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CA 339 avril 2024

Pendant que les glaciers fondent

Contre les JO d’hiver 2030 en AURA / PACA

jeudi 11 avril 2024

Les JO de Paris n’ont pas encore eu lieu, qu’une seconde candidature française a déjà été déposée. Les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte-d’Azur se sont portées candidates pour accueillir les Jeux d’hiver en 2030. Pendant que les glaciers fondent, on se prépare à accueillir les jeux de la neige, du béton et des inégalités.


C’est Jean-Marie-Bernard, président du département des Hautes-Alpes qui annonce la nouvelle dans Hautes-Alpes mag : « le Comité international olympique a décidé de ne poursuivre le dialogue qu’avec la candidature française en vue de l’organisation des Jeux olympiques d’hiver de 2030 ». Il salue « un moment historique pour les Hautes-Alpes et l’opportunité, voire la perspective, d’organiser ces Jeux pour la première fois de l’histoire dans nos stations. » [1]

Cette candidature qui a toutes les chances d’être acceptée puisqu’elle la seule à négocier avec le Comité international olympique (CIO) est le fruit de la collaboration entre Renaud Muselier, président de la région PACA, et Laurent Wauquiez, son homologue rhône-alpin. Ils avaient tous les deux entamé des candidatures séparées, et qui ont été réunies sous le patronage d’Emmanuel Macron. Si la décision du CIO, attendue en juillet pendant les JO de Paris, est positive, ce sont les Alpes françaises (Savoie, Haute-Savoie, Hautes-Alpes, Alpes-Maritimes) qui accueilleront les JO d’hiver en 2030.

Une candidature « neige et chalets »

Les départements concernés sont des territoires dont les sports d’hiver sont déjà l’activité principale, ce qui a été considéré comme un atout pour la candidature. Ainsi, dans les Hautes-Alpes, on dénombre 27 stations, principalement petites et moyennes, embauchant 12 000 personnes, soit près de 30 % des emplois du département [2]. Certains parlent même de « monoculture du ski ». Et les Alpes bénéficient pour accueillir les JO d’hiver de la présence de plusieurs « villes olympiques » : Chamonix, Grenoble et Albertville, qui reçurent les JO respectivement en 1924, 1968 et 1992 [3]. Comme le martèle Renaud Muselier, la candidature des Alpes françaises est une candidature « neige et chalets ».

Pourtant, au delà du récit porté par les autorités avec des mots enchanteurs comme « synergie », « sobriété » ou « neige et chalets », le choix de la candidature française par le CIO relève aussi plus simplement... d’un déficit de candidats ! Le Japon, d’abord candidat, a finalement jeté l’éponge en raison des scandales de corruption qui visent le comité olympique pour les JO de 2021 à Tokyo. Quant à la Suisse, sa candidature a sans doute souffert du risque d’une votation – au résultat potentiellement défavorable – qui entraînerait l’annulation des JO. En France, pas de référendum en vue, c’est plus sûr. On se contentera d’un sondage d’opinion aux questions orientées commandé par la région PACA : « Seriez-vous favorable ou pas favorable à l’organisation des Jeux olympiques et Paralympiques d´hiver de 2030 respectueux de l’environnement de nos Alpes françaises, et compatibles avec les impératifs climatiques ? ». Taux de réponses positives : 73%. Le CIO, pour sa part, a pris les devants face au déficit de candidatures sûres et a préféré planifier les prochains Jeux, privilégiant les candidatures où la population n’a pas son mot à dire. C’est ainsi qu’on sait déjà que les Jeux 2034 auront lieu à Salt Lake City.

Pluie : 1, neige : 0

Pour parer d’avance à toute critique, la candidature alpine prétend se placer sous le signe de la « responsabilité envers l’environnement », s’appuyant sur le chiffre de 95 % d’infrastructures existantes, issues notamment des JO d’Albertville. Dixit les autorités, « le caractère responsable et sobre du dossier  » a été l’un des atouts de la candidature, et « la sobriété s’est imposée comme l’un des maîtres-mots ». Les mêmes ont pourtant déjà annoncé « un formidable coup de booster », donc une série de grands chantiers routiers sur les axes Marseille-Sisteron et Grenoble-Gap [4] – dont l’emblématique transformation en 2x2 voies de la nationale La Saulce-Briançon sur les tronçons où cela est possible. JO 2030 : Jeux de la neige ou Jeux du béton ?

