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CA 337 février 2024

Les jeux olympiques et le tourisme : extension du domaine des affaires !

dimanche 11 février 2024, par Courant Alternatif


Sport et tourisme

 
Le sport en tant que loisir s’est imposé très tôt comme une sphère importante du tourisme. L’Alpine Club fondé à Londres en 1857 est même considéré comme la première association structurée à organiser un tourisme d’excursions en montagne (1). Cependant, les membres de l’Alpine Club britannique pétris par l’esprit de l’Angleterre victorienne s’estiment bien plus nobles et supérieurs aux autres touristes recherchant plutôt le repos en villégiature et fréquentant les stations thermales alors en vogue (2). Le caractère et les qualités de ces pionniers comme la discipline, le courage ou encore la maîtrise et le dépassement de soi demeurent depuis dans le sport moderne. Le Club alpin français qui apparaît un peu plus tard en 1874 suit la même idéologie. 
Si le sport sous la forme d’escrime, de canotage ou de courses de chevaux est en ce temps-là un loisir spécifique à la bourgeoisie, son extension à d’autres disciplines s’organise en même temps que l’industrie touristique se développe. Et lorsque ce tourisme s’installe dans l’âge de production et de consommation de masse après la seconde guerre mondiale, alors se développent dans les montagnes et plus particulièrement dans les Alpes des stations de ski pour accueillir les touristes sur leurs nouveaux terrains de jeux d’hiver. Les plans neige permettront ensuite, à partir de 1964 et jusqu’en 1977, de créer 150 000 lits répartis dans 20 nouvelles et 26 anciennes stations. En 1968 les Jeux olympiques d’hiver à Grenoble participeront à populariser les loisirs à la neige. Et les sorties en station organisées par les écoles primaires et les classes de neige – présentées par certains comme des mesures « sociales » – serviront le développement du ski (3). Les enfants ayant appris à skier avec l’école sont ainsi prédisposés à revenir en station en famille et devenir des années durant la future clientèle de l’industrie de l’or blanc. Il n’y a pas très longtemps, en septembre 2021, Laurent Wauquiez, président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, a même souligné pour son Plan montagne 2 : « Il faut que nos gamins apprennent à aimer le ski » pour assurer l’avenir des stations ; l’avenir des stations que notre président de Région tient à développer de manière « durable » avec des dameuses à hydrogène, des canons à neige photovoltaïques et des éclairages LED (4). L’inéluctable développement économique dorénavant écologique s’appuiera à nouveau sur une clientèle préalablement formatée selon les normes du sport-marchandise.
 

