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CA 335 décembre 2023

Le Projet de loi immigration au Sénat :  haro sur les étranger.es !

samedi 9 décembre 2023, par Courant Alternatif

On pouvait évidemment s’y attendre. Le texte sur l’immigration porté par le ministre de l’intérieur Darmanin pour  "contrôler l’immigration, améliorer l’intégration" , alors qu’il comportait déjà des atteintes considérables à l’encontre des exilé.es, a été durci par de très nombreux amendements ultra répressifs lors de sa lecture au Sénat. Il en est sorti une mouture totalement marquée par les idées de la droite et de l’extrême-droite (cf. encart 1), adoptée à une large majorité, le 14 novembre.


Il faut dire que le projet initial (voir CA n°325, décembre 2022), qui a connu quelques soubresauts depuis son annonce à l’été 2022, ouvrait, par son contenu, un boulevard tout tracé pour que s’y engouffrent les surenchères les plus réactionnaires et xénophobes. Le texte, une fois qu’il sera passé à la moulinette de l’Assemblée nationale à partir du 11 décembre, débouchera sur une version probablement un peu moins nauséabonde mais pas, pour autant, plus acceptable.

Ce projet de loi est le 29ème texte sur l’immigration proposé depuis 1981 (le 117ème depuis 1945), le deuxième sous le règne de Macron. Servant les intentions du gouvernement de rendre la vie "impossible" aux migrants et aux étrangers (pauvres, faut-il le préciser), Darmanin s’est vanté de proposer « le texte de loi le plus ferme avec les mesures les plus dures depuis ces trente dernières années ».

Or ces nombreuses lois successives qui affirment à chaque fois leur prétention à contenir l’immigration font la preuve de leur inefficience. Tous les gouvernements ont connu et connaîtront une hausse de l’immigration constante qui suit la tendance mondiale, indépendamment des nombreux discours et lois sur l’illusoire « maîtrise des flux migratoires ». Agiter la crainte fantasmatique d’un supposé tsunami migratoire, et faire de l’immigration un "problème" ou un fardeau (encart 2), cela ressort essentiellement de l’affichage idéologique et du calcul politicien et électoraliste ; surtout qu’il s’agit de taire, bien entendu, les responsabilités du système capitaliste et des Etats riches dans les désordres mondiaux (conflits, exploitation et misère, inégalités, dérèglement climatique...), qui poussent de plus en plus d’hommes et de femmes à quitter leur pays et, pour ce qui nous concerne, à rejoindre l’Europe au risque de leur vie, où ils.elles subissent, une fois sur place, un accueil indigne.

Rassemblement devant le Sénat le 21 novembre 2023

Un projet de loi à dimension idéologique

Pour tenter de légitimer sa nouvelle loi, le gouvernement agite la crainte des migrants et des étrangers pauvres en les présentant comme des individus dangereux, des profiteurs et des fraudeurs,  provoquant et alimentant ainsi xénophobie et racisme.
Les mesures inscrites dans le texte initial porté par Darmanin font l’amalgame migrants = "délinquants", et plus récemment, =" potentiellement terroristes", tout en entretenant le flou autour de cette notion que personne ne cherche à définir mais qui veut faire peur. Le ministre, croyant se montrer rassurant, se targue d’être "méchant avec les méchants". Avant la lecture du projet devant le Sénat, il a invoqué une supposée "atmosphère de djihadisme" et durci plus encore son texte, pourtant déjà fort inquiétant. Surfant sur la progression de l’extrême droite, utilisant de façon démagogique et opportuniste l’assassinat du professeur d’Arras et instrumentalisant à sa manière la guerre d’Israël contre la Palestine, Darmanin s’est recentré sur le volet répressif du projet de loi. Il a supprimé en particulier les maigres protections contre les expulsions accordées jusque-là aux exilé.es, telles que l’arrivée en France avant 13 ans, le mariage depuis plus de 3 ans avec un.e Français.e, la résidence de plus de 10 ans. Il a dans le même temps fait expulser ostensiblement plusieurs dizaines d’"étrangers délinquants et/ou radicalisés". Ceci alors que la loi actuelle prévoit déjà le retrait d’un titre de séjour et du statut de réfugié en cas de délits graves, "de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’Etat" ou liés à des activités "à caractère terroriste".
Le gouvernement voudrait aller plus loin encore, avec une disposition (article 13) permettant d’expulser un étranger simplement signalé, ou mis en garde à vue, sans qu’il ait commis d’infraction pénale. Il ne s’agirait plus alors de réprimer des actes mais des opinions, et d’agir de façon préventive sur la foi du soupçon et non pas sur la base de délits. Ainsi, pourrait être expulsé un étranger « accusé et non condamné » de « non-respect des valeurs républicaines » (1). Par exemple, « l’adhésion à une idéologie radicale (sic !) », le port ostensible d’un signe religieux à l’école ou le refus d’être reçu par un agent de sexe opposé dans un service public pourraient être des motifs pour retirer un titre de séjour.

