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CA 334 novembre 2023

Après le coup d’Etat au Chili, la vague néolibérale

samedi 18 novembre 2023, par Courant Alternatif

50 ans après le coup d’Etat militaire qui a mis fin au gouvernement de Salvador Allende, des commémorations ont eu lieu. La plupart portaient sur la répression qu’a subie la population, en mettant en avant les droits de l’Homme et en occultant un autre aspect de ce coup d’Etat : la mise en place d’une nouvelle forme d’exploitation capitaliste : le néolibéralisme.


La figure de proue de ce courant économique est Milton Friedman. Ce théo- ricien milite pour la liberté des prix, des salaires. Ainsi, les fonctions de l’Etat doivent se limiter à ses fonctions régaliennes. Cela se traduit par une liberté totale pour les capitalistes, l’exploitation et la répression pour les travailleurs, la destruction des services publics, etc.
Friedman occupe un poste d’enseignant à l’université de Chicago pendant plusieurs décennies. Il est couronné du prix Nobel pour l’économie en 1976. Il forme quantité d’étudiants, notamment chi-liens, à l’école de Chicago – d’où leur surnom de « Chicago Boys » – puis à l’Université pontificale catholique de Santiago. Ce sont essentiellement eux qui rédigeront le programme néolibéral mis en œuvre par le gouvernement de Pinochet. Le principe est de considérer que l’économie ne relève plus de choix humains et politiques, mais est naturalisée et doit être traitée comme n’importe quelle science de la nature. En conséquence, on doit laisser agir les mécanismes économiques sans aucune intervention, notamment de l’Etat : libre fonctionnement des marchés, liberté des prix et des salaires... Les plus forts gagnent à tous les coups ; les autres se débrouillent dans un rapport de force totalement déséquilibré au profit des capitalistes.
Ce programme est mis en œuvre très rapidement au Chili : privatisation de sociétés étatiques, autorisation de nouvelles formes de finances spéculatives, ouverture des frontières aux marchandises, réduction de 10 % des dépenses de l’Etat (sauf pour l’armée), fin du contrôle des prix (même pour les denrées de base).
En 1974, l’inflation a augmenté jusqu’à 375 % (deux fois plus que sous Allende) ; et le chômage est aussi en hausse (de 20 % après un an de gouvernement Pinochet), en raison de la concurrence exercée par les produits importés sur ceux du Chili. Les principaux bénéficiaires de ces choix politiques sont les entreprises étrangères, qui ne sont soumises à aucune contrainte, et les spéculateurs, surnommés les « piranhas ».
Mais les Chicago Boys militent pour poursuivre et amplifier cette politique néolibérale afin de juguler les « 50 années d’intervention de l’Etat » : les dépenses publiques seront réduites de 27 % en 1975, et de moitié par rapport à celles sous Allende en 1980.
Les conséquences pour la population chilienne sont dramatiques. De 1973 à 1983, le secteur industriel perd 177 000 emplois. Le pays est plongé dans une grande récession qui accroît fortement la pauvreté.
Plusieurs services publics sont dans la tourmente. Le système scolaire est réformé : l’école publique est remplacée par des écoles à charte donnant accès à des « bons d’étude ». Dans la santé, on impose l’idée de l’usager payeur. Les jardins d’enfant et les cimetières sont privatisés…
En 1982, l’économie chilienne est à terre, la dette publique explose, l’inflation continue d’augmenter, 30 % de la population active est au chômage – et les « piranhas » ont accumulé une dette de 14 milliards de dollars vis-à-vis du Chili.
En 1988, 45 % des Chiliens vivent sous le seuil de pauvreté, alors que 10 % des plus riches ont vu leurs revenus augmenter de 83 %. En 2007, le Chili est l’un des pays les plus inégalitaires du monde.

