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CA 329 avril 2023

Royaume Uni un mouvement social mis en mode « veille »

jeudi 13 avril 2023, par Courant Alternatif

Après une décennie de sommeil, l’ampleur des mobilisations de gréve qui se sont succédées au Royaume Uni, démontre que la classe ouvrière est toujours présente. Un mouvement qui démasque les limites des bureaucraties syndicales britanniques.


{{Le retour de la classe ouvrière }}

Voilà bien longtemps que le Royaume Uni n’avait vu des vagues de gréve d’ampleur aussi dynamiques, et autant soutenues par l’opinion publique. Depuis l’été dernier, cheminots, télécoms, enseignants, soignants, postes, rail(1)... tous, toutes défilent dans les rues exprimant leur colère contre les salaires bloqués à minima, leurs conditions de travail, de vie, et la hausse des prix. Mais, ces volontés de lutte seront émiettées au fil des semaines et des mois par les bureaucraties syndicales sans assemblées de grévistes et, avec des piquets de gréve ne dépassant pas les 6 personnes - comme l’autorise la loi. Des piquets de gréve tenus alors par les représentants syndicaux.

Le 1er février 2023, est appelée la plus grande (depuis au moins 10 ans)    gréve interprofessionnelle déclarée dans le pays. Près d’un demi-million de manifestants du public et du privé se réunissent pour réclamer des hausses de salaires alors que l’inflation générale est à plus de 13% mais avec des denrées à plus de 20% des prix quotidiens. Ce jour là, seul 11% des écoles ont ouvert leurs portes, nombre de liaisons ferroviaires ont été annulées... Selon la BBC, sur 500 000 enseignants recensés, 300 000 auraient débrayé ce même jour. Mais en face, la réponse du gouvernement restait la même, exprimée par la ministre de l’éducation G. Keegan : « augmenter les fonctionnaires ne ferait qu’augmenter l’inflation ».

Par leur colère, les travailleurs ont imposé à leurs syndicats ces grèves et actions. Mais le mouvement est resté bien encadré par les bureaucraties qui ont tergiversé en organisant des journées d’action perlées (2). Elles s’appliqueront à éviter une unification des luttes vers un rapport de force global nécessaire pour gagner tous ensemble. A ces grèves légales qui obéissent à la « strike bill » : une loi aux règles draconiennes encadrant les modalités de gréve, des gréves sauvages éclatent parfois telle celle de chez Amazon qui a vu son plus grand dépôt bloqué par les grévistes. Mais il y a aussi eu des grèves plus éparses dans des lieux où les syndicats sont peu présents, le bâtiment, les Deliveroo (livreurs à vélo)… Ces grèves et débrayages ont un impact sur l’économie du Royaume-Uni, d’après le cabinet de conseil économic et business, les pertes sont estimées à 1% du PIB soit 1,7 milliards de livres. La gréve des enseignants coûterait 20 millions de livres (3) par jour. Mais cela reste encore insuffisant pour alarmer les financiers, la bourgeoisie et faire plier le gouvernement.

{{Les bureaucraties décrètent « la pause »

Dans l’enseignement supérieur où, outre les revendications communes à tous les salarié-es du Royaume-Uni, les personnels dénoncent aussi leur précarité accrue, le 13 février le syndicat UCU, et la direction entament des négociations ou du moins une première discussion. Peu auparavant, deux journées de gréve ont eu lieu et d’autres actions sont prévues pour les semaines qui suivent. Or, peu après, le 17 février, la secrétaire générale du syndicat déclare -unilatéralement- une pause et tweete : « nous avons convenu d’une période de calme de deux semaines. Cela nous permettra de mener des négociations intensives dans le but de parvenir à un accord final ».

Dans la santé, des décennies de réductions de personnels, d’austérité et de privatisations ont laissé le système de santé britannique exsangue et sous financé de 30 milliards de livres. Pour soigner correctement la population, son financement devrait être de 3 058 livres par habitant. Or, il n’est que de 2 642 livres. Après la campagne  « applaudir les soignants » lors de la crise du COVID, les gouvernants en sont à dénoncer les grévistes qui « mettent la vie des usagers en danger ». Là aussi, alors que soignants et ambulanciers étaient massivement mobilisés avec une forte sympathie de la population, la bureaucratie a décidé d’annuler les journées de gréve prévues début février, par les salarié-es du NHS - service national de santé. Et cela sans avoir obtenu d’offre préalable d’un rattrapage salarial de la part du gouvernement, sur la simple « ouverture » de concertations. Le syndicat GMB a annulé les journées du 6 et 8 mars laissant les ambulanciers concernés dans l’attente. UNISON, syndicat le plus important dans la NHS a suivi lui aussi. Le syndicat UNITE, la veille de la journée de gréve agira de la même façon pour se joindre aux pourparlers. Il en fut de même avec le Royal Collège of Nursing (syndicat des infirmières) qui annulera les actions déjà actées en vu des « pourparlers intensifs » accordés par le ministère. Rappelons que ce secteur des soignants et ambulanciers tenait la première et plus grande gréve depuis sa création voici 75 ans. Il est vrai que le ministère de la Santé et des Affaires Sociales venait, après maintes suppliques syndicales, d’ouvrir la porte des discussions à la condition que les « actions revendicatives soient annulées avec effet immédiat ». Tandis que le gouvernement reste inflexible sur sa proposition de n’octroyer que 3,5% d’augmentation, voir moins, là où les organisations se contenteraient d’un 4% alors que les salariés demandaient 14% pour le rattrapage des salaires passés et le coût de l’inflation qui dépasse les 13% avec une flambée des prix de l’alimentation, des carburants etc. Pour faire passer « la pilule », les bureaucraties ont présenté cette rencontre comme une première victoire : « C’est un énorme changement de la part du gouvernement » mais hypocrites, sans doute par crainte d’un désaveu, elles appellent les salarié-es à se re-mobiliser nationalement pour le 15 mars.

