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CA 335 décembre 2023

Et si l’on reparlait d’inflation...

samedi 30 décembre 2023, par Courant Alternatif


L’inflation, qui était un phénomène massif dans les années 70 et qui avait quasiment disparu dans les pays développés, a fait son grand retour. Elle a été particulièrement importante en 2022.
En fait, l’inflation, ça ne veut pas dire grand-chose. C’est une hausse du niveau général des prix. Mais tous les prix ne grimpent pas à la même vitesse. Par exemple, si le prix du travail, le salaire donc, avait augmenté plus vite que le reste, ça ne nous gênerait pas trop. En 2022, l’inflation en France a été de 5,2 %, mais le prix des aliments a augmenté de 7,3 % (+26 % pour les pâtes !). Donc, l’inflation est plus élevée pour ceux dont le budget alimentation représente une plus grande part de leurs dépenses, c’est-à-dire les plus pauvres. Les salaires moyens ont augmenté, mais moins que l’inflation. En moyenne, le pouvoir d’achat des ménages a reculé de 0,3 %. Par contre, le SMIC, lui, a augmenté de 6,6 %. Donc les bas salaires ont plus augmenté que les salaires plus élevés, du fait de la répercussion de cette hausse. Mais attention, on a vu aussi que pour eux, l’inflation est plus élevée...

D'où vient cette inflation ? Les causes sont multiples.

Déjà, bien sûr, il y a le coût de l’énergie qui se répercute non seulement sur le coût du carburant et du chauffage, mais sur l’ensemble des produits, puisqu’ils sont fabriqués et transportés avec de l’énergie. Le prix du gaz a augmenté en moyenne de 107 % et l’électricité de 45 %. Attention, c’est compliqué à suivre. En fait, beaucoup d’entreprises ont des contrats à prix fixes, et le prix augmente brutalement à chaque renouvellement de contrat. Donc voisinent des entreprises pour qui le coût de l’énergie n’a pas augmenté avec des entreprises pour lesquelles il a triplé… Le gaz, on voit bien les raisons géopolitiques de son augmentation. Pour l’électricité, ce sont les petits jeux du marché « libre » européen : l’électricité (non incluse dans les contrats déjà signés) est vendue à la tarification marginale, c’est-à-dire au coût du dernier équipement qu’on a mis en marche pour la production d’électricité. On met en marche d’abord les équipements les meilleurs marchés, puis si la demande augmente des équipements de plus en plus chers, ce qui fait une augmentation brutale aux périodes de pointe. Vous expliquer pourquoi on a choisi ce système, ce n’est pas une brève, c’est un article. En fait, ça vient de la théorie économique libérale, un dogme auquel je ne crois pas mais qui guide l’action de tous les gouvernements et institutions. Mais ce qu’il faut retenir, c’est qu’au final, la variation du prix de l’énergie a été très variable selon les secteurs et les entreprises.

Une deuxième raison est ce qu'on appelle savamment la rupture des chaînes de valeurs.

La production est mondialisée. Les entreprises ne font pas de stocks et commandent les composants ou pièces dont elles ont besoin partout dans le monde. Mais du coup, s’il y a une pandémie ou une guerre qui perturbe les transports, il se crée des pénuries localisées qui font flamber les coûts. De plus, les producteurs de ces composants peuvent trouver plus profitable de vendre au plus offrant que d’augmenter la production, ce qui demanderait des investissements dans un monde incertain. De ce point de vue, la France, reine de la stratégie de « l’industrie sans usine » est très vulnérable.

Enfin, certains ont déjà commencé à pousser des cris d’orfraies en agitant la menace de la spirale salaire-inflation. Dans les années 70, le rapport de forces était meilleur, et les syndicats obtenaient des augmentations de salaire, augmentations que les entreprises rattrapaient en augmentant les prix, donc les salariés pour conserver leur pouvoir d’achat réclamaient des augmentations de salaire, etc. A cette époque, l’évolution du rapport de forces se cristallisait en partie sous cette forme. L’inflation était analysée par certains comme le résultat de la « lutte pour le partage de la valeur ajoutée ». Cette explication n’est plus valable depuis plusieurs décennies, depuis l’arrêt brutal sur les salaires dans les années 80. Certes en 2022 le SMIC a augmenté plus que l’inflation, mais entre le chômage, le temps partiel, les contrats dérogatoires… on a vu que le pouvoir d’achat a reculé. En fait, ce qui explique le mieux l’inflation, c’est comme d’habitude, une logique de profit. Les dividendes en France ont augmenté de 13,3 % en 2022. Les dividendes sont la part du bénéfice qui n’est pas réinvestie dans l’entreprise mais distribuée aux actionnaires. On n’assiste donc pas à une spirale inflation salaire mais à une spirale profit inflation.
Et ce qui le permet, c’est que la concurrence avec laquelle on nous bassine en permanence pour glorifier le capitalisme n’existe pas dans ce système. La concurrence est définie par les économistes comme une situation où aucun producteur et aucun consommateur n’est assez gros pour influencer les prix. Bref, un monde où il n’y a ni grandes entreprises, ni grande distribution. Vous avez vu ça où ? D’ailleurs les producteurs soumis à la concurrence mondiale (agriculteurs, industrie), eux, n’ont pas vu leurs prix de vente tellement augmenter.

Un monde de rapports de forces

Nous vivons dans un monde de rapports de forces, pas seulement entre le capital et le travail, mais aussi entre les capitalistes. Et nous vivons dans un monde dominé par la finance. Pour la finance, c’est le profit à court terme qui importe. Donc, il y a de moins en moins d’investissements à long terme, et une course universelle à la réduction des coûts. Comment ? Sur le dos des salariés et sur le dos des plus faibles. Dans une économie où les stocks sont des cargaisons en train de circuler, où on va s’approvisionner dans tous les coins de la planète pour des petits segments de production, les coûts de la logistique deviennent stratégiques : d’où l’emploi de chauffeurs des pays de l’est aux salaires des pays de l’est dans toute l’Europe, des sans papiers dans la logistique, etc.
Les prix n’ont plus vraiment de rapport avec ce que devraient être les coûts. Ils sont imposés par les plus grandes entreprises. Et en même temps l’Union Européenne multiplie les normes pour nous empêcher de consommer et donc de produire autrement (normes sur les produits agricoles, normes sur les bâtiments, électrification du monde…).

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