Jeux olympiques et attractivité territoriale sociale et environnementale

 
Les Jeux olympiques de Grenoble de 1968 ont vulgarisé les sports d’hiver à une époque où on ne se souciait guère des effets sociétaux et environnementaux de la production et de la consommation de masse. Mais aujourd’hui les villes candidates à l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) devant le CIO (5) se trouvent dans l’obligation de souligner l’aspect durable et social de leur projet. Bien qu’elle a bénéficié de la défection des autres villes candidates, Paris a obtenu l’organisation des Jeux olympiques parce qu’elle serait moins coûteuse : en effet la capitale bénéficie d’infrastructures (stades, piscines, terrains) déjà existantes. Le nombre réduit des constructions d’infrastructures à réaliser permet à la capitale française d’annoncer son respect des accords de Paris sur le climat et son engagement à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) durant l’organisation des JOP. Le comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (COJO) (6) annonce même que ce seul critère réduirait de moitié les émissions de GES. Des efforts seraient par ailleurs menés pour réduire le bilan carbone en utilisant par exemple des énergies « renouvelables » dans les transports publics, les lieux d’accueil, etc. Sur le plan social, Paris 2024 s’engageait à veiller au respect des conditions de travail, à l’insertion de publics fragiles et à l’accès aux marchés à toutes les entreprises : « TPE-PME, entreprises de l’ESS [économie sociale et solidaire], secteur de l’insertion par l’activité économique (IAE), secteur du handicap (7) ». Cette politique volontairement sociale, inclusive et écologique a certainement participé à l’attribution des Jeux d’été 2024 à Paris. Mais il s’agit également de donner de Paris l’image d’une capitale exemplaire visant à illustrer l’identité territoriale que la capitale et plus largement le pays cherchent à se forger. Les politiques d’attractivité s’imposent à tous les territoires dans le seul but de développer et dynamiser l’économie. Or les grands événements sportifs internationaux (GESI) assurent une réelle attractivité. Tout comme le secteur touristique de l’ « événementiel » (festivals, salons, foires-expo, conventions, etc.) dans son ensemble, les GESI attirent du monde. Ils captivent les aficionados, les spectateurs-touristes et téléspectateurs en nombre mais aussi des investisseurs et autres détenteurs de capitaux. Le marketing territorial qui accompagne ces GESI (8) et le tourisme en général visent à attirer le voyageur occasionnel afin de lui donner le goût de revenir pour y résider, créer son entreprise ou poursuivre ses études et travailler-consommer sur le territoire à plus long terme. Les GESI majeurs tels que les JOP ont un avantage sur les autres événements : la démesure ! Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les JOP seront suivis par 20 000 journalistes accrédités, potentiellement par 4 milliards de téléspectateurs ; 16 millions de visiteurs cumulés sont attendus sur l’ensemble des compétitions sportives. Aucun autre événement touristique — sportif ou pas — ne peut provoquer un tel engouement, développer une telle attractivité.
 

Conseils interministériels du tourisme et Jeux olympiques

 
À peine nommé Premier ministre, Édouard Philippe décide de ne pas attribuer un simple ministère chargé du tourisme. Il réunit le 26 juillet 2017 un Conseil interministériel du tourisme (CIT) composé pour moitié de membres du gouvernement (une quinzaine de ministres et secrétaires d’État), auxquels s’ajoutent une vingtaine de professionnels du secteur et quelques élus. Ce Conseil sera chargé de « donner une nouvelle impulsion aux mesures attendues par la filière touristique (9) ».  
Parmi les professionnels du tourisme présents dans ce premier CIT, la moitié s’intéresse de près aux Jeux olympiques : on compte notamment Sébastien Bazin, président du club de football du Paris Saint-Germain, mais aussi PDG de Accor-Hotels qui deviendra partenaire officiel des JOP ; ou encore Augustin de Romanet, PDG d’ADP, l’exploitant des aéroports de Paris, alors fournisseur officiel durant la campagne de candidature de Paris 2024. Il y a également Jean-Marc Janaillac, PDG d’Air France-KLM, partenaire officiel de la candidature de Paris au JOP 2024. Timothée de Roux participe aussi à ce premier CIT. Il est président de l’Union nationale pour la promotion et le développement de la location de vacances (UNPLV) rassemblant les principaux acteurs de la location de vacances et de la location urbaine dont Airbnb qui deviendra en 2019 partenaire mondial des JOP de Paris. Parmi les autres professionnels présents, on note Michel Dessolain, DG de Viparis, gestionnaire de sites de congrès et d’exposition en Île-de-France, comme le Palais des Congrès de la porte Maillot qui accueillera le Centre principal de presse des JOP, le Parc des expositions de la porte de Versailles et le Parc des expositions Paris Nord Villepinte où se trouve l’Arena Paris Nord. Il y a aussi Catherine Pégard, présidente de l’Établissement public du château de Versailles qui accueillera les épreuves équestres de dressages et de saut d’obstacles et les épreuves d’équitation et de pentathlon moderne. Anne Yannic, Directrice de la société de la tour Eiffel était présente à ce CIT.     Élément central durant les JOP, le secteur de la tour Eiffel sera rénové, piétonnisé et végétalisé. Il accueillera les épreuves de lutte, de beach-volley, de judo, de triathlon et de nage en eau libre. Philippe Faure et Christian Mantei, respectivement Président et DG d’Atout France étaient présents aussi ; Atout France, l’agence de développement touristique de la France lié à l’État avait signé une convention en octobre 2016 avec Paris 2024 pour soutenir et promouvoir la candidature de la capitale à l’organisation des JOP de 2024. Pierre-René Lemas, DG de la Caisse des dépôts et consignations, figurait aussi dans la liste des sponsors de la candidature de Paris 2024. Et Jean-François Rial itou, président de l’Office de tourisme et des congrès de Paris jusqu’en 2023, et PDG de Voyageurs du Monde, voyagiste déjà impliqué lors de précédentes éditions des Jeux olympiques à Pékin et Rio de Janeiro.
Il y avait parmi les six élus impliqués dans ce CIT, Philippe Augier, maire de Deauville aujourd’hui candidate à l’accueil de la délégation chinoise, Anne Hidalgo, maire de Paris qui accueillera les jeux olympiques et Dominique Bussereau, président de l’Assemblée des départements de France qui a signé une convention avec le COJOP en décembre 2021 pour que la flamme olympique traverse l’ensemble des départements avec célébration le soir dans une ville de chaque département. Dans ce premier CIT, les présences de ces élus et de ces professionnels du tourisme désormais à ce point impliqués dans les JOP étaient-elles totalement fortuites ? Il est permis d’en douter. 
 