Plus largement, on peut questionner la viabilité d’évènements de ce type en montagne. Ouvrons à nouveau Hautes-Alpes le mag. Dans le même numéro, deux pages sont consacrées aux impressionnantes photos des inondations qui ont touché le département à l’automne 2023. « Les crues, les torrents de boue et les éboulements (…) ont rendu de nombreuses routes impraticables et endommagé des maisons, isolant plus de 600 foyers  » [5]. 4000 foyers ont été privés d’électricité.
Particulièrement touchée, la station du Risoul a été coupée de la vallée pendant quinze jours, retardant légèrement l’ouverture de la saison, et la Région a sollicité l’aide du fond d’urgence d’adaptation au dérèglement climatique [6].

Ces intempéries risquent dans les années qui viennent de mettre en cause la vie alpine bien au-delà de quelques photos spectaculaires. On sait que l’économie du tourisme repose sur la présence de neige. Or, la neige des Alpes est menacée par les conséquences du dérèglement climatique. À l’heure actuelle, on utilise déjà de la neige artificielle sur 35 % des pistes françaises. Le coût environnemental de cette « neige de culture » est non négligeable, avec 25 millions de mètres cubes d’eau prélevés annuellement, 1 à 3 kWh d’électricité par mètre cube de neige, sans parler des infrastructures (canons, retenues d’eau…) [7]. Mais José, membre du collectif No JO qui s’oppose à la tenue des JO souligne l’apparition d’un nouveau problème : les pluies hivernales. «  Quand il faisait plus chaud, les canons répondaient au problème. Mais rien n’a encore été pensé pour empêcher la pluie de faire fondre la neige. Et c’est ce qui arrive depuis cette année, comme au Risoul ! Des masses d’air chaud remontent de la Méditerranée et provoquent des pluies ici. Jusqu’à maintenant, on avait parfois ça au mois de mai, en fin de saison. C’était un phénomène qu’on connaissait. Mais pas l’hiver, et pas à des altitudes comme ça ! Cette année, on a parlé de pluie jusqu’à 3000 mètres d’altitude. En novembre dernier, un mètre de neige est parti en trois jours.  ».

Les sportifs et les scientifiques s'en mêlent

Nous sommes allés rencontrer Stéphane, ancien membre de l’équipe de France de ski de fond, qui a concouru dans des championnats du monde. Lui aussi est catastrophé par la situation. « Je suis né en 1968, l’année des Jeux olympiques de Grenoble, et ma grand-mère avait dessiné les anneaux olympiques sur mes langes. Le ski c’est ma vie. Mais là, on voit bien qu’il y a un problème. On est en pleine saison, en février, et il n’y a plus de neige. » Il est lui aussi membre du collectif No JO. « Quand je dis ça, on me répond « Tu es contre le ski ». Mais non ! C’est ma passion et mon gagne pain ! C’est malheureux, mais ce sont des faits. Mais comme ici on gagne tous nos vies avec la neige, ce n’est pas facile à entendre.  »

Les scientifiques vont dans le même sens. Selon Météo France, « les montagnes se réchauffent deux fois plus vite que les autres écosystèmes : dans les Alpes et les Pyrénées françaises, la température a augmenté de plus deux degrés au cours du XXe siècle, contre 1,4 degré dans le reste de la France  ». Conséquence : le Mont-Blanc a perdu plus de deux mètres depuis 2021 et le réchauffement impactera entre un tiers des stations alpines (à +2°) et la quasi-totalité (à +4°) [8]. Avec des conséquences sur l’enneigement des stations : si la fonte des glaces se poursuit au même rythme que ces vingt dernières années, les Alpes européennes perdront 46 % de leur volume de glace d’ici 2050. A l’eau des intempéries, s’ajoute donc celle des glaciers.

La fin de l'or blanc

C’est dans ce contexte d’urgence climatique que les membres du collectif No JO dénoncent le choix politique que constitue l’organisation de Jeux olympiques d’hiver, dans les Alpes comme ailleurs. Une décision symbole de déni face au réchauffement climatique, perpétuant un modèle dépassé et envoyant un signal politique en direction de l’industrie du ski : « Après nous, le déluge ! ».

