dimanche 4 août 2024, par
Va donc, eh, blaireau ! (Chasse et macronie) / Pan, t’es morte ! (Chasse et féminicide)/ Lutte de classe numérique et fric en Afrique (Chasse aux profits 3.0) / Vite fait pour les vacances (Chasse aux anti-techs)
Le blaireau a tellement mauvaise réputation que son nom est devenu dans les années soixante-dix du siècle passé, une moquerie, une insulte pour qualifier les individus malhabiles, insignifiants, pas très malins, frustres, naïfs, voire idiots.
Le blaireau (l’animal) vit en groupe dans des regroupements de terriers très profonds et a une vie sociale intense. Mais « Sa vie nocturne et souterraine lui a donné une mauvaise réputation. Il est encore aujourd’hui considéré par certains comme un « puant » à détruire et fait les frais de l’urbanisation croissante et de l’augmentation du trafic routier. » [1]
Pour boulotter, le blaireau mange des rongeurs et des insectes. Il pourrait dont être un allié des agriculteurs, mais manque de bol, il mange aussi leur raisin et leur maïs. Il est donc classé comme nuisible (pendant longtemps on l’a gazé au Zyklon B) et est chassé dans toute la France.
Les fédérations de chasse (ces protectrices des droits du chasseur sur la nature) s’en donnent donc à cœur joie avec leurs spécialistes en « vénerie sous terre » de déterrage des blaireaux. Car comme ce blaireau de blaireau se réfugie au fond de son terrier, il faut le débusquer et l’extraire avec d’énormes pinces, avant de le poignarder virilement pour le donner à bouffer aux chiens (car c’est immangeable, le blaireau).
C’est une activité très excitante pour les chasseurs avec les fanfares spécialisées, les hurlements de la meute et les uniformes des larbins/clowns participants.
Bon, mais voilà ce n’est pas suffisant de les chasser 12 mois sur 12. Il leur en faut toujours plus aux chasseurs.
Idée géniale : pouvoir chasser les jeunes, ce qui est encore interdit. Re-idée géniale : faire mener une étude s-c-i-e-n-t-i-f-i-q-u-e financée par la Fédération Nationale des Chasseurs, pour déterminer au jour près quand les jeunes blaireaux sont sevrés. Pour cela « entre le 15 mai 2023 et le 15 juin 2023… les chasseurs de 20 départements ont capturé et tué 442 blaireautins... » [2] et fait examiner leur estomac.
Et, miracle de la science neutre et objective, tous les blaireaux étaient sevrés à la date du 15 mai, pile poil.
Malheureusement, cette étude « scientifique » ne prouve rien car les spécialistes du blaireau savaient déjà que les animaux étaient généralement sevrés vers cette période. Mais, être sevré pour un animal (humain ou pas) ne signifie pas qu’il est devenu subitement autonome. C’est le cas du blaireau qui a encore besoin d’une intense vie collective avant de devenir adulte. Et, les associations de protection de la nature gagnent régulièrement contre les arrêtés préfectoraux qui autorisent illégalement la chasse aux juvéniles (39 recours gagnés sur 47 en 2023).
Les chasseurs ont donc flingués 442 bestioles ce qui est « tout bêtement interdit par l’article L424-10 du Code de l’environnement. »
Cette frénésie à l’égard du blaireau a des raisons claires : cela permet aux chasseurs d’une part de compenser les périodes où la chasse leur est interdite et d’autre part de se donner le beau rôle d’amis des agriculteurs. Pourquoi ?
Les GROCCs (GROs Cons de Chasseurs) nourrissent les animaux en hiver. On appelle cela l’agrainage pour « fidéliser sur le territoire » (dixit les fédés de chasse) sangliers et chevreuils. Comme plus d’animaux survivent à l’hiver en bonne santé il y en aura plus à flinguer au printemps avec aussi à la clé plus de fric pour les chasseurs grâce à la vente de gibier « sauvage » en boucherie. Malheureusement, les dégâts provoqués par ces animaux sont plus importants sur les cultures et ne diminuent pas malgré la généralisation de clôtures électriques entourant les champs de maïs et les « battues de régulation » incessantes. Le blaireau a bon dos dans ce cas.