Rapport de mission sur les grands événements sportifs internationaux

 
L’organisation des JOP de 2024 est attribuée à la ville de Paris lors d’une session du CIO qui se tenait au Pérou à Lima en septembre 2017. Quatre mois plus tard, en conclusion du deuxième Conseil interministériel du tourisme (CIT) du 19 janvier 2018, le Premier ministre Édouard Philippe annonçait que le CIT suivant serait consacré en grande partie à la thématique « Sport et tourisme ». Et un peu plus tard, le chef du gouvernement envoie une lettre datée du 25 avril 2018 au député Benjamin Dirx, dans laquelle il lui demande de mener une « mission conjointement avec Monsieur Laurent Queige président du Welcome City Lab, Madame Pascale Roque, directrice générale de Pierre et Vacances Tourisme, et Monsieur Patrick Doussot, vice-président de l’office du tourisme du Touquet [pour] identifier des pistes d’action afin d’optimiser les retombées touristique des grands événement sportifs internationaux organisés en France en général, et de la Coupe du monde de rugby 2023 ainsi que des Jeux olympiques et paralympiques 2024, en particulier (10) ». La France ayant obtenu l’organisation des plus grandes compétitions internationales sportives (la Coupe du monde de rugby et les JOP), le Premier ministre veut à tout prix « fixer un cadre qui permette une meilleure articulation entre l’accueil de ces grands événements sportifs et [leurs] objectifs ambitieux, tant quantitatifs que qualitatifs, en matière touristique : aller au-delà des perspectives à l’horizon 2020 en dépassant les 100 millions de visiteurs internationaux et les 60 milliards d’euros de recette touristique (11) ». Si a posteriori cette ambition n’a pas tout à fait atteint son objectif à cause du Covid, la mission a toutefois répondu aux exigences du chef du gouvernement et proposé de nouvelles pistes de valorisation et de promotion pour développer l’attractivité du pays. La réflexion devait porter sur « les stratégies d’attractivité qui permettent de limiter les effets d’évitement ; les politiques d’accueil à mettre en place pour améliorer l’expérience du visiteur, maximiser sa durée de séjour et son panier moyen de dépenses, adapter l’offre aux enjeux d’accessibilité ; les actions à engager pour faire profiter l’ensemble des destinations françaises de l’afflux de visiteurs attendu, et développer des offres territoriales autour de ces grands événements sportifs (bases arrières notamment) ; les effets d’entrainement des grandes manifestations sportives sur certaines filières en particulier le tourisme d’affaires ; les stratégies de communication à développer avant, pendant et après les événements sportifs pour capitaliser sur leur notoriété et optimiser leur héritage, notamment en termes d’image et de dynamisme de la destination France (12) ». Le but est de proposer des pistes opérationnelles testées avant la Coupe du monde de rugby et des JOP puisque « le tourisme et le sport sont des secteurs clef de notre économie, qui favorisent le développement des territoires, la croissance et l’emploi ». On ne s’encombre plus ici du discours sur les valeurs olympiques et le style de vie fondé sur la joie dans l’effort, la valeur éducative et le respect des principes éthiques fondamentaux universels. On ne s’attarde pas non plus sur « le Mouvement olympique [ayant] pour but de contribuer à bâtir un monde pacifique et meilleur en éduquant la jeunesse par le moyen du sport pratiqué sans discrimination d’aucune sorte et dans l’esprit olympique qui exige la compréhension mutuelle, l’esprit d’amitié, la solidarité et le fair-play (13) ».

