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Psychodon

jeudi 19 octobre 2023, par Courant Alternatif


Chacun·e, connaît le Sidaction, le Téléthon ! mais le Psychodon ? Pourtant, ce 11 juin 2023, une cinquième soirée caritative et compassionnelle s’est tenue à l’Olympia de Paris entre professionnels du secteur de la santé mentale et artistes dans le but de trouver des fonds, des dons pour aider à la recherche en psychiatrie et venir par là même, en aide aux patients.

La parente pauvre

Un français sur 5 serait touché par un trouble psychique soit 12 millions d’individus. Dépression, troubles bipolaires, schizophrénie... autant de maladies qui induisent l’incompréhension, le déni ou la peur. En France, seulement 4%    du budget de la recherche est consacré à la santé mentale, qui enregistre 2 millions de consultations par an et 415 000 hospitalisations. La santé mentale, est le premier poste de dépense par pathologie de l’assurance maladie. Coûts estimés, 109 milliards d’euros par an. Pourtant la France reste à la traîne des pays européens. Aux États Unis, la contribution est de 16 %, en Finlande de 10 %, au Royaume Uni de 7 %, en Espagne de 6 %... Pour les gouvernants qui se sont succédés à l’Élysée, à Matignon ou au ministère de la santé, la psychiatrie aura toujours été la parente pauvre de la santé. Une des conséquence des ces incuries décennales, sans financement, est le manque récurrent de médecins psychiatres. En 2022, 40% des postes de médecins titulaires n’étaient pas pourvus dans les hôpitaux. Mais ce sont aussi des lits fermés, des structures aujourd’hui vétustes ou disparues au principe et au « profit » d’une mutualisation des moyens et des soignants. Pour les patients : un cinquième de la population, des mois d’attente pour une consultation, Jusqu’à 18 mois d’attente pour un pédopsychiatre selon les territoires. Les enfants, les adolescents atteints de tels troubles, ne seront donc pas précocement détectés et correctement accompagnés ensuite. Le Covid n’ a pas arrangé les choses. Bien au contraire. Dans les hôpitaux, le manque criant de personnels, empêche la prise en charge correcte de patients tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’institution. Cette défection de soignants, d’accompagnants tant de fois dénoncée par les personnels en lutte (1) n’est pas sans incidence sur les patients dans les structures hospitalières : moins de sorties, d’ateliers thérapeutiques etc... Ces manques conduisent à un retour en force de l’enfermement, de la contention et à une maltraitance systémique envers le patient.

Que retenir des « Assises de la psychiatrie » ?

Le 29 septembre 2021, épidémie de Covid en cours, le président Macron clôturait les « Assises de la santé mentale et de la psychiatrie ». Il y dénonçait le sous investissement de la discipline et souhaitait la -refonder- avec un plan de 30 mesures et 1,3 milliard de financement sur les 5 années à venir.
Rappelons qu’en France la psychiatrie « publique » était de secteur. Ainsi sur un territoire (60 000 habitants), un système de soins publics et accessible à tous permettait la prévention, l’accueil, les soins et le suivi de patients dans et hors de l’hôpital. Des soins assurés par une équipe pluridisciplinaire. Ce maillage permettait une psychiatrie ouverte, de proximité et réactive pour le patient. L’hôpital « psy » ou EPSM (2) avait supplanté l’asile.
Aujourd’hui, la politique la libérale et son lot « austéritaire », est confiée aux managers, à une technocratie sanitaire. Le démantèlement de la « psy » suit le sort des autres services publics. Hier les hôpitaux psy percevaient une dotation annuelle de fonctionnement. Depuis la réforme de 2021, cette dotation est liée à l’activité : orientation, diagnostic, prises en charges courtes... Le mode de financement s’aligne sur le privé. Une aberration qui ne prend pas en compte la spécificité des établissements publics qui accueillent 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Démuni, le secteur psy public se retrouve avec une surcharge de patients que le privé lucratif n’assume pas. Ce financement est assujetti à l’existence, à la présentation de « projets innovants ». La pluridisciplinarité d’hier se traduit par des spécialisations de troubles identifiés par une segmentation des équipes et donc du soin lui même. La psychiatrie est devenue une discipline médicale comme une autre débarrassée des implications sociales, culturelles... La société, les citoyens seraient menacés ! Il faut les protéger nous dit-on après chaque drame ou fait divers. Suite à l’instrumentalisation de telles allégations, les sécuritaires veulent plus de répression. D’où la prépondérance, au contrôle social et à l’enfermement dans les murs de l’hôpital ou de la prison. Pour les tenants du pouvoir, de l’Élysée aux directeurs de l’institution, le temps est de l’argent. Or, la psychiatrie c’est du temps indispensable pour accueillir, écouter la personne en face et accepter son rythme -son temps- pour comprendre le trouble, la détresse, la globalité du patient. A l’heure des « nouvelles pratiques » et des logiciels, ce temps est raccourci par la médicalisation, le diagnostic immédiat. On repère, on spécialise, on sélectionne... Il y aura des patients curables et les autres. Il y aura ceux, celles qui auront les moyens de se faire soigner et les autres.

