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CA 335 décembre 2023

Rencontres des métiers en lutte

L’union et le dialogue font la force ?

mercredi 20 décembre 2023, par Courant Alternatif

Les 23 et 24 septembre 2023 avait lieu le festival des derniers de cordée. Dans un petit village au sud du département de l’Allier, TAXAT-SENAT, à l’initiative des cordistes en colère et du STUCS-CNT-SO 03 (Syndicat de Travailleurs/euses uni.es de la Culture et du Spectacle). Malgré les pressions préfectorales avant et pendant les rencontres (voir encadré), les débats et festivités se sont déroulés comme prévus.


Présent.es pendant ces rencontres :
• En plus des cordistes en colère(1) et des STUCS(2) organisateurs, étaient présentes « Haut Pluri’Elles(3) » collectif des femmes cordistes cette organisation remplace « Women in rope access France ».
• Echafaudeurs/Scaff’holders(4) « Scaff de France » le professionnel qui assure le montage des structures scéniques ou des structures mobiles : une tour de régie ou de son, un espace scénique extérieur pour un festival, une structure pour un décor ou une piste de ski artificielle…
• SGT « Syndicat des Gardiens de Troupeaux » (5), affilié à la CGT.
• Solidaire « Travailleurs de la Terre ».
• S+JV « Syndicat des Travailleurs et travailleuses du Jeu Vidéo » (6). Convention collective Syntec.
• STAA « Syndicat des Travailleurs Artistes-Auteurs » (7) affilié à la CNT-SO.
• Inspecteurs du travail (CNT et SUD).
• Routiers (SUD route).
• Travailleurs du nettoyage (CNT-SO)(8).
• Librairies (Book Bloc).
• Collectif de familles (Stop à la mort au travail)(9).
• Collectif Stop mines 03.(10)
Durant ces rencontres des entretiens ont pu avoir lieu avec des représantant.es des cordistes en colère, le collectif « Haut Pluri’Elles », les syndicats SGT, Solidaire TT.

Entretiens :
Certain.es des intervenant.es ont désiré rester anonymes. Le choix a été fait de n’indiquer que les structures des intervenant.es qui participent aux entretiens.

SGT « Syndicat des Gardiens de Troupeaux », affilié à la CGT.

Suite aux concertations entre les différentes organisations, associations ou collectifs de bergers, la création du SGT (Syndicat des Gardiens de Troupeaux) affilié à la CGT leur est apparue comme une nécessité face à la nouvelle réforme du chômage qui remet en cause leur droit à indemnités. En effet, l’alpage dure en moyenne entre 4 et 5 mois, avec la nouvelle législation c’est 6 mois de travail dans les 24 derniers mois qui leurs sont demandés, ce qui implique 2 saisons pour prétendre à une indemnité. Le choix d’un syndicat représentatif au niveau national, s’est fait pour avoir la possibilité de participer aux commissions paritaires pour l’élaboration de la Convention Collective Nationale (CNN) des ouvriers agricoles et de productions, sur invitation de la CGT (Confédération Général du Travail). Cette convention englobe aussi les salariés de l’agro-alimentaire et les ouvriers forestiers. Avant leur venue, seul un représentant des salariés de l’agro-alimentaire était présent. L’idée portée par le SGT est d’intégrer non seulement les bergers, mais aussi les chevriers et les vachers d’où le nom de gardiens de troupeaux. Qui mieux qu’eux peuvent parler de leurs conditions de travail, de la précarité de leurs hébergements durant les longs mois d’alpage, de la sécurité, de la santé, de la solitude, de la vie familiale, des heures passées non prises en compte pour leurs indemnités de chômage. La possibilité de choisir entre un gardiennage à l’année ou celui d’une saison d’alpage et de ce cas, pouvoir prendre du temps pour se ressourcer parmi sa famille, sans être privé de leurs indemnités de chômage. A cela s’ajoute la complexité des contrats qui peuvent être passés avec plusieurs employeurs selon l’importance du troupeau. La rudesse du travail en alpage, fait que la carrière pour un homme est 5 ans et pour une femme de 3 ans en moyenne.
Tout ceci, doit être pris en compte dans les négociations lors de l’écriture de la CCN. Mais aussi l’intégration, de certains accords territoriaux plus favorables, dans la convention collective nationale.
Elles/ils ne se reconnaissent pas dans le vocable de paysan, car le paysan est propriétaire de ces moyens de production, alors qu’elles/ils vendent leur force de travail. De ce fait, elles/ils, font partie des travailleurs salariés et se reconnaissent comme ouvriers agricoles.
Leurs participations à ces rencontres ont permis un partage d’expériences, malgré la différence des métiers, une même précarité englobe toutes ces professions avec comme points communs, la nécessité de s’organiser pour défendre leurs intérêts et si possible sortir du corporatisme et du romantisme des métiers passion très présents dans leurs différents milieux. Se considérant comme novice en syndicalisme, un gros travail de formation est devant eux.

