officiellement « assurer la sécurité de l’état, défendre les frontières et éliminer les groupes terroristes ». Mais quelles sont les réelles motivations derrière cette Garde Nationale ? On peut voir par cette action le besoin de créer une unité militaire politiquement et idéologiquement fiable, car il serait tout à fait possible que si la situation dans l’est du pays venait à mal tourner pour les ukrainiens, un certain nombre d’unités changeraient de camp également. La deuxième raison est de canaliser et de réintégrer ces milliers de personnes ayant pris les armes lors de événements sur la place Maidan. Le nouveau gouvernement a peur de leur potentiel, le peuple ayant prouvé ce qu’il peut accomplir et le nouveau pouvoir veut éviter à tout prix que cela se reproduise. L’aide promise par l’Union européenne n’arrivera également qu’au compte-goutte tant que la situation n’est pas normalisée. C’est donc une urgence pour le nouveau gouvernement de réintégrer ce potentiel révolutionnaire. Ceci n’est bien sûr pas un fait nouveau : le pouvoir a de tout temps tenté, avec plus ou moins de réussite, ce genre d’opération.
Le 16 mars, la Crimée vote favorablement avec plus de 90 % de oui pour se détacher de l’Ukraine et réintégrer la Russie. Les pays occidentaux, et même, dans une moindre mesure, la Chine, condamnent cette action. L’occident accuse la Russie d’annexion pure et simple, les médias comparent même cette action aux agissements de l’Allemagne nazie sur les Sudètes et lors de l’Anschluss sur l’Autriche. Côté russe, les médias utilisent les mêmes tactiques. On voit en Crimée de grandes affiches appelant à voter le 16 mars avec d’un côté, la Crimée remplie d’un énorme svastika (représentant le nouveau pouvoir en place à Kiev), et de l’autre côté, la Crimée arborant le drapeau russe.
La distribution de nouveaux passeports russes dans la péninsule a déjà commencé. Certaines bases ukrainiennes résistent encore. Plusieurs personnalités russes et ukrainiennes sont alors frappées de sanctions de la part des américains. Le lendemain la Russie rétorque et fait de même. En Europe, certain pays, se souvenant des coupures dans l’approvisionnement du gaz russe, sont tout de même réticents à aller trop loin et à fâcher l’ours russe.
En marge de ces échanges de coups politiques, une certaine montée en puissance militaire se fait dans les deux camps. Mais ceci reste très symbolique : une escadrille d’avions de chasses américains envoyés en Pologne, des missions de surveillance aérienne à la frontière de Kaliningrad ou encore l’envoi d’un destroyer en mer Noire. La Russie répond aussi et envoie quelques avions en Biélorussie. On assiste également à une médiatisation sans précédent des exercices menés par l’armée russe, et cela dans les deux camps. Pour les occidentaux, ces exercices sont montrés comme des préparations à une invasion globale de l’Ukraine et ce n’est peut-être pas tout à fait faux, ceux-ci étant bien une démonstration de force de la part de la Russie, d’où leur grande couverture dans la presse russe.
Mais l’issue d’un affrontement ne fait aucun doute et il est très peu probable que le nouveau pouvoir ukrainien veuille « mourir pour Sébastopol ».
YD