CA 337 février 2024
vendredi 16 février 2024, par
Le 13 septembre 1993, à Washington, sous la bienveillance du parrain américain Bill Clinton, Yasser Arafat et Isaac Rabin signaient les célèbres accords d’Oslo - annoncés comme historiques - sur l’autonomie palestinienne dans les territoires occupés, préfigurant un futur État palestinien indépendant.
Novembre 1989 le mur de la honte, le mur de Berlin s’écroule. Février 1990, N. Mandela sort des geôles Sud-Africaines, ce sera la fin du régime d’apartheid. Septembre 1993, la poignée de main entre un ex-terroriste palestinien et un général devenu premier ministre d’Israël scellera les accords conduits à Oslo, puis signés à Washington. Un espoir d’avenir et de paix pour la région.
Pourtant, au fil des ans, ces accords quasi secrets apparaissent comme un « processus » sans consistance. Le rêve des deux Etats coexistants s’éloigne pour les palestiniens, sous la poussée continue des colonisations et de la répression sans fard, tant à Gaza qu’en Cisjordanie. Ils se révéleront n’être que des déclarations de principe sans cadre ni échéances. De par son rapport de force, l’État colonial écrase le processus face à un mouvement palestinien dispersé géographiquement et divisé politiquement. Des accords qui concèdent une autonomie de cinq ans à l’Autorité Palestinienne (AP) de Y. Arafat pour le pouvoir exécutif, avec une instance législative, le CLP (Conseil législatif Palestinien). Le siège de l’AP, d’abord situé à Jérusalem-Est, est rapatrié à Ramallah en 1994. Le parlement autonome sera élu en 1996. Un ensemble administratif qui préfigure l’embryon administratif du futur État palestinien, tant à Gaza - avant d’en être chassé par le Hamas - qu’en Cisjordanie. L’AP a compétence dans les affaires civiles et est responsable de la sécurité interne dans les zones palestiniennes autonomes. Mais dans les faits, Israël a le droit de contrevenir ou modifier tout acte du Conseil palestinien et d’intervenir dans ces territoires concédés. Ils sont partagés en trois zones : une zone sous administration de l’AP, une autre sous contrôle israélien et une dernière sous autorité conjointe. Se dessinent déjà les contours de l’apartheid.
En septembre 2004, après trente-huit ans d’occupation, le dernier soldat israélien quitte Gaza, comme annoncé par A. Sharon alors ministre. Le territoire est placé sous l’autorité de l’A.P qui ne contrôlera ni ses frontières avec Israël ou l’Égypte qui plus tard érigeront des murs, ni ses eaux maritimes, ni son espace aérien. Très vite ces accords seront mis dans les tiroirs par les gouvernements israéliens.
Si l’heure semble propice à l’espoir d’une co-existence pacifique entre les peuples des deux futurs États, ces accords, sont rejetés par le Hamas, le FPLP - pro syrien - et autres factions moindres. Un clivage qui creusera les rivalités entre Palestiniens. En 2007, le Hamas qui prône la lutte armée contre le colonisateur remporte les élections législatives à Gaza. Ce qui déplaît fortement aux occidentaux qui, ne pouvant dissoudre le peuple gazaoui, foulent leurs propres principes démocratiques, refusent les résultats de la consultation et qualifient de -terroriste- ce mouvement islamiste. S’ensuit une guerre civile entre le Hamas et les membres de l’AP qui fera un millier de morts. Le Hamas s’accaparera le pouvoir à Gaza. L’AP gardera le contrôle de la Cisjordanie et des territoires occupés. Tandis que le Hamas réprime tout sympathisant de l’AP puis toute contestation sociale, l’AP s’associe aux services israéliens pour traquer tout supposé membre du Hamas ou réfractaire aux accords en Cisjordanie. Suite à l’élection présidentielle, M. Abbas le successeur de Y. Arafat à la tête de l’OLP, avec l’aval du colonisateur, confirmera qu’il reste le seul représentant légitime du peuple palestinien. Mais la corruption qui gangrène l’AP, le retard d’application d’une perspective brouillée des accords imposés par Israël, amènent nombre de Palestiniens désenchantés à se détacher de l’AP, et à éprouver de la sympathie pour le Hamas qui gagne en légitimité avec ses actions de résistance armée contre l’occupant. Il va de soi que dans l’engrenage résistance/répression, Américains comme Européens ne dénonceront que le « terrorisme » sanglant des Palestiniens.
Dans cette situation déséquilibrée le rapport de force ne peut profiter qu’aux dirigeants israéliens qui se succèdent au pouvoir. Côté israélien, le front du refus s’animera rapidement. La bourgeoisie sioniste et expansionniste ne tarde pas à réagir par des provocations et la répression, y compris contre les signataires des accords. Pour ses intérêts, elle tolère les implantations illégales de colonies, elle favorise le mouvement Hamas et participe au discrédit de l’AP. Aux attaques armées et incessantes du Hamas, des intifadas, la politique répressive du pouvoir au nom « du droit à se défendre, du droit d’Israël à exister » glisse progressivement vers la droite pour aboutir aujourd’hui à l’extrême droite suprémaciste à la tête de l’Etat hébreu.
