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CA 335 décembre 2023

Par la fenêtre ou par la porte

La violence patronale sur grand écran

mardi 12 décembre 2023, par Courant Alternatif

La direction d’Orange avait organisé en 2006 un colloque à la Maison de la Chimie pour désinhiber ses cadres face à son plan de 22 000 départs de l’entreprise en trois ans. L’ex PDG Didier Lombard, avec son sens de la formule, avait alors déclaré qu’il ferait les départs, « d’une façon ou d’une autre, par la fenêtre ou par la porte ». Devant les juges en 2022, il a déclaré qu’il faisait souvent des « gaffes »… Mais il est clair que ce « dérapage » orchestré visait à laisser libre cours aux comportements les plus extrêmes de la hiérarchie, voire à les encourager…


Un documentaire pour l'histoire

Ce projet de documentaire est né quelques mois avant le procès en appel de 2022. Pour rappel, le procès en première instance de 2019 s’était conclu avec une condamnation des dirigeants de France Télécom Orange à des peines de prison dont quatre mois fermes. Une peine qui peut apparaître comme « symbolique » vue la gravité des faits, mais une peine rarement prononcée contre des dirigeants du CAC 40.
Or, nous étions devenus inquiets sur l’issue de ce nouveau procès, car les pressions du patronat pour revoir à la baisse les peines contre les dirigeants d’Orange étaient palpables. La pression médiatique qui existait en 2019 était retombée, il fallait recommencer à braquer les feux de l’actualité sur ce nouveau procès.
En première instance, nous avions invité des personnalités de la société civile (auteur•trices, comédien•ne.s, sociologues, médecins, journalistes, juristes…) à venir rédiger une chronique d’audience au tribunal. Ces chroniques ont été publiées sur notre site internet proceslombard.fr et elles ont fait aussi l’objet d’un livre « La raison des plus forts » aux Éditions de l’Atelier.
Pour prolonger ce livre, nous avons constitué un collectif bien décidé à commencer le tournage d’un documentaire, sans même avoir défini au préalable le canevas de ce projet. S’il n’était pas possible de tourner dans le palais de justice lui-même, nos caméras devaient trouver les moyens d’en relater l’ambiance de plomb et d’effarement, tant le comportement des prévenus était d’un sans-gêne consternant.
Les interview des « chroniqueur•ses » devaient donc faire partie de ce documentaire. Mais rapidement, il nous a semblé nécessaire de faire un retour sur l’histoire de la privatisation de France Télécom, qui était finalement une illustration de cette période de contre-révolution libérale des années 80 où triomphait l’ultralibéralisme dans un monde englué dans une crise sans fin pour les travailleurs.

Une interpellation du monde syndical et politique

Pendant les premières projections du film sur grand écran, les débats ont montré combien l’histoire de la tragédie de France Télécom faisait écho avec l’histoire de salarié•es d’aujourd’hui, exposé•es à des conditions de travail délétères, précarisé•es, isolé•es, déqualifié•es, licencié•es…
Les grands médias se font d’ailleurs l’écho de tribunes qui dénoncent la situation faite aujourd’hui aux salarié•es, avec une souffrance au travail qui touche tous les milieux.
Par ailleurs, la montée des indicateurs comme les accidents mortels au travail, le nombre d’arrêts de travail (burn out, souffrance au travail, dépression…), la précarisation croissante des salarié•es et le développement de la pauvreté des travailleur•euses, nous mettent face à un nouveau désordre social historique.
Est-il possible de faire un contre-feu ? C’est la question que nous posons, après des années de combat syndical et juridique dans la crise de France Télécom Orange, après des mois de combat unitaire pour défendre en 2022 les retraites dans la rue…
A l’évidence, il faut aujourd’hui un travail syndical en direction des parlementaire pour durcir la loi sur le harcèlement institutionnel au travail avec des peines de prison jusqu’à 10 années. Mais il faut aussi réduire la précarité qui a explosé avec les auto-entrepreneurs condamnés par l’uberisation, avec des sous-traitances en cascades qui déresponsabilisent les donneurs d’ordres, avec des chantages à la délocalisation qui cassent les entreprises. Il faut encore établir les conditions d’une véritable démocratie sociale avec des juges prud’homaux•ales élus par tous les salarié•es, des délégué•es du personnel élus dans toutes les entreprises, des CHSCT qui peuvent faire des enquêtes et des recours contre les employeurs, une inspection du travail et une médecine du travail renforcées, avec un développement de leurs compétences en matière d’accidents du travail et de risques psychosociaux…
Les combats qui ne sont pas menés sont des combats perdus d’avance. Nous ne désespérons pas de voir enfin un sursaut salutaire.

Un film qui veut parler à la jeunesse

C’est manifestement notre volonté. La jeunesse d’aujourd’hui a ses rêves et ses exigences, c’est la conclusion de notre documentaire :
« Peut-on vraiment continuer à croire que l’avenir des hommes et des femmes est dans un travail qui perd brutalement tout son sens ?
La jeunesse paie le prix fort de cette chute abyssale.
Précarité extrême, emplois stériles et humiliants, mépris d’une classe dirigeante qui étale son luxe, sa futilité et son exigence du « Toujours plus ! », alors que la vie de la planète s’étiole…
Pouvons-nous laisser ce champ de ruine à nos enfants ?
Car nos enfants ont la rage, la rage de vivre le bonheur élémentaire d’un nouvel été qui ne leur brûle pas les ailes.
Ils sont l’avenir, prenons soin de leurs luttes et de leurs désir de vivre. »

Pour organiser une diffusion dans votre cinéma préféré : programmation@parlafenetreouparlaporte.fr

Patrick ACKERMANN

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