Plus globalement, cela renvoie à ce qu’est la chasse dite « de loisir » en France contrôlée par la très autoritaire Fédération Nationale des Chasseurs. Ce lobby tout puissant est depuis une dizaine d’années ultra chouchouté pour des raisons électorales et politiciennes : lors des élections régionales de 2015 puis de 2021, dans un contexte de forte abstention, l’alliance avec les chasseurs (et les exploitants agricoles de la FRSEA) a permis à la droite (Wauquiez en Auvergne Rhône-Alpes, Bertrand dans les Hauts-de-France) de gagner ces régions et d’y chasser tout ce qui de près ou de loin ressemblait à la protection de l’environnement.
Aux dernières élections européennes, ils ont présenté une liste « Alliance Rurale ». Leur programme était d’une part, un copié-collé de leurs obsessions anti-européennes sur la protection de la nature et des espèces animales : « déclassement du statut d’espèce protégée du cormoran… souveraineté de la France pour définir les espèces chassables… refonte de la directive Oiseaux et Habitats devenues obsolètes… Tout propriétaire forestier, doit pouvoir jouir de son bien économiquement et socialement sans entraves ». [3] D’autre part, on y retrouvait les fondamentaux ruraux de la droite extrême : « Développer les moyens de Gendarmerie et de police… en zone rurale et péri-rurale pour [lutter] contre la délinquance itinérante… une politique volontariste de réduction des flux migratoires liée aux besoins des métiers en manque de main-d’œuvre ... le retour systématique des migrants en situation irrégulière... »
Cette liste a été cornaquée par leur lobbyiste en chef Thierry Coste, aussi lobbyiste pour la Russie, le Tchad, l’industrie chimique, marchand d’armes et conseiller de Macron. Coste « voulait réitérer le coup de CPNT (Chasse, Pêche, Nature et Traditions)... aux élections européennes de 1999… soit 6,77% des suffrages… » [4] Leur liste a ramassé 2,5%, loin des 5% espérés. Macron en attendait sans doute mieux avec tout le fric qu’il a investi sur eux, mais elle a joué (un peu) son rôle de minoration des résultats de l’extrême-droite. L’échec de cette campagne - pas chic mais choc - destinée à freiner la baisse régulière et constante du nombre de chasseurs, a eu néanmoins un petit avantage : la démission du Führer de la FNC, Willy Schraen. [5] Heureusement, le conseil d’administration de la FNC a refusé ce crime de lèse-chasseurs. Willy est encore sauvé !
Cadeau plombant
Une des dernières gâteries de Macron pour les chasseurs vaut le détour chez le buraliste. Depuis le premier janvier, ceux-ci peuvent maintenant vendre des munitions de chasse dans leurs bureaux de tabac. Faut comprendre : 23 000 buralistes crient misère car le prix du tabac continuent d’augmenter et il n’y a pas assez d’armureries de proximité pour les as de la gâchette. Les buralistes après deux jours de formation, pourront stocker et vendre toutes les munitions de chasse. Petit souci « Les bureaux de tabac sont des commerces assez ciblés par les cambrioleurs pour les cigarettes et les jeux à gratter. » [6] Jackpot pour les voleurs qui pourront faire le plein de munitions de 12, 16, 28, 410, pour les fusils à canon lisse et de 22-250 Rem, 222 Rem, 243W, 270W… pour les armes à canon rayé.
« Vertement... » a abordé par le passé la relation entre féminicides et armes de chasse. Eh bien, chose incroyable, rien ne change sur cette question. « La possession d’armes à feu représente un danger exponentiel qui aurait dû élever l’alerte au niveau maximal. Il s’agit du mode opératoire dans 30 des 606 féminicides conjugaux, enregistrés entre 2018 et 2022... » [7]. Malgré les promesses du Grenelle contre les violences conjugales de 2019, les statistiques sont toujours aussi floues et imprécises sur les armes à feu employées par les meurtriers (il s’agit quasi exclusivement d’hommes).
Face à la mauvaise volonté gouvernementale, Amnesty a créé sa propre base de données. On y découvre donc qu’ « une moitié des hommes n’avaient aucune raison évidente de posséder une arme à feu, n’étant ni chasseur, ni membre des forces de sécurité, ni tireur sportif.
