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CA 335 décembre 2023

AFFAIRE DU 8 DÉCEMBRE 2020 : Résistance à l’acharnement judiciaire

jeudi 21 décembre 2023, par Courant Alternatif

Ce procès – fleuve dont nous avons relaté l’ouverture dans CA N°334 s’est terminé le 27 octobre après 16 journées d’audiences étalées sur près d’un mois. Nous relèverons ici seulement quelques points, en insistant sur les réquisitoires et les plaidoiries.


Le mercredi 4 octobre la présidente du tribunal a annoncé que les audiences se dérouleraient du 4 au 19, avec les réquisitions du parquet le 20, les plaidoiries les 24 et 25 et que le jugement serait rendu le 27. Finalement, les audiences plus longues que prévues ont amené la fin des plaidoiries au 27 octobre.

Les interrogatoires

Les 4 et 5 ont été centrés sur les interrogatoires de personnalité des prévenu·es, une fouille très intrusive dans l’histoire personnelle de chacun·e au niveau de la vie privée et du militantisme. La journée du 6 aborde déjà la question de la fabrication et le test d’explosifs par S qui est artificier à Disneyland et pour des films et spectacles. Elle permettra aux avocat·es de souligner des absurdités dans l’accusation. Par exemple une retranscription d’écoute signale des « bruits de marteau » qui deviennent ensuite des « tirs en rafale » dans un rapport de surveillance des agents de la DGSI (1) (repris par le PNAT (2)). Ou encore une photo d’un « colis suspect » qui contenait une étagère métallique en kit.
Le 10 octobre, les avocat·es ont à nouveau demandé à pouvoir entendre (de façon anonyme) les enquêteurs de la DGSI qui ont refusé de répondre aux convocations. C’est l’objet d’une âpre bataille de procédure et d’une question prioritaire de constitutionnalité. La cour se retire pendant 3 heures pour débattre du sujet avant de décider que la question est recevable mais que la réponse est négative car la demande « manque de sérieux ». La présidente indique que la défense pourra faire appel de ce refus en même temps que l’appel sur le jugement de l’affaire.

Le 11, la cour décide de changer le programme et d’interroger tous·tes les prévenu·es sur les expériences de fabrication d’explosifs artisanaux (plutôt des gros pétards que des armes). C’est l’occasion de relever de nouvelles incohérences dans les retranscriptions des écoutes. Des « lunettes balistiques », pour se protéger les yeux lors de partie d’airsoft (3), deviennent des « gilets balistiques » lors d’une retranscription par la DGSI, puis des « gilets explosifs » pour le PNAT ! Les avocats soulignent que sur l’énorme quantité d’enregistrements faits dans les locaux et véhicules des prévenus ainsi que leurs conversations téléphoniques, seuls 0,72% ont fait l’objet d’une retranscription pour contenir certains élément incriminants – on vient de voir ci-dessus à quel point ils peuvent être erronés.
En soirée, le témoignage de l’expert en explosifs qui a travaillé sur quelques scellés et des retranscriptions écrites d’enregistrements, en extrapolant sur des usages potentiels sera mis en pièces et ridiculisé par les avocat·es. Quelques exemples : il montre sur une diapo les dégâts qu’aurait pu faire une explosion de 20kg d’ANFO (4) place Vendôme (5), alors qu’il en a été trouvé 258g ; l’expert conclut que deux prévenus ont fabriqué du TAPT (6) alors qu’il n’en est question ni dans les écoutes ni dans les produits saisis ; il cite, parmi les objets saisis pouvant servir à préparer des explosifs les casseroles, alors qu’aucune trace de produit chimique n’a été retrouvé sur celles-ci.
Le 12, les interrogatoires continuent sur les explosifs, avant de passer aux armes et aux parties d’airsoft. On peut en retenir surtout que les tentatives de fabrication de pétards ont vraiment été faites dans un cadre ludique (7) d’ennui pendant le confinement, en avril 2020. Il n’y a aucune conversation ou tentative de fabrication entre cette date et les arrestations le 8 décembre. Inutile de s’étendre sur les armes, certaines sont des armes de chasse ou de tir sportif déclarées et détenues avec permis ; d’autres ne sont pas déclarées, mais sont sans munitions. Sur la pratique de l’airsoft, un avocat rappellera que 45000 personnes en France pratiquent ce jeu. Ce thème des armes réelles et fictives occupera les débats jusqu’en fin d’après-midi du 19/10. A plusieurs reprises les avocats attaqueront d’une part la qualité de l’expertise et d’autre part les moyens mis en œuvre par la DGSI pour obtenir certaines déclarations en garde-à-vue. Ils n’obtiendront ni l’accès à l’ensemble des enregistrements sonores, ni aux vidéos de garde à vue.

