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CA 331 juin 2023

Brèves de l’éco 331

mardi 27 juin 2023, par Courant Alternatif


{{Une banque suisse a frôlé la faillite !

Tout a commencé par la faillite de la Silicon Valley Bank, une banque américaine spécialisée dans le financement des start-ups. Il lui est arrivé un truc bien connu depuis au moins le 18ème siècle. Comme les banques utilisent l’argent déposé par les épargnants pour faire des prêts lucratifs, si tous leurs clients viennent réclamer leur argent en même temps, forcément, elles ne peuvent pas payer et font donc faillite. C’est même ce qui est à l’origine des premières réglementations bancaires. Et pourquoi les clients de la SVB ont-ils donc paniqué ?
Pour lutter contre l’inflation, en suivant une théorie qui a fait la preuve de sa nullité depuis longtemps, les banques centrales du monde entier relèvent leurs taux d’intérêt. Quand le taux d’intérêt monte, le prix des obligations et des bons du Trésor baissent. Je vous ai expliqué pourquoi il y a bien longtemps, mais c’est bien trop long pour une brève. Comme cette banque avait surtout de ça dans son patrimoine, forcément, ses clients ont eu peur. Comme ce n’est que la 16ème banque américaine et que c’est arrivé très vite, on a laissé faire dans un premier temps. Peut-être un peu aussi pour faire un exemple. Après la crise des subprimes, les banques avaient évité une réglementation contraignante en expliquant que ce n’était pas dans leur intérêt de provoquer une nouvelle crise. Donc, elles ont continué à faire les mêmes conneries qu’avant, mais en plus gros puisqu’elles ont vu que de toutes façons si elles se plantaient on leur filerait des milliards et on ne leur demanderait aucun compte.
En fait, la SVB a été rachetée par une autre banque américaine, la First Citizens. Mais cette histoire a un peu fait peur aux marchés financiers, dont la capitalisation boursière a perdu 465 milliards de dollars dans le monde en 3 jours en mars dernier. Ceci a déstabilisé le Crédit Suisse, vénérable banque helvète (pléonasme) créée en 1856. Sa principale actionnaire (10 % du capital) est une banque saoudienne (tout fout le camp mon brave monsieur, même les banques helvètes sont aux mains de l’étranger…) qui a déclaré qu’elle ne participerait pas à sa recapitalisation (filer du fric pour pallier aux pertes). Donc les autres actionnaires se sont inquiétés, ont commencé à vendre, et le cours des actions a chuté. Mais l’État suisse a négocié son rachat par UBS, autre vénérable banque helvète, avant que la panique ne gagne les épargnants. Il faut dire qu’on a affaire, là, à une banque systémique, c’est-à-dire une banque dont nos experts ont déterminé qu’elle est suffisamment importante pour que ses soucis aient des répercussions mondiales, comme Lehmans Brothers, dont la faillite avait entraîné la crise des subprimes.
Comment se fait-il que les banques soient si fragiles ? A cause d’une caractéristique inhérente à leur nature : l’appât du gain. Ce qui rapporte le plus ce sont les investissements dans les fonds spéculatifs et les prêts risqués. Sans compter bien sûr les opérations de blanchiment au profit des mafias et dictatures. Le Crédit Suisse, par exemple, avait été condamné dans une affaire de drogue bulgare. Donc, malgré toutes leurs déclarations d’innocence, les banques prennent des risques, d’autant plus qu’on n’a pas voulu les embêter en édictant des lois, que de toutes façons, elles jouent dans une cour de récréation mondiale tandis que les lois sont nationales, et qu’elles savent que les banques centrales ne vont pas les laisser tomber sous peine de grave crise économique.
UBS a fait une bonne affaire : elle rachète 3 milliards de francs suisses un truc qui en possède en propre 40. Et le gouvernement garantit des prêts. Bon, il a aussi dépouillé certains actionnaires par le biais des titres hybrides. Je vous passe les détails techniques, mais 17 milliards d’euros se sont évaporés pour eux (je vous rappelle que la réforme des retraites, c’est pour 18 milliards d’euros, officiellement). UBS conforte donc sa place de numéro un mondial. Elle gère un patrimoine de 5000 milliards de dollars dont 3400 pour la seule gestion de fortune des particuliers. J’aime bien vous donner un peu le tournis avec les chiffres, à mettre de côté pour quand on vous expliquera qu’« il n’y a pas d’argent magique ».
Alors, après 2008, tous les gouvernements avaient annoncé qu’ils allaient agir pour contrôler la finance (rappelez-vous Hollande, le candidat présidentiel anti-finances…). Et effectivement, on a mis en place une réglementation prudentielle, c’est-à-dire que les banques se sont engagées à respecter des règles de prudence, à condition qu’il n’y ait pas de sanctions prévues. Et on a mis en place des indicateurs et des crash tests. Les deux ratios principaux concernent la solvabilité et la liquidité (la capacité de payer là maintenant tout de suite). Bien sûr, le Crédit Suisse avait de très bons ratios.
Beaucoup de réglementations ne sont applicables qu’au-delà de certaines sommes. Tout l’art bancaire consiste à rester en dessous, éventuellement en fractionnant. Par exemple, la SVB citée plus haut a fait du lobbying auprès de Trump pour obtenir que certaines règles de surveillance ne soient appliquées qu’à partir d’un seuil de 250 milliards de dollars d’actifs au lieu de 50 auparavant. Elle avait 210 milliards de dollars d’actifs.

