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CA 333 octobre 2023

Syndicats vs autonomie ?

lundi 16 octobre 2023, par Courant Alternatif

Ce texte est issu d’un débat qui a eu lieu aux rencontres libertaires organisées par l’OCL cet été, sur le thème « Autonomie, syndicalisme : où en est-on ? » après le mouvement des retraites. Ce n’est ni une retranscription ni un point de vue personnel. C’est un peu des deux puisque c’est une mise en forme des interventions lors de ce débat.
Pour résumer, les syndicats et les partis battent de l’aile et se confirment comme rouage de l’Etat pour poursuivre l’exploitation. A leur place, c’est du collectif et de l’autonomie qui devra jaillir. Ce n’est pas gagné, mais il n’y a aucunement lieu de se désespérer.


Les nouveaux syndiqués, un leurre

Si on a pu constater une augmentation bien réelle des adhésions syndicales pendant et après le mouvement sur les retraites (le chiffre de 100 000 a été avancé), il faut quand même préciser que quelques pour cent de plus ça fait très peu en regard du très faible nombre de syndiqués en France, parmi lesquels une proportion de retraités notoirement en hausse. Comme 60 % des syndiqués reconnaissent ne pas participer à la vie de leur syndicat, et ces nouvelles adhésions se font souvent en ligne sans être directement le fruit d’une interaction à la base avec les syndiqués, elles évoquent davantage un acte citoyen qu’un engagement militant. Par ailleurs, la vie syndicale se réduisant de plus en plus à une peau de chagrin dans les unions départementales, on se demande bien qui pourrait accueillir, et où, ces nouveaux adhérents pour participer à une quelconque dynamique. On constate que même lorsque le mouvement battait son plein, la participation aux AG était faible ; et que les intersyndicales locales, animées principalement par des militants politiques, étaient molles et se contentaient de répercuter les consignes de l’intersyndicale centrale. Ces AG n’ont jamais été un lieu de vie ??, dynamique et autonome, où s’exprimait la joie d’une base de salariés collectivement dans la lutte et où se tissaient de nouveaux liens. Seules les manifestations ont en partie joué ce rôle. Autrement dit, ce ne sont pas ces nouvelles adhésions ni les structures mises en place pendant ce mouvement qui vont changer la face du syndicalisme en France.

L'unité syndicale, un autre leurre

L’unité syndicale tant vantée a été factice. Elle a largement été mise en scène par le gouvernement et les médias… et par les centrales elles-mêmes, évidemment. Cela a quand même provoqué une certaine fascination, qui a pu jouer un rôle d’entraînement en laissant croire que nous entrions enfin dans une séquence qui oubliait les vieilles divisions. On a ainsi occulté que, peu de temps auparavant, les syndicats avaient signé les pires accords (Sécurité sociale, mutuelles, etc.) y compris SUD, et qu’ils étaient totalement divisés sur ce que serait un bon système des retraites. L’illusion a vite fondu, il suffisait de regarder à quel point les boutiques souhaitaient structurer leur propre cortège en laissant le moins de place possible à des mélanges intempestifs... La perspective des élections syndicales ?? était omniprésente. Il ne restait plus alors qu’à prendre les paris : au lendemain de la journée d’action, l’unité va-t-elle tenir ? Ouiiiii, encore une fois ! et c’était reparti pour une nouvelle date.
Une très grande majorité des manifestants savait, surtout depuis l’utilisation du 49.3, que l’objectif du gouvernement serait au bout du compte tenu et qu’ils allaient perdre sur l’objectif des 64 ans. Pourtant, comme nombre d’entre eux n’étaient pas concernés directement par la question des retraites – dont beaucoup de gens se foutaient un peu, d’ailleurs –, le mouvement continuait, les journées d’action remplissaient quand même les rues... contre toute attente puisqu’on se doutait de l’issue de la bataille ! C’est que l’envie était ailleurs. L’envie profonde était simplement de se battre, une réaction politique contre un style de gouvernement, marre de se faire malmener et mépriser. En plus, en toile de fond on apercevait une prise en compte des ravages du capitalisme qui gagnait du terrain, sans pour autant que se dessine un début d’alternative. L’unité était bien là, et non au niveau des directions dans l’intersyndicale.
La question des retraites était sur le tapis depuis des mois, et nombre de syndiqués militants (disons l’appareil moyen, celui qui fait vivre la structure et lui donne un semblant d’existence) râlaient parce qu’il n’y avait pas eu de vraies discussions sur la question de savoir jusqu’où on pouvait aller, et qu’ils avaient été bouffés par la préparation des élections syndicales jugées vitales pour la survie de la structure. Ils étaient de ce fait aux premières loges pour savoir qu’il serait quasi impossible de gagner formellement. Et pourtant ils œuvraient pour la poursuite de la lutte. C’est que eux aussi sentaient que ce qui se jouait était bien au-delà d’une année de plus ou de moins pour la retraite.