L'hôpital psy à la découpe

A défaut de moyens, de personnels, les managers pensent au privé. Cela coûtera sans doute moins cher que d’embaucher dans le public avec des revalorisations salariales tant demandées. En 2021, seul un français sur trois était pris en charge par un professionnel de santé selon un sondage CSA. L’hôpital en crise est débordé, et pour cause ! Profitant des Assises, le président en appelle aux psychologues du privé. Il sert le secteur libéral qui n’y retrouve pas son compte avec une tarification qu’il juge trop basse. Ce sera le chèque étudiant, le forfait « 100% psy » pour enfants dès 3 ans après prescription d’un médecin référent. La communication présidentielle sans tache est bien relayée par les éditocrates. 30 mesures et 1,3 milliards sur cinq ans. Son ministre de la santé d’alors, O.Véran d’annoncer l’inévitable instauration du « numéro vert » pour les personnes qui vivent des moments difficiles, avec des idées noires, des pensées morbides... L’objectif est de renforcer la prévention du suicide, deuxième cause de mortalité chez les jeunes après les accidents de la route. Des mesures toujours bonnes à prendre, dont certaines saluées car attendues par des associations depuis si longtemps. Mais on est loin du compte, les solutions ne sont pas à la hauteur et    ne règlent en rien la mise en faillite de l’hôpital psy public.
Pas plus que le « Ségur » de la santé n’a répondu à la misère de l’hôpital public, les 30 mesures et 1,3 milliard de financement sur les cinq années à venir, sorties de ces « assises » n’ont solutionné ni le système de soin    ni le sort des patients de plus en plus nombreux dans les besoins de prises en charge.

Avec un retour de patients vers l’hôpital public diminué de moyens humains, matériels et financiers, l’inévitable violence éclate. Violence contre les personnels qui assument coûte que coûte leur travail malgré les politiques d’austérité, violence de patients exaspérés dans l’attente de réponses, d’une prise en charge, ou livrés à la rue et l’errance. Violence dans l’institution qui par défaut répond de plus en plus par l’enfermement et la contention -pourtant interdite sans la prescription du médecin-. Les drames de Reims où une infirmière est morte assassinée et une secrétaire médicale grièvement blessée, le drame de Bordeaux..., hélas, étalent une fois encore par ces violences un état des lieux dégradé.   
Ainsi à l’EPSM de Caen, qui prend en charge 70% de la population du Calvados. Suite à l’annonce, par la direction, de la fermeture de 28 lits du service d’admission en avril, les personnels mobilisés ont pointé la fermeture d’une centaine de lits en 10 ans, ont dénoncé les coupes budgétaires et leurs mauvaises conditions de travail. Le directeur se voulait rassurant : « avec la psychiatrie de pointe, et les projets innovants, l’EPSM retrouvera son attractivité... » Mais en attendant, ce 6 juin 2023, selon la CGT, « il y a eu une nécessité de rouvrir des chambres d’isolement avec des effectifs réduits ». Faute de place, un patient difficile « a été mis dans une chambre de mise à l’écart fermée à clé ce qui n’est pas réglementaire. » Le patient a détruit 3 chambres et réussit à mettre le feu dans sa chambre blessant -sans gravité- trois agents. Comme le commente le directeur : « Ce sont des choses qui arrivent, il n’y a pas de lien entre effectifs et la symptomatologie de patient ».
Ah oui ! Le Psycodon...

