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CA 337 février 2024

Avec le pacte sur la migration
et l’asile dans l’Union Européenne,
des désastres humanitaires annoncés   

mercredi 7 février 2024, par Courant Alternatif

Le 20 décembre 2023, un accord politique vers un système commun de gestion des migrations dans l’Union Européenne a été trouvé par le Parlement européen et le Conseil après trois ans de négociation.
Cet accord porte sur cinq propositions essentielles qui devraient être finalisées avant les élections européennes de juin 2024.
Comme nous pouvions nous en douter, cette uniformisation de l’asile dans les pays de l’UE se fera au détriment du respect des droits humains les plus fondamentaux.


 Les grandes lignes de ce projet nauséabond

Les cinq propositions du pacte sont à ce jour les suivantes (cela pourra évoluer d’ici février 2024)  :

  • Règlement sur le filtrage des demandeurs d’asile aux frontières de l’UE.
    Le pays d’arrivée sera chargé de mener des contrôles – prélèvement d’empreintes digitales, photo, examen des documents d’identité – pour ensuite orienter les personnes migrantes vers une procédure de demande d’asile classique ou accélérée ou bien rejeter leur demande. En cas de rejet, les migrant.es seront renvoyé.es dans leur pays d’origine (avant d’avoir posé les pieds dans un Etat de l’UE) ou un pays tiers dans les plus brefs délais. La procédure concernera tous les arrivants, y compris les enfants à partir de 6 ans, seul.es les mineur.es non accompagné.es seront exempté.es.
    Pour assurer "l’accueil" pendant cette période de contrôle qui pourra durer paraît-il six jours, le pacte asile et migration prévoit la création de 30 000 places d’hébergement supplémentaires dans des "centres d’accueil dédiés"... Il y aura donc plus de détentions aux frontières, y compris d’enfants, dans des centres fermés de type carcéral.
  • Pendant ces six jours de contrôles, les fonctionnaires utiliseront la base de données commune "Eurodac", rassemblant des données plus fiables et plus complètes que celles du fichier actuellement en service dans les préfectures françaises, pour détecter les mouvements de migrants non autorisés, mais aussi d’éventuels supposés terroristes. Eurodac est un système d’information à grande échelle contenant les empreintes digitales des demandeurs d’asile et de protection subsidiaire ainsi que d’ immigrants illégaux ayant pénétré au moins une fois sur le territoire de l’UE.
    Comme aujourd’hui, la base de données Eurodac contribue à l’application de la convention de Dublin sur le traitement des demandes d’asile. Elle permet de déterminer le pays de l’Union européenne (UE) responsable de l’examen d’une demande d’asile ou de protection subsidiaire. Lorsqu’un pays participant envoie un jeu d’empreintes à Eurodac, il sait immédiatement si celles-ci correspondent à des empreintes qui se trouvent déjà dans la base de données. En cas de concordance, il choisit bien souvent (sauf cas particulier) de renvoyer la personne dans le premier pays où elle est arrivée ou dans lequel elle a présenté une demande d’asile ou de protection subsidiaire. Il appartient aux autorités de ce pays de prendre une décision sur le droit de séjour du demandeur. A noter    que les frères et sœurs seront exclus de la réunification familiale. En l’absence de concordance, c’est le pays qui a soumis les empreintes qui traite la demande. Actuellement nous en sommes à la troisième version de la convention de Dublin, dite Dublin III, qui ne devrait pas être remise en cause dans ce nouveau pacte, et paraît-il plus efficace... pour les gestionnaires des Etats européens qui auront plus de temps (20 mois) pour gérer ces « dubliné.es  ».
  • Les procédures d’asile seront plus rapides, plus efficaces comme le disent ces technocrates et ces politiciens de l’UE. Si une personne migrante a échappé à la procédure dite Dublin III, elle sera confrontée à la procédure accélérée (encadré 1). Et cela ne dépendra pas de ce qu’elle a pu subir ou non dans son pays d’origine. En effet, tout dépend de sa nationalité  ! Cette procédure rapide concernera tous les ressortissants des pays pour lesquels le taux moyen de reconnaissance du statut de demandeur d’asile dans l’Union européenne est inférieur à 20 % (et jusqu’à 60-70% en situation de « crise  », comme celle de 2015 au moment de la guerre civile en Syrie) ! Comme le dit la CIMADE, dans ce cas « les demandes ne seront plus individualisées et seront traitées selon la nationalité, en violation de l’article 3 de la convention de Genève qui prohibe expressément toute discrimination fondée sur le pays d’origine dans le traitement des demandes d’asile  ». La demande d’asile sera alors examinée en 12 semaines maximum.