Une dimension politicienne

Quant à la dimension politicienne qui se joue au travers de cette loi, elle apparaît grossièrement affichée et sans dissimulation. Il est lamentable et scandaleux que la guéguerre de pouvoir qui se mène entre rivaux de droite (Les Républicains (LR), Union centriste, Renaissance) se fasse sur le dos des exilé.es, qui non seulement servent de boucs émissaires mais encore sont objets de marchandage, otages sans voix et tremplins pour des visées et ambitions électoralistes. Les migrant.es n’ont pas droit au chapitre et la réalité de leur (sur)vie en France est totalement éclipsée. La compétition et la surenchère entre les groupes de droite sont ouvertes, et c’est à qui sera le plus dur et le plus répressif.

Pour Darmanin l’enjeu est que cette loi qu’il fait sienne, (il laisse d’ailleurs sur la touche son "partenaire" Dussopt, le ministre du travail, censé représenter la    prétendue "jambe gauche" du projet), soit votée à l’Assemblée nationale sans recourir au 49.3, et ce quel qu’en soit le prix. D’où ses concessions à plus à droite - en apparence -  que lui. Le ministre a ainsi laissé passer avec bienveillance des amendements encore plus répressifs que les siens. Par exemple, la suppression de l’aide médicale de l’Etat -AME (2), élimination pourtant contestée au sein même du gouvernement, et que Darmanin, qui s’y était dit favorable « à titre personnel », a accueillie comme "un bon compromis qui allie fermeté et humanité" .

Manœuvres et complaisances indécentes

Sur bon nombre d’amendements répressifs et restrictifs défendus par les LR, Darmanin et son camp sont restés silencieux, se contentant de présenter des avis de « sagesse », c’est-à-dire ni favorables ni défavorables. Sur certains autres amendements du même genre, leurs avis ont même été ouvertement favorables, sans compter les modifications que les sénateurs Renaissance ont eux-mêmes déposées.
Ainsi le ministre, en brossant dans le sens du poil les LR et les centristes de l’UDI (Union des démocrates et indépendants), a eu la satisfaction d’aboutir à l’acceptation de "son" texte dont le durcissement ne l’incommode en rien, puisqu’il prolonge la même logique discriminatoire et anti-sociale.
Pour Les Républicains, il s’est agi de faire savoir qu’ils n’étaient pas là pour servir la soupe au gouvernement, mais qu’ils occupaient un espace spécifique et distinct sur l’échiquier politique. Ils promettaient de se montrer fermement hostiles à l’article 3 du texte initial qui proposait, selon des modalités aussi cyniques et hypocrites que celles de la circulaire Valls (3), une régularisation, certes de plein droit mais temporaire, de personnes sans-papiers embauchées dans des métiers dits "en tension" (pour des patrons en mal de main d’œuvre). En ce sens, ils menaçaient, si cet article était maintenu, de ne pas voter la réforme. Finalement, l’article 3 été abandonné et remplacé par une nouvelle version baptisée « article 4 bis », plus restrictif encore que la circulaire Valls car    axé sur les seuls métiers en tension, et qui continuerait de placer de fait les salarié.es dans une position d’infériorité, de précarité, de surexploitation, et laisserait aux préfets leur pouvoir discrétionnaire.
Ces derniers conserveraient donc la liberté de décider, de façon arbitraire et inégale, des régulations exceptionnelles par le travail, dans les métiers  "en tension", « au cas par cas », sous certaines conditions, dont celle du respect des « valeurs de la République » (1). Avec cette pirouette, les centristes se félicitent que soit conservée l’inscription législative sur la régularisation, tandis que les LR se réjouissent de la disparition de l’article 3 exécré. Quant à Darmanin et son camp, ils se montrent satisfaits d’avoir soutiré aux LR le vote de cet article jugé, là encore, comme un compromis « acceptable ».

