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CA 333 octobre 2023

Punir aussi les parents !

dimanche 8 octobre 2023, par Courant Alternatif

Plusieurs ministres et personnages politiques, y compris Macron, ont menacé de punir les parents des jeunes qui ont participé à la révolte de juin dernier. Menace méprisable, particulièrement injuste et qui indique bien que ce pouvoir ne sait rien faire d’autre que punir.


D’abord, plusieurs sociologues (Laurent Mucchielli, entre autres) disent que, quand un jeune commence à partir vers des comportements plus ou moins délinquants, ses parents s’en aperçoivent presque toujours. Il s’agit alors pour ces parents d’intervenir, mais, là, se pose une question  : ont-ils suffisamment d’autorité sur leur enfant pour pouvoir être efficaces ?
Nous ne réclamons pas ici plus d’autorité parentale, surtout pas concernant les émeutes de juin dernier. Il s’agit cependant de décortiquer le discours de l’Etat et de comprendre les raisons du manque d’autorité qui peut se produire parfois dans un certain nombre de familles habitant les quartiers populaires et, partant, en quoi le reproche fait à ces familles de manquer d’autorité est paradoxal
Notre société capitaliste inégalitaire place les parents des classes populaires dans de grandes difficultés matérielles  : logement, nourriture, énergie, etc. cela a des répercussions notamment pour ce qui est de jouer leur rôle de parents. Il n’y a pas que ces causes matérielles bien sûr, on est ici dans le domaine de l’humain et plusieurs facteurs peuvent jouer. Mais on passe le plus souvent sous silence l’importance des conditions de vie.
Quand vous n’avez pas d’argent pour offrir à vos enfants un ordinateur alors que les autres enfants en ont, ni des vêtements à la mode alors que les autres enfants en ont, que vous n’avez pas de voiture ni d’argent pour les emmener en vacances alors que les autres parents oui, etc., il peut se produire que vos enfants se demandent si vous êtes un parent à la hauteur, un parent aussi valable que les autres. Si, de plus, vous avez un logement insalubre, exigu, vos enfants dès l’âge de 8 ou 9 ans ont passé beaucoup de temps dans la rue, et il arrive alors que ce soit l’autorité du chef de bande qui prime sur la vôtre. En fait, ce sont les conditions de vie qui vous sont faites qui peuvent vous priver de cette autorité que des parents de milieu plus aisés peuvent avoir normalement. Mais ceci n’arrête pas ces gens des milieux plus aisés (qu’ils soient au gouvernement ou pas) qui n’ont jamais connu la moindre des difficultés dans lesquelles vous vous débattez tous les jours, de venir vous faire la morale et vous menacer de punition si votre enfant a un comportement qui les dérange.
Il faut considérer aussi la situation des parents seuls avec enfants, très majoritairement des femmes. Si elles sont de milieu modeste, leur vie, c’est de faire leur 7 ou 8 heures de travail, ouvrier ou autre, bien fatiguant et pour un petit salaire et, à peine rentrées chez elles de s’atteler au ménage et à la cuisine, de s’occuper des enfants avant d’aller se coucher épuisées. C’est aussi la négociation difficile, jamais satisfaisante, avec l’employeur pour avoir des horaires qui permettent d’être un peu présente avant que les enfants ne partent en classe ou quand ils rentrent le soir ou aussi pendant les vacances scolaires. On comprend, ou plutôt on devrait comprendre, que certaines, ou certains, n’arrivent pas à établir ou à consolider avec leurs enfants, surtout s’ils sont ados, une bonne relation qui ferait que, le jour où ce serait nécessaire, leur parole soit entendue avec suffisamment de poids.

Par ailleurs, signalons aussi que les façons de s’y prendre avec les enfants en milieu populaire ne sont pas, ou n’étaient pas, les mêmes qu’en milieu classe moyenne. Elles sont plus « physiques » (On peut penser, par exemple à Annie Ernaux, qui raconte dans « Une femme ». que sa mère de milieu ouvrier l’a éduquée à coup de gifles et de coups de poing). Ces pratiques sont maintenant disqualifiées dans les médias ou de la part des assistantes sociales comme à l’école, c’est à dire là où est valorisé un modèle éducatif « moderne », qui, de fait, a plus cours dans les « classes moyennes », où c’est la discussion qui est mise en avant. C’est sans doute souhaitable, mais bien des parents ne peuvent facilement adopter d’autres façons de faire. Par ce biais là aussi on disqualifie des parents aux yeux de leurs enfants et on leur reproche ensuite de ne pas avoir d’autorité.
Et puis enfin, et peut-être surtout, comment des parents qui sont, eux-mêmes, révoltés par le meurtre de Nahel, iraient-ils, avec suffisamment d’aplomb, reprocher à leurs enfants de protester dans la rue. Comment des parents qui sont dans la crainte diffuse que leurs propres enfants soient un jour visés par la police, des parents qui ont vécu eux-aussi dans leur jeunesse la pression policière sur les jeunes des quartiers et la vivent encore à l’occasion, comment ces parents seraient-ils convaincants s’ils s’avisaient de dire à leurs enfants de ne pas protester contre le comportement de la police ? Comment des parents qui vivent au quotidien la quasi-misère et les discriminations iraient-ils dissuader, et de manière crédible, leurs enfants de s’insurger contre le mépris et les conditions de vie détestables ? Est-ce qu’une partie de ces parents de 2023 n’ont pas eux-mêmes participé à la révolte de 2005 ? Est-ce que ce n’est pas naturel pour eux d’estimer que leurs enfants ont bien raison de protester ? M. H. Bacquet (1), par exemple déclare : « Il semble que les familles et les professionnels de la jeunesse, les animateurs, ceux que l’on qualifie parfois de « grands frères » partagent la colère des jeunes, même s’ils ne se joignent pas à des manifestations violentes. »

Au final, face aux révoltes, l’État cherche à se dédouaner en transférant la responsabilité aux parents des classes populaires qui ne seraient pas capables de tenir leurs rejetons. Mais on vient de le voir, c’est cette société capitaliste qu’on nous, qu’on leur impose qui est très matériellement responsable. Responsable du manque d’autorité, parfois, des parents et responsable de l’explosion des colères. 

Gérard

(1) Marie-Hélène Bacquet, sociologue et urbaniste (The Conversation 9 juillet 2023) 

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