CA 334 novembre 2023
mercredi 8 novembre 2023, par
Une catastrophe « naturelle », le 11 septembre 2023, semblable à tant d’autres par le monde, a permis de révéler l’incapacité de la classe politique libyenne de s’occuper d’autre chose que de son business et de ses intérêts. Malgré l’ampleur des dégâts humains et matériels, cette caste de capitalistes ne s’est remise en cause d’aucune manière ; bien au contraire, elle profite de la situation pour consolider ses zones de pouvoir.
Deux mois après le passage du cyclone Daniel dans le nord-est de la Libye, la région de la Cyrénaïque ne s’est toujours pas remise de cette catastrophe attendue, qui a laissé derrière elle des milliers de morts, disparus et déplacés, des quartiers dévastés et des villes détruites. La population livrée à elle-même, gravement touchée physiquement et psychologiquement, se trouve face à des institutions en faillite dans un pays fracturé entre deux gouvernements qui se dédouanent de toute responsabilité face au drame. Celui de l’Ouest, reconnu par la communauté internationale ; et celui de l’Est, contesté, du maréchal Haftar – l’un et l’autre disposant de leur administration propre, de forces militaires et d’alliés internationaux, ce qui rend plus complexe une coordination des secours pour faire face aux conséquences de l’inondation. La géographie du Nord-Est en Libye, une de ses rares terres à comporter un couvert forestier, présente une avancée sur la Méditerranée avec le djebel Akhdar, plateau montagneux qui culmine à 900 m, entrecoupé par plusieurs oueds le long de la côte sur 330 km. En raison de l’érosion, ce plateau est parfois situé à 16 km de la côte, mais en d’autres endroits il forme une falaise côtière. C’est la région qui reçoit le plus de précipitations, 600 mm par an, ce qui a justifié l’édification de deux barrages à Derna. Cette ville a en effet été frappée par une série d’inondations importantes causées par des crues de l’oued, notamment en 1941, 1959 et 1968. Cependant, le cyclone Daniel a été d’une puissance sans commune mesure avec les épisodes les plus durs qu’avait pu connaître la ville auparavant. Il signe le basculement de cette région dans l’avenir incertain des changements climatiques.
Après avoir touché la métropole de Benghazi, la tempête est venue frapper la côte orientale de la Libye en direction de villes comme Shahat (Cyrène), Al-Marj, Al-Bayda et Soussa (Apollonia), mais surtout Derna – entraînant la rupture de deux barrages en amont et provoquant une crue d’une extraordinaire ampleur qui a tout emporté sur son passage, y compris les quatre ponts de la ville. Environ 100 000 personnes vivaient dans cette cité côtière, 43 000 d’entre elles ont été déplacées. Le phénomène exceptionnel qu’a été Daniel a été qualifié par les spécialistes de « medicane », contraction de Mediterranean (Méditerranée) et hurricane (ouragan). En une nuit, il est tombé sur cette région frontalière avec l’Egypte l’équivalent de 365 jours de pluie, accompagnée de vents extrêmement forts.
La plupart des morts, qu’ils soient inhumés ou considérés comme « disparus », sont condamnés à l’anonymat – un flou insupportable et traumatisant pour les vivants. Il a fallu attendre plusieurs jours avant l’arrivée d’équipes scientifiques de Tripoli pour prélever les échantillons d’ADN et effectuer une éventuelle reconnaissance des victimes par leurs familles.
Le nombre de ces victimes dépasse les 11 000 à Derna, et il faut ajouter à ce chiffre 10 100 personnes toujours portées disparues, tandis que 170 autres sont mortes dans d’autres villes de l’Est libyen. Mais un bilan précis des pertes humaines ne sera peut-être pas connu avant des mois, ou peut-être jamais.
Parmi les survivants, 43 000 ont dû se réfugier dans des écoles ou des villes alentour ; 250 000 personnes ont besoin d’assistance humanitaire selon l’Ocha, le bureau de l’ONU pour la coordination de l’action humanitaire.