Solidaire - Travailleurs de la Terre.

Leur venue fait suite à une information donnée par le syndicat des gardiens de troupeaux. Ne pouvant intégrer (avec des problématiques différentes) ce syndicat, la création d’un syndicat des travailleurs de la terre spécifique leur est apparue comme une nécessité. Le choix s’est porté vers Solidaire, car la confédération paysanne ne pouvait les accepter, en tant que salariés, puisqu’elle est un syndicat d’exploitant au même titre que la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles). Quant à la CGT (Confédération Générale du Travail), la fédération la plus proche est celle de l’agro-alimentaire, hormis les gardiens de troupeaux qui malgré une convention collective identique, ne répond pas exactement à leurs besoins. La spécification des travailleurs de la terre correspond à des déplacements sur toute la France, de la main d’œuvre étrangère est omniprésente sur les exploitations, dont l’Europe est leur terrain d’intervention avec ces différentes législations du travail. Tout ceci leurs posent des problèmes pour s’organiser et s’ajoute à ces difficultés leur jeune existence, création du syndicat il y a un an, d’où l’intérêt pour eux, de participer à ces rencontres.

Les entretiens qui suivent ont été faits en commun entre les cordistes hommes et les cordistes femmes, d’où les réponses qui peuvent être redondantes.

Cordistes en colère, cordistes solidaires.

Les cordistes hommes présents ont découvert l’existence du collectif « Haut pluri’elles » lors de ce festival. Ils trouvent que la création d’un collectif spécifique féminin est un point important et nécessaire concernant leurs professions. L’organisation des cordistes salariés repose sur deux structures, une associative « les cordistes en colère, cordistes solidaires » et l’autre syndicat « SYSOCO, SYndicat SOlidaire COrdistes »(11). La structure syndicale leur permet de participer aux commissions paritaires, présence nécessaire face à la présence des organisations patronales dans ces commissions.
Deux conceptions s’opposent dans la définition du métier de cordiste. La première est internationale IRATA (Industrial Rope Access Trade Association) qui est avant tout basée sur la formation de la maîtrise des risques au moyen de cordes en milieux industriels. Et en second celle de la France dont l’origine est tout autre, basée sur la technique de cordes, les premiers cordistes viennent du milieu de la montagne, les alpinistes, et de fait est considérée comme venant du loisir, où la technicité prime sur la maîtrise des risques. Quand pour IRATA, le retour d’expérience sert à faire évoluer les règles dans la maîtrise des risques, la France considère que la formation initiale, basée sur la technicité, est suffisante pour pallier aux aléas du métier.
Tout le travail du syndicat est de faire appliquer la directive européenne du 27 juin 2001 retranscrite en droit français par le décret du 1er septembre 2004, et de faire progresser les mentalités de la technicité pure vers la maîtrise des risques au moyen de cordes en milieux industriels.

Collectif « Haut pluri'elles ».

