CA 331 juin 2023
Malgré les ravages de la guerre
dimanche 18 juin 2023, par
Le 15 avril 2023, un conflit armé a éclaté entre l’armée soudanaise et la milice des Forces de Soutien Rapide (RSF). Cette guerre prend la forme de violents affrontements militaires dans les villes, bombardements aériens, et incendies qui ravagent les infrastructures du pays. Ce conflit menace d’effondrement l’autorité étatique et l’unité du pays, avec la résurgence de violences extrêmes entre différents groupes ethniques dans les régions de l’Est et de l’Ouest.
Après plus d’un mois de guerre, le Syndicat des Médecins Soudanais compte environ 850 personnes tuées et 8600 blessées, mais le bilan pourrait être bien plus élevé. Le viol a également été utilisé comme arme de guerre dans la capitale par les soldats des RSF, selon l’Organisation de lutte contre les violences faites aux femmes.
La guerre au Soudan compte plusieurs fronts qui se sont étendus de la capitale, Khartoum, aux villes voisines Bahri et Omdurman, puis à d’autres régions, notamment au Darfour.
Dans deux villes du Darfour, Nyala et Al-Geneina, les Soudanais·e·s dénoncent un génocide en cours : 18 civils ont été tués lors d’une journée d’affrontements à Nyala, et 280 personnes tuées lors d’un massacre de plusieurs jours à Al-Geneina. A Al-Geneina, les attaques ont mis tous les hôpitaux, cabinets de médecins et centres de soins d’ONG hors-service, interdisant totalement l’accès aux soins aux blessé·e·s. Dans les zones de combats, le pillage généralisé des maisons abandonnées et la circulation libre des armes a ouvert la voie à la création de dizaines de milices informelles, ce qui laisse présager le pire : que la guerre entre deux factions devienne la guerre de tous contre tous.
A ce jour, au moins 75 000 personnes ont fui les régions de combats vers des régions plus sûres et des dizaines de milliers d’autres se sont réfugiées dans les pays voisins comme l’Egypte, le Tchad, le Sud-Soudan ou l’Ethiopie.
Au-delà des violences directes à l’égard de la population civile, les destructions se multiplient, mettant à mal tous les efforts faits lors des dernières années pour redresser les secteurs économiques et culturels. Le palais présidentiel, l’aéroport de Khartoum, la banque centrale de Khartoum, les places de marché, les hôpitaux, ainsi que des usines importantes à Bahri ont été incendiées puis pillées par les RSF ou d’autres milices. Les quartiers résidentiels ont également subi d’importantes destructions, ainsi que les réseaux d’eau et d’électricité. La guerre a également commencé à s’attaquer de manière irréparable au patrimoine culturel et à la mémoire du pays lors de l’incendie du Centre Muhammad Omar Bashir d’études soudanaises de l’Université Nationale d’Omdurman, qui est un des plus importants centres d’archives au Soudan.
L’origine de la guerre remonte à la formation du Conseil de Souveraineté après le renversement du régime du président Omar el-Béchir lors de révolution d’avril 2019. Le chef de l’armée, Al-Burhan, a pris la présidence du conseil, tandis que le commandant des RSF, Hemedti, occupait le poste de vice-président. En octobre 2021, Al-Burhan a renversé ce gouvernement de transition par un coup d’Etat militaire : à partir de ce moment-là, les deux généraux ont commencé à montrer leurs désaccords dans les médias. Les deux parties ont forgé leurs propres alliances avec les forces civiles, elles-mêmes divisées.
Les RSF accusent l’armée d’être contrôlée par les islamistes et les partisans de l’ancien régime d’Omar El-Béchir. Mais cette posture politique cache un conflit autour du pouvoir de l’Etat et du contrôle des ressources entre ces deux partis militaires et leurs alliés à l’étranger. En effet, les RSF cherchent à maintenir leur autonomie vis-à-vis de l’armée soudanaise afin d’accroître leur puissance. Elles qui contrôlent les mines d’or du pays, qu’elles exploitent avec le soutien de la milice russe Wagner. L’armée soudanaise, de son côté, cherche à mettre fin au développement rapide des RSF qui est en train de la dépasser en termes d’équipement, de richesse et de soldats.
Juste avant que n’éclate la guerre, des négociations étaient en cours sur la mise en place d’un nouveau gouvernement de transition vers une démocratie civile. La question de l’intégration des RSF à l’armée était un sujet central du débat. Les représentants de la révolution civile réclamaient cette intégration, afin justement d’éviter la guerre. L’armée voulait que cette intégration soit accomplie d’ici deux ans, alors que les RSF demandaient un délai de dix ans afin de continuer à accroître leur puissance.
