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CA 334 novembre 2023

Entretien avec des ouvriers en boulangerie, troisième partie

«  Ça nous fait rire quand on nous parle de la grande gastronomie française  »

jeudi 16 novembre 2023, par Courant Alternatif

Nous avons rencontré M. et C., ouvrière et ouvrier en boulangerie artisanale. Ces rencontres ont donné lieu à trois entretiens sur la boulangerie d’aujourd’hui, du point de vue de ses ouvriers et ouvrières. Dans le numéro précédent, M. a abordé les discriminations, les luttes de boulangerie et la boulangerie alternative. Ici, cette fois-ci avec C., l’entretien sera consacré à la formation des boulangers, au syndicalisme, au bizutage et aux sans-papiers.


Depuis combien de temps travailles-tu en boulangerie ?

La première fois que j’ai mis les pieds dans un fournil pour y travailler c’était en 2007, à 18 ans, pour un stage d’une semaine gratos, parce que le directeur du CFA [Centre de formation des apprentis]où j’envisageais de m’inscrire à la rentrée suivante m’avait conseillé de faire un stage pour être sûr de m’engager dans ce type de métier. Je me rappelle très bien que l’ouvrier qui m’encadrait pendant le stage avait à peine 2 ans de plus que moi, gérait seul la production du matin, et que le patron tenait le poste de cuisson des baguettes de l’après-midi. Ce jeune ouvrier m’avait donné plein de conseils sur l’attitude à avoir, ce que les patrons n’aiment pas, comment être toujours actif à chaque moment de la journée de travail, comment toujours trouver quelque chose à faire même si l’on n’est pas encore autonome : « Jamais les mains dans les poches », « Etre toujours à l’heure et même en avance », « Quand tu sais pas quoi faire, tu demandes du boulot et tu peux toujours gratter les pétrins sans qu’on te le dise ». Une autre chose dont je me souviens de ce stage avec ce jeune boulanger, c’est qu’il avait une plutôt belle voiture pour son âge et que quand je lui parlais de démarrer l’apprentissage après 18 ans, il m’avait dit que, selon lui, j’avais perdu du temps. Lui avait dû démarrer l’apprentissage à 15 ou 16 ans.
Ensuite j’ai démarré un contrat d’apprentissage d’un an, en septembre 2007, dans une boulangerie du 18e arrondissement de Paris faisant partie d’un réseau de franchise. J’ai bossé dans cette boîte et très occasionnellement dans d’autres boîtes du réseau (qui étaient aussi dans le 18e) de 2007 à 2014, sous différents statuts.
En résumé, en boulangerie : deux contrats d’apprentissage d’un an, CDI un an puis démission, reprise d’études en BTS transformation céréalière en taffant au black les vacances et week-ends, contrat d’apprentissage d’un an en licence professionnelle industrie des céréales, CDI d’un an puis démission (quasiment en craquage physique).
Ensuite j’ai fait une parenthèse de trois ans et demi en tant que pion dans l’Education nationale.

Depuis combien de temps travailles-tu en boulangerie ?

La première fois que j’ai mis les pieds dans un fournil pour y travailler c’était en 2007, à 18 ans, pour un stage d’une semaine gratos, parce que le directeur du CFA [Centre de formation des apprentis]où j’envisageais de m’inscrire à la rentrée suivante m’avait conseillé de faire un stage pour être sûr de m’engager dans ce type de métier. Je me rappelle très bien que l’ouvrier qui m’encadrait pendant le stage avait à peine 2 ans de plus que moi, gérait seul la production du matin, et que le patron tenait le poste de cuisson des baguettes de l’après-midi. Ce jeune ouvrier m’avait donné plein de conseils sur l’attitude à avoir, ce que les patrons n’aiment pas, comment être toujours actif à chaque moment de la journée de travail, comment toujours trouver quelque chose à faire même si l’on n’est pas encore autonome : « Jamais les mains dans les poches », « Etre toujours à l’heure et même en avance », « Quand tu sais pas quoi faire, tu demandes du boulot et tu peux toujours gratter les pétrins sans qu’on te le dise ». Une autre chose dont je me souviens de ce stage avec ce jeune boulanger, c’est qu’il avait une plutôt belle voiture pour son âge et que quand je lui parlais de démarrer l’apprentissage après 18 ans, il m’avait dit que, selon lui, j’avais perdu du temps. Lui avait dû démarrer l’apprentissage à 15 ou 16 ans.
Ensuite j’ai démarré un contrat d’apprentissage d’un an, en septembre 2007, dans une boulangerie du 18e arrondissement de Paris faisant partie d’un réseau de franchise. J’ai bossé dans cette boîte et très occasionnellement dans d’autres boîtes du réseau (qui étaient aussi dans le 18e) de 2007 à 2014, sous différents statuts.
En résumé, en boulangerie : deux contrats d’apprentissage d’un an, CDI un an puis démission, reprise d’études en BTS transformation céréalière en taffant au black les vacances et week-ends, contrat d’apprentissage d’un an en licence professionnelle industrie des céréales, CDI d’un an puis démission (quasiment en craquage physique).
Ensuite j’ai fait une parenthèse de trois ans et demi en tant que pion dans l’Education nationale.
Et j’ai repris un boulot de boulanger en septembre 2017 à Auchan, puis j’ai démissionné en juin pour embaucher dans une SCOP autogérée à Montreuil, la Conquête du Pain [voir CA 333] jusqu’en mai 2022.
Depuis mai 2022, je ne cherche pas de travail et j’attends discrètement que Pôle emploi m’y force. Donc en tout j’ai bossé à peu près onze ans pour faire du pain, de la viennoiserie et de la pâtisserie et vendre ces marchandises.