Le rapport de mission sur les GESI fut remis au Premier ministre le 19 juillet 2018, le jour du 3e CIT consacré en partie au sport et aux grands événements sportifs afin qu’ils « soient des catalyseurs d’attractivité touristique (14) » et poussent à la dépense (15) ; c’est ce qui ressortait du dossier de presse. Mais revenons sur le rapport de mission.     Après « avoir auditionné plus d’une centaine d’acteurs du tourisme et du sport (16) », les missionnaires retenaient vingt-et-une mesures visant à développer une offre touristique grâce aux GESI et à en favoriser les effets d’entrainement notamment en « [maximisant] les retombées économiques pour le territoire grâce au shopping » et en développant « des liens avec le tourisme d’affaire ». Tout ceci à l’aide de moyens à mettre en place : des outils numériques, des financements, des instances de concertation et de suivi, une offre de transports renforcée, etc. Qui pourrait encore penser que le tourisme et la consommation liés aux GESI répondent à une demande ou à un besoin qui se serait déclaré en dehors de l’intérêt sonnant et trébuchant ? Il apparait clairement que la demande de consommation s’efface devant une politique de développement de l’offre commerciale dont les JOP et autre GESI sont l’opportunité. À ce sujet les GESI, comme par exemple les JOP de Barcelone de 1992, ont « favorisé une croissance très importante des arrivées touristiques, passées de 1,75 million en 1990, à 4 millions en 2000, puis 13 millions en 2010. Le nombre de lits ayant connu une hausse de 98 % entre 1990 et 2001 (17) ». Nos missionnaires ont raison de souligner que le nombre de touristes n’a pas cessé d’augmenter depuis ces JO de 1992 jusqu’en 2010. Mais ils omettent de souligner le fait qu’un mouvement important contre cette « dynamique touristique » s’est cristallisé à Barcelone notamment contre la gentrification et airbnbisation de quartiers populaires dues à cette même dynamique. Ce qui a conduit en juin 2014, une militante pour le droit au logement, Ada Colau, à la tête de la municipalité de la capitale catalane.     Malgré une politique volontariste visant à réduire le tourisme de masse (18), les résultats sont criants : les arrivées touristiques à Barcelone ont atteint leur maximum en 2019 avec 19.4 millions de touristes (19). Seules les mesures sanitaires imposées durant la période du Covid ont réussi à réduire le nombre de touristes... Mais l’afflux de visiteurs a repris en 2022 et avec lui les nuisances ; ce qui fait dire au Conseiller municipal chargé du tourisme (du Parti socialiste de catalogne) à la mairie de Barcelone, Xavier Marcé (20) : « Ce qu’il faut, c’est optimiser les bénéfices et maîtriser les dégâts. C’est le débat dans lequel toutes les villes européennes sont engagées (21). » Contrairement à ce que pouvait espérer la maire de Barcelone au début de la crise du Covid, le monde d’après n’est pas très différent du monde d’avant (22)... Et l’alternative aux commandes à Barcelone se dilue dans l’administration financière, économique et marchande aux effets nuisibles et insupportables.
 