La procédure accélérée en France actuellement en vigueur

Cette procédure existe et c’est l’Office français pour les réfugiés et les apatrides (OFPRA) qui décide. Elle place la demande en procédure accélérée si c’est une demande de réexamen (avec faits nouveaux) et si la personne vient d’un pays d’origine sûr qui …veille au respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l’état de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales (discours habituel). Actuellement il y a 13 pays décidés comme sûrs par l’OFPRA et vérifiés par le Conseil d’Etat, et    dont beaucoup ne respectent pas leurs propres minorités comme les Roms par exemple.   
Par ailleurs, la demande peut être placée en procédure accélérée par l’OFPRA dans l’un des cas suivants  :

  • Vous utilisez des faux documents ou présentez plusieurs demandes sous plusieurs identités
  • Vous soulevez des questions qui ne sont pas pertinentes au regard de votre demande d’asile
  • Vous faites des déclarations incohérentes, contradictoires ou fausses
  • Sans motif valable, vous êtes entré ou vous êtes maintenu irrégulièrement en France et avez déposé votre demande 90 jours après votre entrée. C’est la cause principale actuelle de placement en procédure accélérée qui touche beaucoup de mineurs qui attendaient leur majorité pour déposer leur demande d’asile.
    Dans tous les autres cas, les demandes sont placées en procédure dite normale.
  • Les règles précédemment énoncées seront accompagnées d’un mécanisme de « solidarité obligatoire  », permettant de mieux répartir l’accueil des demandeurs d’asile entre les pays d’Europe du sud (Italie, Grèce, Espagne…) qui concentrent les arrivées, et les autres. Selon ce nouveau règlement inscrit dans le pacte, chaque année, 30 000 demandeurs d’asile feront l’objet d’une « relocalisation  » vers un autre pays de l’UE en attendant l’étude de leur demande. Si un pays s’oppose à ce principe de solidarité, il devra s’acquitter de 20 000 euros d’amende par demandeur d’asile refusé.
  • En cas de crise migratoire, de cas de force majeure, le pacte autorisera les Etats membres à s’affranchir largement du droit d’asile et ouvre la porte à de nombreuses violations potentielles des droits tels que le principe de non-refoulement, le recours effectif à une assistance juridique, etc.
    A noter que la définition du nouveau concept d’instrumentalisation des migrations peut ,dans sa version actuelle, inclure les ONG, les organisations civiles de secours et de sauvetage en mer  !

Hotspots

« L’“approche hotspots” est l’une des réponses à ce que l’Union européenne a appelé la “crise migratoire” de 2015. Elle consiste à apporter l’appui d’agences européennes (essentiellement le bureau européen d’appui en matière d’asile (BEAA) et l’agence Frontex) dans des zones situées aux frontières extérieures de l’UE et confrontées, selon la formule de la Commission européenne, à des “pressions migratoires démesurées”, pour s’assurer que tous les migrants qui pénètrent sur le territoire européen sont identifiés, enregistrés et que leur cas est traité en fonction de leur situation  : prise en charge des personnes éligibles à l’asile, renvoi des autres. L’“approche hotspots” s’est rapidement traduite, dans les deux pays où elle a été déployée, l’Italie et la Grèce, par la création de centres de confinement – lorsqu’il ne s’est pas agi de centres de détention –, générateurs de violences, surpeuplés et sous-équipés, où le tri des arrivants s’effectue au mépris des règles européennes et internationales en matière d’accueil des demandeurs d’asile et de traitement de leurs demandes.  »
Claire Rodier, « Le faux-semblant des hotspots  », Revue des droits de l’Homme, 13 | 2018, janvier 2018

 Quelques réflexions

Il n’y a apparemment quasiment rien dans ce pacte qui concerne directement le concept d’externalisation alors que l’Italie vient de signer un accord avec l’Albanie qui s’engage à récupérer sur son territoire des migrant.es intercepté.es au large des côtes italiennes (Voir CA de décembre 2023). Mais, ce n’est qu’une apparence car, dans ce pacte, il est fait mention de pays tiers (sûrs bien évidemment  !) qui accueilleraient des migrant.es expulsé.es de l’UE et qui pourraient a priori avoir des liens avec ce pays tiers qui les réceptionnerait. Un exemple qui fait « froid dans le dos  » est celui d’Ivoiriens victimes de racisme lorsqu’ils sont passés en Tunisie avant d’arriver en Europe. Refusés en UE, ils risqueraient d’être reconduits… en Tunisie sans qu’on leur demande leur avis. En fait, ce qui est très inquiétant, c’est que l’externalisation soit un jour intégrée à la procédure d’asile dans l’UE  ; même si, encore aujourd’hui, le non-refoulement est toujours prévu dans le fonctionnement de l’UE, les expulsé.es pouvant choisir le pays qui les accueillera (avec son accord !) si leur pays d’origine dont ils ont la nationalité ne leur convient pas.
Le point le plus important est très certainement la généralisation de l’approche hotspots qui existe actuellement en Grèce et en Italie (voir encart 2). C’est logique, puisque le but de ce pacte est le tri des migrant.e.s aux frontières de l’UE avant qu’ils ne s’installent dans un Etat européen. On va donc assister à l’ouverture de centres de détention où seront triés des êtres humains, ce qui impliquera nécessairement des violations de droits, des violences, des exclusions et des mises à l’écart.
L’obsession des gestionnaires des migrations et du droit d’asile est toujours la distinction entre réfugié.e.s et migrant.es économiques, c’est-à-dire entre vrais et faux demandeurs d’asile. Rappelons ici que cette distinction est un phantasme  ! C’est d’autant plus un scandale que la plupart des Etats européens ont et auront besoin de main d’œuvre dans tous les domaines. Le cas de l’Italie est emblématique. Giorgia Meloni, qui s’est fait élire entre autres sur la promesse de stopper l’immigration illégale, a un besoin urgent d’immigration de travail pour servir les intérêts du patronat et promet ainsi un titre de séjour à 450 000 personnes étrangères dans les trois ans. Cela peut paraître comme étant une contradiction qui sera, avec le temps, généralisable à beaucoup d’Etats européens dont la France où on pourrait voir Marine Le Pen faire la même chose que Meloni  ! En fait, les Etats européens veulent choisir leur main d’œuvre à tous les étages de la pyramide sociale et donner des titres de séjour à des migrant.e.s le temps qu’ils et elles se fassent exploiter avant de se faire expulser.