Comment l’apprentissage s’est-il passé pour toi ?

J’ai effectué trois contrats d’apprentissage avec la même boîte. Les deux premiers se sont enchaînés, et visaient à la préparation du CAP et BEP Boulanger pour le premier, et de la mention complémentaire Boulangerie et du CAP Pâtissier pour le second. Le troisième contrat visait l’obtention de la licence professionnelle et était plutôt un arrangement avec mon patron qui lui permettait de me faire tenir des postes autonomes à moindre coût et me permettait à moi de toucher mieux qu’ailleurs, tout en étant libre dans la conduite du projet que je présentais.
Ces précisions parce que, lorsqu’on parle d’apprentissage, il y a deux aspects  : d’une part le statut de travail / le contrat d’apprentissage, et d’autre part le processus de transmission de savoir-faire. Seuls mes deux premiers contrats sont représentatifs de ce qu’est l’apprentissage en « boulpat ».
Le rythme d’alternance était de deux semaines au boulot et deux semaines à l’école, avec des aménagements pour les périodes de fêtes afin d’être plus longtemps au boulot en décembre/janvier, lorsque la production est maximale. L’école était à Rouen et l’entreprise à Paris (1). Il s’agit d’une formation élitiste recrutant niveau bac, dispensant les apprentis des matières générales des CAP, avec en compensation plus de cours et de travaux pratiques strictement professionnels et technologiques. Un des enjeux de la création de cette formation était la formation des futurs patrons de la boulangerie artisanale, mais elle a finalement aussi servi à former des cadres de structures plus concentrées (que ce soit des réseaux de franchise ou des entreprises industrielles en RetD ou autres).
En entreprise, j’étais encadré par le chef boulanger (également chef de production, et qui deviendra par la suite gérant locataire). Nous étions quatre au maximum pour toute la production de pain : le chef (nuit et matinée), un ouvrier (après-midi), un apprenti (moi, quand je n’étais pas à l’école) et un stagiaire (venu du Japon dans le cadre de partenariats de « formation », il y avait des périodes sans stagiaires). En gros, les salariés vraiment en poste tout le temps étaient deux, apprenti et stagiaire étaient là pour compléter l’insuffisance de main-d’œuvre par rapport aux quantités à produire.
Le chef travaillait de 2 à 14 heures et effectuait parfois 6 jours sur 7. Je travaillais tous les week-ends, y compris entre deux semaines d’école, et mes jours de repos m’étaient rendus en semaine (la fermeture de la boutique était les mardis et mercredis). J’étais sur un contrat de 39 heures, je commençais à 6 heures et finissais quand le chef le disait, en règle générale autour de 14 heures. Le fil directeur de ma formation était d’apprendre à tout gérer et tout faire seul, et d’apprendre à encadrer les stagiaires. Pas de pause, comme le chef  : se débrouiller pour faire rentrer toute la charge de travail dans le moins de temps possible. Apprendre a gérer soi-même les quantités à produire, tout en s’occupant de la vente. Il fallait considérer la paie comme un forfait, c’est-à-dire que si on pouvait se barrer plus tôt en ayant tout fini on le faisait, mais si on dépassait les horaires rien ne nous était payé.