Decaen. 15 06 2023.

Notes
1 A l’hôpital du Rouvray (Rouen), après 3 mois de grève illimitée et de nombreuses actions suite au silence de la direction et des tutelles, 7 salariés entameront une grève de la faim en mars 2018...Un exemple parmi tant d’autres.
2 EPSM : Établissement Public de Santé Mentale.

Discrimination et répression syndicale
Le 26 juillet 2023, la CGT appelait, à un rassemblement de solidarité et « pour la liberté d’expression syndicale » devant le tribunal de Beauvais. Il s’agissait de soutenir le secrétaire de la section du C.H.I -Fitz-James- : Centre hospitalier Interdépartemental de Clermont (Oise).
Un cadre et la DRH du CHI ont estimés être diffamés par un tract CGT de 2022. Tract satirique dans lequel, le syndicat dénonçait la fermeture de 145 lits depuis 2018, 65 postes de soignants manquants dont une vingtaine de médecins et l’absence de 8 postes d’infirmiers au service d’accueil des urgences soit un tiers des effectifs du dit service. Pour la direction l’urgence était la création d’un poste et l’embauche d’un responsable informatique.
Et, tandis que le syndicaliste se voyait, cet été, convoqué au tribunal de Beauvais pour une mise en examen, la direction reconnaissait que120 postes sont vacants sur l’Hôpital et fermait une unité de 10 lits ainsi qu’un atelier thérapeutique.
Cette plainte de la DRH -Direction Ressources Humaines, les interrogatoires de militants CGT au sujet du tract, et la mise en examen de leur responsable syndical pour diffamation est une intimidation envers chacun, chacune des salariés du CHI qui oseraient divulguer hors de l’institution la misère des conditions de travail des travailleurs et la violence subie de ce fait par les patients. Museler les porte voix des travailleurs dans leurs lieux de travail ! Un aspect de la répression exercée par le gouvernement contre quiconque contesterait ses politiques.
Selon la CGT, plus de 400 militants sont actuellement visés par des poursuites judiciaires. Ils seraient plus de 1000 sous la menace de procédures en cours de licenciements.
Rappelons la convocation de S. Menesplier leader national du syndicat de l’Énergie, convoqué à la gendarmerie, mais aussi celle d’agents de RTE arrêtés chez eux au petit matin par la DGSI dans le cadre de la lutte contre les retraites... Une répression dénoncée par les autres organisations syndicales bien sûr dont Solidaires qui estime que « legouvernement souhaite criminaliser l’action syndicale ».
Ainsi, en mars dernier en pleine grève contre les retraites, dans une note interne du ministère du travail, les services d’Olivier Dussopt ont fait des préconisations contre le droit de grève. Une série de jurisprudences dont le but serait de faciliter le licenciement des élus du personnel coupables « d’entraver la liberté du travail ».
La discrimination et la répression syndicale (lors des retraites) ou sociale (à Bouc Bel Air à la cimenterie Lafarge, aux bassines, dans les Quartiers, etc.) représente une véritable stratégie, mise en place par le pouvoir macronien et le patronat pour annihiler toute contestation.

Decaen. 8 09 2023

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