 JO et droits de travailler le dimanche

 
Si les JOP de 2024 sont, selon les gouvernants, d’un incontestable intérêt pour l’attractivité touristique et l’économie des territoires, ils sont également une aubaine pour qui veut faire passer des lois exceptionnelles qui auraient du mal à convaincre autrement : ils habituent la population à accepter ce qui paraissait inacceptable. La loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances (bien sûr !) dite loi Macron de 2015 a consenti aux commerces situés dans des lieux « particuliers » d’ouvrir le dimanche et en soirée en créant les zones touristiques internationales (ZTI). Jusque-là le principe du repos dominical est la règle en France, selon la loi de 1906. Bien entendu, des dérogations sont accordées pour certains périmètres d’usage de consommation exceptionnels dans les unités urbaines de plus d’un million d’habitants ou encore pour des commerces de détail alimentaire, le dimanche matin. D’autres dérogations dites de plein droit existent aussi pour les hôpitaux, les hôtels et les musées et des autorisations peuvent également être accordées de manière exceptionnelle.
Les ZTI sont nées avec la volonté de retenir les touristes étrangers en France et leur faire dépenser leur argent. Le travail dominical et en soirée était aussi une revendication du lobby des professionnels du tourisme réunis dans l’Alliance 46.2 (23). Afin d’élargir le périmètre du « droit au travail dominical », douze ZTI sont créées à Paris par des arrêtés ministériels en application de la loi du 6 août 2015 et neuf dans le reste du pays. Certaines gares de Paris et de provinces bénéficieront également d’une réglementation similaire au ZTI sur le travail dominical. 
À situation exceptionnelle, loi exceptionnelle. L’article 25 de la loi du 19 mai 2023 relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 élargit l’assouplissement des règles du travail le dimanche entre le 15 juin et le 30 septembre 2024 : « Dans les communes d’implantation des sites de compétition des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 ainsi que dans les communes limitrophes ou situées à proximité de ces sites, le représentant de l’État dans le département peut, compte tenu des besoins du public résultant de l’affluence exceptionnelle attendue de touristes et de travailleurs […], autoriser un établissement de vente au détail qui met à disposition des biens ou des services à déroger à la règle du repos dominical (24) ». Bien évidemment, « la dérogation au repos dominical est mise en œuvre dans l’établissement sous réserve du volontariat du salarié (25) »… Cependant, la Ministre déléguée au commerce [et au tourisme], Olivia Grégoire qui a porté cette mesure sur le travail dominicale en la présentant dans le texte de loi sur les Jeux olympiques n’a-t-elle pas déclaré qu’elle était, au-delà de cette période particulière, favorable à une modification de la loi actuelle qui autorise les commerces à ouvrir seulement 12 dimanches par an (26) ?
 