{{Collaboration de places contre lutte de classe

Dans ces marchés de dupes, les travailleurs n’ont sans doute pas encore pris conscience de leur force autonome, pas encore tracé leur voie pour trouver de perspective alternative. Encore en faiblesse, ils ne semblent pas en mesure d’imposer aux bureaucraties : la fin de toutes négociations au rabais faites à leur dépends, et la reprise des actions revendicatives avec des comités autonomes de base avec des représentants directement élus.   
Mais, ces poussées de combativité de la base où se retrouvent syndiqués et non syndiqués ne sont pas sans poser problème aux bureaucraties. Comment freiner cette combativité sociale pour la canaliser dans un vote pour le parti travailliste selon l’objectif fixé par son actuel leader K. Starmer. ?

Le parti travailliste, dont les syndicats sont les principaux bailleurs de fonds et de cadres, ne veut surtout pas afficher de soutien aux grévistes. « Un parti qui veut gouverner ne va pas soutenir les grèves », a expliqué son leader K.Starmer. Et, preuve de sa responsabilité : lorsqu’un député travailliste, membre du « gouvernement officieux » (shadow cabinet) s’est rendu sur un piquet de grève, il a aussitôt été démis de ses fonctions. Suivant l’exemple de Tony Blair(4), les dirigeants travaillistes ne cessent de donner des gages de responsabilité à la bourgeoisie et au patronat. Pour cela, les principaux dirigeants syndicaux et travaillistes, placent l’essentiel de leurs espoirs dans cette alternance électorale qui prochainement, les ramènerait aux affaires. Ils misent donc, pour cela, sur le mécontentement en cours parmi la population et sur le discrédit actuel des conservateurs. Il ne sera donc pas question de leur part de durcir la confrontation sociale.
La bourgeoisie conservatrice s’inquiète de cette agitation sociale et économique posée par le mouvement ouvrier sur le coût politique pour le parti, son gouvernement et son premier ministre R.Sunak. En effet cette politique d’austérité et de fermeté salariale, reprochée par l’opinion publique, mais soutenue par son électorat, inquiète d’autant plus les conservateurs, qu’ils ont déjà usé deux premiers ministres(5) en quelques mois, et voient le parti travailliste crédité de plus de 25 points d’avance sur lui. Et cela à moins d’un an des élections des députés.

{{L'union des va t-en guerre

Au Royaume-Uni, les bureaucraties syndicales se sont donc rangées du côté de la bourgeoisie travailliste qui avec le gouvernement au pouvoir, prépare la guerre. Une guerre aux frontières de l’Europe en Ukraine contre la Russie de V.Poutine. Le Royaume-Uni n’est-il pas le premier pays européen (hors U.E) à soutenir et armer l’Ukraine !? Et l’autre guerre à venir en Asie, derrière les USA et au côté de l’Australie contre la Chine. Aussi, quand la bourgeoisie opte pour des budgets d’armement qui flambent, les financements sociaux se réduisent, régressent. Dans un tel contexte il est évident qu’elle est en passe de refuser tout compromis social. Les besoins pour « ses » guerres exigent une austérité stricte, une surveillance accrue des populations et une soumission sans contestation. Pour ce faire, elle poursuivra sa politique anti sociale, elle attisera le nationalisme, et elle durcira ses lois contre les immigrés, clandestins ou pas. Telle sera la mission d’un futur gouvernement, fut-il travailliste ou pas. Dans cette perspective, de paupérisation et de guerre, les luttes actuelles restent malgré tout un espoir pour renverser l’ordre établi par le capital. Aux travailleurs de reprendre le contrôle de leur lutte, de refuser l’enfermement syndical des bureaucraties pour défendre leurs intérêts de classe et veiller à ne pas se laisser berner par les illusions électorales de la bourgeoisie.

De Caen.12/03/2023

Notes

1) « La classe ouvrière est de retour » Propos de D.Lynch. leader du puissant syndicat

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