De toute façon, article 3 ou article 4 bis, cela ne changera rien aux conditions de vie faites aux sans papiers, et le patronat continuera à garder son contrôle sur eux et elles, démuni.es et corvéables à merci s’ils.elles restent isolé.es, et à régulariser ceux.celles qui les intéressent. La tendance se généralise d’intégrer dans la loi un salariat à plusieurs niveaux, toujours plus dégradés et inégalitaires, de droits.
Par ailleurs, les discussions qui vont se poursuivre avec les députés sur ce sujet du travail risquent de détourner l’attention de toutes les autres mesures hyper répressives de la loi : absence de droits fondamentaux, contrôle et arbitraire, maintien dans la précarité, la pauvreté et la peur (Encart 2).

Expulsion d’un squatt à Montreuil le 24 octobre 2023

A l'Assemblée et surtout dans la rue

A l’Assemblée, il n’est pas sûr que les députés de l’opposition de droite, qui veulent se faire entendre    et imposer un bras de fer pour imprimer leur marque, votent le texte avec tous les amendements des sénateurs de leur propre parti, car le jugeant encore trop laxiste. D’autant qu’ils ne cessent de marteler qu’ils veulent une modification de la constitution (au même titre que le RN) pour aboutir à un référendum sur l’immigration (4) et pour se libérer des jurisprudences des cours européennes.
Macron a fait un pas tacticien dans ce sens, le 17 novembre, pour "donner des gages" aux LR, en proposant aux chefs de parti d’étendre le champ référendaire aux "questions sociétales", dont "les politiques migratoires" ; mais il a fait très vite machine arrière ...

Le projet de loi remanié par le Sénat, sera à nouveau amendé devant l’Assemblée nationale en décembre (5), mais à la marge seulement, la plupart des propositions du texte étant défendues depuis des années par la droite et même, pour beaucoup, par l’extrême droite, pour qui le rejet des migrants est un sujet fétiche.
L’acceptation globale du texte par les députés n’est pas acquise avec certitude car les forces politiques sont divisées à droite. Cela coince aussi avec "l’aile gauche" des macronistes et avec l’opposition de gauche.
Si Darmanin tient à faire adopter sa loi sans passer par le 49.3, il faudra qu’il continue à manœuvrer pour trouver des appuis... Appuis qui restent très incertains à droite, on l’a dit, et peu jouables à gauche. A moins que les amendements du Sénat apparaissant excessivement durs, cela finisse par rendre, aux yeux de certains députés, le texte initial (ou bien celui qui aura été purgé de ses articles les plus indignes), comme, finalement, acceptable.... Quoi qu’il en soit, le premier jet du projet initial, déjà très discriminatoire et répressif avant les amendements des sénateurs, sortira à coup sûr encore plus durci et restrictif .
Au-delà du processus parlementaire, dont il ne faut rien attendre, la contestation de la loi va se poursuivre dans la rue, avec des mobilisations qui devront être les plus massives possibles. Vu l’ampleur de la tâche et du climat ambiant, un sursaut collectif est vraiment indispensable. Heureusement que les grèves et actions exemplaires menées par des centaines de travailleurs sans papiers en Ile-de-France alimentent l’espoir de dynamiques plus fortes et généralisées en montrant que seule la lutte collective peut payer.

Devant le Sénat le 21 novembre 23

Sont programmées des actions fin novembre et début décembre, dont les manifestations dans tout l’hexagone les 16 ou 18 décembre, à l’occasion de la journée internationale des migrant.es :
Contre la loi Darmanin et contre la société qu’elle nous prépare, toujours plus raciste, discriminatoire, inégalitaire et répressive.
Pour une société de liberté, d’égalité des droits, de justice sociale et de solidarité pour tous et toutes