On ne sait pas exactement en quelle année a été fondée cette ville, mais certains historiens estiment qu’elle était habitée avant l’arrivée des Grecs, qui la nommaient Darnis. Située entre le djebel Akhdar, la mer Méditerranée et le désert au sud, au débouché de l’oued Derna, elle est connue pour sa médina et son environnement naturel. Sa population est mixte, étant donné que des Phéniciens, Grecs, Romains, Arabes et Turcs y sont passés au cours des siècles. La création d’écoles publiques à l’époque ottomane et pendant l’occupation italienne a fait de Derna, depuis les années 1940, le centre d’un rayonnement culturel et scientifique. Et elle a été l’un des premiers foyers de contestation du pouvoir de Kadhafi lors des événements de 2011 qui ont provoqué la chute de son régime.
Historiquement, c’est une ville marquée négativement par tous les pouvoirs successifs. Beaucoup de djihadistes de retour d’Afghanistan s’y sont implantés dans les années 1990. En 1996, elle a été assiégée et matée par l’armée kadhafiste après ce qu’on a appelé « la rébellion de la montagne ». En 2011, durant le coup d’Etat islamiste qualifié de « printemps arabe » par certains, Derna a été la première ville de Libye à être « libérée » du régime de Kadhafi par des groupes islamistes armés. Elle est passée sous le contrôle des djihadistes de la Brigade des martyrs d’Abou Salim, fondée par d’anciens membres du Groupe islamique combattant en Libye. Après la chute de Kadhafi en 2011, Derna est devenue le refuge d’une coalition d’islamistes et d’insurgés opposés à l’autoritarisme du maréchal Haftar. Ce dernier l’a soumise à un siège de deux ans à partir de 2016, et investie en 2018 avec une grande brutalité – avec l’aide de la France dont les militaires côtoyaient alors les paramilitaires russes de Wagner. Derna est donc marginalisée et laissée à l’abandon, comme beaucoup d’autres villes d’ailleurs : en tant que berceau du djihadisme libyen, elle souffre d’une mauvaise image.
Il existe 16 barrages en Libye, répartis dans différentes villes de l’est et de l’ouest du pays, et qui ont pour la plupart connu des sabotages, des négligences et des vols de machines (pompes) et câbles depuis les événements de 2011. Des études ont montré que la majorité des réseaux d’eau reliés aux barrages libyens était perturbée depuis près de quinze ans, faute d’entretien régulier.
Les deux barrages de Wadi Derna ont été construits entre 1973 et 1977 par l’entreprise yougoslave (désormais serbe) Hidrotehnika-Hidroenergetika pour créer un réseau d’infrastructures destiné à irriguer les champs environnants tout en approvisionnant Derna et les communautés voisines en eau. Entrés en service en 1986, ils étaient en piteux état dès le milieu de la décennie 2000, envasés à plus de 50 %. Ces millions de mètres cubes de vase ont contribué à leur fragilisation : la brusque libération de cette vase a aggravé les effets de la crue. L’envasement de la ville est en grande partie dû à l’intense érosion du bassin versant, dont l’exploitation était devenue un enjeu de pouvoir. Les zones touchées ont été des quartiers populaires où les gens vivaient dans des habitats précaires construits pour la plupart sans permis ni plan d’urbanisme.
La direction des barrages libyenne avait signalé des fissures sur les deux ouvrages dès 1998. Deux ans plus tard, les autorités ont chargé un bureau d’études italien d’évaluer les dégâts, et celui-ci a confirmé les fissures, recommandant même la construction d’un troisième barrage pour protéger la ville. Des inspections successives ont constaté des défauts de construction avec des matériaux peu robustes (terre et roches) et le mauvais entretien des barrages. En 2007, l’entreprise turque Arsel Construction Company a été engagée par l’Autorité libyenne des eaux, alors dirigée par Kadhafi, pour les entretenir. Elle a déclaré avoir terminé ses travaux en novembre 2012, alors qu’elle semble s’être retirée en 2011 en raison du renversement de Kadhafi et de l’instabilité qui en a résulté – notamment de violentes attaques contre ses chantiers de construction et des vols de matériel. Des demandes d’indemnisation ont été déposées par les dirigeants de cette société devant un tribunal à Londres – sans suite pour l’heure. Un rapport d’audit public, en 2021, indiquait que les deux barrages n’avaient pas été entretenus malgré l’allocation de plus de 2 millions de dollars versée en 2012 et 2013.