En 2020, les images de transport de neige par hélicoptère pour la station de Luchon-Superbagnères, dans les Pyrénées, avaient suscité de nombreuses réactions outrées, y compris au sommet de l’État. Mais aucune leçon n’en a été tirée : en décembre 2022 par exemple, l’accueil de la Coupe du monde de biathlon à la station du Grand Bornand (Haute-Savoie) qui a impliqué le transport par camions de plusieurs milliers de mètres cubes de neige. Le secteur s’estime protégé, estimant qu’il restera de la neige au moins jusqu’en 2050 au moins (!), et que la solution résiderait dans le développement des activités « 4 saisons », l’ouverture des stations l’été, la mise en place de circuits de randonnée, la location de VTT électriques ou de quad ou d’activités d’intérieur… Profitons-en pour signaler les étonnantes activités proposées depuis cet hiver par le Pôle Sport Innovation aux Orres dans les Hautes-Alpes : VTT de descente, ski alpin, canoë-kayak, parapente et speed-riding… le tout en réalité virtuelle, via des simulateurs. Pratique pour quand il n’y aura plus de neige !

« En réalité, le système est à bout de souffle, affirme José. L’industrie du ski a été développée par l’État, gavée de subventions, et aujourd’hui elle se prend le changement climatique en pleine face. Toute cette industrie est structurée sur le principe que les profits sont privés et les pertes publiques. Les élus sont inféodés au lobby du tout-ski, et les JO sont l’assurance d’avoir des investissements.  » Mais encore faut-il investir dans les bons domaines. « Après l’inondation de la station du Risoul, emportée par les inondations cet hiver, il y a eu 300 000 euros pour la station, et zéro pour les agriculteurs. Entre bouffer et faire du ski, il y a une activité qui est superflue et une qui est vitale. Là, on fait tout le contraire. Il faut revenir sur terre  », rappelle José. Stéphane rebondit : « C’est comme dans le Nord de la France, les mines ont fermé. Nos mines à fric à nous, c’est les stations. Ici, il y a cinquante ans on crevait la dalle. Avec les stations, le fric s’est mis à tomber du ciel. Mais elles vont fermer. Ça va se casser la gueule. Nous, on défend une vision complètement différente des Alpes.  »

La lutte des glaces

Créé en mars 2023 à l’annonce de la candidature PACA, donc avant même la candidature commune PACA-Auvergne-Rhône-Alpes, le collectif No JO cherche à fédérer les oppositions. « Dès le départ, on était une petite vingtaine. On a organisé une course de ski sur le bitume, ça a fait marrer les gens », raconte Anna. « Aujourd’hui, c’est difficile de dire combien on est. On essaye de permettre la communication entre les différentes composantes de la lutte. On vient de publier une tribune avec une vingtaine d’organisations, de syndicats… Et là on prépare une mobilisation internationale pour le printemps !  »

Le collectif ne se contente pas de dénoncer le déni du dérèglement climatique. En effet, il ne s’agit pas d’une simple question scientifique, de quantité de neige ou de pourcentage de volume de glaciers. C’est avant tout une question politique : tout le monde ne sera pas égal face à la fin de la neige en montagne, et le collectif met cet aspect au centre de sa critique. Depuis le début, il s’oppose aux JO partout (« ni ici, ni ailleurs ! »), au nom du projet de société ultra-compétitif qui les sous-tendent.

« Le manque de neige va toucher en priorité les petites stations, situées à basse altitude et en périphérie des Alpes, dans le Vercors ou dans le Dévoluy  », indique Stéphane. « Les grosses stations sont au cœur des Alpes, et elles seront touchées plus tard. Alors, comme les skieurs aiment skier sur de la neige verglacée, pas mal de gens vont préférer payer 50€ le forfait plutôt que 35€ pour de la neige mouillée ». Et ces grosses stations qui vont récupérer la clientèle, celles de Méribel ou la Plagne par exemple, appartiennent souvent à des groupes privés – La Compagnie des Alpes en l’occurrence.