Avec le recul, tu as quel regard sur cette période ?

C’est une période que j’ai appréciée, mais cela n’en demeure pas moins un apprentissage du stakhanovisme et une confusion inculquée entre les intérêts des ouvriers et ceux des patrons.
Mon chef (de moins de 30 ans à cette époque) avait effectué son apprentissage dans cette même boulangerie et y avait effectué toute sa carrière, devenant chef lorsque la boutique avait été rachetée par le réseau de franchise. Il me racontait beaucoup de trucs sur son apprentissage, la durée du travail, les horaires…, et clairement il ne reproduisait pas tout ce qu’il avait subi. Je peux dire qu’il était plus progressiste que les plus anciens, qu’il était attaché à la maîtrise et à la qualité de son travail, et qu’il était plutôt dans une logique méritocratique et compétitive vis-à-vis des collègues : pour obtenir des meilleurs salaires, il fallait faire ses preuves par rapport aux autres. Concrètement, sur les cadences, cela a pour conséquence que la cadence « normale » est celle du plus rapide (le chef) au lieu d’être la cadence moyenne.
A la fin de mes deux ans d’apprentissage, j’étais capable techniquement de tenir tous les postes en boulangerie, de tenir complètement le poste de viennoiserie (poste que j’ai pris) et de tenir des postes basiques en pâtisserie. Techniquement, car physiquement non : les journées étaient trop longues et j’avais besoin de faire autre chose que travailler, manger, dormir. En gros, j’ai été formé à être autonome le plus vite possible, et j’étais payé sur les grilles de l’apprentissage, qui sont en boulangerie la grille légale minimale.
J’aimais bien ce que j’apprenais à l’école, et la maîtrise qu’on me donnait dans mon travail, je me sentais utile. J’étais quand même critique parce que élevé dans une famille de gauche plutôt marxiste, mais je résolvais ces embryons de critique par une sorte d’idéologie ouvriériste ou l’idée des « établis ».

Quel est le profil des élèves qui entrent en apprentissage en boulangerie ?

Je n’ai pas le profil moyen, l’école et la boîte où j’étais sont des structure minoritaires avec une conception élitiste du métier. La filière de l’apprentissage est encore majoritairement réservée aux jeunes garçons de milieux défavorisés en échec scolaire ou privés de scolarité.
Je tiens à dire que je n’ai pas le parcours type ni le profil type des ouvriers et ouvrières du secteur de par l’âge de mon entrée dans le métier et de par les possibilités que j’ai eues de travailler dans d’autres domaines, et enfin de par le niveau d’études auquel j’ai eu accès. Ce ne sont pas les conditions de travail que j’ai subies qui diffèrent, c’est l’obligation matérielle de les subir.

Y a-t-il du bizutage ?

Je n’en ai pas connu, à part quelques blagues où on cherche à te faire croire quelque chose ou on te fait faire quelque chose de stupide (aller chercher une échelle à monter les blancs en neige, un moule à croissant, ou encore passer par le quatrième étage pour te rendre au fournil en sous-sol). Le pâtissier qui était le plus vieux pouvait avoir des pratiques plus douteuses, comme te pincer très fort l’intérieur de la cuisse, mais je ne dirais pas que c’était du bizutage dans la mesure où chaque fois qu’il m’a fait ça je l›ai insulté et envoyé parfois des coups de jet d’eau dans la gueule. Je me rappelle aussi la bataille d’œufs avec un autre apprenti. C’était plutôt des gamineries que de l’oppression.
Le vrai bizutage, c’était plutôt de me faire reprendre le poste du pâtissier parti en retraite alors que je sortais d’apprentissage. C’était le non-remplacement d’une camarade pâtissière, ce qui nous faisait faire le boulot de trois à deux pendant des mois et pendant les fêtes. C’était que j’ai cru que si j’étais épuisé au bout d’un an de poste ouvrier c’était ma faute....
Je ne saurais pas dire s’il y a un bizutage systématique, mais il y a une relation paternaliste puisque les apprentis sont très jeunes et sont formés par des camarades qui prennent des figures de grand frère, de daron, de tonton. Ce qu’il y a de systématique et qui permet n’importe quoi, c’est le fait d’être dans des locaux que peu de monde visite, potentiellement en tête-à-tête avec un chef, un patron, à des horaires différents du reste de la société, et que la relation d’apprentissage est une relation d’obéissance.
Dans mon cas perso, mon chef boulanger ne m’a jamais fait faire quelque chose qu’il ne faisait pas lui-même, c’était un principe pour lui. Ce n’était pas le cas en pâtisserie  : mon camarade apprenti pâtissier se plaignait qu’on lui donnait toujours les mêmes tâches, celles que les autres ne faisaient pas (genre les croissants aux amandes, la plonge, casser des œufs).
Dans mon école, il y avait une camarade en deuxième année qui avait galéré en tant que meuf et en tant que majeure à trouver un patron (ça leur coûte plus cher qu’à 16 ans). Au final, elle avait été obligée d’accepter de reverser au noir une partie de son salaire au patron. Et les profs le savaient...