Quand survient une catastrophe, même le politicien le plus maladroit ou le plus nul adopte le genre de scénario suivant : consoler et apaiser les survivants, féliciter les sauveteurs, les travailleurs humanitaires, jurer de reconstruire dans les plus brefs délais ; mais pour ceux qui dirigent la région Est de la Libye, cela représente un effort trop considérable. Khalifa Haftar, le maréchal chef de guerre, ne se soucie que de donner du pouvoir à sa famille. Cette catastrophe qui aurait pu être évitée a constitué pour lui une aubaine pour consolider son pouvoir et assurer la continuité de son clan.
Lorsque Haftar a été informé que le cyclone approchait, son premier réflexe a été de renforcer son contrôle sur le territoire. Ainsi, au lieu d’organiser l’évacuation des populations, il a décrété un couvre-feu pour les figer sur place. De plus, écartant le gouvernement et les services techniques, il a monopolisé avec ses fils l’image et la communication autour de l’avancée du cyclone et des mesures préventives pour s’en prémunir. Il en a fait une tribune pour vanter sa gestion et ses capacités protectrices. Son discours a été perçu par les populations comme une énième opération de propagande politique infâme, aussi n’ont-elles pas cru au danger annoncé par cette parole non crédible qui saturait l’espace public. Dans le même temps, l’autorité municipale a mené une campagne pour inciter les habitants à évacuer la zone dangereuse, mais en vain.
Les responsables libyens ont fait l’objet de nombreuses critiques de la part des citoyens, en particulier des habitants de Derna, qui ont manifesté massivement contre les instances politiques actuelles, exigeant qu’elles soient tenus pour responsables du mauvais entretien des barrages et du déroulement catastrophique des secours. Le 18 septembre, des centaines de manifestants en colère se sont rassemblés à Derna. Ils ont scandé des slogans contre Aguila Saleh, président du Parlement et complice de Haftar, demandant sa démission. Certains ont ensuite incendié la maison du maire (neveu de M. Saleh), qui avait été limogé par le gouvernement de l’Est et dont le conseil municipal avait été suspendu car ses membres auraient détourné les millions de dinars reçus pour réhabiliter les barrages. Le lendemain matin, les liaisons téléphoniques et Internet vers Derna ont été coupées. Les autorités ont imputé l’incident au sectionnement d’un câble à fibre optique. Hichem Abou Chkiouat, ministre de l’Est, a déclaré que son gouvernement avait ordonné aux journalistes locaux et étrangers de quitter la ville avant 13 heures. Il a affirmé que cette mesure était nécessaire car un grand nombre de journalistes entravaient les opérations de sauvetage. D’autres responsables politiques ont évoqué des raisons de santé et la crainte d’une épidémie – une affirmation démentie par le Centre national de contrôle des maladies, basé à Tripoli.
Les habitants souhaitent une enquête indépendante sur ce qui n’a pas fonctionné, et la reconstruction de la ville sous supervision internationale. Ces revendications ont reçu une large couverture médiatique. Fait inhabituel, même les chaînes de la télévision nationale opposées aux autorités militaires ont pu émettre depuis Derna. La répression contre les médias fait suite à des informations selon lesquelles des policiers de Derna auraient arrêté et interrogé des journalistes libyens au cours du week-end, les gardant en détention pendant plusieurs heures. Les missions libyennes à l’étranger continuent de délivrer des visas, mais les autorités locales contrôlées par les militaires ont cessé de délivrer des autorisations aux journalistes. Une équipe des Nations unies qui devait se rendre de Benghazi à Derna s’est vu interdire l’entrée dans la ville. « Haftar et ses hommes mettent Derna sous contrôle strict, rien ni personne n’entre dans la ville sans leur consentement. » Les habitants de Derna craignent que les Haftar ne se préparent à exercer une violente répression, n’oubliant pas que le maréchal a déjà assiégé cette ville pendant des mois pour éliminer les groupes islamistes.