Si on en ôte les armes de poing ou de tir sportif, « un fusil de chasse a été utilisé dans au moins 27,54% des 102 féminicides de 2020, et 25,44% des 106 meurtres de 2021. Soit 1 féminicide sur 4 provoqué à l’aide d’une arme de chasse. » [8]
Autres enseignements : la plupart du temps, « il n’y a pas de procès 69% des hommes se suicident à l’issue du passage à l’acte... ». Et, qui dit absence de procès dit absence d’enquête sérieuse sur les armes utilisées.
De plus, contrairement aux engagements pris par Darmanin lors du Grenelle en 2019 - à savoir la saisie systématique des armes des conjoints violents dès un dépôt de plainte - il a fallu l’assassinat au fusil de chasse et l’immolation par son ex-mari de Chahinez Daoud (mari déjà condamné pour des faits de violence et qui avait déjà tenté de la tuer après sa sortie de prison) le 3 mai 2021, pour qu’enfin on envisage d’appliquer les engagements du Grenelle.
Autre situation. Le 22 février à Viry (Haute-Savoie) Angela, enceinte de sept mois sort de son mobil-home pour inspecter les dégâts provoqués par des tirs récurrents de fusils sur son logement. Une balle l’atteint. Elle meurt. 40 ans, deux enfants, un mari, Rom et squattant ce terrain depuis un an.
Les auteurs ont été rapidement retrouvés : un petit groupe de potes tous chasseurs et hostiles à ces étranges étrangers.
L’auteur du tir a été inculpé pour « meurtre et tentative de meurtre commis en raison de la race, l’ethnie, la nation ou la religion. » [9]
Presque que dalle dans la presse pour ce meurtre comme pour les féminicides par arme de chasse.
Il ne faudrait quand même pas jeter l’opprobre sur des alliés politiques qui animent nos forêts, protègent la nature contre les écolos, perçoivent l’argent des permis de chasse, demandent des aides d’État pour changer leurs fusils, parcourent la France en 4x4 avec leur permis de chasse national à bas prix (merci Manu !) et commercialisent la viande de leur loisir.
Parfois malheureusement, emportés par leur passion pour la vie des autres, ils commettent des actes certes regrettables, mais c’est la vie, quoi, elle est pleine de risques et de tragique, la vie. Willy Schraen l’a dit. Et il ne faut pas stigmatiser de bons français qui paient leurs impôts et leur permis et sont armés.
L’envers du monde magique du numérique, ce sont les dizaines (voire des centaines) de milliers de forçats du clic [10] appelés « étiqueteurs » qui modèrent les contenus pour les GAFAM et alimentent en données les IA, le tout dans des conditions épouvantables : cadences, salaires et risques psychosociaux. En mai 2022, un ex-salarié kényan de la société Sama (un sous-traitant de Meta, la maison mère de Facebook) dépose plainte et accuse les deux sociétés « de traite d’êtres humains, de démantèlement de syndicats et de ne pas fournir un soutien adéquat en matière de santé mentale. » [11]
Sama (entreprise américaine) fait « travailler des milliers d’opérateurs venant de toute l’Afrique subsaharienne pour modérer et étiqueter des contenus des géants du web comme Meta, Microsoft et OpenAI… dans le cadre de partenariats d’externalisation ». L’objectif est de diminuer au maximum les coûts de ce travail. Un juge du travail kényan a estimé que la plainte du salarié et de 184 autres étaient justifiées et que l’on avait bien là un cas de traite d’êtres humains par le donneur d’ordre et le sous-traitant. Par deux fois « … le tribunal du travail de Nairobi … a suspendu les licenciements des modérateurs kényans qui continuent donc de percevoir leur salaire. » [12]
Meta a fait récemment appel car les enjeux sont énormes. Les GAFAM ont toujours tenté de vendre l’idée qu’elles n’étaient pas des entreprises de main-d’œuvre, alors qu’elles sous-traitent à mort partout dans le monde pour alimenter au prix le plus bas leur business destructeur de la planète qu’il s’agisse de l’eau, de l’énergie, des matières premières et de leurs rejets massifs de chaleur et de CO2.
Voici quelques infos en réponse à la récente lapidation publique des courants anti-industriels sur divers médias en ligne « radicaux ».
