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CA 332 été 2023

Défendre les CADA ?

Bien sûr, mais en restant critiques et lucides

dimanche 6 août 2023, par Courant Alternatif

Nous avons tous en tête les offensives musclées des nervis de la mouvance « facho, catho-tradi, vieille France et badernes en uniforme » contre les projets associatifs et municipaux d’implantation de centres d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) dans des petites communes rurales. A Callac, dans les Côtes d’Armor, l’offensive a été telle, avec en prime un déferlement d’attaques antisémites contre son promoteur, que le projet a été abandonné. A Saint-Brévin (Loire-Atlantique) en revanche, et malgré le fait que les nervis aient franchis un pas supplémentaire en incendiant la maison du maire l’amenant à démissionner de son mandat, la contre-offensive s’est installée soutenant la nouvelle maire qui ne veut pas lâcher le projet. A Belâbre (Indre) non plus, les manifestations d’une coalition de groupuscules fascisants dont Reconquête de Zemmour contre le projet de Cadac soutenu par la mairie et des associations berrichonnes n’ont pas fait reculer ceux des habitants qui entendent manifester leur solidarité vis-à-vis des demandeurs d’asiles.


Que sont les CADA ?

Les centres d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) ont pour mission d’héberger et d’accompagner socialement et administrativement celles et ceux qui se trouvent sur le territoire français. Au bout d’un an ils sont soit « régularisés » pour un temps et retrouvent le droit de travailler qu’ils n’avaient pas, soit ils sont expulsés. Ils sont la continuation de structures créés dans les années 1970 pour accueillir des Chiliens pourchassés par le régime fasciste de Pinochet ou des boat peoples asiatiques fuyant les nouveaux régimes après la victoire du Viet Minh sur l’armée américaine. Par la suite, le nombre de gens persécutés fuyant leur pays d’origine ne s’est jamais tari du fait de la multiplication des guerres et des dictatures de par le monde. A noter que la plupart de ces guerres ne sont que le reflet de celles que les grands impérialismes se mènent loin de leur sol par belligérants lointains interposés et que les dictatures, elles aussi, ont été installées ou soutenues par ces impérialismes. A l’heure actuelle et selon la Cimade, le dispositif CADA peut accueillir 50 000 des 140 000 personnes ayant déposé une demande d’asile dans environ 400 centres. Chacune d’entre elle touche la royale somme de 6,80 euros par jour pour survivre, un couple sans enfant 10,37 euros, avec un enfant 12,81 euros !

Le cas de Belâbre

Belâbre se caractérise par des volets fermés qui s’égrènent tout au long de ce bourg à la limite de l’Indre et de la Vienne. Maisons inoccupées et à vendre après le décès du dernier habitant ou résidences secondaires occupées quelques semaines par an, de préférence l’été.
Ici, la désertification rurale n’est pas un vain mot. Le village qui comptait 1600 habitants après la seconde guerre mondiale n’en dénombre plus que 900 aujourd’hui y compris certains qui s’y domicilient sans y habiter. L’indice de vieillissement y est particulièrement élevé : 45 % ont plus de 65 ans.
Une situation propice donc à générer frustration, amertume et inquiétude pour l’avenir, autant d’ingrédients qui peuvent facilement se transformer en rejet puis en haine d’un bouc émissaire imaginaire soupçonné de vouloir profiter de ce déclin pour s’emparer d’un espace laissé à l’abandon et remplacer les « français de souche ». C’est précisément ce que cherchent à faire des militants nationalistes auto proclamés « français de souche », des partisans de Zemmour, des adeptes proclamés du fascisme, bref ce qu’on appelle la fachosphère. Si vous laissez un cadac s’ouvrir « vous allez livrer au hasard de mauvaises rencontres les enfants de nos écoles et les joggeuses de notre forêt ? Allez-vous prétendre que vous êtes certains que des éléments criminels ne seraient pas en train de les épier pour les massacrer ? Ils auront toute la journée pour les observer et toute la forêt pour agir » résume l’association des maires pour le bien commun à la pointe de cette offensive anti CADA.
Comment lutter contre ces escroqueries racistes ? Il ne suffit sans doute pas de dire oui aux CADA car ces derniers ne sont pas sans contradictions.

Cada ci, cada là

Ils sont financés par l’Etat et gérés, sous l’autorité de la Préfecture, soit par des associations dites caritatives locales ou nationales (composés de bénévoles ou de salariés, comme France terre d’asile ou la Cimade) et, pour les plus grosses structures, par des entreprises privées choisies sur appel d’offre, qui trouve là un moyen de faire du business. Pour ces dernières il s’agit là d’un véritable marché : par exemple la société Adoma qui gérait dans les années 1970-80 les tristement célèbres foyers Sonacotra pour les travailleurs migrants célibataires dans des conditions les rapprochant plus des marchands de sommeil que de bailleurs de logements sociaux, a pallié la diminution de sa clientèle en se reconvertissant dans l’« accueil » de réfugiés. Mais les Cada peuvent être aussi le fruit de la démarche d’une simple commune épaulée par des associations de bénévoles solidaires des migrants. Ce qui a été le cas des projets de Callac, de Saint-Brévin ou de Belâbre ou antérieurement dans le Limousin ou le Berry. Et c’est celles-là que nous soutenons, mais pas au prix de ne pas poser quelques questions.

Comme nous le disions déjà dans un article d’avril 2016 de Courant alternatif, « les visions différentes de l’accueil des demandeurs d’asile », tout n’est pas fait du même bois dans ces projets.
Pourquoi l’Etat accepte-il d’envoyer une partie des demandeurs d’asile dans de petites villes ou villages ? Parce que dans une grande ville et dans un grand cada le demandeur d’asile peut s’intégrer dans des réseaux de connaissances lui permettant de trouver du travail au noir ; dans un petit village il sera plus facilement contrôlé et moins autonome dans ses possibilités de relations.

Par ailleurs le discours de peur des méchants immigrés violeurs ou terroristes entraîne des réponses et des pratiques souvent ambigües pour tenter de le contrer. Ici, on cite en exemple untel qui était médecin, ou unetelle institutrice chassées de Syrie ou d’Afghanistan par la guerre ou la dictature. On nous montre tel couple uni par les liens sacrés du mariage avec ses deux beaux enfants qui ont appris si bien et si vite la langue qu’ils réussissent à l’école. Bref des modèles qui ressemblent aux « nôtres » (ou sont censés ressembler). Il vaut mieux être une famille avec enfant ou une femme seule pour attirer la compassion qu’un homme célibataire sans qualification. Et surtout il vaut mieux être blanc (ou presque) du moyen-orient que noir et célibataire de n’importe où. Toutes ces distinctions ne sont jamais assumées ouvertement mais elles crèvent les yeux et sont toujours faites pour la bonne cause, celle de montrer qu’un émigré n’est pas le diable. Pourtant elles démontrent clairement que les questions de classes sont toujours présentes dans la question de l’accueil et du traitement du droit d’asile, y compris et peut-être même surtout dans les pratiques de solidarité. A nous de les y rendre visibles y compris en assumant des oppositions aux organisations humanitaires.

JPD

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