JO et mesures sécuritaires

 
Mais la loi sur les JO de Paris a surtout permis d’introduire, dit-on de manière limitée dans le temps, la vidéosurveillance algorithmique. Toute cette attractivité, ce shopping et ce business autour du tourisme, des GESI et des JOP de Paris nécessitent une protection à la hauteur des enjeux. Sous couvert de protection et de lutte contre le terrorisme, mais aussi de maintien de l’ordre, sans compter les mesures dites d’exception et la banalisation de l’état d’urgence, les lois sécuritaires se succèdent. Une des dernières en date est la « loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés ». Celle-ci dote notamment la ville de Paris d’une police municipale. Elle élargit les pouvoirs des polices municipales et celui des agents de sécurité privés et augmente les possibilités d’accès aux images de vidéosurveillance. Toutes ces mesures s’accordent particulièrement aux exigences du bon déroulement de la Coupe du monde de rugby de 2023 et des Jeux olympiques de 2024... La sécurité aux abords du stade de France s’est révélée chaotique lors de la finale de la Ligue des champions, le 28 mai 2022 et a souligné le besoin de renforcer les effectifs et les moyens pour sécuriser l’événement sportif le plus suivi au monde : les JOP. En nous gardant bien de toutes analyses complotistes, nous relevons cependant que les « dysfonctionnements » autour de cette finale de la Ligue des champions auront permis de recentrer les avis et les nécessités sur la sécurité des JOP. La loi sécurité globale du 25 mai a donné certaines possibilités, mais les mesures qui n’étaient pas envisageables de passer par cette loi sont finalement passées le 19 mai 2023 avec l’article 10 de la loi relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Cette loi autorise en effet dans un cadre expérimental limité dans le temps — jusqu’en mars 2025, bien après la fin des JOP —, de collecter des images au moyen de systèmes de vidéosurveillance et de caméras installées sur des drones et de les traiter par intelligence artificielle. Ces traitements algorithmiques ont « pour unique objet de détecter, en temps réel, des événements prédéterminés susceptibles de présenter ou de révéler ces risques et de les signaler » et pour seul but « d’assurer la sécurité de manifestations sportives, récréatives ou culturelles (…) exposées à des risques d’actes de terrorisme ou d’atteintes graves à la sécurité des personnes » (27). Ce cadre expérimental permettra de mettre en œuvre ces nouveaux moyens sécuritaires mais aussi d’habituer la population à se soumettre à ces contrôles et à les accepter, de manière provisoire nous dit-on. 
 

Tourisme, divertissement, sport et contrôle social

 
Les GESI comme le tourisme en général sont moteurs de l’économie marchande. Ils participent grandement à l’attractivité territoriale source également de développement économique. Mais certaines situations peuvent compromettre cette marchandisation : le terrorisme, la guerre, certaines crises, les conflits sociaux, le climat généralisé de violences ou de vol, etc. ; tout ce qui peut soulever un sentiment d’insécurité. Plus généralement, la marchandise associée au travail sous toutes ses formes qui la produit nécessite une paix sociale pour l’écouler que seul un État peut garantir par le maintien de l’ordre et la force ou la contrainte si nécessaire. Ce ne sont pas tant les mouvements sociaux qui inquiètent l’État mais bien ses répercussions sur la marchandisation. En témoigne le mouvement des gilets jaunes à Paris en fin d’année 2018 qui avait provoqué, suite à la dévastation des Champs Élysées, l’annulation de nombreuses réservations touristiques. Depuis quelques années le tourisme s’est doté d’un renforcement de la sécurisation des lieux et des sites touristiques et culturels ou sportifs notamment par le déploiement de patrouilles et de caméras de vidéosurveillance, mais aussi par la mise en place d’un label de sécurité des sites touristiques : « SÉCURI-SITE », dont les conventions permettent d’adapter la réponse sécuritaire au cas par cas pour chacun des sites sensibles (26). La généralisation du modèle sécuritaire appliqué à l’ensemble de la marchandisation se fait par l’intermédiaire du secteur du tourisme, du sport et des divertissements que la population est plus à même d’accepter, sentant l’avantage et le plaisir d’y concéder. D’autant plus que ce tourisme, ce sport et ces divertissements, inclus dans un mode de vie jugé désirable car basé sur la compensation hédoniste face à l’obligation de produire, contribuent eux-mêmes à la pacification et au contrôle social. Dans ce contexte, se divertir c’est accepter, et en vouloir encore et encore sans jamais se sentir rassasié.
 
L’Office de l’antitourisme de Grenoble

Notes

1 Auparavant, Thomas Cook avait organisé en 1841 son premier voyage thérapeutique contre la dépendance à l’alcool. Il développera ensuite d’autres voyages organisés. La première agence de voyage venait de voir le jour à ce moment-là.
 