1 295 morts et disparus en Méditerranée centrale pour l’année 2022 ; 667 440 migrants en Libye, dont 43 000 demandeurs d’asile et réfugiés. 15 personnes migrantes ont été retrouvées brûlées à Sabratha ; au moins 20 personnes (18 migrants tchadiens et deux Libyens) ont été retrouvés mortes de déshydratation le 28 juin près de la frontière tchadienne. Malgré cela, l’Union européenne (UE) continue de collaborer avec les garde-côtes libyens, fournissant un soutien matériel et technique ainsi qu’une surveillance aérienne pour intercepter et renvoyer des milliers de personnes en Libye. Cet été, les forces libyennes ont intercepté ou secouru en mer 16 506 personnes et les ont renvoyées dans des conditions abjectes en Libye. Les migrants, demandeurs d’asile et réfugiés arbitrairement détenus de façon inhumaine dans des installations gérées par le ministère de l’Intérieur en collaboration avec passeurs et trafiquants, sont soumis au travail forcé, à la torture, aux mauvais traitements, à l’extorsion et aux agressions physiques et sexuelles.
Dans son obsession d’éloigner les migrants et les demandeurs d’asile de ses côtes, l’Italie finance l’interception et le renvoi de dizaines de milliers de personnes vers la Libye, où elles sont confrontées à des abus que l’on peut qualifier de crimes contre l’humanité. Le 28 janvier 2023, la Première ministre italienne Meloni s’est rendue en Libye pour y signer un important accord gazier ; en échange, l’Italie fournirait aux garde-côtes libyens cinq « bateaux entièrement équipés ».
L’UE a alloué 57,2 millions d’euros à la « gestion intégrée des frontières et des migrations en Libye » depuis 2017 ; et elle a annoncé, en novembre 2022, son intention d’accroître encore son soutien à la Libye. Son agence frontalière Frontex fournit également des informations de surveillance utilisées par la Libye pour intercepter les migrants. Aider les garde-côtes libyens tout en sachant que cela facilitera le renvoi de milliers de personnes victimes de graves violations des droits humains rend l’Italie, la France et l’UE complices de tels crimes.
Selon les chiffres des Nations unies, il y a actuellement 705 746 migrants en Libye, ce qui représente un peu plus de 10 % de la population totale du pays ; 235 132 (33 %) se trouvent dans l’Est, avec une forte majorité d’Egyptiens, Nigériens, Tchadiens, Syriens et Soudanais. Plus de 100 réfugiés syriens ont été tués dans les inondations de Derna, tandis que plus d’une centaine d’autres étaient portés disparus, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme. Parmi les victimes figuraient 145 Egyptiens, 23 Palestiniens, quatre Libanais et trois Tunisiens. Plus de 70 victimes viennent du même village d’Al-Sharif à Beni Suef, dans le sud de l’Egypte, selon une liste de 84 noms publiée par le centre médical de Tobrouk. Il y aurait au total au moins 400 étrangers parmi les victimes, dont une majorité de Soudanais et d’Egyptiens.