La faute des syndicats

Peut-on reprocher aux directions syndicales de n’avoir pas joué la carte d’une grève générale, comme le disent certains anarcho-syndicalistes ou l’organisation Révolution permanente ? Oui, on peut, mais cela ne sert à rien, puisque c’est dans leur nature et que cela nous ramène à une théorie que nous avons toujours réfutée, qui attribue les échecs des mouvements sociaux à la trahison de mauvaises directions qu’il faudrait remplacer par des bonnes ou, au moins, de meilleures. Considérant que les syndicats sont un rouage intégré dans l’Etat et un intermédiaire entre le Capital et le travail, c’est un peu hypocrite de pleurnicher sur l’intersyndicale qui aurait pu faire ceci ou cela.
Le syndicalisme intervient comme une roue de secours pour un système démocratique parlementaire en crise. Dans un contexte où les partis ne représentent plus grand-chose et où l’extrême droite pointe le nez… reste les syndicats pour assurer une certaine image de cohésion sociale, une régulation politique en lieu et place de partis déficients. La droite comme la gauche sont d’accord là-dessus.
On constate souvent que lorsqu’un mouvement surgit c’est une surprise pour tout le monde, y compris pour l’appareil syndical. Par exemple, avant le mouvement sur les retraites, les syndicats n’ont été pour rien dans le déclenchement de la grève des contrôleurs à la SNCF qui a été la conséquence d’une longue et tenace dynamique à la base sur la question des salaires. Contre le projet de loi sur les retraites, l’union de façade dans l’intersyndicale s’est réalisée au sommet, sans la base des travailleurs, et parfois même contre. Lorsque l’extrême gauche fait des incantations à la grève générale, elle le fait la plupart du temps dans une perspective de renforcement des journées d’action syndicales, dans le fantasme d’une intersyndicale qui s’appuierait sur les points d’ancrage – comme les raffineries, l’énergie ou le ramassage des ordures –, et non dans des appels à construire une autonomie pouvant conduire à une dynamique collective vers la grève générale.

Le collectif, carburant de l'autonomie

Car c’est bien le collectif, ingrédient nécessaire à l’autonomie, qui manque le plus. Quand, par exemple, on essaie de construire une section syndicale de base, cela passe toujours par une tentative de reconstruire du collectif entre des travailleurs pour faire exister cet outil de base. Et d’ailleurs, on constate que ce sont bien les tentatives de reconstruire du collectif qui inquiètent le patronat et motivent la répression, plus que le danger que représente la présence de syndiqués en tant que tels. Elle s’attaque le plus souvent à des gens, syndiqués ou non, qui discutent, qui parlent, qui proposent, qui font du lien.
Le travail étant de plus en plus dématérialisé, la part des prolétaires isolés est de plus en plus importante, et pas seulement chez les cadres ou les techniciens. C’est ce prolétariat-là qui a été le moins présent dans le dernier mouvement sur l’âge de la retraite : la plus forte présence était celle du secteur public et des grosses boîtes. En revanche, il n’est pas étonnant qu’une partie de ces nouveaux adhérents proviennent de secteurs qui souffrent de cet isolement, et pour qui la succession de manifs a été l’occasion de retisser du collectif en rencontrant des collègues qu’ils ne croisaient presque jamais dans le cadre du boulot.
Si, dans les endroits les plus favorables, cela permet, même temporairement, de faire naître une dynamique d’échanges et d’initiatives dans une boîte sous la forme d’une section syndicale de base, c’est tant mieux.
Pour autant, il est clair que l’autonomie ne se décrète pas, elle n’est qu’une situation sociale de la lutte des classes à un moment donné dans un milieu donné. Mais on peut quand même aider à sa mise en place, par la diffusion de quelques textes, de prises de position, et surtout en intervenant dans les mouvements pour éviter que se mettent en place tous les mécanismes de reproduction de la domination que nous connaissons, comme les tentatives de récupération par les partis. Dans la période actuelle, on constate malheureusement que la possibilité d’une grève apparaît plus facilement aux yeux de la majorité des travailleurs lorsqu’il s’agit d’une question de salaire ou de conditions de travail que lorsqu’il s’agit de questions plus largement politiques ou sociales, alors qu’à l’inverse ce sont ces questions-là qui amènent les gens dans la rue. N’oublions pas que ce qui peut rendre la grève désirable, c’est que c’est du temps libéré hors du salariat qui permet de l’auto-organisation et la création d’une identité collective ne se limitant pas au lieu de travail, et en ce sens elle est potentiellement favorable à l’autonomie de la lutte. Ce qui ne peut plus se faire au niveau d’une boîte est obligé alors d’être envisagé à l’échelle d’un territoire avec d’autres travailleurs dans une logique qui transcende les frontières sectorielles ou syndicales. Avec une « interpro » locale dynamique et autonome, on n’est pas si éloigné d’un conseil ouvrier ou d’un soviet !