2 Delphine Moraldo, L’Esprit de l’alpinisme. Une sociologie de l’excellence du XIXe au XXe siècle, ENS Éditions.
 
3 Le même phénomène d’aide au développement a été déployé ces 15 à 20 dernières années par l’école, sous prétexte d’égalité et de démocratisation : l’utilisation du numérique à l’école a surtout servi à familiariser la société à son informatisation. L’école est un très bon moyen d’intervenir dans les développements souhaités dans la société. Les loisirs et le numérique ont propulsé les secteurs économiques correspondants. Mais ils participent également à un certain maintien de l’ordre et de la paix sociale ; le « du pain et des jeux     » contemporain.
 
4 https://www.francebleu.fr/infos/eco...
 
5 Le Comité international olympique (CIO) est l’organisation internationale qui désigne les villes hôtes des jeux olympiques.
 
6 Le Comité d’Organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques (COJO) est responsable de l’organisation, de la planification, du financement et du déroulement des JOP. Le COJO est constitué par le Comité national olympique du pays de la ville hôte et « doit se conformer à la Charte olympique, au contrat conclu entre le CIO, le CNO et la ville hôte (contrat ville hôte), ainsi qu’aux instructions de la commission exécutive du CIO ».    
     
7 https://www.paris2024.org/fr/charte...;   
             
8 Pour 2023 et les cinq années qui suivent on compte pour la France, les GESI suivants : le Championnat du monde de ski alpin à Courchevel-Méribel, la Coupe du monde de rugby à XV, la Coupe du monde de rugby à XIII, la Transat Jacques-Vabre tous les deux ans, le Vendée Globe tous les quatre ans, la Coupe du monde de basket, mais aussi le Tour de France cycliste et Roland-Garros. Et bien sûr le plus important d’entre tous : les JOP de Paris 2024.         
 
9 https://www.gouvernement.fr/sites/d...
 
10 https://www.entreprises.gouv.fr/fil...;               
 
11 Ibid.
 
12 Ibid.
 
13 Discours soutenu par le CIO : https://olympics.com/cio/au-dela-de...;                
 
14 Selon Édouard Philippe dans l’édito du dossier de presse consacré à ce 3e CIT : https://www.gouvernement.fr/sites/d...;               
 
15 Parmi les principales mesures prises durant ce 3e CIT, il y a par exemple la connexion entre les billetteries touristiques et sportives : l’idée est de proposer au spectateur achetant un billet pour une grande compétition un logement et un pack touristique pour « [maximiser] les retombées positives en faveur de l’attractivité de la France et de ses territoires et du secteur du tourisme ». Cf. dossier de presse Ibid.                 
 
16 https://www.entreprises.gouv.fr/fil...;               
 
17 Ibid.
 
18 https://www.latribune.fr/economie/i...;                
 
19 https://www.shbarcelona.fr/blog/fr/...;               
 
20 En 2019, Xavier Marcé est élu du Parti des socialistes de Catalogne qui gouverne conjointement avec des élus de la liste Barcelone en commun menée par Ada Colau, la maire sortante de Barcelone réélue en 2019 grâce à l’indispensable soutien de Manuel Valls, l’ancien Premier ministre de François Hollande qui se présentait sur la liste Ciutadans, parti de centre droit.         
 
21 https://www.letemps.ch/monde/barcel...;                
 
22 Ada Colau, « Cette crise nous montre un chemin », Le Monde, 16 juin 2020.         
 
23 L’Alliance 46.2 a changé de nom. Elle est devenue l’Alliance France tourisme.         
 
24 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf...

25 Ibid.
 
26 https://www.lefigaro.fr/societes/jo...

27 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf...

28 https://mobile.interieur.gouv.fr/Ar...;
 

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