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Mégabassines :
l’État entre en guerre pour privatiser l’eau

jeudi 6 avril 2023, par Courant Alternatif

Le 25 mars à Sainte-Soline, la mobilisation contre les réservoirs de substitution a atteint des sommets, par le nombre de manifestant·es, leur détermination, mais aussi par l’intensité de la répression déployée contre les « éco-terroristes » fantasmés par Darmanin.


Le samedi 25 mars dernier à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres, la mobilisation contre les réservoirs de substitution -les mégabassines - a atteint des sommets, par le nombre de manifestant·es, leur détermination, mais aussi par l’intensité de la répression déployée contre les « éco-terroristes » fantasmés par Darmanin.

Quoi de neuf depuis le 29 octobre 2022 ?

Dans Courant Alternatif n°324, nous décrivions la précédente mobilisation à Sainte-Soline, avec 8 000 manifestant·es. Depuis il y a eu les propos du ministre de l’Intérieur, Darmanin, sur les « éco-terroristes » à combattre et ceux du ministre de la Justice, Dupond Moretti, enjoignant aux parquets la plus grande sévérité contre les activistes de terrain. Ça n’annonçait rien de bon.

Sous la droite ou la gauche l’État français ménage traditionnellement le lobby agricole productiviste représenté par la FNSEA et défend ses intérêts. On se souvient comment Ségolène Royal avait reculé rapidement face à la mobilisation des légumiers finistériens contre les portiques de taxation des transports en camions -le mouvement des Bonnets Rouges- recul qui avait coûté quelques milliards à l’État. Même sort pour l’interdiction du glyphosate (alias Roundup), exigée par Bruxelles mais balayée en deux semaines par les betteraviers industriels qui risquaient de voir leurs récoltes compromises par des pucerons. Ou bien le label bricolé « Agriculture raisonnée », destiné aux producteurs traditionnels français pour entamer les parts de marché des bios, pomper leurs subventions et saper leurs efforts. Ou bien la tolérance compréhensive à l’égard du laitier Besnier, leader mondial, vendant du lait maternisé à la salmonelle, ou encore de la coopérative bretonne Triskalia prête à empoisonner ses salariés comme le bétail de ses coopérateurs en leur refourguant des aliments arrosés aux pesticides frelatés. Etc.

Décourager le mouvement avant qu’il ne fédère les autres luttes et déborde

Pour les mégabassines, l’État se devait d’utiliser tous les moyens pour casser la rapide poussée du mouvement d’opposition à cet accaparement des ressources hydrauliques par 6% des agriculteurs, les plus gros et les plus productivistes. Le 25 mars, l’État alignait 3200 gendarmes pour 6000 manifestant·es attendu·es… Deux jours plus tôt à Paris face à 800 000 manifestants contre la casse des retraites, il alignait 5000 forces de l’ordre : ces chiffres illustrent bien l’effort déployé à Sainte-Soline pour défendre jusqu’au bout un vulgaire trou de 10 hectares destiné à devenir une réserve d’eau. Et bien autre chose derrière.

Malgré l’interdiction de manifester décidée par la Préfecture des Deux-Sèvres, le collectif d’organisations [1] du rassemblement arrivait à implanter un campement à proximité de la zone rouge incluant la bassine en construction. Ce sont 30 000 opposant·es qui ont fait le déplacement, 4 fois plus que lors de la manifestation précédente, et la fête aurait pu être belle.

Mais le 25 mars, le cortège n’arrivera pas à entrer sur le terrain comme le 29 octobre. Une pluie de grenades lacrymogènes et de désencerclement, de tirs de flash-ball s’abat sur la foule harcelée par des gendarmes montés sur des quads version rurales des BRAV-M [2] qui terrorisent les zones urbaines. 4000 grenades tirées en près de deux heures, occasionnant plus de 200 blessé-e-s, dont certains très graves, puisque 2 sont toujours dans le coma avec un pronostic vital engagé, et que plusieurs autres subissent des lésions fonctionnelles définitives, entre autres parce que les secours auront été entravés. (cf communiqués ci-après).

Dans le contexte de la mobilisation contre la réforme des retraites qui dure depuis deux mois et connaît également un durcissement avec des affrontements dans plusieurs villes, cette réponse de l’État à l’opposition aux bassines reproduit les schémas d’autres luttes contre des grands projets, aéroport, centrales nucléaires. Derrière le dispositif électoral prétendument démocratique, les choix importants de modèles économiques ne sont pas discutables. Seul un rapport de forces peut faire reculer les modèles productifs et destructeurs qui tournent au bénéfice de la classe capitaliste. L’État le sait et à décidé de ne pas le laisser s’installer.

L’ordre républicain en marche

Le déferlement de la violence d’État qui s’est abattue sur les manifestant·es ce 25 mars à Sainte-Soline donne une idée de la conception de l’ordre républicain revendiqué par le Président Macron. Force doit rester à la loi, quoiqu’il en coûte, et aussi dérisoires que soient les enjeux. La surenchère répressive et violente de l’État vise à faire mal et à faire peur pour éteindre toute contestation en acte de l’ordre social qu’il impose.

Engagé dans un rapport de force avec la société qui ne veut ni de sa réforme des retraites, ni de ses projets d’intensification de l’exploitation du travail ou de la planète, l’État démocratique dévoile son vrai visage. Celui du bras armé de la classe capitaliste qui a renoncé à tout compromis social pour n’affirmer que la force brute de la répression contre toute forme de contestation. Et l’annonce du projet de dissolution des Soulèvements de la Terre par le Ministre de l’Intérieur n’en est que la dernière facette à l’heure où nous mettons sous presse.

Le pari de Macron est toutefois très risqué. S’il parvient a effaroucher l’opinion en agitant les hordes de fichés S qui menacent la démocratie et le bien commun pour créer, avec le Rassemblement national, une union sacrée pour la guerre de classes qu’il alimente depuis 5 ans il aura gagné. Mais les constats de bon sens qui émergent un peu partout en déclarant que l’État ne laisse d’autre voie que la révolte et la rage pourraient bien s’avérer favorables à ceux et celles qui affirment courageusement qu’il n’y a d’autre solution qu’une révolution.

A suivre...
Nantes- Saint-Nazaire, le 29/032023.

Notes

[1BNM, collectif Bassines Non Merci ; SDLT : Les Soulèvements De La Terre ; La CONF’ : La Confédération Paysanne.

[2BRAV-M, Brigade de répression de l’action violente motorisée, unité de « voltigeurs » dissoute en 1986 après l’assassinat de Malik Oussekine, et recrée en 2019 pour casser du Gilet Jaune.

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