CA 332 été 2023
vendredi 4 août 2023, par
Le foyer Branly à Montreuil doit être démoli pour être rénové. C’est un foyer de travailleurs migrants, donc des hommes seuls (en France), majoritairement maliens, mais aussi d’autres pays d’Afrique de l’Ouest. Un comité de soutien s’est créé à l’appel du comité des résidents. Des rassemblements ont eu lieu, à l’inauguration officielle d’un foyer et devant la mairie.
Le foyer comporte actuellement 195 lits officiels. Dans le cadre de la « mixité sociale », le nouveau foyer comportera 135 mini-studios et des appartements suffisamment grands pour accueillir des familles. Les résidents ont posé 5 revendications quand ils ont connu (tardivement évidemment) le projet : que les titulaires de lits âgés puissent transmettre leur contrat à quelqu’un de la famille, que des colocations soient possibles sur les appartements (certes analphabètes, ils ont bien repéré qu’il manquait 60 places), qu’une porte accessible aux personnes âgées et aux invalides soit posée durant les travaux, qu’un parking soit réservé durant ce même temps pour ceux qui travaillent avec leur voiture (nettoyage), et qu’on propose un relogement aux surnuméraires en situation régulière (il y a environ 250 surnuméraires, avec ou sans papiers). Ces revendications ont été posées en avril, les travaux étant censés commencer le 1er juin. C’était 5 revendications de trop. La réponse : vigiles pour bloquer le parking actuel, et l’ensemble des casiers ont été éventrés et toutes leurs affaires jetées par terre.
Le comité de pilotage du projet comprend Adoma (l’ancien Sonacotra), la Préfecture, la mairie de Montreuil (communiste), Est Ensemble (le territoire (1))… Bien sûr, les résidents n’y ont jamais été invités. Manquerait plus que ça qu’on demande leur avis aux intéressés ! Une enquête sociale était prévue pour savoir qui méritait d’être relogé. Les résidents l’ont boycottée. Ils espéraient que ce soit un moyen de pression, cette enquête étant obligatoire avant le démarrage des travaux. Mais bon, la loi ne s’impose pas à tous, tout le monde sait ça.
En fait, comme ailleurs, il ne s’agit pas seulement d’une grosse rénovation. Les foyers de travailleurs migrants sont transformés en résidences sociales, offre de logements temporaires pour les personnes en grande difficulté. Les travailleurs sont donc maintenant des personnes en grande difficulté, de surcroît pas forcément des migrants. Ceci explique que seulement 135 lits soient proposés. Il faut mixer, installer des familles, par définition pas présentes dans les foyers de travailleurs migrants. Et c’est bien pourquoi on refuse aux 60 titulaires évincés par le projet la possibilité d’une colocation dans des appartements suffisamment grands. « C’est contraire au projet social ». C’est pourquoi aussi la transmission du contrat à un membre de la famille est refusée : les organismes sociaux co-financeurs prétendent loger qui ils veulent où ils veulent.
Ceci fait partie du « plan de traitement des foyers de travailleurs migrants », un plan national mis en place en 1997. Au départ, c’était un plan quinquennal. Un quart de siècle plus tard, l’opération n’est toujours pas terminée. Il reste par exemple 19 foyers à transformer rien qu’en Seine Saint Denis. Soi-disant, il s’agit de permettre une autonomisation du logement et de ses habitants. En réalité, en prétendant lutter contre le communautarisme, il s’agit de s’attaquer aux pratiques cultuelles musulmanes et de casser les solidarités. Les foyers actuels ont certes plusieurs lits par chambre, mais ils offrent des espaces collectifs importants : cantine où les résidents organisent eux-mêmes leur cuisine collective (ce qui permet de faire manger tout le monde, même ceux qui n’ont rien), cafeteria, espaces de commerce informel (épis de maïs, cigarettes, savon, boissons…), salles de prières, salles de réunions. Aucun espace collectif n’est prévu dans les résidences sociales. Tu arrives, tu rentres dans ta chambre et tu fermes ta porte, et c’est tout. Tu ne peux aller nulle part. C’est ça, l’intégration. Pas même un endroit pour cuisiner. Ce sont des foyers prison : contrôle des entrées et sorties, une seule clef par résident, droit pour le gérant de pénétrer dans les chambres à tout moment. On pourrait croire que le passage de foyer à résidence leur donnerait au moins le statut de locataire, vieille revendication qui date de la grève des foyers Sonacotra dans les années 70, mais non, toujours pas. Illustration de la précarité de leur statut, les expulsions de ces résidences se multiplient : il suffit en effet d’héberger son frère ou son fils pour être accusé de sur-occupation, motif suffisant d’expulsion immédiate.
Le prétexte qui est pris pour légitimer ces mesures, c’est la dégradation matérielle des foyers. Cette dégradation n’est que partiellement le résultat de la suroccupation. Elle est d’abord le résultat de l’absence d’entretien et de travaux pendant des décennies, malgré les revendications des résidents. Et si sur-occupation il y a, c’est à cause de l’impossibilité pour beaucoup de travailleurs immigrés de se loger. C’est vrai que la rue, c’est beaucoup plus hygiénique, c’est au grand air au moins.
Cerise sur le gâteau en ce qui concerne le foyer Branly : l’opération devrait être rentable. On démolit les espaces collectifs et le parking pour construire le nouveau foyer (pardon, la nouvelle résidence) à la place, et ensuite on détruira l’ancien foyer pour revendre le terrain dans un quartier en pleine gentrification. Bon, pour la non artificialisation des sols, on ira planter quelques arbres rabougris ailleurs, histoire d’oublier les splendides arbres qui vont être arrachés.
Tout le monde se doute que les foyers sont détruits dans le cadre de la chasse aux sans papiers, au profit de résidences dont l’accès leur sera très difficile. Mais en fait, ça va bien au-delà. Il s’agit de casser les solidarités existantes, de détruire tout collectif, architecturalement et juridiquement. Aucun foyer n’a été détruit sans résistance, avec parfois quelques concessions obtenues (en matière de logement des « surnuméraires » par exemple). Mais tous les moyens sont bons pour que la philosophie du projet soit imposée. Et quand il s’agit d’Africains, les moyens les plus brutaux et éventuellement illégaux sont utilisés.
Sylvie
Note
(1) Dans le cadre du « grand Paris », il y a une métropole, Paris intra-muros, et des territoires (avec des indigènes ?), qui regroupent les communes de banlieue incluses dans le grand Paris. Est Ensemble comprend 9 communes.