De nombreux immigrés venus d’Egypte, du Soudan ou du Tchad comme saisonniers ou pour travailler plus longtemps doivent surmonter le traumatisme de l’inondation. Ils seraient quelque 100 000 dans les zones affectées par les inondations, dont 20 000 à Derna. Ce sont eux qui ont été le plus atteints par la catastrophe, car s’ils ont vécu les mêmes scènes d’horreur que beaucoup d’autres, ils sont isolés, et on ne saura jamais combien sont morts en réalité et quelle
La société libyenne a connu ces deux dernières années un calme et une stabilité relatifs, malgré les difficultés économiques, l’augmentation du coût de la vie, l’absence d’avenir clair et stable pour les jeunes. La disparition des violences armées a permis un développement commercial à outrance, notamment à Tripoli, ce qui provoque des embouteillages monstres dans la ville. Ce boom économique sauvage s’est accompagné d’une dégradation des systèmes de santé et d’éducation, d’électricité, du service des eaux, etc. Il n’y a en Libye pas de transport en commun, pas de poste, pas de crèches – en bref, aucune infrastructure qui permette une vie normale. Du fait que ni le téléphone ni Internet ne fonctionnent, toutes les démarches administratives se font en présentiel – une personne peut ainsi passer une journée entière pour obtenir un certificat de naissance, ou pour retirer de l’argent de son compte en banque quand des liquidités sont disponibles !
A Benghazi, c’est toujours la famille Haftar qui fait la pluie et le beau temps. Le maréchal a été reçu à Moscou, le 28 septembre, par le Président russe Vladimir Poutine et son ministre de la Défense Sergueï Choïgou pour discuter de la situation en Libye et dans l’ensemble de la région. Leur précédente rencontre, au quartier général des Haftar à Benghazi, datait du 17 septembre, soit quelques jours après les inondations.
La Russie mène depuis plusieurs années une offensive diplomatique en Afrique pour y supplanter les puissances occidentales, notamment la France. Isolée sur la scène internationale et en quête d’alliés, elle a décuplé ses efforts depuis qu’elle a attaqué l’Ukraine en février 2022. Moscou entretient des relations étroites avec Haftar, qui a eu recours à des mercenaires de Wagner quand il a tenté en vain de s’emparer de Tripoli, d’avril 2019 à juin 2020.
Il est impossible d’évoquer la situation politique en Libye sans parler de Haftar, car il est la principale cause de l’impasse politique installée depuis des années – et sans doute pour un bon moment encore, car les Lybiens devront choisir un de ses six fils pour lui succéder. Tous sont en effet promis aux plus hautes fonctions par ce patriarche (il fêtera ses 80 ans le 7 novembre). Siddiq, l’aîné, est un homme d’affaires arrogant qui prétend représenter la jeunesse libyenne et annonce depuis Paris son désir de se présenter à d’hypothétiques élections présidentielles. Belkacem est missionné pour des tractations diplomatiques. Khaled est le préféré de son père, en tant que commandant de sa garde personnelle, mais c’est bien le petit dernier qui est le plus inquiétant : général à 32 ans, Saddam Haftar, sans diplômes ni qualités particulières, attire l’attention tant il a pris de l’importance après les terribles inondations qui ont ravagé le pays. Il a été propulsé « chef du bureau d’urgence libyen » chargé des opérations de recherche et de sauvetage. Sur les réseaux sociaux, on peut le voir s’activer en treillis militaire auprès des organisations humanitaires, en train de superviser les opérations d’évacuation, ou penché sur une carte avec des équipes russes pour évaluer la situation… Sa très grande visibilité le confirme en bonne place pour hériter du pouvoir militaire de son père.