Que vont devenir les syndicats ?

Théoriquement, plusieurs possibilités existent.
Un renouveau du syndicalisme sous la pression de syndiqués qui ne se résolvent pas à n’être que des courroies de transmission d’objectifs politiciens ? Il y aura bien sûr des tentatives de ce genre, mais l’histoire des oppositions syndicales – à la CFDT et à FO d’abord, à la CGT ensuite – qui se sont toutes épuisées à vouloir être calife à la place du calife et on lourdement échoué, ne nous incite pas à l’optimisme de ce côté-là.
Une disparition pure et simple ? Peu probable : le retour en grâce des syndicats a été surtout souligné par les médias et l’Etat, qui ont loué leur grand sens des responsabilités. Ne serait-ce que pour assumer ce rôle, il est hors de question qu’ils disparaissent peu à peu. Le patronat a pris des mesures pour qu’ils continuent d’exister.
Ils peuvent alors devenir petit à petit une sorte de lobby pour des catégories particulières de travailleurs stables… ce qui présente pour le patronat le défaut de laisser les autres catégories précaires et volatiles sans encadrement, avec le danger d’explosions sociales incontrôlées. Les syndicats seraient alors remplacés ou simplement concurrencés progressivement par de nouvelles formes de contestation, comme les gilets jaunes ou les luttes de territoire.
Il s’agit là d’un processus en cours dont il faudra surveiller l’évolution. Mais dans ce cas l’enjeu pour le futur est de savoir comment la base militante des syndicats se positionnera dans cette nouvelle configuration.

Vers une nouvelle configuration ?

Quand on essaie de tirer quelques leçons des mois de lutte contre la réforme des retraites, on reste dans le cadre assez traditionnel de ce qu’on appelle le mouvement ouvrier, qui était jusqu’à il y a quelques dizaines d’années le pourvoyeur de l’énorme majorité des mouvements sociaux. Or ce n’est plus le cas maintenant. Ce bilan doit se faire dans un contexte d’émergence de mouvements qui, s’ils ne sont pas vraiment nouveaux, ont pris ces derniers temps une dimension significative (gilets jaunes, luttes dites écologistes, banlieues/immigration, avec les luttes féministes qui les traverse tous. Ce sont des formes de contestation sociale qui portent en elles des perspectives émancipatrices et qui participent de plain-pied à la lutte des classes au même titre que le mouvement sur les retraites. Un ensemble qu’on ne peut analyser séparément.

Tirer un bilan des 14 journées d’action contre la réforme des retraites n’entraîne nullement de se contenter de penser que nous avons perdu et que le pouvoir a gagné. D’abord parce l’enjeu n’était pas là où le politiquement correct le prétendait. 65 ou 64 ans n’était pas la question, mais un prétexte à un affrontement. Pour le pouvoir comme pour nous. Pour lui, il s’agissait de remporter une victoire de prestige afin d’écraser toute tentative de renouveau d’un mouvement social. Pour nous, il s’agissait de résister, combattre, être dans la rue, afin de nous renforcer en tant que classe. L’important en cette nouvelle séquence qui débute, c’est de parvenir à discerner où en est le rapport de force entre les classes. Et il n’est pas dit que ces mois de lutte n’aient pas participé, au même titre que les nouveaux mouvements précités, à un rééquilibrage dans une lutte des classes par trop favorable à la bourgeoisie depuis une trentaine d’années.

Le scribe

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