Témoignages

Les deux témoins entendus le 19 au soir, un enseignant chercheur et un ancien volontaire, viendront éclairer sur la situation au Rojava et les idées des volontaires qui y ont combattu auprès des YPG.
Ensuite parmi les points importants, il y a les interrogatoires de chaque prévenu·e sur son usage de moyens de communication et d’outils informatiques (8) plus ou moins sécurisés. La DGSI et le PNAT fantasment beaucoup sur l’utilisation éventuellement criminelle de ces outils. Un témoin, spécialiste en sécurité informatique et membre de la Quadrature du Net mettra à bas ces fantasmes en expliquant qu’il s’agit du minimum pour protéger sa vie privée comme le recommandent certains organismes publics dont la CNIL.
Un autre témoin, qui a travaillé 18 ans pour l’ACAT est intervenu sur les conditions de détention et les effets de l’isolement subi par le principal accusé, isolement qui a été condamné en tribunal administratif. Les juges sont perturbées pendant que le parquet fait semblant de ne rien entendre.

Justice-fiction

Passons sur la tentative pour le parquet de rattacher les prévenus à un projet révolutionnaire comportant de attentats. Parmi les milliers de brochures et textes militants trouvés sur les ordinateurs de certains prévenus, celle qui a attiré particulièrement son attention (et dont il lira de larges extraits dans son réquisitoire), c’est Le soleil se lève toujours, sous-titré « Critique et diffusion pour une nouvelle guérilla urbaine armée », traduction d’un texte écrit en prison en 2011 par les membres de la Conspiration des cellules de feu (9).
Enfin, pour le parquet, si les menaces contre les forces de l’ordre ou les banques peuvent passer pour des menaces en l’air, il y avait forcément un projet d’attentat particulièrement grave : contre le Président de la République le 14 juillet 2020. Le seul problème c’est que hormis un plan du défilé du 14 juillet vulgairement tagué (10), il n’y a aucune trace de préparation et aucune présence des comploteurs à Paris à cette date.