Le parcours de Saddam Haftar n’a pas toujours été teinté de cet humanisme théâtral, à en croire le dernier rapport d’Amnesty Interna- tional qui demande une enquête pénale sur son compte. Il est en effet le chef d’un groupe armé, Tariq Ben Zeyad (TBZ), depuis sa création en 2016. Connu pour avoir réprimé, voire écrasé toute forme de contestation dans l’est du pays, il a terrorisé la population dans les zones contrôlées par les FAAL (Forces armées arabes libyennes d’Haftar) en multipliant les assassinats, enlèvements et disparitions, actes de torture et autres mauvais traitements. Pendant les événements contre Kadhafi, alors qu’il avait seulement 20 ans, il s’est illustré par les armes et par le pillage et la prise de butins. En 2018, un rapport de l’ONU a indiqué qu’il s’était approprié une partie des fonds de la Banque centrale libyenne, via sa branche basée à Benghazi : en décembre 2017, Saddam a ordonné à ses hommes de transférer vers une destination inconnue environ 160 millions d’euros, 639 millions de dinars libyens, 2 millions de dollars américains et 6 000 pièces d’argent de la succursale de la Banque centrale à Benghazi – opération qui a été décrite comme « un des plus grands braquages de banque de l’Histoire ». En décembre 2022, il a tenté de prendre le contrôle des institutions bancaires en Cyrénaïque – ce qui lui aurait permis de financer ses forces armées et leurs opérations, et éventuellement sa future campagne électorale. Il s’est ensuite rapproché de la Syrie de Bachar Al-Assad tout en ayant tenté un rapprochement avec Israël, lors d’une rapide escale dans ce pays en novembre 2021, muni d’un message de son père proposant d’adhérer aux accords d’Abraham, de reconnaître l’Etat d’Israël et de normaliser les échanges entre Israël et la Libye.
Mais, en Libye, les conditions de candidature à l’élection présidentielle et la formation d’un nouveau gouvernement constituent les points de discorde les plus importants entre les dirigeants de l’Ouest et de l’Est depuis quelques années : le Conseil d’Etat et le camp libyen occidental demandent une loi électorale qui empêche les militaires et les binationaux de se présenter à la présidence du pays, alors que le Parlement d’Agila Saleh et Haftar sont pour que tout le monde puisse se présenter aux élections.
Malgré les événements dramatiques survenus dans le Nord-Est libyen et l’impasse politique et sociale qui va durer encore des années, on peut souligner un point positif : l’élan de solidarité qui s’est manifesté spontanément dans l’ensemble du pays à l’égard des victimes des inondations. De fait, c’est sur les épaules d’innombrables civils volontaires, venus de tout le territoire libyen (notamment Tripoli, Misrata et tout l’Ouest) en convois formés dans des villages et des villes, qu’ont reposé les opérations de secours. Avec pour seuls moyens leurs mains nues et leurs pelles, pour rechercher les survivants et les morts dans la boue et les décombres, puis des barques de fortune pour emporter les corps. On a vu se former partout des convois de voitures pour apporter dans l’Est de la nourriture, des couvertures et de l’eau potable ; 550 médecins s’y sont rendus aussitôt ; la plupart des familles rescapées ont été hébergées chez les gens des alentours et des hôtels en ont accueilli d’autres gratuitement ; tous les médias ont établi un programme commun pour récolter une aide financière et informer la population sur le déroulement des secours
Le gouvernement de Tripoli a évidemment profité de l’occasion pour affirmer sa présence en envoyant des équipes techniques effectuer le recensement des victimes et des prélèvements ADN afin de les identifier, avant que leurs corps ne soient mis dans des fosses communes, à l’extérieur de la ville, recouvertes d’une dalle de béton pour prévenir toute risque d’épidémie. Il a aussi débloqué 2 milliards de dollars pour la reconstruction de la région. Mais, au lieu de prendre en compte le souhait émis par les habitants de Derna d’un contrôle international pour cette reconstruction afin d’éviter le détournement des fonds, Agila Saleh s’est empressé de former une commission de reconstruction le 17 septembre de façon à gérer l’argent attribué.
La Libye subit depuis plus de douze ans de multiples catastrophes : bombardement de Tripoli par l’Otan, guerre de Haftar contre Tripoli, offensive de Daech dans l’Est. Toutes ont été provoquées par des interventions militaires et politiques extérieures.
Non, les tragiques inondations de septembre n’ont rien de naturel, car la mort de milliers de personnes était évitable. Mais elles seront qualifiées ainsi afin que nul haut fonctionnaire ou politique responsable de leur survenue – par sa négligence, son incompétence et sa corruption – ne soit inquiété.
Saoud, OCL Toulouse,
21 octobre 2023