Fin 2023, un long texte anonyme a été publié sur les sites du réseau Mutu (IAATA, CRIC, Rebellyon...) et quelques autres. Il entendait dénoncer « le naufrage réactionnaire du mouvement anti-industriel » présenté comme un bloc homogène et démoniaque d’éditeurs, de sites – Éd. Libre, l’Échappée, Pièces et Main d’œuvre, Monde à l’Envers, la Lenteur...- et d’auteurs. Il appelait à « s’organiser concrètement pour qu’aucune passerelle ne soit établie entre nos mouvements et des courants antisémites, antitrans, racistes, validistes, antiféministes, nationalistes, et les personnes qui pourraient être complaisantes à leur égard. »
Deux textes écrits par certains des mis en cause, répondent sobrement à ces accusations et pratiques malhonnêtes et staliniennes en ouvrant des pistes de réflexion intéressantes.
Le premier, du collectif Ruptures (Grenoble) met au cœur de sa réflexion le fait que « Tout dans la critique anti-industrielle indique qu’elle s’inscrit dans la filiation des révolutionnaires matérialistes qui luttent contre l’exploitation, l’aliénation et la domination sociale. La rupture principale avec la tradition ouvrière introduite par les anti-industriels, c’est la reconnaissance que le développement capitaliste a pris une telle ampleur qu’on ne pourra pas se contenter de reprendre tel quel l’outil de production... » [13].
L’autre, « Au village, sans prétention » écrit par Matthieu Amiech (Éditions la Lenteur) et disponible uniquement sous forme papier [14] aborde de très nombreux sujets : la COVID et les luttes contre le passe sanitaire, l’appauvrissement de la politique, le conservatisme, l’informatisation du monde et se conclut ainsi « Ce que je sais, c’est que si l’on se donne pour philosophie politique d’élever des digues entre populations, alors on est sûr qu’il n’y aura jamais de processus révolutionnaire, on est sûr qu’on ira vers des régimes de plus en plus autoritaires. »
En complément, la lecture du dernier texte du collectif Stop Micro - qui répond à la prise de position de la CGT de STMicroelectronics contre les accords les liant à Israël - est tout aussi intéressante.
S’il salue la prise de position du syndicat, il en critique les ambiguïtés sur « ... le caractère éminemment contradictoire de continuer à « [être] fiers de produire des composants très avancés technologiquement » et de simultanément souhaiter défendre les peuples opprimés en étant « extrêmement inquiets de la montée généralisée de la militarisation et de la violence dans le monde... » car il faut « regarder le problème en face : ne réclamons pas de ST une simple « moralisation de façade » mais un arrêt définitif de toute sa production de puces à usage militaire ou de double-usage. » [15]
Freux et Eugene the Jeep
[1] Blaireau : 5 idées reçues qui ont la vie dure. France Nature Environnement. 20/01/2022
[2] Les blaireaux se font raser. Professeur Canardeau. Le Canard Enchaîné. 24/04/2024(2
[3] L’alliance rurale l’urgence du bon sens. Liste conduite par Jean Lassalle. Élections européennes du 9 juin 2024
[4] Européennes : Thierry Coste chasse sur le terrain du RN. N. Segaunes. Le Monde. 05/11/2023
[5] Chasseurs de France : la démission de leur président (Willy Schraen). Camille Crosnier. Podcast « Camille passe au vert ». France Inter.
[6] Chérie, je sors prendre des munitions. J.- L. P. Le Canard Enchaîné. 29/11/2023
[7] En France, un tiers des victimes de féminicides conjugaux ont été tuées par arme à feu. La chronique des droits humains. Amnesty International. 04/12/2023
[8] Féminicides, suicides… les ravages des fusils de chasse. Moran Kerinec. Reporterre. 09/12/2021
[9] Pas vu sur Cnews. A.-S.M. Le Canard Enchaîné. 12/06/2024
[10] « En attendant les robots : Enquête sur le travail du clic ». Antonio A. Caselli. Le Seuil, 2019
[11] « Forçats du numérique » : Comment une décision de justice au Kenya fragilise la sous-traitance des multinationales du web. Caroline Gans Combe. The Conversation. 27/06/2023
[12] Kenya : examen de l’appel de Meta dans l’affaire des modérateurs de contenus de Facebook. Radio France Internationale. 20/05/2024
[13] Qui a peur de la critique anti-industrielle ? Collectif Ruptures. 06/01/2024. collectifruptures.wordpress.com/
[14] Brochure à prix libre, disponible sur demande à La Lenteur, Le Batz, 81140 Saint-Michel-de-Vax
[15] ST alimente en puces les guerres en cours. Stop Micro. 13/06/2024. stopmicro38.noblogs.org