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CA 334 novembre 2023

Affaire du 8 décembre 2020 : La justice au secours de la construction policière

dimanche 12 novembre 2023, par Courant Alternatif

Du 3 au 27 octobre (1), les personnes arrêtées le 8 décembre 2020 passent en procès au tribunal correctionnel de Paris pour « association de malfaiteurs en vue de commettre des actes terroristes ». Dans cette affaire montée par la DGSI (2), de nombreuses incohérences ont été relevées, mais l’institution judiciaire continue de suivre les fantasmes policiers.


Le 8 décembre 2020, la DGSI et le RAID arrêtaient neuf personnes dans cinq départements (avec perquisition de leurs domiciles et véhicules), puis les transféraient dans les locaux de la DGSI à Levallois-Perret sous le régime de la garde à vue antiterroriste (pouvant aller jusqu’à 96 h). A l’issue de cette garde à vue, deux personnes ont été libérées sans charges, les sept autres mises en examen. Parmi les mis en cause, cinq ont subi une détention provisoire plus ou moins longue, pour plusieurs avec des conditions très dures (3) et pour le principal accusé un isolement de plus d’un an (4).

L'enquête

L’affaire commence par la mise sous surveillance policière de Florian à son retour du Rojava, en janvier 2018. Il faut signaler que la DGSI exerce la même surveillance sur tous les militants partis combattre Daech aux côtés des militants kurdes, cela alors que les YPG (unités de protection du peuple) ne sont pas classées comme organisation terroriste. Sur des bribes de conversations enregistrées, des déplacements et rencontres, la surveillance s’élargit aux relations de Florian. Au bout de plusieurs mois, la DGSI transmet au PNAT (5) un rapport sur la potentielle menace constituée par Florian et six personnes qu’il côtoie. L’enquête préliminaire est ouverte le 7 février 2020 : Florian est soupçonné de vouloir mettre sur pied un « groupe violent » et « clandestin » pour «  commettre des actions de guérilla et des actions violentes contre des cibles institutionnelles ». Toute cette surveillance par écoutes téléphoniques antérieure à l’enquête est attaquée par les avocats et fait l’objet d’un recours devant la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, transmis pour examen au Conseil d’Etat.
Le procès-verbal de synthèse de l’enquête préliminaire, en avril 2020, détaille les rencontres et les activités de certaines personnes pendant le confinement, mais il reconnaît qu’à ce stade il n’y a ni groupe ni « aucun projet d’action violente. (…) Les interceptions judiciaires (…) n’ont pas permis de révéler des éléments susceptibles de caractériser les faits reprochés ». Malgré cela, le 20 avril, le PNAT ouvre une information judiciaire contre Florian, et, le jour même, un juge des libertés et de la détention autorise la mise en place, officielle et judiciaire cette fois, de moyens de surveillance de la DGSI. Les écoutes postérieures (téléphoniques, mais aussi par sonorisation de locaux et véhicules) ne révèlent rien, hormis un projet de départ de Florian à l’étranger. C’est sans doute ce projet qui a décidé le PNAT et le juge d’instruction à interpeller onze (6) personnes mises en cause.
Lors des perquisitions, les enquêteurs saisissent des armes de chasse ou de tir détenues avec permis, mais aussi des répliques d’armes pour airsoft (7) Ils saisissent aussi des substances pouvant rentrer dans la composition d’explosifs, mais qui par ailleurs sont des produits d’usage courant et en vente libre (acétone, eau oxygénée, acide chlorhydrique, engrais…) ; et divers objets (casseroles, spatules, fils électriques, outils…) – ou des revues et ouvrages (de Blanqui, Kropotkine…) montrant bien le caractère révolutionnaire du prétendu (8) groupe !