Une première alerte est donnée en février 1994 quand B. Golstein - un colon juif nationaliste intégriste - tue 29 personnes et en blesse 125, au tombeau des patriarches (la mosquée Ibrahim) à Hébron, lors de la prière. Il sera jugé et condamné. Mais les manifestations et émeutes qui s’ensuivent contre les agissements des colons seront réprimées et feront 26 morts parmi les émeutiers. Le rêve ouvert par les « accords d’Oslo » est définitivement enterré, en novembre 1995, avec l’assassinat du ministre I. Rabin, par un ultra nationaliste israélien : Y. Amir. Un acte nourri aux discours de haine proférés alors par A. Sharon, B. Netanyahou et consorts. S’ensuivent les provocations d’A. Sharon, se rendant, en septembre 2000, avec d’autres sur l’esplanade des mosquées (al Aksa) à Jérusalem. Ce qui sera la source de la deuxième intifada et d’attentats-suicides contre les Israéliens...
Au quotidien, durant ces années, la libre circulation pour les Palestiniens entre Gaza et la Cisjordanie disparaît. Les murs sont érigés tant par Israël que par l’Égypte. Dans les territoires occupés, la vie restreinte des Palestiniens se rythme au gré de check-points, de contrôles incessants, d’interdits, de provocations de colons et de répression. La résistance se radicalise et s’intensifie alors que la répression s’accentue. Un tribut lourdement payé par les Palestiniens. Dans le même temps, l’implantation des colonies, qui n’a jamais cessé, s’accélère. Il y a aujourd’hui plus de 800 000 colons installés en Cisjordanie, à Jérusalem Est et sur le plateau du Golan. Souvent des familles pauvres, des familles nombreuses à qui le gouvernement a offert un toit et du travail, faute de réponses sur le territoire d’Israël. Souvent aussi des familles orthodoxes acquises à la cause sioniste qui imposent leur loi et expulsent les Palestiniens de leurs terres, de leur maison... Jérusalem est annexée par le gouvernement israélien et devient la capitale de l’Etat. Le gouvernement d’A.Sharon sera renforcé dans sa politique sioniste et coloniale en 2001 par le ralliement de personnalités de gauche, de partisans -de la Paix- dont Simon Péres. « Il était le symbole d’Israël, il a accompagné la naissance et le développement de ce pays en contribuant de manière exceptionnelle à sa défense », a déclaré lors de ses obsèques B. Nétanyahou, alors chef du gouvernement et virulent opposant à ces accords de paix.
Gaza est une prison à ciel ouvert, emmurée par Israël et par l’Égypte, où s’entasse une population déjà chassée de ses terres par l’état Hébreu. Un territoire où règnent des théocrates du Hamas depuis l’éjection de l’AP. Gaza, une économie embryonnaire voire souterraine, où la population ne survit que d’aide humanitaire, de subventions extérieures ou du trafic des tunnels. Une enclave contrôlée d’où sortent ou rentrent quotidiennement des centaines de prolétaires selon les besoins de l’économie et du patronat israéliens. Une main d’œuvre qui se voit concurrencée aujourd’hui par des migrants asiatiques moins onéreux et plus sûrs. C’est le capital israélien et sa bourgeoisie qui tireront profit de ces -accords- procurant aussi une rente de situation aux bourgeoisies, notables et affairistes palestiniens de Gaza ou de Cisjordanie.
Ces accords ont permis un reniement continuel et une escalade génocidaire de la puissance occupante avec l’aval de Washington qui déverse ses milliards annuels, livre des armes et envoie ses navires de guerre. Des accords bafoués aussi par l’inaction de l’Union Européenne qui s’est toujours refusée à prendre la moindre sanction contre ces gouvernements voyous. Européens cyniques qui, encore aujourd’hui, alors que l’État Hébreu massacre nuit et jour femmes et enfants, invitent Israël à « plus de retenue ».
La bourgeoisie israélienne avait besoin de cet ennemi « terroriste » qui lui permettait de garder la société militarisée et d’offrir au patronat une main d’œuvre à bas coût fortement disciplinée et surveillée. Pour les Palestiniens, L’AP est devenue inexistante, est discréditée de n’avoir pu porter et réaliser les espoirs d’Oslo signés par Arafat. Mais, Gaza est devenue, au fil des ans avec le Hamas, le symbole de la résistance contre le colonisateur pour plus de 60% des Palestiniens et a ressorti leur « histoire » du tiroir où l’avaient enfermé les gouvernements israéliens.
A ce jour, B. Netanyahou et son gouvernement détiennent 6000 prisonniers palestiniens, bombardent sans retenue Gaza et sa population (plus de 20 000 morts) tandis que les colons et les militaires chassent ou tuent les Palestiniens en Cisjordanie (260 morts). Tel pourrait être le bilan de ces trente années qui ont fait oublier « Oslo et un 13 septembre 1993 ».
MZ 15 122023.