Toi tu t’es syndiqué, pour quelles raisons  ?

Je me suis syndiqué la première fois en 2012 à la CNT, plus par idéologie que pour être armé contre l’exploitation. Je n’y suis pas resté longtemps, parce que, d’une part, le syndicat où j’étais était interpro et groupusculaire, ce qui ne m’apportait rien en termes de défense concrète ou de construction de rapport de force au travail, et que, d’autre part, le syndicalisme autogestionnaire demandait du temps de travail alors que j’étais déjà en surmenage au boulot.
Je me suis resyndiqué en 2021 à la CGT parce que je pense qu’il y a du boulot à faire à l’intérieur de la CGT, et en particulier à la FNAF [Fédération nationale agroalimentaire et forestière], qui a pour ligne de défendre l’artisanat face à l’industrie, et par conséquent coopère plus avec les patrons artisans qu’avec les ouvriers de l’industrie (voir les positions sur la baguette au patrimoine de l’UNESCO). Et également parce que j’étais en complet désaccord avec la majorité des salariés de la SCOP où je bossais, et que j’étouffais dans l’entre-soi affinitaire de l’autogestion, qui ne parvenait à rien critiquer d’autre que les individus salariés. Aucun boulot n’était fait pour comprendre et connaître la filière, le métier, ses structures, ses antagonismes…, et partant de là il n’y avait aucune volonté d’agir sur quoi que ce soit d’autre que sa petite structure d’exploitation. Pour le dire autrement, j’avais besoin de discuter lutte des classes parce que j’en avais marre de m’engueuler avec des camarades qui prétendaient travailler autrement sans avoir jamais travaillé dans les structures classiques de la filière. Car le boulot d’ouvrier boulanger était là-bas aussi pénible qu’ailleurs, moins bien payé et avec des outils de production moins bien entretenus. En gros, je me syndiquais pour me distancier des visions idéalistes de la majorité de mes camarades, qui affirmaient que faire tourner collectivement un petit capital au bout de la filière blé-farine-pain était en soi révolutionnaire. Ce que je ne pouvais pas entendre.
Concernant la Fédération de la boulangerie, je n’ai pas pu les rencontrer encore, même si je les avais contactés quand j’ai adhéré. Il me semble que c’est une coquille bureaucratique vide d’ouvriers. Ma base d’organisation est plutôt l’union locale, d’autant que je suis à présent chômeur. L’UL reçoit des salariés de la boulangerie à l’occasion des permanences, et c’est souvent des histoires simples de non-paiement de salaire ou des entorses de petits patrons qui se croient tout permis. La plupart du temps, c’est résolu au cas par cas, en mettant un léger coup de pression. Il n’y a pas vraiment de logique de syndicalisation de ces camarades qui viennent chercher de l’aide individuelle.

Quels sont pour toi les freins au développement des luttes ouvrières et syndicales en boulangerie-pâtisserie  ?

Il me semble que la boulangerie artisanale souffre de la taille de ses structures, du turnover, de l’isolement social du métier, des illusions d’une émancipation par l’ouverture de sa boîte.
Ce que je pense, c’est que la CGT est tout à fait capable de fournir un service juridique aux salariés isolés des boulangeries-pâtisseries, mais qu’elle ne cherche pas à y développer une organisation collective. Pourtant les ouvriers boulangers ont historiquement été partie prenante du mouvement ouvrier, et je dirais que le moment où ce syndicalisme a disparu coïncide avec la période où l’Etat et le patronat ont inventé la notion d’artisanat, pour défendre le petit capital de la concurrence et de la concentration industrielles. A partir de là, on a développé le discours sur la qualité de la production, faisant disparaître le rapport social de production au profit du rapport de taille de capitaux.

Y a-t-il beaucoup de sans-papiers qui travaillent en boulangerie-pâtisserie ?