L'ouverture du procès

Malgré l’inconsistance des faits, sept personnes sont donc traduites devant le tribunal correctionnel (9) de Paris. Il leur est reproché l’association de malfaiteurs à visée terroriste, et, pour certains, le refus de communiquer le code permettant de débloquer leur téléphone. Heureusement, depuis leur arrestation et les délires médiatiques (10) sur ce nouveau groupe terroriste d’« ultragauche », les comités de soutien ont pu dévoiler la réalité des faits reprochés et cela a pu aboutir à des articles critiquant l’enquête jusque dans la presse modérée (11).
Le 3 octobre 2023, nous sommes environ 150 personnes, venues de différentes régions en soutien aux accusé·es, devant le tribunal dans une ambiance très sympa (déclarations, chants) qui est appréciée par les mis en cause. Les flics interdisent d’abord de déployer des banderoles, mais c’est possible dans l’après-midi. Pour pénétrer dans le tribunal, il faut subir une fouille visuelle à l’extérieur, un scan des sacs et objets métalliques aux portiques d’entrée, un nouvel examen visuel et un scan manuel aux portes de la salle (12)… Et ce cirque se répète trois fois, à chaque suspension de séance ou sortie de la salle.
Dans cette salle, les deux bancs réservés à la presse ne sont pas pleins – il faut l’autorisation du PNAT pour s’asseoir dessus, ce qui semble clairement un abus. De plus, le parquet est représenté par deux procureurs (un homme et une femme), particularité sans doute due au prétendu terrorisme.
Dès le départ, la présidente du tribunal promet de faire évacuer tout perturbateur (13) – elle soupçonnera certaines toux d’être des perturbations volontaires. Toutes les demandes des avocats pour faire ajourner le procès (dans l’attente de la réponse du Conseil d’Etat sur la légalité des écoutes hors du cadre judiciaire) ou pour faire citer à témoigner les enquêteurs anonymes de la DGSI sont balayées ou ajournées après avis évidemment défavorables du PNAT.
Cette première journée est aussi celle des interrogatoires d’identité et de situation sociale des personnes mises en cause, puis d’un rappel des faits par la présidente. Et on constate qu’elle reprend la position du PNAT et l’enquête de la DGSI sans aucune mise à distance – par exemple en assimilant les jouets que sont les armes factices d’airsoft à des armes véritables (même leurs cartons d’emballage ont été saisis). Ce choix ainsi que l’attitude renfrognée et le mutisme de ses assesseures ou l’agressivité des procureurs laissent augurer le déroulement très difficile d’un procès uniquement à charge. Heureusement, les avocat·es et les accusé·es montrent d’entrée une belle pugnacité.

AD, Limoges 24/10

Notes
1. Le procès devait se terminer le 27, mais la juge a évoqué son possible prolongement au 2. Direction générale de la sécurité intérieure.
3. Le tribunal administratif a condamné l’administration pénitentiaire pour avoir fait subir à Camille 26 fouilles à nu abusives.
Le tribunal administratif a condamné l’Etat pour deux prolongations irrégulières de la mise à l’isolement de Florian.
5. Parquet national antiterroriste
6. Deux ne seront même pas placées en garde à vue.
Activité de loisir où sont utilisées des répliques d’arme à feu propulsant par air comprimé, gaz ou ressort des billes en plastique de 6 mm de diamètre et de moins de 0,6 g.
8. Certaines de ces personnes ne se connaissent pas, d’autres se sont croisées une ou deux fois.
9. Aucun crime n’ayant été commis, ils ne pouvaient risquer les assises.
10. Rappelant ceux sur le groupe de Tarnac, mais avec moins d’éclat.
11. Le Monde, Télérama
12. Un certain Nicolas S., ex-Président de son état, avait rendez-vous pour une mise en examen le même jour, mais il ne semble pas avoir subi de tels contrôles.
13. Un copain ayant souligné à voix haute, lors d’une suspension de séance, la ressemblance entre les pratiques de la DGSI et celles de la Stasi s’est vu interdire le retour dans la salle.

P.-S.

Si vous voulez suivre ce procès, reportez-vous à Lundi matin pour des relations d’audience et d’opinion par divers journalistes et écrivains : https://lundi.am/Affaire-du-8-decem...;; au blog des comités de soutien    pour des comptes rendus détaillés :    https://soutienauxinculpeesdu8decem...;; pour des résumés par journée, voir sur Paris-luttes.info.

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