Une vague déferle sur la planète

Cette politique néolibérale ne reste pas cantonnée au Chili. Dans les années 1980, les bourgeoisies l’adoptent ailleurs.
Ainsi, la Première ministre Margaret Thatcher s’emploie à la mettre en œuvre en Grande-Bretagne. En 1984 éclate une grève des mineurs qui luttent, entre autres, contre la fermeture des puits. Elle dure un an. Les mineurs n’obtiennent rien. L’un des enjeux portait sur l’évolution du capitalisme. Avec cette défaite, Thatcher a les coudées franches pour appliquer la politique prônée par son ami Friedman. La Grande-Bretagne connaît son lot de privatisations, mais aussi de désengagement étatique, la libéralisation de la circulation des capitaux par la fin du contrôle des changes, la limitation du droit de grève, la répression des travailleurs, etc. Les conditions de vie et de travail se dégradent fortement. Une partie significative de la population est paupérisée. «  There is no alternative » devient un des slogans les plus célèbres de la « Dame de fer ». Il connaît un succès mondial auprès des gouvernants et des bourgeoisies.
Il en va de même aux Etats-Unis. Peu de temps après son arrivée à la Maison Blanche en 1980, Ronald Reagan est confronté à une grève des contrôleurs du ciel – il arrive à la briser. Ainsi, les idées de Friedman sont de nouveau mises en œuvre. Ce sont toujours les travailleurs qui en subissent les conséquences, avec le durcissement des conditions d’exploitation, tant au niveau du travail que de la vie en général. On assiste à une paupérisation croissante d’une partie de la population américaine, et l’écart de revenu entre les riches et les travailleurs ne cesse de grandir.
La vague néolibérale déferle sur la planète. En France, les gouvernements de gauche, en alternance avec ceux de droite, entrent dans ce moule sans la moindre résistance : ce sera à qui privatisera le mieux, cassera les services publics, réduira les droits des travailleurs toujours afin de durcir les conditions d’exploitation au profit des capitalistes. La précarité et la flexibilité sont largement développées ; l’âge de la retraite recule ; la Sécurité sociale est de plus en plus étatisée, avec pour corollaire son affaiblissement au profit des assureurs privés. Les services publics sont vendus à la découpe – la santé, les PTT, puis France Télécom. Le taux de chômage augmente en même temps que baissent les allocations et que les conditions pour y avoir droit se durcissent. La création du RMI, puis du RSA, consacrera l’idée que l’on ne peut plus endiguer réellement le chômage. On donne quelques miettes pour maintenir des conditions de vie quasi insupportables.
Cerise sur le gâteau, certains vont devoir à présent travailler gratuitement pour percevoir les allocations liées au RSA. Les conditions de vie des sans-papiers sont de plus en plus dures afin de les obliger à accepter des emplois totalement dégradés (étant en situation illégale, il leur est très difficile de faire valoir des droits reconnus par le Code du travail ; ne parlons pas des salaires, du temps de travail…). Ces emplois sont indispensables dans l’agriculture, le bâtiment ou la restauration, afin qu’ils soient ren-tables : ce sont les fameux «  secteurs en tension » (nouvelle formule pour désigner une situation existant depuis des décennies).
Tout cela a une logique. En reculant l’âge de la retraite, on oblige des personnes perdant leur emploi à en accepter un autre dans des conditions dégradées pour finir leur carrière. En réduisant les allocations chômage et en durcissant les conditions pour y avoir droit, on oblige des gens à accepter n’importe quel boulot. Et de même pour les sans-papiers. Ainsi on instrumentalise différents segments de population (pour reprendre le vocabulaire technocratique) afin qu’ils fassent pression, malgré eux, sur le marché du travail pour durcir l’exploitation en baissant les salaires et en dégradant les conditions de travail.
La bourgeoisie est lucide : elle veut limiter les risques quant au maintien de son hégémonie et des taux de profit. Elle doit se prémunir face aux mobilisations contre la misère, la dégradation des conditions de vie, la crise environnementale. C’est pourquoi un appareil répressif et de contrôle de la population est développé en se durcissant graduellement, quelle que soit la couleur des gouvernements successifs.
Les pays africains en subissent aussi les conséquences. La situation sociale de chacun d’eux est catastrophique. Les rapports impérialistes sont de plus en plus exacerbés, conduisant des millions de personnes à la misère, voire la mort par la famine, la guerre, la maladie… L’imposition des politiques néolibérales a grandement aggravé la situation dans bon nombre de pays, en Afrique notamment : le harcèlement orchestré par les Etats occidentaux, le FMI et la Banque mondiale à leur encontre pour qu’ils remboursent leurs dettes a largement contribué à la destruction de leurs services publics ainsi qu’à l’appauvrissement de pans entiers de leurs populations.

Des ruptures, des perspectives à imaginer

C’est une véritable vague qui déferle depuis un demi-siècle. Force est de constater que, pour l’instant, on n’a pas trouvé les outils pour s’y opposer. La défaite du mouvement contre le recul de l’âge de la retraite en 2023 en est encore une démonstration.
Heureusement, des mouvements ne cessent d’émerger de par le monde, bien que le Covid y ait mis un coup d’arrêt momentané. C’est en élaborant des convergences d’intérêt de classe que pourront se construire de nouveaux rapports de force. Ils pourront poser la question de la rupture avec le capitalisme, en finir avec le productivisme, cons-truire des sociétés qui seront viables écologiquement, fondées sur l’égalité sociale, la solidarité, le retour à des dimensions humaines – locales – afin de s’extraire de ces grands ensembles qui ne peuvent être dirigés que par des Etats et nécessitent des infrastructures destructrices de la planète.

J. Christophe

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