{{Pourquoi je vous parle de finances tout à coup ? Pour deux raisons principales.

D’abord, c’est rigolo de voir qu’une banque suisse peut faire faillite. Ça rappelle que rien n’est éternel en ce bas monde. Et qu’aucune institution si vénérable soit-elle n’est à l’abri de rien.
Ensuite parce qu’il n’est pas mauvais de se souvenir que oui, nous sommes toujours au bord d’une crise financière, de préférence de plus grande ampleur que celle de 2008. On a un peu la tête occupée ailleurs en France en ce moment, mais dans le monde, c’est une préoccupation. Ce risque de crise est lié à un marché financier démesuré, non régulé sauf par les financiers, et qui dicte ses lois aux gouvernements, notamment l’opacité, l’impunité et l’absence d’entraves (pour eux, hein, pas pour le bas peuple !). Lorsque le taux d’intérêt est bas on va vous expliquer que « l’argent trop facile », « l’argent magique », et blablabla et quand il est élevé on va vous expliquer la « déstabilisation des marchés », « il faut rembourser ses dettes », « la fragilisation de l’immobilier », « la lutte contre l’inflation » et blablabla… Toutes explications techniques globalement justes, mais qui ignorent seulement le fond de l’affaire.

Après, pour le cas où vous dormiriez quand même sur vos deux oreilles, je vous rappelle qu’il y a deux systèmes : le système financier officiel, et ce que le milieu (financier, pas obligatoirement mafieux) appelle le shadow banking ou finance de l’ombre pour les francophones. Je vous donne sa définition par la Banque de France : « L’intermédiation financière non-bancaire (IFNB), connue jusqu’en 2018 sous le nom de « shadow banking » ou « finance de l’ombre », désigne un système de collecte de fonds et d’octroi de financements impliquant des acteurs qui n’appartiennent pas au système bancaire traditionnel, bien qu’ils puissent conduire des activités similaires à celles des banques. » Cette dernière estime que ça représente la moitié des actifs financiers mondiaux (donc on peut supposer que c’est plus). La finance de l’ombre est évidemment liée aux paradis fiscaux, et occupe de plus en plus de place dans le financement de l’activité économique, je veux dire l’activité économique légale. C’est bien évidemment par cette finance que passe le blanchiment des trafics mondiaux. En résumé, un problème rencontré par un cartel de drogue quelconque mais un peu important pourrait bien avoir des répercussions sur le PIB des grandes puissances…

Sources diverses, dont La Tribune, France-Info, Banque de France, « Crédit Suisse, les leçons d’une descente aux enfers », Eric Pichet, Consersation France, 23 mars 2023.

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