Les inégalités se retrouvent aussi dans la question de l’accès au logement. Si les Hautes-Alpes étaient déjà en 2020 le département français avec le taux le plus élevé de résidences secondaires (45,6%, loin devant la Corse, deuxième à 38 % [9]), « avec le covid et les épisodes de sécheresse, beaucoup de gens des villes fuient et viennent ici chercher la fraîcheur  », nous apprend Anna. « Nous on a encore de l’eau, puisque les glaciers fondent ! Des Belges et des Hollandais achètent dans le département, et ça c’est nouveau. » Avec l’explosion de l’achat de résidences secondaires et des locations saisonnières, les prix de vente des logements augmentent, au détriment des locaux et notamment des habitants permanents non propriétaires. Un rapide tour sur Le Bon Coin nous montre que seul un tiers des locations proposées sont annuelles, les autres étant ponctuelles ou saisonnières...

Enfin, il y a la question de la militarisation de la frontière et des difficultés rencontrées par les exilés qui franchissent à pieds les cols des Hautes-Alpes pour entrer en France. « La politique migratoire s’est déjà durcie depuis Macron. Avec les JO ils vont vouloir expulser cette population, militariser encore plus la frontière », poursuit Anna. « C’est très inquiétant, en premier lieu pour les personnes exilées. Par exemple, Montgenèvre, c’est l’un des deux sites qui accueilleront les JO dans les Hautes-Alpes, et c’est aussi le point de passage principal des migrants. Avec les Jeux, les autorités ne vont plus vouloir y voir passer le moindre migrant.  ». Au vu de la politique de « nettoyage social  » dénoncée par soixante associations à propos des JO de Paris, le collectif souligne qu’on peut légitimement avoir des craintes sur cet aspect.

Dans les starting blocs

Pour toutes ces raisons, les membre du collectif No JO redoublent d’activité avant le choix définitif du CIO. Malgré le soutien des médias locaux au projets, les anti-JO peuvent constater que leur efforts rencontrent un large écho. En effet, raconte José, «  la population est assez affligée, les JO sont impopulaires. Pour résumer, les gens de gauche sont contre, et les gens de droite, ceux qui aiment bien la compétition, voient ça comme un gaspillage des impôts. » Dans ce contexte, Stéphane et Anna affichent leur détermination : « On va continuer, on va dénoncer tout ce qui se passe. Maintenant, les projets concrets commencent à sortir : on est dans les starting blocs, prêts à bondir. »

Nicolas Bonanni

En 2018, les JO n’ont pas eu lieu (à Grenoble)
Lorsque la capitale du Dauphiné a voulu présenter sa candidature aux Jeux olympiques de 2018 (qui ont finalement eu lieu en Corée du Sud), un très dynamique Comité anti-olympique (CAO) s’est battu vaillamment sous la bannière : « Moins vite, moins haut, moins fort ». A l’époque, trois villes françaises étaient en lice pour recevoir l’investiture française. Nous avons retrouvé Basile, un ancien membre du CAO.
« C’était en 2008-2009. Nous étions une dizaine. On s’est battus pendant quelques mois contre la candidature grenobloise. On a fait des affiches, des tracts, des cartes postales, on a documenté les conséquences des JO de 1968. Et surtout, dès qu’ils organisaient un évènement, on réagissait, on organisait quelque chose. En décembre 2008 par exemple on a organisé une parade anti-olympique où on était plusieurs centaines, et qui a empêché la tenue de la parade olympique dans laquelle ils avaient embrigadé les enfants des écoles… On est aussi montés à l’Alpe-d’Huez en ski pour contrer une conférence de presse, ils ne s’attendaient pas à nous trouver là ! On leur courrait pas mal derrière... On ne sait pas si c’est notre action qui a fait basculer les choses, mais c’est sûr que ça a eu un impact : le CIO est très sensible à l’adhésion populaire. Quand c’est Annecy qui a été choisie à la place de Grenoble, un Comité anti-olympique s’est créé là-bas aussi. Au final, c’est la Corée qui a été retenue. Un des facteurs du choix c’est que la candidature coréenne était soutenue à 93 %, et celle d’Annecy à 50 % seulement... »

Notes

[1Hautes-Alpes mag n°73, janvier-mars 2024.

[2La Provence, 10/11/2021

[3même si, pour des raisons politiques, Grenoble ne fait pas partie des villes qui accueilleront les JO 2030

[4Renaud Muselier, RMC Sport, 30/11/2023.

[5Hautes-Alpes mag n°73

[6Le Parisien, 1/12/2023

[7Domaines skiables de France, « La neige de culture c’est quoi ? », 2022

[8Slate, 19/12/2023

[9Chiffres INSEE

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