Réquisitoire

Le réquisitoire du procureur a eu lieu le 25 novembre. Évidemment il s’est vigoureusement élevé contre les tentatives de la défense de décrédibiliser le travail de la DGSI. Il a rattaché les accusés à l’ultra-gauche, en citant ses différentes formes d’action : Zad, black blocks… Il a prétendu que F est allé au Rojava plus pour se former au maniement des armes que pour lutter contre Daesh. Il a passé en revue tous les attentats d’extrême gauche depuis celui contre Sadi Carnot jusqu’aux Cellules de Feu en passant par les Brigades rouges, la Fraction Armée Rouge et Action Directe.
Ensuite il s’en est pris aux avocat·es qui sont sur la même ligne de défense (pour lui, si les avocats collaborent entre eux ça montre bien que les prévenu·es sont associés), soulèvent des irrégularités et contestent l’expert, puis il a accusé les soutiens des inculpé·es qui ont monté des blogs et dénoncé les conditions de détention provisoire, et enfin il s’est attaqué aux journalistes qui « partagent les mêmes idées » (que les inculpé·es) et ferment les yeux sur leurs agissements.
Ensuite le procureur défend la qualification d’association de malfaiteurs terroristes (AMT) tout en ramant pour justifier que même si ça ne rentre pas tout à fait dans le cadre, c’en est bien une. Il y a bien groupement formé ou entente établie même si ce n’est pas un groupe structuré et si certains ne se connaissent pas. Il y a bien des faits matériels : les essais de pétards, la partie d’airsoft, un vol d’engrais et le chiffrement de leurs communications. Il ne reviendra pas sur un des points essentiels de l’infraction d’AMT : la préparation d’actes tels que des assassinats ou des meurtres puisqu’il n’y en a pas. Enfin, la volonté de troubler gravement l’ordre public découle de la littérature militante et des liens établis avec la résistance kurde (tous des terroristes pour lui). Enfin pour le proc, une accusation d’AMT ne nécessite pas de démonstration précise, seule la connaissance de la finalité suffit. Il n’est pas nécessaire de prouver l’adhésion idéologique.
A la suite de cette première partie, la procureure (11) va rappeler le détail chronologique des « faits » et les charges retenues contre chaque accusé·e. Elle prononce les peines demandées qui vont de 2 ans d’emprisonnement avec sursis simple à 6 ans d’emprisonnement avec mandat de dépôt différé, plus 3 ans de sursis. En outre deux des prévenu·es encourent une amende de 1500€ (refus de donner le code de son téléphone) et les procs demandent une interdiction de détention d’arme pendant 10 ans pour tous ainsi que leur inscription au FIJAIT (12).

Au cours de 2 journées de plaidoiries, les 12 avocat·es des 7 prévenus ont pu démolir toute l’accusation. Contrairement à la déclaration de Darmanin qui disait, peu après les arrestations : « la DGSI a déjoué un attentat contre les forces de l’ordre », il n’y avait aucun groupe, aucun projet d’attentat et aucun moyen mis en œuvre. Ces deux journées serviront dans une belle complémentarité à démontrer qu’il n’y a rien contre chaque accusé·e, pas plus que d’existence d’un groupe ou d’un projet.
Tous·tes les avocat·es ont logiquement demandé la relaxe complète de leur client·e, et évidemment la non inscription au FIJAIT. En fin de procès, les prévenus ont pu s’exprimer à nouveau, de façon claire et déterminée.

Le rendu du jugement a été repoussé au vendredi 22 décembre. L’attitude de la cour pendant toute la durée du procès semblait plutôt aller dans le sens du PNAT. On peut espérer que les incohérences relevées par les avocat·es aient réussi à mettre le doute dans l’esprit des trois juges.

AD, Limoges, 21/11

(1) Direction générale de la sécurité intérieure
(2) Parquet national antiterroriste
(3) Jeu avec des armes et des billes en plastique
(4) Mélange d’amonitrate (engrais) et fuel
(5) Comme par hasard, il a choisi la place où se trouve le ministère de la justice !
(6) Triacétone triperoxide, explosif puissant et instable
(7) Voir la vidéo du coulage d’un mini bateau en bois : https://soutienauxinculpeesdu8decem...
(8) Il peut s’agir aussi bien d’un système d’exploitation installé (Linux) ou retirable (clé tails), d’un gestionnaire de mail (Riseup), d’un outil de protection de l’adresse numérique (VPN), d’un moteur de recherche (Tor), d’une application de messagerie cryptée (Signal)
(9) Groupe anarchiste insurrectionnaliste grec qui a réalisé des attentats en 2008-2011
(10) D’un pénis !
(11) Rappelons que dans cette affaire le parquet est représenté par deux procs.
(12) Fichier des auteurs d’infractions terroristes : fichage pour 20 ans dont 10 ans avec obligation de signaler ses déplacements et obligations de pointage

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