Dès le déclenchement du conflit armé, la position de la majorité de la population soudanaise et de l’ensemble des forces politiques civiles s’est faite entendre : aucune de ces deux armées ne représente les intérêts de la population. Les deux généraux ont chacun collaboré avec l’ancien régime pour massacrer les manifestant·e·s lors des mobilisations contre la dictature militaire en 2018 et 2021. Cette guerre est un prétexte pour détourner le Soudan du chemin de la révolution civile que la population avait durement arraché après quatre ans de révolution pacifique.
Les militant·e·s soudanais·e·s dénoncent également une guerre impérialiste, avec l’implication des puissances voisines. En premier lieu, l’Egypte, qui est depuis des années le principal soutien de l’armée soudanaise qu’elle cherche à maintenir au pouvoir pour garantir un contrôle militaire de la région. Les RSF sont, de leur côté, soutenues depuis longtemps par le général Haftar en Libye, et la Russie avec laquelle elles contrôlent les mines d’or.
Sous le feu, la solidarité
Au milieu des attaques et destructions qui dévastent le pays, des réseaux de solidarité se sont formés, offrant une aide pratique et émotionnelle aux personnes touchées par la guerre. Les voisin·e·s se soutiennent mutuellement en partageant des ressources limitées, en s’abritant les uns les autres et en créant des espaces de sécurité. Cette solidarité est une force collective face à l’adversité, qui a permis de sauver des vies et d’atténuer les effets dévastateurs du conflit sur la population civile. Elle montre que la population soudanaise, qui réclame la paix et le changement social, travaille déjà à le mettre en œuvre au quotidien malgré les risques mortels auxquels la population est exposée.
En dépit de la situation sécuritaire, les comités de quartier (dits aussi : comités de résistance), collectifs qui étaient les fers de lance de la révolution, continuent à se battre pour aider les familles en difficulté et répondre aux besoins de premières nécessités dans leurs quartiers, ainsi que réparer les services publics. On a vu ainsi circuler des photos des comités de quartier organisant des journées de solidarité pour nettoyer et réparer les murs cassés des hôpitaux à Al-Fasher, ou encore reconstruisant les réseaux d’électricité, ou allant balayer les décombre après les incendies. Ils aident également les familles à l’inhumation des cadavres, et en fournissent de la nourriture aux familles les plus pauvres.
Dans chaque quartier, ces comités veillent à assurent la sécurité de leurs voisin·e·s, en occupant les maisons et bâtiments publics abandonnés pour éviter que les RSF ne s’y installent et avancent ainsi leur ligne de front. Ils ont également aidé les habitant·e·s à construire des barricades de sable pour empêcher les RSF d’entrer dans leurs quartiers.
Enfin, dans certaines villes moins exposées au feu des combats, comme à Port-Soudan, Wad Madani et Kassala, des comités de résistance ont organisé des rassemblements pour protester contre la guerre.
Avec la fuite de dizaines de milliers de personnes de Khartoum vers les régions plus calmes ou vers les régions frontalières, de nombreux·ses déplacé·e·s ont manifesté leur gratitude face à l’hospitalité généreuse des habitant·e·s, qui ont abrité des milliers de personnes dans des zones sûres. Pourtant, ils et elles vivent eux-mêmes dans des conditions très difficiles, à cause de la crise économique dans le pays.
Ces petits actes, en opposant la solidarité pacifique à la violence des armes, illustrent un courage immense et une grande détermination de la population civile soudanaise. Ils montrent que la force révolutionnaire est encore présente dans le pays, que ce soit sous la forme d’actions concrètes ou dans les discours sur les réseaux sociaux, où chacun·e affirme que : « La révolution continue ! », et que, peu importe les destructions : « Nous reconstruirons le pays ! ».
Article écrit par le collectif « Sudfa »
Sudfa (« Coïncidence » en arabe) est un média participatif créé par un groupe d’ami·e·s et militant·e·s soudanais-e-s et français·e·s pour porter dans le monde francophone les voix de la révolution soudanaise. Notre objectif est de partager ou traduire des articles écrits par des personnes soudanaises, ou co-écrits par personnes soudanaises et françaises, sur l’actualité et l’histoire politiques, sociales et culturelles du Soudan et la communauté soudanaise en France. Si vous souhaitez nous contacter, vous pouvez nous écrire à sudfamedia@gmail.com, ou via nos réseaux sociaux (Facebook et Instagram). Pour lire nos autres articles, vous pouvez voir notre blog Médiapart : https://blogs.mediapart.fr/sudfa ou notre site internet : http://www.sudfa-media.com. A bientôt !