Le choix de la création d’un collectif féminin en non mixité a été fait suite à l’arrivée en nombre de femmes dans le métier. Alors que ce métier plutôt considéré comme masculin, la création du collectif vient en complémentarité et non en opposition avec les collectifs spécifiquement masculins. L’idée est, comme pour l’ensemble de la société, d’avoir des lieux de rencontres entre femmes où la parole se libère, ainsi qu’appréhender les revendications féministes propres au métier, par exemple : le matériel pour les personnes de petites tailles, qui peut être aussi appliqué aux hommes de tailles petites. Mais aussi, le sexisme, le salaire, les menstrues, etc. Le collectif s’intègre parfaitement par l’apport de revendications particulières que seules les femmes peuvent avoir sur leurs conditions de travail avec l’ensemble des revendications générales.

Ce que révèlent ces entretiens.

Mise à part la précarité pour l’ensemble des métiers, c’est la notion de passion qui ressort dans le choix de la pratique de ces métiers. Mais pour que la passion ne soit plus la cause de leurs précarités, la nécessité de s’organiser face à l’exploitation, qu’elles/ils subissent, leur est apparue comme nécessaire. Et pour se faire le choix d’intégrer des organisations syndicales reste, pour elles et pour eux, l’outil le mieux adapté, peu importe le syndicat. A la fois pour intégrer les commissions paritaires dans l’optique de faire évoluer les conventions collectives en adéquation avec leurs besoins, pour passer de métiers précaires à des métiers sécurisés et pérennisés.
Ces deux journées ont été d’un intérêt certain, tant par la multiplicité des métiers représentés que par la mise en commun des problèmes rencontrés dans leurs professions. La clôture s’est faite sur une assemblée générale, où un rendez-vous a été pris, pour continuer l’aventure l’an prochain avec une organisation répartie entre les diverses structures. Des contacts se sont créés et une coordination à vue le jour. Nous attendons la suite.

Moulins le 11 novembre 2023

notes
1. cordistesencolere.fr/
2. cnt-so.org/auvergne/stucs/
3. facebook.com/groups/319769895349010/
4. scaff-and-co.com/
5. travailleur-alpin.fr/2022/09/01/syndicalisme-comment-se-cree-la-cgt-des-gardiens-de-troupeaux/
6. stjv.fr/
7. staa-cnt-so.org/
8. cnt-so.org/category/syndicalisme/nettoyage/
9. facebook.com/people/Collectif-familles-Stop-%C3%A0-la-mort-au-travail/100089216336090/
10. facebook.com/stopmine03/
11. solidaritecordistes.fr/

Les organisateurs tiennent à remercier le Maire de Taxat-Senat, qui a tenu bon face aux pressions incessantes de la gendarmerie et de la préfecture, pour le dissuader d’autoriser sur son territoire la tenue du festival. Et de sa présence tout au long de ces 2 journées. Une des raisons invoquées par l’administration a été l’arrivée possible dans sa commune d’un important contingent de fichés S.
Avant la tenue du festival, un des membres de la CNT-SO 03 a été harcelé par la gendarmerie, avec convocation à tout moment. La maréchaussée avait une hantise, vieille de 8 ans, lors du 1er mai 2015 un rassemblement libertaire à Saint-Pourçain, non loin de Taxat-Senat, avait précédé l’ouverture d’un squat, la rancœur est tenace, la date du 23 septembre leur paraissait suspecte (manifestation contre les violences policières), y avait-il anguille sous roche ? La suite leur prouva que non ! (Comme dans la chanson). Quant au membre de la CNT-SO fût promise l’option de la venue du SPIG (Peloton de Surveillance et d’Intervention de la Gendarmerie), les cow-boys de la gendarmerie, le copain a rétorqué que cela serait perçu comme une provocation.
Pendant le festival, un trafic incessant de véhicules de gendarmerie (commune de moins de 200 habitants), jamais de mémoire d’habitants, autant de bleu marine en si peu de temps, n’avait été vu. Des incursions à toutes heures de jours comme de nuits de la soldatesque sur le lieu du rassemblement, y compris au petit déjeuner, avec tout l’attirail du parfait troufion. Malgré toute cette présence, l’ambiance est restée sereine et le SPIG n’a pas montré le bout de sa tonfa.

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