Kris, le 18 novembre

Notes
1- Les "valeurs de la République" (tout comme le "terrorisme" d’ailleurs) est une notion totalement floue, englobant, selon le gouvernement, « la liberté personnelle, la liberté d’expression et de conscience, l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de la personne humaine, la devise et les symboles de la République »...)
2- Depuis 2000, l’AME permet, pendant un an possiblement renouvelable, l’accès gratuit    aux soins des personnes sans papiers à faibles ressources, après au moins 3 mois de présence sur le territoire.
3-    Avec la circulaire Valls (2012), le préfet peut accorder, selon son bon vouloir et avec le feu vert des patrons, "une admission exceptionnelle au séjour " à des sans papiers ayant travaillé plusieurs mois (illégalement) et séjourné (irrégulièrement) sur le territoire pendant 3 à 5 ... voire 7 à 10 ans.
4- Le parti LR a lancé, fin octobre une pétition sur la question « immigration : vous en avez assez ? » pour dénoncer l’immigration "incontrôlée" en France, et pour réclamer un référendum. Les termes employés n’auraient pas été reniés par le RN : – « Vous pensez qu’une nation est en danger si elle ne peut pas expulser de son territoire des étrangers qui apportent le désordre et la terreur ? »
5- On peut prévoir que l’article prônant la suppression irresponsable de l’AME, et celui sur les quotas seront supprimés, et que l’article 4 bis sera un peu édulcoré. Sans compter les censures éventuelles du Conseil constitutionnel.

QUELQUES-UNS DES AMENDEMENTS DU SÉNAT VOTÉS LE 14 NOVEMBRE
Outre la suppression de l’Aide Médicale d’Etat et celle des articles portant sur la régularisation dans les métiers en tension, la liste des attaques contre les migrant.es et les étrangers votées par la majorité sénatoriale est impressionnante.
En voici un aperçu, non exhaustif :

  • Instauration de quotas migratoires
  • Durcissement des conditions du regroupement familial, restriction de la migration étudiante et des conditions d’accès au titre d’"étranger malade"
  • Conditionnement de la délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle à la maîtrise d’un "niveau minimal de français", vérifié lors d’un examen ; ainsi qu’au respect "des principes de la République"
  • Restriction de l’accès aux droits sociaux : Versement de certaines allocations (aide personnalisée au logement (APL) allocations familiales, allocation personnalisée d’autonomie et prestation de compensation du handicap) seulement après cinq ans de résidence    (six mois à l’heure actuelle)
  • Exclusion des personnes sans titre de séjour du droit à l’hébergement d’urgence
  • Restriction des conditions d’accès à la nationalité française (remise en cause de l’automaticité du droit du sol pour les enfants nés en France de parents étrangers )
  • Création d’un fichier des mineurs étrangers isolés délinquants
  • Renforcement de la double peine pour les étrangers : à l’encontre d’un étranger reconnu coupable d’une infraction, quel que soit son degré de gravité, peut être prononcée une peine complémentaire d’interdiction du territoire français. Celle-ci deviendrait « obligatoire » quand la peine encourue dépasse les deux ans d’emprisonnement.    Ce ne serait donc plus ni l’infraction, ni la peine prononcée mais la peine encourue qui deviendrait déterminante
  • Rétablissement du délit de séjour irrégulier assorti d’une amende de 3 750 euros
  • Suppression des protections contre les expulsions
  • Augmentation et durcissement des moyens de placement en rétention administrative, notamment pour les demandeurs d’asile
  •   Facilitation des expulsions sans que la légalité de l’interpellation et le respect des droits ne soient examinés par le juge des libertés et de la détention
  • OQTF assortie de la délivrance plus fréquente, et de plus longue durée, d’IRTF (Interdiction de retour sur le territoire français.
  • Réduction drastique du nombre de procédures permettant de contester une expulsion
  • Recul du droit d’asile - Délivrance automatique d’une OQTF dès le rejet d’une demande d’asile en première instance, sans attendre un éventuel recours ; accompagnée  d’interruption immédiate de la prise en charge des soins (qui, actuellement, reste valable 12 mois après le rejet d’une demande)
    (...)

PEU D’IMMIGRE.ES EN FRANCE
La France arrive au sixième rang des pays de destination. Elle n’est pas, et de loin, « la championne du monde de l’immigration, ni en valeur absolue, ni en valeur relative » OCDE ( Organisation de coopération et de développement économiques)
Par rapport à sa population, elle se classe au 20ème rang européen des pays d’accueil des demandeurs d’asile et réfugiés. Avec un flux annuel d’immigration à hauteur de 0,4 % de sa population, elle se situe en deçà de l’Allemagne (0,7 %) ou de l’Espagne (0,9 %).

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