Je ne peux pas vraiment répondre à la question du nombre dans la mesure où il n’existe pas de statistiques, de décomptes officiels, et où mes expériences personnelles ne peuvent pas être une base suffisante pour conclure. Il y a environ 35 000 entreprises de « boulpat » en France, et 120 000 travailleurs.
La taille et le nombre des structures de boulangerie se prêtent bien à la dissimulation, à l’évitement des contrôles. Sur les groupes Facebook de recrutement, où sont publiées offres et demandes, il y a des travailleurs de pays étrangers, généralement ceux de l’ex-empire colonial français (2), qui cherchent à être recrutés en France. Je vois de plus en plus d’annonces de patrons qui tiennent à préciser dans leurs demandes de main-d’œuvre « avec papiers en règle ».
A titre personnel, j’ai toujours travaillé avec des camarades de nationalités très diverses (Sénégal, Tunisie, Maroc, Sri Lanka, Bangladesh, Japon, Guinée, Mexique...) et je n’ai jamais eu connaissance de situations de type alias [une personne sans papiers qui utilise les papiers en règle de quelqu’un d’autre pour pouvoir travailler]. Les entreprises où j’ai travaillé ne pratiquaient pas le travail non déclaré, ou alors de manière marginale pour des heures supplémentaires. Cela ne démontre rien, cependant.
Il faut prendre en compte l’aspect formation. A titre d’exemple, Auchan demandait les originaux des diplômes lors du recrutement, et les boulots d’ouvriers boulangers sont des boulots qualifiés où l’on recrute des travailleurs « autonomes », c’est-à-dire capables d’assurer la production immédiatement. Il y a donc le filtre de l’apprentissage, et c’est plutôt des situations de jeunes mineurs isolés que l’on observe. Il y a un collectif « Patrons solidaires » (3) qui est né de situations où des jeunes mineurs isolés, apprentis boulangers, étaient menacés d’OQTF [Obligation de quitter le territoire français] une fois la majorité passée, alors que leur patron avait besoin de leur force de travail formée. Il y a ce type de lutte sur les papiers, lutte paternaliste d’un petit patronat antiraciste et surtout en manque de main-d’œuvre.
Il n’y a pas, en production boulangère ou pâtissière, de poste de « manœuvre », de poste d’ouvrier spécialisé qui ne nécessiterait pas de formation longue. Ce ne sont pas des postes où les patrons recrutent à tout va sans trop s’attarder sur le profil des camarades. Il y a par contre ce genre de poste en vente, en préparation de sandwichs. Les tâches non qualifiées en production sont assurées par les apprentis.

Quelles sont les perspectives de lutte pour l’immigration en boulangerie ?

Je pense que le terrain de la lutte pour le droit de circuler librement se situe au niveau de l’accès à la formation en boulangerie et du droit à migrer facilement pour la pâtisserie. Je distingue boulangerie et pâtisserie, car la formation à la boulangerie artisanale française est une sorte de chasse gardée du territoire national, tandis que la pâtisserie dispose d’écoles et de formations à l’international qui ne justifient pas « techniquement » de bloquer les camarades qui ont envie de changer de pays. Pour la boulangerie, ce qui bloque, c’est le refus de permettre à tout un chacun de rentrer dans les écoles de formation. Les jeunes camarades qui arrivent à venir en France avant leur majorité (et qui peuvent donc entrer en apprentissage) le font en surmontant toutes les barrières dégueulasses et inhumaines de Frontex (4). Il faut ensuite trouver un patron qui signe le contrat et les paperasses d’autorisation de travail. Là, le frein, ça peut être le racisme ou la soi-disant « phobie administrative » (paresse patronale plutôt). Mais bon, quand tu ne t’es pas noyé dans la Méditerranée, se prendre 40 râteaux par les patrons avant d’en trouver un assez « gentil » pour te payer 350 € par mois pour transpirer dans un fournil et flinguer ses rythmes de sommeil, c’est pas grand-chose. Au final, il y a presque toutes les conditions réunies pour que les contradictions de ce secteur évoluent et opposent le manque de main-d’œuvre au racisme nationaliste pourvu qu’on construise la solidarité de classe face au corporatisme et à « la tradition française » !

Propos recueillis par zyg

P.-S.

Une interview de deux ouvriers en boulangerie a été faite par l’émission l’actualité des luttes, elle complète très bien cette série d’articles. Elle est disponible en ligne ici

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