La Méditerranée est l’axe migratoire le plus meurtrier du monde. De 2014 à septembre 2023, le nombre de morts est estimé à plus de 28 000 personnes ! Si l’UE voulait vraiment résoudre ce problème ainsi que celui des "passeurs", elle devrait en toute logique donner l’accès à ces personnes qui fuient leur pays à des voies légales de voyage telles que l’accès aux visas ! Nous en sommes très loin ! La liberté de circulation et d’installation sont les seules revendications à mettre en avant si on veut vraiment que s’arrêtent ces catastrophes humanitaires !

Appel de Global Commemor’action
6 février 2024 - Dixième anniversaire - Leur vie, notre lumière. Leur destin, notre colère. Ouvrez les frontières  !

Cela fait bientôt 10 ans que le massacre de Tarajal a eu lieu. Le 6 février 2014, plus de 200 personnes, parties des côtes marocaines, ont tenté d’accéder à la nage à la plage du Tarajal, dans l’enclave espagnole de Ceuta. Pour les empêcher d’arriver en Espagne, la Guardia civil et les militaires marocains présents ont usé de violence et n’ont pas porté secours aux personnes qui se noyaient devant eux (1). Depuis, le nombre de morts et de disparus n’a cessé d’augmenter, dans la Méditerranée et sur la route des Canaries, dans les frontières internes de l’UE, dans la Manche, aux frontières orientales, le long de la route des Balkans, et encore dans le désert du Sahara et le long de toute autre trajectoire de mobilité.
À l’occasion du triste anniversaire du massacre de Tarajal, nous relayons l’appel de Global Commemoraction pour la Journée mondiale de lutte contre le régime de mort aux frontières et pour exiger la vérité, la justice et la réparation pour les victimes de la migration et leurs familles le 6 février 2024.
Dans un contexte de surenchère raciste et répressive, alors que le gouvernement français s’apprête à promulguer la « loi de la honte  » et le Parlement européen à voter un Pacte tout aussi indigne et dangereux pour les personnes en migration, nous appelons à un temps de Commémor’Action .
Des mobilisations auront lieu dans plusieurs villes de l’Hexagone

Migrer pour vivre, pas pour mourir ! Ce sont des personnes, pas des chiffres !
Liberté de mouvement pour tous et toutes !

https://missingattheborders.org/news

1- D’autres dizaines de migrants ont été massacrés par les policiers et militaires marocains et espagnols le 24 juin 2022 à Melilla, enclave espagnole à la frontière du Maroc.

 Les premières conséquences de ce pacte

L’application de ce pacte aura des conséquences dans les demandes d’asile en France. Pourront-elles se faire encore en préfecture dans des guichets uniques  ? Où mettront-ils leurs centres de tri humain nécessairement proches des frontières hexagonales ? Dans les Pyrénées  ? les Alpes  ? aux frontières du Nord, de l’Est  ? Ce qui est sûr, c’est que les frontières internes et externes de l’Europe seront de plus en plus militarisées.

Denis, le 6 janvier

Retrait de la loi Immigration !

Le 25 janvier, le Conseil constitutionnel a censuré 40 % de la loi immigration, parmi les articles les plus discriminatoires validés par la majorité présidentielle. Mais les motifs pour supprimer ces articles ne sont, pour la plupart, que de pure forme ; ceux-ci pourraient être repris dans des textes futurs.
Ce qui reste de cette loi demeure profondément stigmatisant et liberticide : une loi anti-immigré.es et anti- ouvrière, qui s’attaque aux plus précaires. Elle bafoue les droits fondamentaux, elle facilitera grandement les conditions d’expulsions, elle rendra plus précaire l’accueil des réfugié.es et plus difficiles les conditions de vie non seulement des Sans-papiers, mais de l’ensemble des personnes d’origine étrangère.
La mobilisation doit continuer pour exiger le retrait total de cette loi.

Une nouvelle journée nationale de manifestations est appelée le 3 février 2024 .

source : La marche des solidarités

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